Notes de la FRS

Le budget de défense des États-Unis pour 2024 : poursuite d’une trajectoire ambitieuse sous contrainte

   La requête budgétaire pour 2024, soumise au Congrès début mars 2023, est la troisième de la présidence Biden mais la première à être entièrement conçue pour mettre en oeuvre la stratégie nationale de défense (National Defense Strategy, NDS), élaborée en 2022. L’Administration propose une nouvelle augmentation de crédits, destinée à soutenir le renforcement rapide des capacités de défense américaines, face à des menaces de plus en plus pressantes« Department of Defense Releases the President's Fiscal Year 2024 Defense Budget », Washington (D.C.), US Department of Defense, March 13, 2023.. Le sentiment « d’urgence », inscrit dans la NDS, est moins lié à la prolongation de la guerre en Ukraine qu’aux difficultés qu’elle révèle dans la perspective d’une confrontation potentielle avec la Chine.

L’Administration et les commissions parlementaires de défense, chargées de la formulation définitive du budget, s’entendent sur la nécessité d’améliorer la préparation de l’appareil de défense à une compétition toujours plus serrée. Mais la proposition présidentielle est comme d’habitude sérieusement critiquée, en raison à la fois de divergences sur la répartition des crédits et d’affrontements politiques sur l’évolution globale des dépenses fédérales.

Une requête en hausse au service de la NDS

Le responsable du budget du DoD a souligné lors de la présentation de la requête qu’elle comportait peu de nouveautés par rapport à celle de 2023 : « one of the big themes of this budget is continuity »Comptroller Michael J. McCord, Press Briefing on President Biden's Fiscal 2024 Defense Budget, US Department of Defense, March 13, 2023.. Si la NDS n’a été publiée (partiellement) qu’en octobre 2022, ses orientations étaient déjà fixées dès le début de l’année lors de l’élaboration par le Pentagone du précédent budget. Ce sont donc les mêmes priorités qui guident la requête pour 2024.

Si, dans le cadre de la calibration de l’effort de défense, la Chine est plus que jamais considérée comme un adversaire déterminant, d’autres menaces sont prises en compte :

  •  La Russie est un problème sérieux en Europe2022 National Defense Strategy of the United States of America, US Department of Defense, October 2022, p. 7.. La guerre en Ukraine n’a pas amené une réévaluation de son importance, mais le conflit a apporté des enseignements concernant la conduite des opérations, dont l’impact est perceptible dans le budget 2024.
  • L’Iran, la Corée du Nord et les organisations terroristes restent mentionnés, au titre de la « vigilance » face aux risques, mais sans effet notable sur les choix de défense.

La priorité du DoD reste la dissuasion de toute « attaque stratégique » contre les États-Unis ou leurs alliés, ainsi que d’éventuelles agressions régionales, principalement en zone Indo-Pacifique et secondairement en Europe. Comme en 2023, le budget pour 2024 s’inscrit ainsi dans les trois lignes directrices, telles que définies dans la NDS :

  • La dissuasion intégrée (integrated deterrence), reposant à la fois sur un appareil de combat interarmées apte à l’emporter sur tout adversaire et sur la garantie ultime de l’arsenal nucléaire ;

     
  • L’organisation des activités courantes et de la posture de déploiement dans une campagne globale (campaigning), qui constitue la contribution du DoD à la « compétition stratégique » ;

     
  •  L’exploitation des avantages comparatifs procurés aux États-Unis par la qualité des personnels militaires, la capacité d’innovation et la puissance de la base industrielle et technologique de défense (BITD).

Le budget préparé par le DoD pour 2024 poursuit l’augmentation annuelle des crédits, constante sous la présidence Biden. Il s’élève à 842 milliards de dollars (Mds$) pour le DoD, soit 69 Mds$ de plus que la requête pour 2023 (+ 3,2%). Au total, en incluant les dépenses du Département de l’énergie pour l’arsenal nucléaire, les dépenses de défense avoisineraient les 886 Mds$.

La trajectoire devrait se poursuivre sur les cinq prochaines années de la projection établie par le DoD, avec une progression de 100 Mds$ annuels jusqu’en 2028, poursuivant la tendance entamée en 2022Comptroller Michael J. McCord, Press Briefing on President Biden's Fiscal 2024 Defense Budget, op. cit.. On notera à cet égard que le Pentagone a constamment dû réévaluer sa planification depuis 2021, de sorte que la requête actuelle dépasse le montant prévu l’année dernière pour 2028 (842 Mds$ au lieu de 834 Mds$). Cela s’explique largement par les interventions du Congrès qui, chaque année depuis 2017, augmente les crédits demandés par l’Administration, jugeant qu’ils ne suffisent pas à maintenir l’avantage sur la Chine, en particulier en période d’inflation croissante.

Un budget de nouveau dans la tourmente politique

Le budget 2023, autorisé par les commissions de défense contrôlées par les Démocrates, comportait une augmentation de 43 Mds$ par rapport à la demande présidentielle. Une nouvelle réévaluation des crédits pour 2024 était d’autant plus prévisible que, depuis janvier 2023, les Républicains ont retrouvé la majorité à la Chambre et, par conséquent à la commission de défense. Dès la publication de la requête, ils l’ont effectivement jugé inappropriéeBryant Harris, « GOP blasts ‘inadequate’ Biden defense budget as it vows spending cuts », Defense News, March 10, 2023., appuyés en cela par les commentaires des experts conservateursLe nombre d’articles consacrés à l’analyse du budget dans les grands think tanks tend à se réduire chaque année. Ce sont principalement les experts de tendance conservatrice qui se manifestent par leurs critiques..

D’une part, la dynamique budgétaire vantée par l’Administration doit être relativisée. La requête pour 2024 ne représente que 26 Mds$ de plus que le montant autorisé par le Congrès pour 2023 (816 Mds$). Le budget reculerait même de 10 Mds$, si l’on prend en compte les quelques 36 Mds$ de crédits supplémentaires votés pour financer l’aide à l’Ukraine. D’autre part, si l’on intègre l’inflation, la progression des crédits en termes réels ne serait que de 0,8% en 2024.

Ces éléments auraient normalement dû conduire les parlementaires à augmenter le budget dans la loi d’autorisation (National Defense Authorization Act, NDAA) élaborée pendant l’été 2022. Toutefois, les divergences politiques au sein du parti républicain ont produit un effet bloquant inattendu. La volonté de certains élus, les plus « à droite », de réduire les dépenses fédérales a entraîné une crise autour du plafond de la dette, qui a d’abord stoppé le processus d’élaboration de la NDAA. Le psychodrame s’est finalement dénoué fin mai 2023 par un accord avec la Présidence. Pendant les deux prochaines années, en échange du relèvement du niveau d’endettement autorisé par le Congrès, les dépenses fédérales dites « discrétionnaires » seront limitéesL’accord du 26 mai, voté par le Congrès le 2 juin, prévoit également plusieurs mesures d’économie. Le plafonnement des dépenses « discrétionnaires » concerne les crédits demandés et votés chaque année, à l’exclusion des dépenses fédérales « obligatoires », correspondant à des prestations.. Or, cela affecte directement la défense, puisque le budget 2024 est plafonné à 886 Mds$ tandis que celui de 2025 ne pourra progresser que de 1% (soit 895 Mds$).

Structure du budget de la défense, 2022-2024, en Mds$

1

Source : Office of the USD Comptroller/CFO, mars 2023

 

Budget de la défense, 2010-2024, en Mds$

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Source : Office of the USD Comptroller/CFO, mars 2023

La requête du DoD est donc préservée, mais les commissions de défense sont privées de toute marge de manoeuvre pour rajouter des crédits. Cela signifie notamment que les besoins des armées « non satisfaits » par la proposition budgétaire ne pourront être pris en compte dans la loi, comme ils le sont traditionnellementChaque année, les armées ont pris l’habitude de fournir au Congrès une liste de leurs « priorités non financées », qui sert de base à l’augmentation des crédits dans la NDAA.. Cette situation étant inacceptable pour nombre de Républicains (y compris ceux qui ont voté le texte de l’accord !), la possibilité de contourner la loi est immédiatement envisagée par les commissions de défense, qui pourraient voter des crédits supplémentaires dans un texte séparéUne autorisation spéciale de crédits pour le soutien à l’Ukraine pourrait inclure des financements pour le DoD, sans lien avec la guerre. Joe Gould, Connor O’Brien, « The debt deal limits Pentagon spending. Lawmakers are already figuring out ways around it », Politico, June 1, 2023.. Le sujet risque donc de rester un point de friction et de marchandage politique durant l’été 2023, avec pour seule certitude que le budget final sera différent de la requête initiale.

La stratégie de modernisation au coeur des débats

Même si les modifications concernent la distribution des crédits dans les différentes catégories budgétaires, elles ne transformeront pas la répartition globale proposée par le Pentagone. Celle-ci tient autant de choix stratégiques que de la structure même de l’appareil de défense.

Ainsi, les dépenses de « fonctionnement » (Operation & Maintenance, O&M) sont toujours les plus élevées, avec 330 Mds$, alors que la priorité affichée est la modernisation de l’appareil de forces, l’équipement (Acquisition) et la recherche et développement (RDT&E) totalisant 315 Mds$. On notera enfin que les dépenses de personnels restent importantes (près de 179 Mds$), en dépit de la stabilité des effectifs, car il s’agit de maintenir l’attractivité de la profession.

Si l’on considère les dépenses en fonction des trois axes de la stratégie de défense, la priorité semble effectivement aller à la « dissuasion intégrée ». Comme dans le budget 2023, la modernisation est privilégiée, avec une augmentation de 12,9 Mds$. Mais la tendance est relativisée par les analystes, puisque la hausse de 5,7% prévue sur les années suivantes sera annulée par l’inflationMark Cancian, Military Forces and Acquisition Programs: How Did They Fare in the FY 2024 Budget?, Commentary, CSIS, March 17, 2023.. Un léger rééquilibrage est par ailleurs amorcé en faveur de l’acquisition de matériels plutôt que la RDT&E, avec un ratio de 1,3 pour 1 (au lieu de 1,2 : 1 en 2023).

Le budget d’acquisition (170 Mds$), en hausse de 6 Mds$, est annoncé comme le plus élevé jamais proposé. Il doit permettre de doter les armées de capacités de combat crédibles dans tous les domaines, propres à dissuader une agression.

Les crédits de RDT&E (145 Mds$), en hausse de 12%, soit un niveau inédit, contribuent à l’entretien de l’avantage technologique américain à long terme.

Cet effort global de modernisation (Acquisition + RDT&E) concerne en priorité la puissance aérienne (61,1 Mds$), puis navale (48 Mds$), les équipements terrestres de l’Army et du Marine Corps ne recevant qu’une part limitée de 13,9 Mds$. Il faut noter que ces chiffres intègrent des programmes relevant de la triade nucléaireLe système terrestre LGM-35A Sentinel, qui remplacera les Minuteman à partir de la fin de la décennie ; le sous-marin de classe Columbia, dont le premier exemplaire doit être produit ; le bombardier B-21 ; le F-35 à double capacité ; le missile Trident II et le Long Range Standoff Weapon., qui bénéficient au total de 37,7 Mds$ afin d’assurer la sûreté et la fiabilité de l’appareil de dissuasion stratégiqueIl faut y ajouter les 18,8 Mds $ du Département de l’énergie destinés à l’entretien et au développement des charges nucléaires. Voir : « Fiscal Year 2024 Defense Budget Request Briefing Book », Fact Sheet, Center for arms Control and Non Proliferation, April 4, 2023..

Les autres grands domaines capacitaires mis en avant par le DoD sont :

  •  Les systèmes d’information (45 Mds$) et de cybersecurité (13,5 Mds$), pour un total de 58,5 Mds$, en augmentation par rapport aux 55,2 Mds$ votés pour 2023 ;

     
  •  Les activités spatiales, avec 33,3 Mds$ d’investissement ;

     
  •  La défense anti-missile, pour 14,8 Mds$ (+ 20%) ;

     
  • Les missiles hypersoniques et munitions de précision pour 29,8 Mds$, en hausse de 24% par rapport à 2023.

Les missiles et munitions font l’objet d’une attention toute particulière, dans la mesure où les opérations en Ukraine ont confirmé l’importance déterminante du volume de feu dans une confrontation de haute intensité. L’objectif n’est pourtant pas de reconstituer les stocks de munitions livrées aux forces ukrainiennes, car le DoD compte pour cela sur le vote de crédits exceptionnels, comme ce fut le cas en 2023Le Congrès a voté en 2022 deux lois de financement exceptionnel pour le soutien à l’Ukraine en 2023, attribuant 35,6 Mds $ au DoD pour compenser les livraisons de matériels militaires prélevés sur son inventaire.. Il s’agit plutôt de se préparer à un éventuel affrontement avec la Chine, impliquant des échanges de tirs soutenus et prolongés. Cela explique que les programmes privilégiés (missiles hypersoniques et à longue portée) ne soient pas les munitions les plus utilisées en Ukraine, tels que les mortiers et les roquettes, pour lesquels le budget décline même de 15%Mackenzie Eaglen, « The U.S. Military Needs More Capital for Capital Assets », RealClear Defense, May 22, 2023.. Certains experts s’en inquiètent d’ailleurs et soulignent que l’augmentation des crédits ne se traduit pas nécessairement par une augmentation significative du nombre de missiles achetés.

En fait, les analystes conservateurs, souvent repris par les parlementaires républicains, contestent toujours la stratégie de modernisation à long terme, qui menacerait l’aptitude des armées à vaincre un adversaire majeur à court terme. La politique du DoD aboutit, selon eux, à dépenser toujours plus pour disposer de moyens de moins en moins nombreuxJohn Ferrari, « The Pentagon’s FY24 defense budget falls $40 billion short », Breaking Defense, March 20, 2023.. Ils estiment qu'une augmentation accélérée de la structure de forces est possible, sans qu'il soit nécessaire de retirer des systèmes "anciens" pour financer les nouveaux programmesLe programme Enabling Future Capabilities Transition (EFCT) permettrait par exemple au DoD d’économiser 3,8 Mds de coût de fonctionnement en 2024, par le retrait de systèmes tels que 2 Littoral Combat Ships de la Navy ou 42 A-10 de l’Air Force. FY2024 Defense Budget Request: Context and Selected Issues for Congress, Washington (D.C), Congressional Research Service, May 31, 2023., à condition de financer plus sérieusement le budget d'acquisition. Celui-ci est en effet très loin d’atteindre le niveau de référence des Conservateurs, à savoir le « Reagan buildup » : un tiers des dépenses du Pentagone allait à l’effort de reconstitution capacitaire en 1985, alors que l’équipement ne représente qu’un cinquième de la requête 2024Mackenzie Eaglen, « The U.S. Military Needs More Capital for Capital Assets », op. cit..

 

Comparaison des dépenses par catégorie 2023-2024

3

Source : DoD, 2023

 

Répartition des crédits de modernisation par armée

4

Source : DoD, 2023

 

Comme les années précédentes, les armées comptaient d’ailleurs sur les commissions de défense pour rajouter des crédits principalement destinés à l’achat de matériels jugés importants mais non prioritaires dans la requête budgétaire. Cela devra passer cette fois par une loi exceptionnelle pour contourner le plafonnement imposé à la NDAA, rendant de facto la répartition des crédits plus incertaine, car tributaire des négociations entre parlementaires aux préoccupations bien différentes.

Les autres composantes de la compétition

Le débat sur la modernisation laisse largement de côté les autres aspects de la stratégie de défense, à commencer par l’adoption d’une posture de « campagne » permanente visant à préserver l’influence américaine et l’accès des forces aux régions majeures.

Cette ligne d’action comporte principalement un effort d’entretien de la disponibilité opérationnelle (avec 146 Mds$), couvrant le maintien en condition des forces, mais surtout axé sur la préparation aux opérations futures. On retrouve donc la logique fondamentale de renforcement de la dissuasion, qui se traduit également par la consolidation de la présence dans les deux régions prioritaires, au travers des programmes suivants :

  • La Pacific Deterrence Inititative, pour laquelle le DoD demande 6,1 Mds$, afin de continuer à adapter son déploiement et de soutenir les partenaires régionaux ;

     
  •  L’European Deterrence Initiative, qui diminue néanmoins faiblement par rapport à 2023 (3,6 Mds$ au lieu de 4,3), hors aide apportée à l’Ukraine.

A cet égard, on peut noter que le DoD compte sur le renouvellement des crédits exceptionnels en 2024 pour soutenir son engagement, de sorte qu’il ne demande que 300 millions pour le programme d’aide à l’Ukraine (Ukraine Security assistance Initiative), alors que le Congrès en a autorisé 8,7 Mds$ en 2023. Ce pari est lui aussi risqué, compte tenu du contexte politique, surtout si une même loi de financement sert à soutenir l’Ukraine et à augmenter les crédits « ordinaires » du DoD. On peut aussi penser que le déroulement de la « contre-offensive » ukrainienne aura un impact sérieux sur le niveau de l’aide future.

Dans l’ensemble, le budget de la coopération de sécurité est réduit à 3,7 Mds$. L’essentiel va toujours au Central Command (1,1 Md$), suivi de l’European Command (858 millions$). Cela témoigne de la place désormais secondaire des activités de type formations, exercices et visites, pourtant proclamées indispensables dans le contexte de la lutte d’influence mondiale entre grandes puissances.

La compétition semble surtout se jouer aux États-Unis mêmes, où il convient de préserver les atouts qui ont fait la suprématie de l’appareil de défense : la qualité des armées et le dynamisme de la BITD.

Comme toujours, le DoD rappelle que la puissance militaire américaine repose avant tout sur un « capital humain » remarquable, dont il faut entretenir la diversité et les compétences. Le budget pour 2024 (178,9 Mds$) prévoit la poursuite d’une multitude de programmes destinés à faciliter la vie des militaires et de leur famille, de même qu’une nouvelle augmentation des soldes, de 5,2%, contre 4,6% en 2023. Ces mesures s’avèrent d’autant plus nécessaires que les armées peinent à atteindre les niveaux d’effectifs autorisés, de sorte qu’ils sont réduits de près de 12.000 militaires d’active pour 2024Les effectifs diminuent dans la Navy, le Marine Corps et l’Air Force ; l’Army demeure au même niveau et seule la Space Force augmente, de 800 personnes. FY2024 Defense Budget Request: Context and Selected Issues for Congress, op. cit..

La stagnation des volumes de forces s’accompagne, comme on l’a vu, d’une attention particulière au soutien de l’innovation technologique. Le budget de RDT&E doit permettre à la fois de poursuivre la réalisation de programmes essentiels aux concepts opérationnels actuels (avec 1,4 Mds$ pour les systèmes du Joint All-Domain Command and Control) et d’exploiter de nouvelles opportunités, notamment dans l’intelligence artificielle (1,8 Md$). A plus long terme, le DoD demande 7,8 Mds$ pour la recherche (S&T), avec des investissements tournés vers 14 domaines critiques définis en 2022, dont 17% pour la microélectronique. On notera cependant qu’en dépit du discours du DoD, les crédits S&T déclinent par rapport à 2023Voir l’analyse de Brian Mosley, « Department of Defense FY 2024 Request: Another Terrible Budget Request for Defense Research », Computing Research Policy Blog, March 31, 2023..

L’accent est davantage mis, dans les présentations du Pentagone, sur le soutien accru à la BITD. La préservation d’une base industrielle et technologique innovante et résiliente est un enjeu constant depuis une décennie, et dont l’importance s’est trouvée confirmée par la lecture des opérations en Ukraine. Celles-ci justifient l’attention portée aux capacités de relancer rapidement et d’assurer la pérennité des chaines de production, dans la perspective d’une confrontation majeure. La fabrication des systèmes de frappe apparaît assez logiquement comme le premier sujet d’intérêt. Dans ce domaine, le budget prévoit de consacrer plus d’un milliard à l’adaptation de la base industrielle. De plus, le DoD entend développer le recours à une autorisation spéciale du Congrès permettant de passer des commandes pluriannuelles (MultiYear Program), pour les 5 types de missiles prioritairesCela concerne les : Guided Multiple Launch Rocket System, Navy Strike Missiles, Advanced Medium-Range Air-to-Air Missiles, Joint Air-to-Surface Standoff Missiles, Long Range Anti-Ship Missiles et Standard Missile-6.. Cette nouvelle modalité d’acquisition doit contribuer à augmenter le rythme et la capacité de production des fournisseurs, en leur donnant de la visibilité. Outre les systèmes cinétiques, 4 autres secteurs industriels sont jugés critiques par le DoD : la micro-électronique, le stockage d’énergie (batteries), la métallurgie et l’extraction de minerais rares. Outre leur importance pour les opérations, ces domaines sont ceux où la concurrence de la Chine est perçue comme la plus susceptible de remettre en cause l’avance technologique américaine.

Sans discuter de la pertinence des choix stratégiques, le budget du DoD se caractérise ainsi par une parfaite cohérence dans la priorité qu’il donne à la « compétition » avec la Chine et plus spécialement à la préparation d’un affrontement potentiel. Alors que le discours politique privilégie toujours l’évitement d’une telle confrontation, et que le concept opérationnel de « compétition »Joint Chiefs of Staff, Joint Concept for Competing, US Department of Defense, February 2023. prétend donner aux armées un rôle plus large que le combat, c’est bien dans l’optique de s’assurer une victoire militaire que le DoD a développé sa dernière requête budgétaire et que le Congrès cherchera encore à l’augmenter.

 

 

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