Notes de la FRS

La neutralisation des défenses aériennes adverses (SEAD)

Publication générique pour un programme/observatoire n°00/2021
Philippe Gros
Stéphane Delory
Vincent Tourret
Aude Thomas
29 avril 2021 Version PDf

Résumé

L’importance des missions dites « de neutralisation des défenses aériennes adverses » (SEAD) est à la hauteur de la dépendance des opérations occidentales à la liberté de manoeuvre de leur puissance aérienne. La SEAD concrétise ainsi le besoin d’une négation des effets des systèmes anti-aériens adverses pour mener à bien l’interdiction en profondeur du dispositif ennemi. Elle s’est traduite pendant la guerre du Vietnam par le développement d’appareils et de munitions spécialisés concentrés sur la suppression, sinon la destruction, des défenses à base de radars, voire de leur C2. Cette approche de la SEAD s’est graduellement enrichie et a pu montrer toute son efficacité lors de Desert Storm et des interventions de ces trente dernières années, sans pour autant rencontrer l’ennemi paritaire qui aurait pu la mettre en difficulté et par conséquent justifier un investissement constant dans ses capacités.

La fin actuelle de ce « confort opératif » est souvent confondue avec la remontée en puissance des systèmes anti-aériens russes et chinois développés précisément pour mettre en échec le modèle de la puissance aérienne occidentale. Face à ces défis, émergent outre-Atlantique deux modèles de SEAD future. Le premier est celui de la puissance aérienne, articulé autour d’un triptyque : fulgurance par le recours aux missiles de haute vélocité ; saturation par le déploiement massif de systèmes autonomes opérant en lien avec les plateformes pénétrantes et avec la chasse ; et paralysie informationnelle par la guerre cyber-électronique. C’est un modèle qu’émulent partiellement les Britanniques. Le second est celui de l’Army, qui entend consacrer à cette mission une part essentielle de sa puissance de feu surface-surface aux portées étendues à la profondeur opérative. Les compétiteurs russe et chinois partagent les prémisses de cette approche mais manifestent néanmoins de fortes différences d’appréciation. La Russie semble encore demeurer dans une phase de rattrapage post-soviétique qui ne lui laisse guère de marges de manoeuvre. Son approche de la SEAD apparaît dominée par les moyens et les considérations terrestres de la frappe dans la profondeur qu’elle résout ainsi de façon asymétrique dans le cadre plus général de l’atteinte de la supériorité aérienne. La Chine, quant à elle, encapsule la SEAD dans son schéma de frappe d’interdiction des bases américaines du Pacifique avec une attention plus particulière sur la neutralisation de l’architecture C4ISR adverse. L’évolution de ces capacités SEAD induit en réaction une évolution des systèmes de défense aérienne et antimissile vers des architectures toujours plus distribuées, multidomaines, qui impliqueront en retour un élargissement de la confrontation, par exemple dans le domaine spatial. Cependant, le contexte actuel est également marqué par la diffusion possible d’autres modèles, « intermédiaires », de SEAD, idéaux pour des guerres de procuration (cf. par exemple l’emploi massif par les Turcs de drones armés en Libye).

Ces développements sont susceptibles d’affecter nos forces dans leurs différents cadres d’engagement, qui nécessiteront différents niveaux de SEAD. Sur le plan capacitaire, ils posent une double exigence pour nos forces, sous forte contrainte de ressources : celle d’un accroissement de leurs aptitudes à la SEAD par le renforcement de leurs capacités ISR aéroportées et spatiales et par le développement d’effecteurs véloces et saturants, et celle de la résilience de nos défenses aériennes aux capacités de SEAD adverses. Elle implique aussi, probablement, une refonte de nos doctrines interarmées et, plus certainement, la poursuite du développement de nos capacités de lutte informatique offensive tactique.