L’avenir de la stabilité stratégique

Ce travail a bénéficié du soutien du Centre d'analyse, de prévision et de stratégie du Ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Les vues et positions exprimées dans ce rapport sont de la responsabilité de leurs seuls auteurs.

Introduction

Un passage en revue de la littérature stratégique récente offre trois indications :

  • Le concept de stabilité stratégique, parfois perçu comme un vestige de la Guerre froideThomas Scheber, « Strategic Stability. Time for a Reality Check », International Journal: Canada’s Journal of Global Policy Analysis, automne 2008., reste en réalité pertinent aux yeux de la communauté des experts, si l’on en croit le volume de travaux réalisés à ce sujet.
  • Les auteurs font part de différentes inquiétudes sur l’avenir de la stabilité stratégique avec en priorité des analyses de la résistance de la notion aux différentes innovations technologiquesVoir par exemple : Todd Sechser, Neil Narang, Cailin Talmadge, « Emerging technologies and strategic stability in peacetime, crisis, and war », Journal of Strategic Studies, 2019 ; Heather Williams, « Asymmetric arms control and strategic stability: Scenarios for limiting hypersonic glide vehicles », Journal of Strategic Studies, 2019 ; Christopher Chyba, New Technologies & Strategic Stability, Daedalus, MIT Press, 2020 ; James Johnson, « The AI-cyber nexus: implications for military escalation, deterrence and strategic stability, Journal of Cyber Policy, 2019 ou encore Margaret E. Kosal, « Emerging Life Sciences: New Challenges to Strategic Stability », in Margaret E. Kosal, ed., Disruptive and Game Changing Technologies in Modern Warfare, Springer, Cham, 2020., et de manière également importante, son adaptation à un nouvel environnement internationalChristopher Kuklinski, Jeni Mitchell et Timothy Sands, « Bipolar strategic stability in a multipolar world », Journal of Politics and Law, 2020 ; Dmitri Trenin, « Strategic Stability in the Changing World », Carnegie Moscow Center, mars 2019 ; Zeeshan Hayat, Tanzeela Khalil, « Great Power Competition and Global Strategic Stability », CISS Insight Journal, 2020..
  • L’effondrement du régime de maîtrise des armements traditionnelle interroge sur la préservation d’une certaine stabilité stratégique et les formes qu’elle pourrait prendre à l’avenirSteven Keil et Sophie Arts, « Strategic Spiral: Arms Control, U.S.-Russian Relations, and European Security », Policy Paper, GMF, mars 2020 ; Corentin Brustlein, « The Erosion of Strategic Stability and the Future of Arms Control in Europe », Proliferation Papers, Etudes de l’IFRI, novembre 2018 ou Dmitri Trenin, « Stability amid Strategic Deregulation: Managing the End of Nuclear Arms Control », The Washington Quaterly, 2020..

Si ces travaux et ces études se caractérisent par un grand scepticisme et pour certains d’entre eux un véritable pessimisme sur la capacité des acteurs à adopter les mesures et comportements permettant d’adapter la stabilité stratégique aux défis auxquels elle est confrontée, ils démontrent néanmoins un fort attachement de la part de la communauté stratégique pour un concept qui apparaît comme essentiel au maintien de la paix entre des grandes puissances aux intérêts potentiellement divergents.

Une analyse plus fine permet de mieux cerner la nature de ces difficultés, en particulier l’incapacité des principaux pays concernés à s’accorder sur la nature de la stabilité stratégique et sur ce qui doit être fait pour la préserver. Ces visions divergentes ont été pleinement visibles lors des différentes itérations de dialogue stratégique organisées entre officiels ou non-officiels, entre les États-Unis et la Russie, les États-Unis et la Chine ; et se reflètent en l’absence de tel dialogue entre l’Inde, le Pakistan et la Chine. Elles s’expriment dans le cadre de forums tels que le P5 et prennent leurs fondements dans les analyses différentes dressées par les documents stratégiques des différents États.

Dans ce contexte, il est sans doute impossible d’envisager une version globale, universelle et inclusive de la stabilité stratégique qui pourrait être acceptable pour tous et résistante aux différents défis et risques qui caractérisent la période actuelle et le futur prévisible.

Néanmoins, il est nécessaire de réfléchir à un ensemble de mesures qui peuvent contribuer à une forme de stabilité stratégique dans des contextes particuliers. Ces mesures peuvent être d’application géographique limitée, sans toutefois méconnaître les interdépendances entre les différents théâtres. Elles peuvent également porter sur un segment spécifique, notamment pour répondre à des développements technologiques dont l’ensemble des retombées et conséquences ne sont pas connues.

Cette note propose de s’interroger sur l’avenir de la stabilité stratégique. Elle rappelle dans une première partie les différentes définitions de la notion et étudie le sens qu’on peut lui donner aujourd’hui. Elle évoque ensuite les défis qui viennent transformer cette notion et les différentes évolutions auxquelles elle est confrontée. Enfin, elle propose des pistes pour envisager une forme de stabilité stratégique à l’avenir (dans une échelle de temps relativement prévisible d’une quinzaine d’années) et formule des recommandations pour développer un positionnement européen plus actif sur ces questions.

 

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