Guerre en Ukraine : analyse militaire et perspectives

Introduction

La guerre d’agression russe de l’Ukraine est entrée dans sa deuxième année. Des centaines de milliers de combattants y sont morts ou sont brisés à vie de part et d’autre. Des dizaines de villes et de villages ont été entièrement rasés comme ce fut le cas en Tchétchénie ou en Syrie. Au moins 7 000 civils, selon l’ONU, ont été tués dans les bombardements mais aussi dans les multiples « Oradour-sur-Glane » perpétrés par les forces russes. Des dizaines de milliers d’autres, en particulier des enfants, ont été déportés et plus encore vivent sous le joug d’une occupation où l’opposant est promis à la torture et à l’exécution. Enfin, 8 millions d’Ukrainiens ont dû fuir leur pays. Aucune analyse ne saurait rendre compte d’une telle dévastation ; la rationalité a ses limites et c’est le propre même de la guerre, car celle-ci est d’abord une éclipse des certitudes et de la raison.

Si l’on porte maintenant sur ce conflit le regard froid de l’analyste en stratégie, s’il fallait qualifier d’un terme l’année écoulée de ce conflit, ce serait sans doute de celui de surprise, voire parfois de stupeur, comme d’ailleurs dans la plupart des guerres du passé.

Surprise en premier lieu politique. Surprise de la majorité des Occidentaux, en particulier des Européens, qui pendant huit ans avaient relégué une guerre d’Ukraine censément « gelée » dans un coin de leur pensée, et plus généralement la guerre interétatique sur le continent au souvenir d’un passé révolu. Surprise également à Moscou. La guerre devait annihiler l’Ukraine comme État souverain et constituer de toute évidence la première marche triomphale vers la dissolution politique de l’Alliance atlantique. Aboutissement de plusieurs décennies d’auto-intoxication paranoïaque et d’un ego impérial blessé par la chute de l’Union soviétique, l’erreur d’appréciation colossale de Vladimir Poutine sur la réalité même de la nation ukrainienne et sur la faiblesse occidentale se solde en l’état par un fiasco sur les deux plans. Elle a achevé d’unir un peuple et provoqué un raidissement spectaculaire des Occidentaux. La surprise est en second lieu militaire. Bon nombre de fragilités de l’armée russe étaient suspectées avant-guerre par les experts des affaires militaires russes, mais bien peu avaient anticipé la profondeur des maux qui la rongent. Inversement, plus surprenantes encore auront été les aptitudes manifestées par les forces armées ukrainiennes qui ont fait mieux que résister à leur ennemi, au point qu’une victoire militaire de Kiev, il est vrai massivement soutenu par les Occidentaux, fait partie des futurs désormais crédibles.

Cette note vise à dégager tout à la fois un essai de bilan intermédiaire et à tenter de tracer quelques perspectives de ce conflit. Pour cette raison, elle est construite sur un schéma un peu particulier, dicté par les événements. Après un rappel de la situation, nous commençons par analyser les composantes de la stratégie des moyens russes dans la mesure où leur sort durant l’année passée explique dans une large mesure la situation présente. Le milieu aérien ne sera traité que succinctement dans la mesure où la puissance aérienne n’a pour l’instant pas d’impact déterminant dans ce conflit. Le travail se concentrera donc sur la dimension terrestre, qui reste le principal milieu de confrontation de cette guerre. Cette analyse revient tout d’abord sur la question des effectifs puis aborde ensuite celle des équipements. En sus des considérations générales, elle propose un focus sur les chars, catégorie d’équipement simple à appréhender, et sur l’artillerie, qui constitue historiquement l’effecteur principal de l’armée russe. La conclusion expose les choix tactiques opérés actuellement par l’armée russe, résultant des contraintes exposées concernant ces stratégies d’équipement. La question est ensuite de savoir si l’armée ukrainienne est en mesure de sortir victorieuse de l’affrontement. Pour y répondre, nous analysons tout d’abord la confrontation entre les deux forces dans différentes fonctions opérationnelles pour tenter de caractériser le niveau d’ascendant opérationnel dont jouissent les Ukrainiens : commandement, renseignement, soutien, engagement/combat. Symétriquement avec la première partie, ce travail développe enfin la question de la génération de la puissance de combat ukrainienne sous l’angle des personnels, des équipements et des munitions, ses développements et ses contraintes dans la perspective de la contre-offensive annoncée par Kiev. L’analyse se conclut sur une réflexion prospective quant aux différents facteurs clés qui détermineront pour une large part les événements de cette guerre et sur différentes catégories de scénarios.

La limite de ce travail, réalisé incrémentalement entre décembre 2022 et mars 2023, et non financé, est d’emblée évidente. Les auteurs ont fondé leur analyse sur quelques échanges et surtout sur l’exploitation de l’énorme masse de sources ouvertes disponibles, notamment l’abondante littérature technico-militaire russe relative à l’appareil de guerre de Moscou. Une telle analyse, menée à des milliers de kilomètres de l’événement, sans visite sur le terrain, est forcément affectée de biais. La propagande des deux camps, les informations erronées et plus encore le caractère lacunaire des données disponibles obligent ainsi à la plus grande prudence dans les hypothèses et conclusions formulées. Des enquêtes réalisées sur place par le RUSI britannique à l’automne 2022, portant sur le début de la campagne, ont bien montré combien l’appréciation élaborée avec trop peu de recul sur les sources ouvertes pouvait être distordue. Pleinement conscients de ces limites, les auteurs n’ont donc d’autre ambition que de proposer un modeste éclairage sur la situation en cours.

 

Crédit image : kibri_ho/Shutterstock.com

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