Les futurs drones de combat collaboratif au sein du SCAF et de ses équivalents : plus-values et concepts d'emploi envisageables

Résumé

La plupart des grandes puissances militaires, seules ou en partenariat, conçoivent pour le futur des systèmes de systèmes de combat aérien fondés sur le combat collaboratif entre chasseurs habités de nouvelles générations et systèmes de drone aérien.

La puissance étalon en la matière reste évidemment les États-Unis d’Amérique. L’US Air Force (USAF), après des années d’atermoiements, mais aussi l’US Navy (USN), mettent désormais l’accent sur le développement, dès le moyen terme, d’un inventaire conséquent de Combat Collaborative Aircraft (CCA) devant épaissir leur flotte de combat, devenue selon elles trop étiolée pour faire face à une agression chinoise. Le concept actuel est celui d’une « affordable mass » (« masse abordable »), c’est-à-dire une masse accrue à un coût maîtrisé. Ces CCA s’intégreront dans les systèmes de systèmes que constituent les Next Generation Air Dominance (NGAD) tant pour l’armée de l’Air que pour la Marine américaines. Le premier ensemble de missions concerné par cette vaste architecture de combat collaboratif est le counterair, l’acquisition de la supériorité aérienne (donc la chasse et la neutralisation des défenses antiaériennes ennemies – SEAD), mais l’USAF envisage « 100 rôles » pour ces CCA (interdiction, au CAS, au relais de communications). Cela étant, le débat sur les compromis à trouver en termes de coûts et de performances opérationnelles de ces équipements n’est pas encore achevé.

Les Américains travaillent actuellement sur des engins majoritairement récupérables basés à terre, fondés sur les développements du XQ‑58 par Kratos, de la famille des Gambit de GA‑ASI, ou encore du MQ‑28 Ghost Bat de Boeing même s’il n’est pas certain que ces systèmes correspondent encore au besoin. Un système de cette nature devrait néanmoins constituer l’ossature du premier incrément du CCA et se traduire par au moins un millier d’acquisitions par l’US Air Force à moyen terme pour opérer en Manned-Unmanned Teaming (MUM‑T) avec le F‑35 puis le chasseur NGAD. Si la ou les plateformes restent à déterminer en fonction du degré de performance qui sera arrêté, il apparaît acquis que ces systèmes reposeront sur une architecture ouverte modulaire et sur le moteur d’intelligence artificielle Skyborg déjà mis au point. Les Américains développent également des drones consommables aérolargués (par exemple dans le cadre du programme Longshot de la Defense Advanced Research Projects Agency). En fait, les conceptions de Lockheed Martin ou encore les wargames effectués par le Mitchell Institute laissent penser que les États-Unis se dirigeront probablement à terme vers une famille de CCA plus ou moins performants, pour les uns consommables, pour les autres récupérables, avec des solutions de mise à poste variées, pour les derniers « exquisite » drones de renseignement ou Unmanned Combat Air Vehicle (UCAV) très sophistiqués – en plus petit nombre. Les experts qui ont participé aux travaux du Mitchell Institute portant sur plusieurs missions de counterair ont privilégié dans la phase initiale des combats l’emploi massif de CCA consommables à des fins de leurrage, d’ISR, de combat aérien collaboratif et de relais de communication, très loin en avant des chasseurs de cinquième génération, avant d’engager des CCA récupérables plus sophistiqués, une fois les capacités adverses affaiblies, afin de démultiplier la couverture du dispositif ami. Ils n’ont pas utilisé les solutions d’UCAV qui étaient à leur disposition.

De multiples pays suivent l’exemple américain avec des moyens forcément plus limités :

  • Les Britanniques, avec BAE Systems, développent leurs solutions de RC en lien avec le Global Combat Air Programme (GCAP) Tempest, en l’occurrence deux types de RC mis en œuvre depuis la terre, et récupérables, léger et lourd, de niveaux de sophistication différents.
  • L’Australie coopère avec Boeing sur un concept similaire au CCA américain avec le MQ‑28 Ghost Bat. Ce modèle australien inspire également les Coréens, qui travaillent à un drone ailier en mesure d’accompagner les versions avancées de leur chasseur KF‑21 Boramea.
  • Le Japon lui aussi développe un RC en mesure d’opérer avec son futur chasseur F‑X dans les années 2030, recevant en la matière l’appui des Américains.
  • Du côté des compétiteurs stratégiques, la situation de la Russie est la plus incertaine. Moscou travaille au développement de drones ailiers de type UCAV comme le S‑70 Okhotnik ou le Grom mais les sanctions occidentales et le manque de solutions de propulsion ralentissent considérablement ces programmes.
  • La Chine est dans une bien meilleure posture et développe, parmi une large gamme de drones, une famille de systèmes de combat collaboratif pour opérer en MUM‑T avec les chasseurs habités, en particulier le J‑20 : les Feihung FH‑95 turbopropulsés d’ISR et de guerre électronique et FH‑97 de combat, assez proches des modèles de CCA américains récupérables.
  • L’Inde développe également son système de systèmes, le Combat Air Teaming System (CATS) de Hindustan Aeronautics Limited, comprenant le chasseur habité Tejas comme « mothership » et plusieurs RC, en particulier le CATS Warrior, assez proches des MQ‑28 et XQ‑58, le CATS Hunter, un RC de type missile de croisière récupérable, ainsi que des munitions maraudeuses ALFA.
  • La Turquie, qui a mis sur pied un modèle de puissance aérienne fortement dronisée, tant pour sa BITD que pour compenser les vicissitudes de ses programmes d’avions d’arme, poursuit aussi le développement de ses propres briques de RC en MUM‑T avec le futur chasseur F‑X Kaan : UCAV supersonique Kizilelma de Bayraktar, drone furtif Anka‑3, drones consommables Super Simsek et Autonomous Wingman Concept de Turkish Aerospace.

On remarque que pour la plupart de ces forces aériennes, la maturation des briques technologies constitutives de ces systèmes de drones et du MUM‑T rencontre le besoin critique de compenser une déficience d’épaisseur des flottes d’avions de combat classiques, laquelle peut avoir des ressorts multiples.

Qu’en tirer pour le système de combat aérien du futur (SCAF) et ses systèmes de drone aérien de combat collaboratif ? Le cas français est à bien des égards similaire à celui de plusieurs de ces puissances. Certes, avec la trajectoire fixée par la LPM, la puissance aérienne française future devrait bénéficier de multiples avancées capacitaires avec, en ligne de mire, un Next Generation Fighter apportant toutes les plus-values d’un appareil de combat de nouvelle génération, indispensables dans le champ de bataille du futur. Cela étant, le premier défi que doivent relever les RC est de corriger le manque d’épaisseur de cette puissance aérienne qui devrait continuer de s’accentuer et deviendra de plus en plus problématique à l’aune de la modernisation des IADS d’un nombre croissant de puissances ou encore des incertitudes croissantes quant à la réassurance américaine. Les conséquences d’un tel étiolement sont connues : il affecte l’aptitude à satisfaire les besoins dans les différentes fonctions stratégiques ; en intervention plus spécifiquement, il rend l’attrition insoutenable, réduit le champ des options opérationnelles disponibles, ne permet pas de maintenir des dispositifs permanents, par exemple pour le ciblage d’opportunité.

Au-delà de cette question d’épaisseur, les RC peuvent aussi qualitativement accroître les capacités de la puissance de combat aérienne : en fournissant une capacité « stand-in » (utilisable dans la bulle d’engagement des moyens adverses), ils accroissent la masse pénétrante de la puissance aérienne ; ils permettent de disperser, de désagréger les capacités de renseignement et d’engagement/combat, rendant ces dernières plus résilientes et améliorant la couverture spatiale et temporelle des dispositifs. La diversité des solutions de mise à poste, réellement multimilieux, est de nature à accentuer la flexibilité et la disponibilité de la puissance aérienne.

À bien des égards, les réflexions d’Airbus et de MBDA d’une part, et celles des experts américains, mises en exergue par les travaux du Mitchell Institute déjà évoqués, d’autre part, convergent vers des types de solutions assez comparables, dans le cadre d’une architecture SCAF qui est du même ordre que celle du NGAD américain. Il en va ainsi de la nécessité de réduire le « coût par effet » par un mix de systèmes perdables, qu’ils soient consommables ou récupérables, aux solutions de mise à poste variées. De multiples conditions sont nécessaires pour les réaliser. Parmi celles-ci, on peut mentionner la définition des compromis entre performances opérationnelles et coût, le besoin de développer des équipements et munitions spécifiques, l’indispensable architecture de connectivité et des solutions d’autonomie tant pour la plateforme habitée dont l’équipage aura à gérer les missions de ces RC que, évidemment, pour les drones eux-mêmes. L’autonomie de ces machines devra être alors « encadrée » par des règles d’engagement très strictes. La gestion des actions de ces drones peut se faire à deux niveaux selon nous : au niveau du chef de mission évidemment, ce qui est le plus souvent envisagé (d’où la notion de drone ailier), mais aussi potentiellement au niveau de la fonction de Battle Management Command and Control (BMC2), qui sera elle-même de plus en plus distribuée. Les Américains soulignent que le degré d’autonomie à accorder aux drones dans le cadre de ces règles d’engagement et le niveau de gestion de leurs actions sont variables et interdépendants. Ils découleront en particulier du contexte opérationnel, notamment d’un environnement électromagnétique plus ou moins Disconnected, Intermittent, Limited (DIL), affectant le fonctionnement du cloud de combat, tissu conjonctif du système de systèmes.

Sur le plan opérationnel, ces RC peuvent transformer la réalisation de l’ensemble des missions, notamment :

  • Pour la fonction renseignement, en fournissant des réseaux de capteurs pénétrants étendant considérablement la couverture des dispositifs ISR ;
  • Dans le domaine du counterair, en fournissant des capacités de leurrage, de brouillage, de ciblage et d’engagement déportées en collaboration avec les chasseurs maintenus en arrière, autorisant d’une part les modes d’action de désorientation et de saturation, indispensables à l’aveuglement et à la désintégration des systèmes intégrés de défense aérienne adverse (tant en SEAD qu’en chasse) ; d’autre part la création de dispositifs de ciblage d’opportunité permettant un effort soutenu de SEAD sur le temps long en environnement semi-permissif ;
  • Dans le domaine de counterland, en accroissant la masse pénétrante en début de campagne puis le maintien de dispositifs couvrant de grandes zones, plus longtemps, permettant de démultiplier les capacités de ciblage d’opportunité en interdiction, des dispositifs également nécessaires pour accentuer la disponibilité en appui aérien rapproché ;
  • En fournissant des réseaux de capteurs avancés et de relais de transmission développant la portée et la robustesse de la fonction de Battle Management C2 (BMC2).

En conclusion, les pistes d’emplois potentiels des RC dans le combat aérien futur pour recréer cette « masse abordable » dont parlent les Américains et dont les Européens ont cruellement besoin ne manquent pas. Néanmoins, de multiples défis se posent pour tirer pleinement parti du potentiel de ces systèmes.

Il nous semble que c’est bien la question de l’efficience de ces systèmes par rapport aux chasseurs habités qui se pose. Cette efficience dépend du délicat compromis entre, d’un côté, le caractère perdable que doivent conserver ces engins pour les acquérir en nombre suffisant, de l’autre, les seuils de performance et de fiabilité, un compromis d’autant plus difficile à trouver qu’il convient d’anticiper, entre autres, la confrontation avec des systèmes intégrés de défense antiaérienne (Integrated Air Defense System – IADS) transformés pour survivre à la saturation. Ensuite, la conception d’emploi de ces RC devra nécessairement se mouler dans une excellente intégration multimilieux / multichamps permettant d’optimiser les synergies. Ce qui pose la question de l’agilité du C2 des dispositifs mettant en œuvre ces drones mais également la question de l’interopérabilité multinationale entre les systèmes de systèmes SCAF, NGAD, GCAP et autres. Sur le plan des moyens techniques, cela suppose que les clouds de combat soient effectivement développés comme prévu. En la matière, si cette construction du MUM‑T reposera en partie sur des technologies existantes, par exemple en matière de connectivité, elle se fonde également sur des présupposés technologiques qui restent encore à démontrer, notamment en matière d’intelligence artificielle, en particulier pour les plateformes habitées devant gérer les missions.

Ces différentes conditions plaident bien sûr pour un développement incrémental, débutant le plus tôt possible, en ce qui concerne tant les RC que le cloud de combat, afin de défricher les solutions concrètes à ces multiples défis, ce que les démonstrations déjà entreprises ou prévues tendent heureusement à indiquer.

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