Entreprises de services de sécurité et de défense russes et chinoises en Afrique : deux modèles concurrents ?

Le secteur des entreprises de services de sécurité et de défense (ESSD) a connu une nette expansion ces dernières décennies, en particulier sur le marché africain. La multiplication des crises sécuritaires sur le continent (augmentation de la menace terroriste et des conflits intercommunautaires, guerres civiles ou conflits insurrectionnels) alliée aux difficultés de certains gouvernements africains à y faire face a justifié le recours croissant aux ESSD. Outre les entreprises locales, de nombreuses ESSD étrangères sont implantées sur le continent, avec des missions allant de la protection de ressortissants au soutien d’opérations menées par les forces armées locales. Parmi ces entreprises, les sociétés russes et chinoises apparaissent particulièrement actives en Afrique. Depuis les années 2000, la Chine et la Russie se sont affirmées comme des acteurs de premier plan en matière de sécurité internationale et, à ce titre, ont considérablement développé leur influence sur le continent, notamment via les ESSD.

L’expansion des ESSD chinoises en Afrique est principalement venue répondre à une volonté de sécurisation des ressortissants, dont le nombre sur le continent est estimé à plus d’un million, et des intérêts économiques de la Chine, premier partenaire commercial (national) de l’Afrique, avec un volume d’échanges s’élevant à 282 milliards de dollars en 2022. Une entreprise comme Frontier Services Group (FSG) affirmait en 2019 que l’Afrique était sa plus importante source de revenusAude THOMAS, Vincent TOURRET, Philippe GROS, « Les entreprises de services de sécurité et de défense : nouvelles dynamiques et implications pour nos armées », Observatoire des conflits futurs, Fondation pour la recherche stratégique, 3 mai 2021.. Quant aux ESSD russes, le marché africain a jusqu’à présent été dominé par le groupe paramilitaire Wagner, qui s’est imposé comme le principal outil d’expansion de l’influence russe, en assurant notamment la sécurité de certains régimes, comme en Centrafrique ou au Mali, et en participant à des campagnes de manipulation de l’information.

Alors que le secteur des ESSD a d’abord été façonné principalement par les Anglo-Saxons dans une logique de rationalité économique, les pratiques russes et chinoises, marquées par des logiques d’influence, sont venues reconfigurer le marché ces dernières années. Si la Chine et la Russie utilisent toutes deux les ESSD comme des outils pour promouvoir leurs intérêts respectifs en Afrique, les deux pays poursuivent toutefois des approches différentes : cadre institutionnel et juridique, logiques d’implantation, champs d’activités, modes opératoires, etc. Dans un contexte de forte compétition stratégique entre puissances, une analyse des différentes ESSD russes et chinoises s’impose afin de mieux identifier les stratégies à l’œuvre et d’en déduire les implications stratégiques pour les forces armées françaises.

Ce travail est d’autant plus important que la littérature existante à ce sujet est souvent focalisée sur le groupe paramilitaire Wagner et une poignée d’entreprises de sécurité privée chinoises. En dehors de l’excellent livre d’Alessandro Arduino paru en 2023Alessandro ARDUINO, Money for Mayhem: Mercenaries, Private Military Companies, Drones, and the Future of War, Rowman & Littlefield Publishers, 2023., peu d’études comparatives précises se sont concentrées sur l’Afrique, notamment sur l’Afrique subsaharienne, en dépit des importants enjeux stratégiques et sécuritaires sur le continent.

Ainsi après avoir présenté chaque modèle dans les deux premières parties (cadres historiques et juridiques, stratégies et liens avec les organes de pouvoir, mutations en cours), la troisième partie comparera les deux modèles, en mettant l’accent sur les relations entre les marchés de la sécurité privée des deux pays. Il apparaît que les différences entre les ESSD russes et chinoises les rendent pour l’heure complémentaires, si bien que des formes de coopération sino-russe dans le secteur commencent à émerger. Ceci étant, compte tenu de l’ampleur des intérêts économiques chinois sur le continent et de la maîtrise par Pékin des modes d’action hybrides, on ne peut exclure que l’offre de sécurité privée chinoise vienne à terme concurrencer l’offre russe.

 

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