Les nouvelles technologies en matière électorale : une deuxième chance pour la démocratie en Afrique

Trente ans après la fin de la Guerre froide et l’amorce du mouvement de démocratisation des années 1990, l’Afrique reste le continent où les élections sont toujours, pour des raisons objectives et politiques, très difficiles à organiser et où les résultats électoraux continuent à être contestés. Les récents événements sanglants survenus au Soudan, les putschs militaires au Mali, en Guinée et au Burkina Faso, les crises politiques persistantes en Algérie, au Burundi et en République démocratique du Congo (RDC) attestent de la centralité du problème électoral sur le continent et de la nécessité absolue d’y répondre. En fait, la récente généralisation des processus électoraux n’a pas nécessairement contribué à une consolidation de la démocratie. Ceux-ci n’ont été, dans certains cas, qu’une façade permettant le maintien au pouvoir d’élites politiques qui changent parfois de discours, mais rarement de gouvernance. Souvent, les élections ont même été un vecteur de bouleversements alors que plus que jamais, les États africains ont besoin de stabilité pour renforcer leurs institutions et assurer leur développement sur le temps long.

Face à cette réalité, les nouvelles technologies nées dans les secteurs de l’information et de la communication (NTIC), introduites avec succès dans les processus électoraux de quelques grands pays émergents comme l’Inde ou le Brésil au cours des décennies précédentes, sont entrevues par certains responsables africains comme une possibilité de remédier aux défaillances récurrentes des systèmes électoraux continentaux et de rétablir la confiance des citoyens africains dans leurs institutions politiques. En parallèle à cette réflexion d’une partie de l’élite politique africaine se développe, sur le continent, un lobbying intense de quelques grandes sociétés internationales spécialisées dans l’informatique et le numérique en faveur d’une modernisation technologique des processus électoraux. Elles présentent auprès des responsables des organes de gestion des élections (OGE) les NTIC comme la solution idéale permettant d’éviter les faillites ou les fraudes électorales et donc les risques de crises et de déstabilisation.

Depuis deux décennies, un vaste mouvement technologique a effectivement modifié en profondeur les processus électoraux de nombreux pays émergents de l’hémisphère Sud, et en particulier de quelques États importants comme le Brésil, le Venezuela, l’Inde et l’Indonésie, alors que, paradoxalement, il n’a eu que peu d’effets dans les pays développés du Nord, où il fait face à une forte opposition de nature juridique et politiqueLes « vieilles démocraties » se sont en général rangées derrière l’Allemagne et la jurisprudence du Tribunal fédéral constitutionnel de Karlsruhe pour exclure ou limiter l’utilisation du vote électronique quelle que soit sa forme (se reporter à : Allemagne, Cour Fédérale Constitutionnelle, Arrêt du 3 mars 2009 concernant les élections au Bundestag de 2005 - 2 BvC 3/07, 2 BvC 4/07). Notons cependant que la récente pandémie et les importantes restrictions qu’elle a entraînées pourraient amener certains États du Nord à changer leur approche sur le sujet.. De nombreuses technologies nouvelles, comme le vote électronique à travers des machines à voter ou des urnes électroniques, ont permis de tenir régulièrement des élections pour 900 millions d’électeurs indiens, dont plus des deux tiers participent au vote et en acceptent généralement les résultats. De même, le Brésil parvient, grâce au vote électronique et aux NTIC, à organiser des élections extrêmement complexes du fait de sa structure fédérale, sur un territoire immense et pour près de 150 millions d’électeurs, réussissant à faire vivre, dans un contexte politique souvent très tendu, un régime démocratique ayant une véritable valeur d’exemple. Concernant l’Afrique, ce mouvement répond clairement à une double demande des autorités politiques en place et des sociétés civiles locales qui y voient, pour les premières, une façon d’échapper aux critiques de mauvaise gestion électorale et, pour les secondes, une garantie pour une transparence et une impartialité plus grande des processus électoraux. Aujourd’hui, c’est environ une trentaine de pays d’Afrique qui ont recours, à différents niveaux et à des degrés divers, aux technologies nouvelles, mais il est probable que le mouvement qui est amorcé devrait se généraliser sur le continent dans les années à venir, en commençant par des pays comme le Kenya, le Rwanda, le Maroc et le Nigeria, où l’informatisation et la numérisation de la société sont revendiquées comme une priorité de la politique nationale. L’introduction des NTIC dans les processus électoraux devrait donc connaître un avenir prospère en Afrique, ce en dépit de leur important coût d’acquisition et de mise en œuvre. S’accompagnera-t-elle d’une amélioration de la qualité et de la sincérité des élections ainsi que d’un renforcement de la confiance des électeurs africains dans leurs institutions ? Cela demeure une véritable question.

Avant d’évaluer l’impact réel de ce mouvement de modernisation technologique sur la fiabilité des processus électoraux en Afrique, il convient d’en analyser plus précisément les différentes composantes et de mesurer au plus juste son ampleur sur le continent. Pour faciliter ce travail d’analyse, nous listerons les principales technologies utilisées au cours des différentes phases du cycle électoral. Celle-ci repose sur une idée généralement admise par le monde politique et les milieux universitaires qui veut qu’un cycle électoral peut être découpé en trois périodes successives (pré-électorale, électorale et post-électorale) regroupant huit phases en tout, à savoir : phase 1, cadre juridique ; phase 2, planification et mise en œuvre ; phase 3, formation et éducation ; phase 4, enregistrement des électeurs et des candidats ; phase 5, campagne électorale ; phase 6, opérations de vote et jour de l’élection ; phase 7, vérification des résultats et contentieux ; phase 8, audits, évaluation, archivage, renforcement institutionnelVoir annexe n° 1 : l’approche dite du « cycle électoral »..

 

Crédit image : Delali Adogla-Bessa/Shutterstock.com

 

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