Les enjeux de la vérification du désarmement nucléaire

IntroductionPour cette étude, la plupart des termes techniques anglo-saxons ont été traduits en français. Pour plus de clarté, les termes originaux et définitions sont proposés dans un glossaire, en annexe. Les mots référencés sont signalés par un astérisque.

Dans l’une des premières initiatives en faveur du désarmement nucléaire, les auteurs du rapport Acheson-Lilienthal, « concluent unanimement qu’il ne peut y avoir de sécurité contre la guerre atomique dans un système d’accords internationaux interdisant ces armes basé uniquement sur […] des inspections ou d’autres méthodes de nature policière ». A la place, le rapport propose de mettre l’ensemble des matières nucléaires sous le contrôle d’une organisation internationaleThe Acheson-Lilienthal Report on the International Control of Atomic Energy, Washington, D. C., 16 mars 1946..

L’échec du plan Baruch, proposé l’année suivante aux Nations unies pour supprimer la menace nucléaire à partir des recommandations de ce rapport, illustre le défi mis en lumière par ses auteurs. D’une part, il a été possible de créer un système de garanties internationales sur l’utilisation pacifique des technologies nucléaires, limitant fortement la prolifération des programmes nucléaires militaires. De l’autre, quasiment aucun régime de vérification n’a été jugé assez solide ou crédible pour permettre d’envisager un désarmement complet. La phrase du Président Truman, qui indique en 1946 « que les États-Unis ne doivent pas jeter leur arme à terre avant d’être sûrs que le reste du monde ne peut s’armer contre eux »Larry Gerber, « The Baruch Plan and the Origins of the Cold War », Diplomatic History, vol. 6, n° 1, hiver 1982., pourrait donc être toujours utilisée aujourd’hui pour l’ensemble des neuf États nucléaires.

On le voit, dès 1946, la question de la vérification apparaît comme déterminante dans les discussions liées à l’arme nucléaire. Pour autant, il faut attendre 1987 pour voir le premier accord bilatéral américano-soviétique contenir de véritables dispositions liées à la vérification autres que l’utilisation des moyens techniques nationaux* (renseignement). De fait, la vérification n’est qu’un aspect des efforts diplomatiques en faveur de la maîtrise des armements et du désarmement. Seuls 10 % des accords ont aujourd’hui des dispositions spécifiques dans ce domaine. La vérification n’est donc pas forcément indispensable, et quand elle existe, elle répond toujours à un objectif spécifique, dans un contexte déterminé, en réponse à un accord contraignant donné et ne représente pas une fin en soi.

Les propositions de désarmement général publiées dans la littérature incorporent généralement des mesures de vérification très pousséesVoir, par exemple, George Perkovich and James Acton (eds.), Abolishing Nuclear Weapons. A Debate. Washington: Carnegie Endowment for International Peace, 2009., en s’appuyant en particulier sur les travaux de Jeremy Wiesner, qui montre en 1961 que plus les arsenaux diminuent, plus le niveau de confiance dans les inspections doit être élevéJerome B. Wiesner, « Inspection for Disarmament », in Louis B. Henkin, Arms Control, Issues for the Public, Englewood Cliffs, N. J.: Prentice-Hall, 1961.. Dans le cas d’une convention d’interdiction des armes nucléaires, la dissimulation d’une seule arme voire de quelques kilogrammes de matières fissiles à vocation militaire pourrait avoir des effets considérables. On peut donc supposer que les États exigent une assurance élevée dans le respect de tels engagements par leurs concurrents ou adversaires avant de se lancer eux-mêmes dans un processus de désarmement. Certes, l’histoire montre que la réduction des arsenaux peut se faire de manière unilatérale et sur le principe de la bonne foi (réduction de la moitié de l’arsenal français après la Guerre froide, Presidential Nuclear Initiatives et mesures réciproques soviétiques en 1991 pour l’élimination des armes nucléaires tactiques…). Néanmoins, il paraît peu probable que de telles initiatives basées sur la confiance soient envisagées dans une perspective de désarmement jusqu’à zéro.

Le seul cas de désarmement unilatéral vérifié, l’Afrique du Sud de De Klerk, offre des enseignements partiels. En effet, le pays procède lui-même au démantèlement de ses armes nucléaires en 1990, et détruit un certain nombre de documents sensibles. Néanmoins, de 1991 à 1994, le pays coopère avec des membres du P5 et l’AIEA, ouvre ses sites à des inspections et remet les archives de production de matière fissile, ce qui permet à l’Agence, en 1994, d’affirmer sa confiance dans le caractère complet du désarmement sud-africainSteve Fetter, « Verifying Nuclear Disarmament », Occasional Paper n° 29, Stimson Center, octobre 1996.. Cependant, on peut imaginer que ce type de procédure serait insuffisant dans un cadre de désarmement bilatéral ou multilatéral.

Les exigences nécessaires dans ce type de scénario font l’objet de réflexions depuis de nombreuses années. Grâce aux différents projets et études menés, les contours de critères réalistes et nécessaires en termes de vérification émergent. Ainsi, la littérature s’attarde sur la question de la déclaration préalable*, un document dans lequel les États pourraient indiquer notamment leurs volumes d’armes, de matières fissiles et certains éléments de localisation, selon les spécificités de l’accord et en considération des contraintes liées à la non-prolifération et à la sécurité nationale. L’étape suivante serait logiquement l’identification des armes et leur transport sous contrôle, dans des containers scellés* et suivis jusqu’à un site de démantèlement. L’opération de démantèlement est ensuite envisagée sans accès direct par les inspecteurs au processus (« black box ») pour des raisons de sensibilité, mais avec des dispositions visant à s’assurer qu’aucun objet ou matière n’est détourné. Les étapes finales concernent la disposition finale ou la dilution de la matière fissile, la vérification de la cohérence des volumes remis dans le circuit civil par des inspections et la destruction des autres composants.

En dehors de ce schéma global, de nombreuses incertitudes demeurent. Au niveau général, il est difficile de définir quel niveau de confiance (et d’incertitude) pourrait être jugé acceptable par des États parties à un traité de désarmement. De manière encore plus large, les contours des systèmes de régulation encadrant un monde sans arme nucléaire sont extrêmement flous, que ce soit sur l’avenir de certaines technologies (utilisation du plutonium dans des réacteurs civils…) ou sur la question essentielle de l’autorité chargée de faire respecter une telle règle.

De manière plus détaillée et spécifique, pour de nombreuses étapes proposées, les technologies aujourd’hui disponibles n’ont pas suffisamment fait leurs preuves et doivent faire l’objet de davantage de réflexions pour être adaptables à un scénario d’application réelle.

Dans ce contexte, plusieurs États, institutions non-gouvernementales et laboratoires scientifiques ont choisi de lancer des programmes de recherches plus ou moins sophistiqués pour avancer sur un champ que certains jugent essentiel. Alors que les progrès en matière de désarmement sont lents, d’autres s’interrogent sur l’utilité de travailler sur un sujet qui reste nécessairement très théorique. Depuis les années 1990, les États-Unis et le Royaume-Uni ont été très actifs sur cette question et ont lancé plusieurs projets de coopération, auxquels ont également participé des États non dotés d’armes nucléaires, comme la Norvège et la Suède. La France, initialement réticente à explorer ce champ de manière multilatérale, a récemment revu son engagement à la hausse, notamment en organisant un exercice en septembre 2019, en coopération avec l’Allemagne, permettant de tester les procédures d’une étape d’un scénario fictif de désarmement. Le président Macron indique par ailleurs en février 2020 que ces travaux constituent l’une des quatre priorités de la France en matière de désarmementDiscours du Président Emmanuel Macron sur la Stratégie de Défense et de Dissuasion devant les stagiaires de la 27ème promotion de l’Ecole de Guerre, elysee.fr, 7 février 2020..

Cette analyse vise à dresser un panorama des différents travaux qui ont été lancés en matière de vérification du désarmement nucléaire. Elle évoque les conclusions qui en sont tirées, ainsi que l’imbrication entre les considérations technologiques, stratégiques et politiques en la matière. Elle note les points de progrès, mais aussi les domaines qui posent encore question, et conclut sur les perspectives de vérification du désarmement nucléaire à court terme.  

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