Le wargaming en France : une méthodologie en devenir

  Tout observateur des questions de défense a été confronté à la nouvelle tendance des wargames en France. Faire des wargames serait ainsi gage d’innovation. Mais comme tout concept désormais d’usage courant, il devient progressivement un mot valise qui entraîne confusion et mésusage. Aussi, si ce retour en grâce est plus que bienvenue pour les études prospectives, encore faut-il appréhender au mieux l’outil et son emploi.

Il s’agit de bien distinguer, le wargame (le jeu) et le wargaming (la méthodologie), puisque s’ils s’incarnent tous deux dans le recours au jeu pour mettre en pratique une problématique stratégique, ils diffèrent dans l’objectif poursuivi et surtout leur processus de mise en oeuvre. Ainsi, l’usage adéquat au plan professionnel liant la simulation mise en oeuvre (le wargame) et son analyse approfondie (le wargaming) ne va pas de soi.

En effet, l’outil qu’est le wargame -ou pour utiliser un vocabulaire français la « simulation sous forme de jeu »-, doit être prolongé par le corpus analytique de la méthodologie qu’est le wargaming s’il souhaite être utilisé à des fins d’études prospectives. Dans le cas contraire, faire un wargame revient à réaliser une partie de jeu, qui ne peut raisonnablement être utilisée par la suite pour produire une étude stratégique, puisque des pans majeurs de l’exactitude scientifique n’ont pas été pris en compte (étude des biais cognitifs, pondération de la variance, etc.).

Par conséquent, pour appréhender au mieux l’apport du wargaming professionnel et la nécessité de son emploi, il convient d’aborder trois dimensions. En premier lieu, le regain d’intérêt des wargames en Europe et les opportunités et problématiques qui en découlent seront analysés. Dans un second temps, une étude de l’essence de la méthodologie du wargaming sera alors possible. Enfin, dans un troisième temps, sera mis en exergue l’intérêt du wargaming pour la réflexion stratégique et la définition des processus d’innovations capacitaires et doctrinaux.

Un regain d’intérêt réel mais reposant sur un usage confus

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, pour des raisons autant politiques que militaires, le wargaming avait pratiquement disparu en France malgré un passé prolifique. La France, comme toutes les puissances européennes, a en effet massivement utilisé dans les armées le wargaming après 1870, en particulier dans ses processus de planificationCertains ont même démontré a posteriori leur efficacité puisqu’en 1938 avait été jouée une percée des Allemands par les Ardennes et la défaite française qui l’accompagnait (Naval War College, « On wargaming: how wargames have shaped history and how they may shape the future », Newport Papers, 2019, pp. 47-50). Une leçon nonprise en compte par le haut commandement, qui démontre la différence fondamentale entre jouer des wargames et en faire une analyse correcte par le wargaming.. Le désamour post-1945 pour le wargaming repose alors autant sur la focale nucléaire de la défense, qui diminue les besoins de planification d’opérations armées conventionnelles et donc leur test par le biais de wargames de type kriegspiel, que sur une approche culturelle réticente à la mise en oeuvre d’outils prospectifs fondés sur le jeu face à une guerre précédente dont l’anticipation avait été très mauvaise.

Le retour de la haute intensité dans le débat stratégique et le besoin d’études prospectives qui l’accompagne (industries de l’armement, économie, loi de programmation, évolutions doctrinales, etc.) a permis d’offrir un nouvel éclairage sur la nécessité de recourir à des méthodologies pratiques, faisant réémerger l’intérêt de mobiliser de nouveau l’outil des war-games, non sans confusion dans la mise en oeuvre.

Le retour en grâce des wargames dans les questions de défense

Faire des wargames en France devient depuis quelques années une pratique de plus en plus régulière, et touche aussi bien le monde civil que militaire. L’on ne compte plus en effet les sessions dédiées au sein des armées pour tous les types de jeuxDepuis les très connus Kriegspiel (simulations d’États-majors sur carte), jusqu’à la gestion de crise et en passant par les matrix game (John Curry, Chris Engle, Peter Perla, The matrix games hand-book, The history of wargaming project, 2018, 280 pages)., comme dernièrement la compétition organisée entre militaires à l’Ecole de Guerre en novembre 2022Antoine Bourguilleau, « Jouer pour gagner la guerre : usages et mésusages du jeu de guerre par les militaires », DSI, n°164, mars-avril 2023, 4 pages.. Le phénomène gagne également les forums et exercices militaires, avec des présentations de simulations clés en main ou la mise en oeuvre de sessions de jeu permettant de découvrir l’outil (cf. l’édition 2021 de la Fabrique défense avec l’organisation de wargames à Paris et à Lyon)L’entreprise Pytharec, particulièrement active sur ce segment, participe ainsi à une session d’initiation à l’usage de wargames pour la planification dans le cadre de l’exercice de l’armée de Terre ORION.. Dans le même ordre d’idées, l’intérêt pour l’outil et sa compréhension, même théorique, ne cesse de croitre, en témoigne la multiplication des articles de presse et des conférences dédiées qui dépassent les seuls magazines spécialisés dans les jeux de hobby (jusqu’ici en France représentée par VaeVictis) pour explorer la pratique professionnelle des wargamesHugues Maillot, « Guerre en Ukraine : comment le «wargaming influence les conflits modernes », Le Figaro, 10 mars 2023, 4 pages.. Le wargame devient même une clé de lecture des conflits en cours, la glose entourant son emploi par l’Ukraine –avec l’appui des américains- pour planifier ses offensives en étant un exemple récent.

Un usage encore confus voire contreproductif

Si le retour en grâce des wargames est indéniable, et d’autant plus intéressant que ces nombreuses utilisations et mentions en popularisent la pratique, leur utilisation s’avère par contre souvent problématique. Ainsi, en l’absence d'une compréhension fine de l'outil, une confusion est régulièrement opérée entre la pratique du jeu et son utilisation pour la recherche et les études prospectives. Ces dernières nécessitent en effet une approche méthodologique reposant sur un processus analytique approfondie et pas seulement des parties de jeu. En ce sens, le wargaming comme méthode est indispensable.

De fait, la pratique des wargames suppose, pour un juste emploi, une étude fine des biais cognitifs. Il s’agit également de pouvoir régler au mieux les problématiques de la variance des résultats (chance, jets de dé, mauvais emploi des règles, etc.) et de la définition de la rationalité des décisions prises. Le tout afin de pouvoir tirer des leçons réelles et pondérées des simulations réalisées. Pour ce faire, seul le recours à un cadre analytique multidisciplinaire, créé en amont et adapté à l’objet de recherche/objectif défini, est à même d’apporter une solution.

Or, la plupart des usages professionnels des wargames en Europe ne dépassent pas le cadre de l’évènement qui consiste à ne réaliser qu’une partie de jeu unique sans l’insérer dans un processus analytique complet. Si le caractère de rayonnement (c’est-à-dire une opération de communication) est parfois le seul objectif de ces utilisations, ce qui ne nécessite pas une étude approfondie, cela devient inadapté dès que l’on entend tirer des enseignements des wargames mis en oeuvre. De fait, par une seule réalisation d’une partie de jeu, sans cadre méthodologique et processus rigoureux d’analyse, est confondu le jeu (wargame) et son usage professionnel comme méthodologie d’analyse prospective (wargaming).

Les problèmes affiliés à ce mauvais usage ne sont pas anodins, avec des risques élevés de biais de confirmation, de prophéties auto-réalisatrices... faussant par essence les résultats.

En somme, dans le cadre d’un wargame utilisé dans un évènement unique, l’outil est réduit à sa seule expression ludique, basculant vers un usage récréatif identique à celui des jeux de hobbyIl s’agit en effet de la seule différence entre un wargame professionnel ou de hobby. Le jeu en lui-même n’est pas suffisant, parce que des simulations créées à l’origine par des civils pour un usage civil ont été récupérées et utilisées à des fins militaires et professionnelles (cf. le jeu Gulf Strike utilisé par l’armée américaine pour préparer l’opération Desert Storm). Le seul critère déterminant est ainsi l'objectif qui sous-tend l'utilisation du jeu : si elle est uniquement récréative/événementielle alors le wargame est de hobby, tandis que si elle est employée pour répondre à des besoins stratégiques ou de prospective alors le wargame est réputé d’usage professionnel. Pour plus de détails, voir : Thibault Fouillet, Le wargaming : un outil de recherche stratégique, L’Harmattan, 2023, pp. 31-38..

Exploiter le potentiel professionnel des wargames, nécessite d’en comprendre l’essence qu’est la méthodologie (le wargaming), seule à même d’en faire un usage cohérent et pertinent.

La méthodologie du wargaming : clé de l’emploi des wargames pour la prospective

Employer une méthode prospective dans un cadre professionnel revient à la fois à déployer une méthodologie adaptée aux études des processus d’innovation et d’anticipation, et à en comprendre la juste application selon un process rigoureux. Ces deux dimensions forment le coeur de ce qu’est le wargaming.

Le wargaming comme outil d’analyse prospective

La méthodologie qu’est le wargaming repose certes sur la mise en place de simulations sous la forme de jeux (les war-games quelle que soit leur forme : stress test, kriegspiel, ges-tion de crise, matrix game), mais ne trouve son intérêt que dans la phase d’analyse et d’exploitation des wargames qui accompagne la partie et la prolonge.

Ainsi, le wargame en tant que simple jeu n’est que la partie immergée de l’iceberg (le moyen), et le coeur de son usage pour les études prospectives repose donc sur le wargaming (la méthodologie) qui se place en amont et en aval de la conduite des wargames (parties de jeu) avec pour phase principale l’analyse.

Cette méthodologie doit alors faire en sorte de répondre aux défis évoqués plus haut concernant l’étude prospective reposant sur l’incertitude et les risques de biais cognitifs. Bien que multiples, ces défis analytiques s’attachent avant tout à la gestion (la plus efficiente possible) de trois grandes dimensions : la définition de la rationalité des décisionsReposant avant tout sur l’étude sociologique des facteurs pouvant altérer la rationalité des décisions (sociologie de groupe, pression du temps, place du hasard, etc.), il s’agit d’identifier -si cela est possible- les décisions irrationnelles ou sujettes à caution pour les écarter des leçons à tirer et pondérer les résultats obtenus., la chasse aux biais de toute nature (aussi bien concernant ceux des joueurs que ceux du jeu dont le processus de création -game design- peut influencer indirectement les résultats), et la gestion de la variance par la répétition des simulations et la diversité des panels de joueurs afin de déceler des dynamiques et redondancesThibault Fouillet, Le wargaming : un outil de recherché stratégique, op. cit., pp. 54-64 et 76-78..

En somme, il s’agit de pouvoir pondérer les résultats du jeu en appliquant une grille analytique identifiant et modérant les effets de l’incertitude et des biais cognitifs.

Un travail de définition d’une grille analytique adaptée doit donc s’opérer à chaque création de wargame professionnel pour répondre au mieux aux objectifs et aux risques de biais dédiés (un jeu usant de lancer de dés impose, par exemple, une gestion de la variance plus élevée qu’une simulation sans mécanisme de hasard), selon une procédure scientifique rigoureuse et ouverte à l’autocritiquePeter Perla, The art of wargaming: a guide for professionals and hobbyists, Naval Institute Press, Maryland (États-Unis), 1990, 364 pages.. Ce n’est qu’à ce prix que le wargaming peut être réalisé.

Du juste usage du wargaming

Une fois les contours de la méthode compris, encore faut-il en définir le juste emploi puisqu’elle doit s’adapter aux besoins/objectifs exprimés et au contexte. Pour ce faire, le premier impératif dans un cadre professionnel est de faire la chasse aux jeux « clé en main ». Leurs intérêts ludiques et d’initiation sont en effet notables, mais ils ne peuvent prétendre à exprimer un réel wargaming puisque la méthode prospective varie en fonction de chaque besoin et chaque contexte. Se fonder sur un jeu unique que l’on adapte à chaque besoin, revient en réalité le plus souvent à tordre les résultats en adaptant inconsciemment le besoin/contexte au jeu, alors qu’il s’agit en réalité de faire l’inverseTaylor Grossman, « The Promise and Peril of Wargaming », CSS Analyses in Security Policy, n°319, mars 2023, 4 pages..

Réaliser un processus d’étude prospective par l’usage de wargames implique de ce fait de répondre à un processus de création adapté. Celui-ci repose schématiquement sur cinq grandes étapesEtapes déduites de l’expérience de l’auteur, et formalisées au fil des processus analytique set des cours dédiés (cf. Cours sur le wargaming, PSL week, ENS, 2023). :

  •  La question initiale : la méthodologie du wargaming est-elle la plus adaptée au besoin ?

Par cette interrogation se résout bon nombre de distinctions entre l’emploi uniquement ludique des wargames et le besoin de recourir à une réelle analyse qui repose donc sur l’emploi du wargaming comme méthodologie.

  •  La définition du modèle de la simulation

Le wargaming ne procède pas d’un schéma de jeu figé, et doit donc définir le type de simulation le plus adapté aux besoins prospectifs. Il n’y aurait, en effet, pas de sens par exemple à traiter d’un processus de réponse à une crise économique par une simulation de conflit armé (cf. un kriegspiel selon la terminologie des wargames).

  •  La modélisation de la simulation et la création du livret de jeu

Etape de game design qui repose à la fois sur un travail théorique de définition de la grille analytique qui sera appliquée pour tirer les résultats des parties de jeu, et sur un travail pratique de parties test permettant d’affiner les mécaniques de jeu.

  • La conduite de la simulation

Moment de jeu à proprement parler, le nombre de parties jouées est alors adapté aux besoins de diversité des approches pour l’analyse (plusieurs panels de joueurs, plusieurs parties jouées pour réduire l’empreinte du hasard notamment en cas de jets de dés).

  • L’analyse des résultats

Coeur de la méthodologie, il s’agit d’appliquer la grille analytique afin d’identifier les biais décisionnels et du hasard pour exprimer les résultats de l’étude prospective grâce à l’expression de dynamiques récurrentes.

Il s’agit également et selon le contexte et les besoins exprimés, de pouvoir retranscrire le plus de variables possibles de la prospective. De ce fait, plusieurs wargames différents ou conduits de manières diverses peuvent être nécessaires pour tirer des résultats pertinents.

Le wargaming entend en effet avant tout permettre d’exprimer des éléments non-prévus, une modélisation des possibles, et la compréhension/anticipation de l’adversaire. Dans ce cadre, des jeux renversant successivement les approches pour porter la focale également sur les options de l’adversaire, ou jouant sur l’introduction ou la suppression de variables et moyens, faisant évoluer les contextes, peuvent s’avérer nécessaire.

Le wargaming se conçoit ainsi comme une méthodologie agile, devant adapter le type et le nombre de jeux aux besoins prospectifs et aux objectifs assignés.

L’enjeu étant toujours identique, il est nécessaire de mettre en oeuvre le plus d’outils possible pour repousser les limites de la prospective et de la simulation (risque de prophéties auto-réalisatrices, effet silos, confusion avec un exercice, etc.) et éviter d’en faire un usage contreproductif, ou parcouru de biais majeursLe dernier exemple en date de ce risque sont les wargames réalisés par la RAND corporation en 2016 postulant une invasion des États baltes par la Russie. Ils décrivaient en effet un succès russe en 72h mais surtout l’impossibilité d’une contre-attaque otanienne par la densité de la bulle de déni d’accès aérienne mise en oeuvre (David A. Shlapak, Michael Johnson, Reinforcing Deterrence on NATO's Eastern Flank: Wargaming the Defense of the Baltics, RAND Corporation, 2016, 16 pages). Une position erronée, qui en se basant sur des valeurs maximales de l’efficacité de systèmes russes non-pondérées, du fait d’une analyse de game design superficielle, a méconnu la réalité et projette une image de vulnérabilité largement contredite par la suite (Robert Dalsjö, Christofer Berglund, Michael Jonsson, Bursting the Bubble, Russian A2/AD in the Baltic Sea Region: Capabilities, Counter-measures, and Implications, FOI, 2019, 116 pages)..

Le wargaming professionnel, un potentiel à exploiter d’urgence

Une fois la méthodologie mieux appréhendée, il convient de s’intéresser à l’intérêt de son emploi en tant que méthodologie prospective, et en particulier ses atouts pour la réflexion stratégique, les politiques d’innovation et la prospective industrielle, les forces armées, etc.

Les cinq fonctions du wargaming professionnel

Le wargaming en tant qu’outil est pensé pour correspondre à l’ensemble des besoins de simulation et d’anticipation d’une structureVoir notamment : Thibault Fouillet, Le wargaming : un outil de recherche stratégique, op. cit. ; Taylor Grossman, « The Promise and Peril of Wargaming », op. cit. ; Aggie Hirst, « Wargames Resurgent: The Hyperrealities of Military Gaming from Recruitment to Rehabilitation », International Studies Quarterly, n°66, 2022, 13 pages. : processus d’innovation, de formation et de test/anticipation.

Le wargaming peut ainsi être utilisé dès le recrutement des nouveaux entrants pour tester leur aptitude au travail en équipe ou à la gestion de tâches multiples (un usage courant au sein des grandes entreprises américaines).

Il est également adapté à tous types de formation et d’acculturation aux nouvelles variables (une fonction particulièrement utilisée dans les forces armées américaines que ce soit pour apprendre les gestes élémentaires aux soldats, ou pour développer la réflexion et l’anticipation des officiers supérieurs avec des modules de cours dédiés)Johan Erik, Wargaming in Military Education for Army Officers and Officer Cadets, King’s College, Londres, 2017, 286 pages. Ces modules peuvent même durer plusieurs mois comme à l’US Naval War College, avec un apprentissage complet du wargaming, depuis l’acculturation à leur usage dans la réflexion, jusqu’à la création de processus analytiques repo-sant sur les wargames, en passant par l’apprentissage de la mise en oeuvre des méthodologies analytiques du wargaming..

 

L’usage idéal du wargaming : une méthode pour l’ensemble des besoins professionnels

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Source : Cours donné par l’auteur lors de la semaine PSL à l’ENS (2023)

Son chemin peut ensuite se poursuive pour s’insérer au sein des processus d’innovation. Il s’agit d’une composante très développée dans les industries de défense anglo-saxonnes, aussi bien pour l’étude des technologies émergentes, que pour l’anticipation des programmes d’armement et des budgetsUn exemple saillant étant le wargame SAFE créé dans les années 1970 aux États-Unis pour tester les politiques d’investissement de défense à horizon dix ans en explorant les diverses solutions possibles et leur impact sur les capacités ainsi développées pour les forces armées et les problématiques de réalisation pour les industriels. Les wargames français contemporains autour de la LPM s’incarnent donc clairement dans cette filiation., ou encore pour le test de l’évolution du contexte économique. Sur ce dernier volet, les États-Unis développent depuis 2008 (en réaction à la crise des subprimes) un wargame annuel explorant les mécanismes de réponse à une crise financière d’ampleur. Pour ce faire, sont réalisés différents wargames mis en oeuvre pour explorer le plus de variables possibles (programmes d’investissement pluriannuels par le biais d’un matrix game, stress test sous la forme de serious game, gestion de crise, réactions « opérationnelles » sous forme de décision d’investissement sur plateau de jeu, etc.) qui sont ensuite analysés et pondérés par une procédure complète d’analyse méthodologique des résultats du type wargaming permettant de faire émerger les principales dynamiques et les enseignements de ce testEamon Javers, « Pentagon perps for economic warfare », politico.com, publié le 4 septembre 2009.. En outre, l’emploi du wargaming dans les processus d’innovation n’est pas réductible à la seule variable industrielle et économique, mais s’incarne également au plan militaire au sein des processus de réflexion et de définition des nouvelles doctrines (la Third Offset Strategy et les All Domain Operations ont ainsi fait l’objet de wargames tout au long de leur création)Aggie Hirst, « States of play: evaluating the renaissance in US military wargaming », Critical Military Studies, vol. 8, n° 1, 2022, pp. 1-21..

Enfin, le wargaming s’adapte tout particulièrement aux procédures de test aussi bien pour les plans d’opération que pour la mise en oeuvre d’une stratégie commerciale. Il s’agit alors avant tout d’essayer de déstabiliser les postulats établis (c’est ici que prennent le plus souvent place les kriegspiel au plan militaire, ou les wargames de gestion de crise et red team).

En somme, le wargaming apparait comme un outil idéal pour la conduite d'études prospectives ou les besoins d'une entreprise : aide au recrutement, processus de formation, aide aux processus d’innovation, test des produits finaux, etc.

Un potentiel sous-exploité qui mérite une attention particulière

Fort de ce constat des apports du wargaming, il apparait cependant que son emploi est encore trop limité en France. De fait, au-delà des confusions précitées entre usage de wargames et réalisation de wargaming, les institutions et entreprises s’emparent à peine de la méthodologie. La place de l’outil dans les processus de formation/anticipation/innovation a du mal à être trouvée, et l’usage reste parcellaire.

Beaucoup reste donc à faire, notamment pour les domaines non-militaires où la culture du wargame (construite autour du kriegspiel) est historiquement absente, ce qui nécessite une adaptation et un investissement particulier. A titre d'exemple, un usage sur les problématiques économiques et financières est à développer. Les intérêts sont alors multiples, de l’accompagnement RH, au test de la résilience des structures aux crises, en passant par l’identification des chaines de dépendance ou la possibilité d’offrir un cadre d'échange novateur pour les acteurs civilo-militaires de le BITD.

In fine, si le potentiel du wargaming en France est indéniable, il est indispensable de se saisir au plus tôt de l’outil pour en maitriser la méthodologie et le juste usage. Le pont entre experts du wargaming et acteurs professionnels/institutions émerge ainsi comme un enjeu fondamental à court terme.

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Crédit image : Shutterstock.com

 

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