Philippe Gros
Vincent Tourret
Corentin Brustlein
Elie Tenenbaum
Morgan Paglia
27 janvier 2019 Version PDf
A. La notion de linéarité dans les doctrines
La description du champ de bataille comme linéaire ou non-linéaire est issue du débat américain sur les différentes façons de configurer l’espace des opérations selon que ses délimitations spatiales demeurent discernables ou s’estompent : la ligne de contact est-elle continue et persistante ? Une séparation claire du front et de l’arrière existe-t-elle ? Les lignes de communication convergent-elles sur celles des opérations ? Trouvant son origine dans le combat terrestre, cette problématique a notamment pour variables la densité des forces et la nature statique ou dynamique de leur disposition sur le terrain. Plus son occupation est fixe en termes de posture et forte en effectif, plus une aire d’opération tendra vers la linéarité, avec comme exemple paroxysmique la guerre des tranchés de 1914-1918. A l’inverse, plus une aire d’opération sera jugée fluide en termes de posture et lacunaire en termes d’occupation, plus elle tendra vers la non-linéarité, avec des exemples pouvant aller des guerres de mouvement aux guerres asymétriques.
Si la non-linéarité est un attribut naturel de la guerre de manoeuvre classique, sa con-ception doctrinale moderne remonte dans le domaine aéroterrestre à la naissance des batailles et opérations dans la profondeur à partir de la Première Guerre mondiale, conceptualisée au niveau opératif entre autres par Mikhaïl Toukhatchevski dès les années 1920 et appliquée ensuite pendant la Seconde Guerre mondiale, d’abord par les Alle-mands, puis par l’Armée Rouge. Cela étant, de façon plus radicale encore, les théories de la puissance aérienne, notamment celle de Douhet, consacrent l’émergence de la non-linéarité opérative et même stratégique grâce à l’exploitation de la troisième dimension.