Confrontation turco-émiratie en Libye : le drone, nouvel atout stratégique
Introduction
La campagne de Tripoli (avril 2019-juin 2020) a été représentative de nouveaux modes d’action axés sur l’emploi de mercenaires et de drones. À ce propos, Ghassan Salamé, ex-Représentant spécial des Nations unies en Libye, avait déclaré, quelques mois avant sa démission, que le conflit en Libye était devenu le théâtre de « la plus grande guerre de drones au monde »« Interview with UN Special Representative for Libya Ghassan Salamé », United Nations Political and Peacebuilding Affairs, 25 septembre 2019.. Ces drones ont constitué la composante centrale des opérations aériennes.
Le 4 avril 2019, l’Armée nationale libyenne (ANL) menée par Khalifa Haftar initiait une campagne militaire contre le Gouvernement d’union nationale (GUN) à Tripoli. L’objectif du maréchal Haftar était de « libérer la capitale des groupes armés et djihadistes ». L’ANL a bénéficié du soutien de plusieurs puissances régionales, parmi lesquelles l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis (EAU), l’Égypte, ainsi que de la Russie et de la France dans une moindre mesure. Le rôle des Émirats se distingue de celui des autres acteurs par un appui aérien ainsi qu’une assistance financière et logistique importants à l’ANL. Malgré ce soutien, les forces de l’ANL se sont enlisées rapidement dans les banlieues sud de la capitale. Deux évènements ont contribué à freiner son avancée. Tout d’abord, la résistance des groupes armés affiliés au GUN. L’offensive de l’ANL a eu pour effet de fédérer ces groupes qui en temps normal s’affrontent pour le contrôle des ressources et des institutions stratégiques situées à Tripoli. Puis, le soutien progressif apporté par la Turquie au gouvernement de Tripoli à compter de l’été 2019, date de l’arrivée des premiers drones turcs. Deux évènements ont illustré la bascule dans le rapport de force qui s’est opérée au profit du GUN : la perte de la ville de Gharyan, située au sud de Tripoli au mois de juin 2019, et les frappes turques menées contre le centre de commandement de l’ANL à Jufra en juillet 2019. Ces opérations illustrent la vulnérabilité et les carences des dispositifs mis en place par les Émirats. À l’automne, le rapport de force s’est de nouveau équilibré. En effet, les Émirats ont conduit pour le compte de l’ANL de nombreuses frappes contre les bases opérationnelles des drones turcs et les unités au solVoir Figure 2 in Melissa Salyk-Virk, « Airstrikes, Proxy Warfare, and Civilian Casualties in Libya », New America, 2 juin 2020.. Par ailleurs, le déploiement concomitant de supplétifs étrangers, notamment de Wagner, a permis aux forces du maréchal Haftar de progresser vers le centre de Tripoli. Cette nouvelle offensive a eu pour effet de conduire le GUN dans les bras de la Turquie. En novembre 2019, un mémorandum de coopération militaire et maritime est signé entre les deux parties. Dès lors, le soutien d’Ankara augmente quantitativement et qualitativement via l’envoi de systèmes de défense antiaérienne, de supplétifs étrangers et d’officiers turcs. En mars 2020, les forces du GUN appuyées par la Turquie ont initié l’opération « Peace Storm » afin de contrer l’ANL« Sarraj Announces Launch of Operation Peace Storm in Response to Haftar Attacks », Middle East Monitor, 27 mars 2020.. L’adjonction de systèmes de guerre électronique et de capacités de renseignement en complément des drones a favorisé la prise de contrôle par le GUN de plusieurs villes côtières et sites stratégiques en Tripolitaine. Ainsi, en mai 2020, les forces de l’ANL ont été contraintes de se retirer de la base aérienne d’Al-Watiyah puis de Tarhuna. Dès lors, la ligne de front se matérialise le long de l’axe Syrte-Jufra, au centre du pays. Depuis, les parrains régionaux et la Russie poursuivent leur montée en puissance de part et d’autre de la ligne de front le long de l’axe Syrte-Jufra.
La présente note vise à évaluer les nouveaux modes d’action des puissances étrangères impliquées dans ce conflit. Pour ce faire, nous analyserons l’engagement chronologique de chaque camp (GUN/Turquie versus ANL/EAU/Russie). Dans un premier temps, il s’agira de décrire les capacités employées ainsi que les dispositifs mis en place, puis de considérer l’efficacité de ces derniers via leurs caractéristiques techniques, leur utilisation et leur intégration progressive au cours des opérations. La finalité étant d’apprécier, en particulier, la stratégie d’emploi des drones – associés aux moyens de guerre électronique et ISR (Intelligence, Surveillance and Reconnaissance) – lors d’actions offensives. L’utilisation de ces systèmes ainsi que leur localisation nous permet d’appréhender les objectifs stratégiques à moyen-long terme des puissances engagées et d’estimer la plus-value et les limites des drones dans l’atteinte de ces objectifs.
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Confrontation turco-émiratie en Libye : le drone, nouvel atout stratégique
Recherches & Documents n°12/2021
Aude Thomas,
11 juin 2021