Antoine Bondaz
18 mars 2021 Version PDf
De nombreux articles insistent sur l’isolement diplomatique de Taïwan ou sa perte d’« espace international ». Le ministre taïwanais des Affaires étrangères, Jaushieh Joseph Wu, expliquait dans son dernier rapport au Comité des affaires étrangères et de la défense nationale du Yuan législatif que « la Chine ne cesse jamais de chercher à étouffer Taïwan sur la scène internationale »“Report by Jaushieh Joseph Wu, Minister of Foreign Affairs of the Republic of China (Taiwan), at the Foreign and National Defense Committee of the Legislative Yuan”, Ministry of Foreign Affairs of the Republic of China (Taiwan), September 28, 2020.. Et pourtant, Taïwan est une véritable, bien qu’atypique, puissance diplomatique. C’est cette spécificité de la diplomatie taïwanaise, dynamique et protéiforme, des réseaux sociaux aux couloirs des parlements nationaux, qui est l’objet de cette première note du Programme Taïwan sur la sécurité et la diplomatie.
Un réseau diplomatique mondial, dense et diversifié
La République de Chine (Taïwan) n’a de relations diplomatiques qu’avec quinze pays, principalement en Amérique latine, dans les Caraïbes et dans le PacifiqueLa République de Chine (Taïwan) fait partie d’un groupe restreint d’États partiellement reconnus n’étant pas (plus) membre de l’Organisation des Nations unies. Notons par exemple le cas du Kosovo, qui a déclaré son indépendance de la Serbie en février 2008, et est reconnu par près de cent pays. Il convient ici de préciser que la question n’est pas de savoir si Taïwan est ou n’est pas un Etat du fait du faible nombre de ses relations diplomatiques, ou s’il s’agit d’un Etat de facto et non d’un Etat de jure, etc. La souveraineté d’un Etat ne saurait se limiter à une souveraineté juridique internationale fondée sur la reconnaissance par les autres Etats, et devrait prendre en compte la souveraineté intérieure mais aussi la souveraineté fonctionnelle.. Depuis 2000, les pressions/incitations chinoises ont convaincu une douzaine de pays de mettre un terme à leurs relations diplomatiques avec la République de Chine, pour en établir avec la République populaire de Chine. Six d’entre eux l’ont fait au cours du premier mandat de la présidente Tsai Ing-wenKiribati et Îles Salomon (2019), République dominicaine et El Salvador (2018), Panama (2017), São Tomé e Príncipe (2016), Malawi (2008), Costa Rica (2007), Grenade (2005), Dominique et Vanuatu (2004), et Macédoine du Nord (2001). La France a mis fin à ses relations diplomatiques avec Taipei en 1964, plusieurs années après le Royaume-Uni (1950) mais bien avant les Etats-Unis (1979) ou encore la Corée du Sud (1992)., entre 2016 et 2020. Cette tendance est ancienne, Pékin ayant d’avantage de relations diplomatiques que Taipei depuis le début des années 1970, et devrait se poursuivre. Taïwan n’est pour autant pas isolé et entretient des relations avec de très nombreux pays.
L’ouverture en décembre 2020 du Bureau annexe d’Aix-en-Provence du Bureau de Représentation de Taipei en France vient compléter un réseau diplomatique dense de 110 postes diplomatiques à l’étranger, tous listés en annexeL’ensemble de ces données est consultable sur le site du ministère des Affaires étrangères de la République de Chine (Taïwan), et présenté en annexe. Un poste diplomatique est défini comme tout poste à l’étranger accueillant au moins un diplomate, qu’il s’agisse d’une ambassade, d’un consulat ou simplement d’un bureau de représentation, sans lien avec l’existence ou non de relations diplomatiques. Le Bureau français de coopération en Corée du Nord est ainsi considéré comme un poste diplomatique, ce même si la France et la Corée du Nord n’entretiennent pas de relations diplomatiques.. Ce réseau est bien loin d’égaler ceux de la Chine (276 postes), des Etats-Unis (273 postes) et de la France (267 postes) – les trois plus importants au mondeDonnées du Lowy Institute Global Diplomacy Index (2019).. Cependant, le réseau diplomatique taïwanais, malgré des contraintes internationales sans équivalent, est le 31ème au monde, devant ceux de la Malaisie (107 postes), de la Suède et d’Israël (104 postes), de la Norvège (99 postes). Il est le 8ème réseau diplomatique des pays de l’Indopacifique, juste derrière ceux de l’Australie (118 postes) et du Pakistan (117 postes).
Ces postes diplomatiques ont des appellations diverses, plus d’une dizaine étant référencés comme bureau, délégation ou mission, et mettent principalement en avant la dimension économique, commerciale et culturelle de leurs activitésParmi les noms de ces représentations : Bureau commercial, Bureau économique et culturel, Bureau de liaison, Bureau de représentation, Bureau de représentation commerciale, Bureau de représentation commerciale et économique ; Bureau de représentation économique et culturelle, Centre économique et culturel, Délégation culturelle et économique, Mission, et Mission économique et culturelle.. Ceci n’est pas sans poser la question de la nécessité pour Taipei d’harmoniser le nom de ces postes diplomatiques, ce même si les traditions et héritages expliquent cette diversité. Un même terme, tel que Bureau de Taipei, permettrait de donner plus de cohérence à ce réseau et de ne pas restreindre la nature de la coopération à des activités économiques, tant celle-ci est diversifiée, incluant les questions éducatives, scientifiques, de lutte contre le changement climatique, d’aide au développement, etc.
Ces 110 postes diplomatiques sont répartis dans 75 pays, et sur l’ensemble des continents. Si les pays de l’Indopacifique et des Amériques les accueillant sont nombreux, respectivement 19 et 18 pays, c’est en Europe qu’on trouve le plus grand nombre, 21 pays, dont 18 sont des Etats membres de l’Union européenneTaïwan n’a pas de poste diplomatique en Bulgarie, à Chypre, en Croatie, en Estonie, en Lettonie, à Luxembourg, à Malte, en Roumanie, et en Slovénie.. Les Etats-Unis sont de loin le pays en accueillant le plus sur un seul et même territoire, soit 13 postes, loin devant le Japon (6 postes), l’Australie et l’Allemagne (4 postes), et le Canada et la Suisse (3 postes). La France est désormais un des 16 pays ayant au moins deux postes diplomatiques taïwanais sur son territoire.