La « révolution » des aéronefs à décollage vertical électriques : les taxi-volants comme revalorisation d’une aéromobilité tactique délaissée par l’hélicoptère ?
DEFENSE&Industries n°14
Vincent Tourret,
juin 2020
Les images de taxis-volants des récits de science-fiction ou les tentatives malheureuses des années 1950 de concrétiser une AirJeep comme véhicule de reconnaissance semblent aujourd’hui connaître un début de réalisation par ce que certains qualifient de « Révolution eVTOL ». Le développe-ment des nouvelles « voitures volantes », les Aéronefs à Dé-collage Vertical Electrique (ADAVE ou eVTOL en anglais), est en effet engagé par l’industrie civile autour des projets Elevate d’UberUber, « Fast Forwarding to the future on-demand, urbain air transportation », Uber Elevate White Paper, 27 octobre 2016. depuis 2016 et d’Urban Air MobilityCommission européenne, « Commission launches innovation partnership for Smart Cities and Communities », communiqué de presse, 10 juillet 2012. , initié en 2017 sur financement communautaire, comme une réponse possible à la congestion du trafic intra-urbain. Ils sont à mi-chemin entre l’hélicoptère dont ils peuvent être considérés comme des versions compactes ou « de poche » dédiées à la manoeuvre dans les altitudes dites du « sur-sol » à moins de 500 mètres et une configuration lourde des drones commerciaux pour un transport de passagers sur de courtes distances de l’ordre des 100 km. Les ADAVEs connaissent actuellement un développement sans précédent en étant promis moins coûteux à produire et à entretenir, plus efficients du fait d’une propulsion électrique distribuée et, enfin, plus agiles que l’hélicoptère dont ils ne partageraient pas le besoin d’héliports urbains.
Bulle spéculative ou véritable rupture technique, la « Révolution eVTOL » c’est, selon la Vertical Flight Society, plus d’un milliard de dollars investis depuis 2016, 3 milliards selon une étude prospective de Porsche Consul-ting, dont 500 millions de dollars pour la seule année 2016Porsche Consulting, « The Future of Vertical Mobility. A Porsche Consulting Study », 2018. , et plus de 200 appareils en cours de développement, dont certains sont déjà en phase de commercialisation (Volocopter 14)Kenneth Swartz, « The Electric VTOL Revolution », The Vertical Flight Society, mars 2018. . Les investissements les plus importants sont allés aux entreprises sui-vantes : Jobby Aviation, soutenue par Toyota (131 millions de dollars en 2009 puis 590 millions de dollars levés en 2020Joby Press release, « Joby Aviation Unveils S4 », eVTOL News, 15 janvier 2020. ), Lillium (102 millions de dollars en 2014), Kitty Hawk (100 millions de dollars en 2015) associée à Boeing depuis juin 2019 et le chinois eHang (60 millions de dollars)Olivier Ezratty, « La bulle des drones de passagers », French Web, 21 février 2019.. Dernier venu avec la présentation de son concept d’appareil S-A1 au Consumer Electronic Show (CES) de janvier 2020, Hyundai a promis d’investir plus d’1,5 milliards de dollars dans le marché de l’aéromobilité pour une commercialisation de son appareil en 2028Brian Garett-Glaser, « South Korea Plans to Launch Air Taxi Service by 2025. Will Hyundai Be Ready ? », Avionics International, 8 Juin 2020. .
Le marché envisagé attire ainsi les convoitises. Il pourrait avoisiner les 74 milliards de dollars à l’horizon 2035, toujours selon Porsche ConsultingPorsche Consulting, Op. cit, 2018. et les 318 milliards de dollars à l’horizon 2040, d’après une étude récente de Nexa Advisers de 2019 réalisée sur la base d’une analyse des marchés de la mobilité de 74 villesNexa Advisors, « Urban Air Mobility – Economics and Global Market », été 2019. . Encore plus optimiste, une étude com-mandée par la NASA en 2018 estimait que pour des missions de navettes d’aéroport, de taxis ou d’ambulances, le marché des ADAVEs atteindrait les 500 milliards de dollarsBooz Allen Hamilton, « Urban Air Mobility (UAM) Market Study », NASA Urban Air Mobility, 21 novembre 2018. . Une autre étude s’avérait cependant plus pessimiste, indiquant qu’un modèle « porte-à-porte » se révélerait économique-ment prohibitif et qu’un service « d’air métro » ne connaitrait un début de rentabilité seulement à partir de 2028Crown Consulting, « Urban Air Mobility (UAM) Market Study », NASA Urban Air Mobility, novembre 2018. ; loin donc du début de commercialisation qu’Uber a annoncé souhaiter dès 2023.
Les ADAVEs semblent surtout connaître un début d’applications militaires par le lancement en février 2020 du programme Agility Prime de l’US Air Force pour le développe-ment d’appareils de niche, consacrés aux transports de biens et de personnes aux échelles tactiques voire micro-tactiques des dédales urbains ou au plus près des troupes entrées en premier. Les premiers démonstrateurs doivent pouvoir voler dès décembre 2020 pour constituer en 2023 une nouvelle capacité opérationnelle d’une trentaine d’appareils.
Cet article a ainsi pour objectif de présenter le « pourquoi » de la « Révolution eVTOL » en expliquant l’échec relatif de l’hélicoptère à incarner la solution de l’aéromobilité intra-urbaine civile comme militaire, puis d’exposer son « comment » en abordant l’environnement industriel, technologique et financier des ADAVEs, pour enfin appréhender ses limites, à savoir avant tout une maîtrise technique du design et une maturité énergétique des batteries électriques, toutes deux encore insuffisantes.
Congestion du trafic, compartimentalisation des efforts et des échecs de l’hélicoptère : l’absence de solution aéromobile intra-urbaine
L’investissement de la troisième dimension par l’industrie civile comme solution au trafic intra voire inter-urbain rejoint en cela les réflexions amorcées sur la revalorisation de l’aéromobilité à l’ère des « Mégacités », synonyme d’expansion de la problématique urbaine à l’échelle planétaire par le gigantisme qu’acquerront les villes à l’horizon 2050Martin J. Murray, « The Urbanism of Exception. The Dynamics of Global City Building in the Twenty-First Century », Cambridge University Press, 10 mars 2017 et Neil Brenner and Christian Schmid, « The ‘Urban Age’ in Question », dans Neil Brenner « Implosions/Explosions: Towards a Study of Planeta-ry Urbanism », Berlin, Jovis, 2014, pp. 310-337. . Selon un rapport de l’ONUUN Department of Economic and Social Affairs, « World Urbanization Prospects: The 2014 Revision – Highlights », New York, 2014, p. 1 et US Army, Chief of Staff of the Army, Strategic Studies Group, Megacities Concept Team, « Megacities and the United States Army: Preparing for a Complex and Uncertain Future », Arlington, June 2014. , avec une croissance de 65 millions d’habitants par an, dont 90% en Asie et en Afrique, l’humanité y vivra à 66%. Dès 2030, les 28 « mégacités » que nous con-naissons aujourd’hui, soit des ensembles de plus de 10 millions d’habitants, auront doublé. La ville capitale, la ville piège, semble ainsi plus que jamais acquérir un caractère incontournable, comme centre névralgique et comme centre de gravité malgré, ou plutôt en raison, de sa densification annoncée. Le défi civil de la congestion du trafic, comme celui militaire de la compartimentalisation des efforts, produits tous deux par la densité humaine et infrastructurelle des villes, se rejoignent ainsi par le constat commun d’un différentiel de mobilité entre ses approches périphériques et la progression en son sein. Alors que le segment des vols long-courriers ou alternativement de l’inter-théâtre voit un volume toujours plus important être acheminé toujours plus rapidementAvant, bien entendu, les effets de la crise sanitaire du COVID-19. , les frictions s’accroissent de façon disproportionnée à l’approche du « dernier mètre ».
Dans le secteur du transport civil, ce coût est ainsi estimé en pollution dégagée et en baisse de productivité. Selon l’étude Global Traffic Scorecard de la société INRIX, conduite à partir des données GPS de véhicules de 1 360 villes réparties entre 38 pays, la congestion du trafic urbain amputerait de plus de 468 milliards de dollars les économies allemande, britannique et américaine. Ainsi, pour la seule économie américaine, la perte nette serait de 124 milliards de dollars, avec une augmentation prévue de 50% de ces externalités négatives à l’horizon 2030INRIX, « 2018 Global Traffic Scorecard », – http://inrix.com/scorecard/, Voir aussi : Federico Guerrini, « Traffic Congestion Costs Americans $124 Billion A Year, Report Says », Forbes, 14 octobre 2014. . Un marché civil de transport intra-urbain par hélicoptère existe. Il avait même amorcé une croissance timide au cours de la décennie 2010. À titre d’exemple, les héliports de New-York connaissaient de 2018 à 2019 une augmentation de leur trafic de 21% à 25%Saulo B. Cwerner, « Vertical Flight and Urban Mobilities: The promises and reality of helicopter travel », Mobilities, 22 août 2006. . À Sao Paulo, plus de 150 000 opérations d’hélicoptères étaient ainsi enregistrées annuellement, soit plus de 100 décollages
toutes les heures sur ses 400 héliportsAlba Santandreu, « Low-cost helicopters, a growing trans-port segment in Sao Paulo », Efeepa, octobre 2017. . La ville avait même crée en 2004 le tout premier système de contrôle du trafic aérien dédié aux vols par aéronefs à voilure tournante. Cependant, cette solution par l’hélicoptère ne convainquit jamais totalement, en raison, d’une part, de la fiabilité jugée insuffisante des appareils – 4,5 accidents par 100 000 heures de vol contre 1,5 accidents pour les voilures fixes de 2006 à 2016Les Dossier AAE, « Le transport de passagers par appareils à voilure tournante à l’horizon 2050 », Académie de l’Air et de l’Espace (AAE), dossier n°44, 2018, pp. 16-17. –, d’autre part, de leur coût d’utilisation trop élevé pour le client et, enfin, du fait des nuisances sonores qu’ils généraient. La crise sanitaire du COVID-19 semble avoir à nouveau ébranlé ce secteur. En témoigne la décision du groupe Airbus de ne pas relancer après le déconfinement l’application « VOOM » qui, initiée en 2017 à Sao Paulo, offrait pourtant un service d’hélicoptère à la demande, étendu à Mexico en 2018, puis à San Francisco en 2019, et pouvait se prévaloir de plus de 15 000 passagersDan Parsons, « Mission accomplished : Airbus helicopter hailing service Voom closes down », eVTOL, 31 mars 2020. . Le développe-ment souhaité des ADAVEs à partir d’un service linéaire de navettes vers un service toujours plus « déporté », individualisé jusqu’au « porte à porte », reprend ainsi l’évolution du marché dévolu aux hélicoptères de transport, d’abord articulé autour de liaisons périphériques – aéroport-centre ville, évacuation médicale dans les années 1970-1980 – puis engagé dans une certaine expansion au tournant du millénaire dans le transport intra-urbain de VIP. Les ADAVEs en héritent les contraintes environnementales et les craintes sécuritaires tout en cherchant à émuler son développement économique et à le remplacer à terme sur ses marchés.
Dans le domaine militaire, l’heure est ainsi pour certains à « l’urgence tactique »Colonel Michel Dorandeu, EMAT/B Plans, « L’aéromobilité et la continuité de l’action aéroterrestre », Doctrine Tactique n°22 Revue d'études générales, 2011. : les combats urbains, fragmentés, menés à très courte portée avec une impression « d’ubiquité » du feu ennemi, ne laissent une fenêtre d’action que trop réduite pour assurer convenablement ravitaillement, évacuation des blessés ou même des opérations d’enveloppement de l’adversaire. Or, l’incidence grandissante, voire la centralité du combat urbain dans l’environnement post-guerre froide, érode les atouts de l’hélicoptère devenus trop bruyant, trop volumineux et par conséquent trop vulnérable pour évoluer dans les « canyons urbains ». Elle met en défaut l’ambition, lors de la guerre froide, de concrétiser une véritable manoeuvre aéroterrestre au moyen de l’hélicoptère, qui avait incarné son véhicule de choix, pour combiner la vitesse et la fulgurance de la troisième dimension au besoin de permanence et de survivabilité des combats au plus proches du sol.
L’expérience de l’aéromobilité dans les batailles urbaines de la dernière décennie s’est ainsi faite discrète. Au-delà d’emplois ponctuels et logistiques, l’aviation légère ou l’Army Aviation n’a pas opéré d’enveloppements verticaux ou d’Air Assault intra-urbains significatifs. Le manuel américain M 3-04.126 « Attack and Reconnaissance Helicopter operations » de 2007 met l’accent sur la fonction appui des appareils avec deux missions retenues : l’attaque en combat rapproché (Close Combat Attack) pour un soutien direct, tactique, aux forces au sol et les attaques d’interdiction (Interdiction Attack) qui ne comportent plus d’éléments de manoeuvres indépendantes ou X-FLOT (dépassement au-delà de la ligne des troupes amies : Forward Line of Own Troop)La doctrine française en l’espèce, si elle maintient la mis-sion de destruction dans la profondeur pour un aérocombat autonome, semble incarner plus de « différence d’échelle » que de nature avec l’Interdiction Attack américaine, voir État-Major de l’armée de Terre, « ALAT 10.0001 - Concept des forces aéromobiles au sein de l'armée de Terre », février 2011, in Etienne de Durand, Benoit Michel, Elie Tenenbaum , « La guerre des hélicoptères - L’avenir de l’aéromobilité et de l’aérocombat », IFRI, juin 2011. . Il est ainsi frappant de constater dans l’approche américaine que si le manuel de 2011, ATTP 3-06 « Combined Arms Operations in Urban Terrain », entend encore pouvoir utiliser les hélicoptères de transport UH-60 et CH-47 pour saisir des zones cri-tiques, créer de la surprise et même soutenir les forces au sol par des tirs de suppression, les récents manuels doctrinaux de l’Army Aviation, dont le FM 3-04 « Army Aviation » de juillet 2015, jugent que l’usage de l’aéromobilité en centre urbain est un « risque qui dépasse ses bénéfices potentiels ». Le survol à basse altitude est devenu rédhibitoire tout autant que les vols stationnaires pourtant nécessaires aux hélicordages et posés d’assaut.
La bataille de Falloudjah en 2004 représente un cas de RETEX idéal typique de la vulnérabilité aujourd’hui rencontrée par les hélicoptères en milieu urbain. Un UH-60 BlackHawk a été abattu par un SA-7. Deux Apaches et un AH-1 Super-Cobra ont été perdus pour cause de tirs de mitrailleuses lourdes et de roquettes RPG-7CDEF, « Les Fantômes Furieux de Falloujah – Opération Al-Fajr/Phantom Fury (juillet-novembre 2004 », Cahiers du Re-tex, 11 avril 2006. . Plus inquiétant, la période a vu une montée en compétences des groupes insurgés. Alors qu’en 2004, 49 embuscades étaient nécessaires pour toucher un appareil, la proportion en 2005 descendit à 25 embuscades pour un hélicoptère, puis en 2007 à seulement 7 attaquesSous-lieutenants G. Rolland et A. Tisseron, « L’emploi des hélicoptères en contre-insurrection – quels enjeux pour quels menaces ? », Cahiers de la Recherche Doctrinale, CDEF, 18 janvier 2012..
Le manuel ATP 3-06 recommande ainsi aux équipages, pour améliorer leur survivabilité, de maintenir une vitesse d’au moins 110 km/h, pour éviter les tirs d’armes légères, d’opérer de préférence la nuit et à la plus haute altitude possible : des impératifs difficilement conciliables avec la recherche de furtivité et la plus-value de l’hélicoptère à pouvoir discriminer au plus près les combattants ennemis en situation d’imbrication tactique. De la même manière, le manuel ATP 3-04.1 « Aviation Tactical Employment », d’avril 2016, envisage l’emploi optimal des hélicoptères à travers la « High Attack », soit le maintien des appareils à plus de 1 000 mètres d’altitude, pour demeurer hors de portée des armes légères, pou-voir suivre les déplacements ennemis sans obstruction de leur ligne de vue dans les « canyons urbains » et sauvegarder un espace de manoeuvre.
L’acception russe de l’aéromobilité, comme une capacité d’aviation d’assaut, semble être arrivée aujourd’hui en Syrie au même constat que ceux américains sur l’impraticabilité de l’hélicoptère dans des missions intra-urbaines. Il est symptomatique que leur campagne aérienne, pourtant conçue de-puis 2015 dans un rôle d’appui-feu de l’armée syrienne et dont les objectifs sont principalement des centres urbains – Alep, banlieue-est de Damas, Idlib – ait eu recours principale-ment à la gamme des chasseurs-bombardiers Sukhoï (Su-24, Su-25 et Su-34) et très peu aux hélicoptères d’assaut de type Mi-24 ou Ka-52. Les enseignements des batailles pour Grozny semblent en être le facteur déterminant. Alors que l’ancienne doctrine soviétique prévoyait que 70% des sorties d’hélicoptères devaient se consacrer à des missions d’appui-feu et d’assaut-air, les pertes subies à Grozny – au rythme moyen d’un hélicoptère perdu par mois pour un total de 36 appareils abattus en mars 2002 – firent descendre cette pro-portion à 17%Ibid, p 34. , au bénéfice des appareils à voilure fixe. La pratique semble ainsi s’être perpétuée aujourd’hui.
Au contraire d’incarner l’élément de manoeuvre indépendant chargé de réaliser la percée opérationnelle dans la profondeur du dispositif adverse comme l’envisageaient les doc-trines OTAN d’air-mécanisation et soviétique de « frappe de troupe » (Udary Voysk) du temps de la guerre froide, l’hélicoptère est ramené désormais à un rôle d’appui, voire d’interdiction des approches urbaines à distance de sécurité, autrement dit, à des altitudes élevées et en périphérie interurbaine. Il se voit à nouveau confronté de façon générale à la critique classique de la trop grande vulnérabilité de son caractère hybride, entre terre et air. À l’heure des stratégies d’A2/AD, il serait à la fois un véhicule insuffisamment blindé et furtif pour survivre aux défenses anti-aériennes et un aéronef trop lent, ou trop peu agile, pour survivre à l’interdiction de la chasse aérienne.
Pour la grande profondeur, la grande vitesse du New Vertical Lift, pour les portés tactiques, l’Agility Prime des ADAVEs
Face à cette nouvelle non-permissivité des théâtres d’opération, les propositions du programme Future Vertical Lift (FVL) de l’US Army pour revaloriser la fonction aéromobilité font alors le pari de la « grande vitesse » plutôt que celui de l’agi-lité des hélicoptères. L’Army Aviation se structure en effet autour du concept d’Air Ground Integration qui implique une plus grande subordination de la manoeuvre aéromobile aux développements tactiquesMark Pomerleau, « The next key to the Army network : air-ground integration », C4ISRNET, 15 juin 2019. . Or, dans le cadre de la refonte doctrinale des MultiDomain Operation, ceux-ci sont désormais envisagés comme des combats menés dans la grande profondeur de l’adversaire par la convergence des moyens et des modes d’action indifféremment de leurs milieux. L’Army Aviation, pour rester pertinente et maintenir la continuité des opérations, doit ainsi pouvoir « coller » au plus près, « derrière l’épaule », des éléments de manoeuvre les plus rapides et/ou les plus résilients.
Dans le programme FVL, cette exigence se traduit par une contribution nouvelle de l’hélicoptère aux missions de contre-déni d’accès au détriment de l’appui direct en zone urbaine dont il semble confirmer l’abandon. Le futur FARA, ou capa-cité CS-1, qui remplace l’hélicoptère d’observation OH-58D Kiowa Warrior décommissionné en 2014, semble en effet confirmer l’emploi en stand-off des Apache AH-64D couplés aux drones MQ-1C Grey Eagle pour traiter les centres ur-bains, en l’intégrant directement dans son design comme plateforme de guerre électronique rapide et furtive mais surtout distante. De la même manière, pour constituer la capacité CS-3 et remplacer les hélicoptères de manoeuvre UH-60, l’US Army semble opter pour des appareils aux capa-cités proches des voilures fixes qui apparaissent insuffisamment flexibles pour de l’engagement continu à très courte portée. Les performances annoncées du V280 Valor (Bell) ou de son concurrent le SB-1 Defiant (Boeing-Sikorsky) – respectivement 926 km de portée avec une vitesse maximale de 518 km/h et entre 424 et 833 km de portée pour une vitesse de 463 km/h – rectifient certes le défaut en termes de vitesse imputée aux hélicoptères. Cependant, pris dans leur ensemble, les propositions du programme FVL n’adressent plus la question du sur-sol qui nécessiterait des appareils moins rapides pour discriminer les cibles mais plus agiles pour pouvoir manoeuvrer et s’abriter dans les replis urbains. Les appareils considérés par le FLV semblent, au contraire, par leur sophistication et leur coût, constituer une capacité opérationnelle limitée, envisagée dans une fonction de « force multiplier » de systèmes, quant à eux plus rustiques à employer directement dans la zone urbaine mais qui manquent justement. Les nouveaux modèles d’ADAVEs, com-pactes et potentiellement consommables, paraîtraient alors dans cette perspective tous indiqués.
Le 25 février 2020, l’US Air Force initiait ainsi la première ICO (Innovative Capabilities Opening) de son programme Agility Prime pour la sélection d’un Aéronef à Décollage Vertical à propulsion et motorisation électrique ou hybride dans l’objectif de constituer une flotte opérationnelle à l’horizon 2023Brian Garett-Glaser, « Air Force Announces Virtual Kickoff for Agility Prime’s Air Race to Certification », Avionics Interna-tional, 28 avril 2020. . Assez classiquement, l’US Air Force, désormais re-jointe en mars par le projet d’Unmanned Logistics Support Air (ULS-A) du Corps des MarinesBrian Garett-Glaser, « Marine Corps Partners with Air Force Agility Prime on eVTOL Aircraft for logistics », Avionics International, 10 mars 2020. , cherche à capitaliser sur les avancées de l’industrie civile dont elle reprend les critères techniques et sa vision d’une flotte configurée en trois gammes d’appareils articulées autour des trois missions « coeur » de l’hélicoptère civil : navettes, taxi et potentielle-ment transport individualisé de VIP. En janvier 2018, l’Aeronautics Research mission Directorate de la NASA pouvait ainsi proposer sur une base de densité énergétique des batte-ries établies à 400 Wh/kg :
- Le concept d’un Air Metro de 15 passagers, avec 740 km d’autonomie, 1,3 tonne de charge utile, à la voilure bas-culante et à propulsion turboélectrique.
- Le concept d’un Air Taxi de 6 passagers, avec 544,31 kg de charge utile pour une autonomie de 370 km, à la motorisation hybride et propulsée par tilt-rotor.
- Le concept d’un quad-rotor avec un seul passager, bénéficiant d’une batterie de 49 kWh pour 93 km d’autonomie et 113,4 kg de charge utile, à la propulsion électrique seule.
Le service d’acquisition de l’US Air Force a ainsi communiqué en avril 2020 trois « Area Of Interest » (AOI) ou alternative-ment désignées comme trois Air Race d’appareils ADAMEs, appelés « ORB », dotés d’un financement annuel de 25 millions de dollars et qui sont sensiblement identiques à la configuration de la NASATheresa Hitchen, « Air Force Purshes Ahead on Flying Car Challenge », Breaking Defense, 21 février 2020. :
- Une « ORB » moyenne (AOI-1) : capable de transporter 8 passagers sur plus de 160 km à 160km/h. Les sociétés Jobby Aviation et Beta Technologies ont vu leurs appareils sélectionnés, respectivement le S-4 et l’AvaXC, puis progressés jusqu’à la troisième phase de certification qui offre à ces entreprises l’expertise technique et les instruments de test de l’US Air Force pour améliorer leurs véhiculesDan Parsons, « U.S Air Force wants 30 eVTOLs carrying cargo, passengers », Verticalmag, 30 avril 2020. .
- Une « ORB » légère (AOI-2) : capable de transporter 1 à 2 passagers, sur plus de 16 km pour une vitesse d’au moins 72 km/h.
- Une « ORB » lourde (AOI-3) : un drone « cargo » d’une charge maximale au décollage de 598 kg pour une charge utile de 226 kg, capable d’opérer dans un rayon d’action de 322 km à une vitesse supérieure à 161 km/h pendant au moins 100 minutes.
Le Logistics Innovation Office des Marines reprend cette con-figuration en trois familles d’appareils dronisés qu’il assigne à la « distribution tactique dans l’espace de bataille », envisagée dans le cadre du concept EABO des Bases d’Opérations Expéditionnaires AvancéesBrian Garrett-Glaser, « Marine Corps Partners With Air Force, Agility Prime On eVTOL Aircraft For Logistics », Avionics International, 10 mars 2020. . Cette initiative s’inscrit à la suite de l’intérêt manifesté par le Corps des Marines pour la dronisation d’hélicoptère-cargo, d’abord en 2011 par l’acquisition de deux appareils K-MAX sans pilote qui ont opéré pendant 3 ans en AfghanistanAlex Davis, « The Marines’ Self-Flying Chopper Survives a Three-Year Tour », Wired, 30 Juillet 2014. puis par le développement du kit « Autonomous Aerial Cargo/Utility System » (AACUS) mené par l’Office of Naval Research en 2014 et qui per-mettait d’automatiser d’anciens modèles d’hélicoptères de type « utilitaire » à l’instar d’un UH-1.
Vision du Marine Corps Warfighting Lab sur le soutien d'ADAVEs aux opérations expéditionnaires
L’élaboration des standards de l’industrie eVTOL : l’ascendant des critères Uber-NASA
Cette configuration des ADAVEs en trois gammes d’appareils ainsi que leurs caractéristiques techniques envisagées, re-montent aux standards élaborés de 2007 à 2012 par les instituts de recherche aérospatiale européens et américains à travers des projets tels que le PPlane de l’ONERA (2009-2012)Un aéronef non ADAVE mais tout électrique : 6 moteurs électriques intégrés au fuselage, propulsion à l’aide de soufflantes carénées électriques, d’une capacité de 5 à 6 passagers et télé-opéré au sol. Commission européenne, « PPlane project », Seven Framework Programme (FP7), http://www.pplane-project.org. Clause le Tallec, « Pioneering Concepts for Personal Air Transport System. PPlane project, Ampere project, Hybrid electrical propulsion study », http://www.nianet.org. et le myCopter du Max Planck Institute (2009-2014)Max Plank Institute, « Mycopter », http://www.mycopter.eu/home.html. ainsi que par la tenue de conférences coparrainées par la NASA, telles que Aviation Unleashed en 2010, et « Comment préparer l’avenir » à Bruxelles en octobre 2012. Cette période avait alors donné lieu à un premier intérêt militaire avec le lancement par la DARPA américaine en 2014 du pro-gramme VTOL X-Plane, clôt en 2018, malgré la création d’un démonstrateur avancé, le XV-24A Lightening Strike par Aurora ScienceGraham Warwick, « Darpa pulls Plug On Aurora’s Hybrid-Electric VTOL X-Plane », Aviation Week, 24 avril 2018..
Cependant, la « Révolution » ADAVE actuelle a pris les traits de la société qui a véritablement lancé son coup d’envoi en 2016 : Uber, par son livre blanc « Fast Forwarding to the future on-demand urban air transportation »Uber, « Fast Forwarding to the future on-demand, urbain air transportation », Uber Elevate White Paper, 27 octobre 2016. . Avant d’incarner un nouveau produit industriel qu’il s’agit d’évaluer à l’aune de ses performances techniques vis-à-vis des catégories d’appareils existants, drones ou hélicoptères, les ADAVEs doivent se comprendre d’abord comme un nouveau système d’exploitation de la mobilité, « ubérisé » pour ainsi dire, selon un écosystème de type prestataires de services déportés et à la demande labellisée On Demand Mobility (ODM). Chaque année depuis 2017, Uber réunit ainsi lors d’une conférence les acteurs du secteur et publie à la conclusion de celle-ci une mise à jour de son livre blanc qui définit les critères d’éligibilité à son écosystème, eux-mêmes reprenant en grande partie les principes développés au cours des an-nées 2007-2012. Dans ce modèle, c’est bien le besoin ou le concept commercial qui encourage les solutions technologiques et industrielles et qui cherche aujourd’hui à façonner
voire à créer le cadre juridique de leur utilisation. Uber a ainsi veillé à associer étroitement sa démarche Elevate avec le programme ODM de la branche aéronautique de la NASANASA, NASA Strategic Framework for On-Demand Air Mobility. A Report for NASA Headquarters Aeronautics Research Mission Directorate, 26 janvier 2017. , lancé en 2017 conjointement à la signature d’un Space Act Agreement entre les deux entités, renouvelé de-puis tous les ansNASA « List of Active Space Act Agreements (as of June 30, 2019) with Domestic Commercial, State Local Government, and Non-profit Partners », NASA, 30.6.2019. .
La NASA a ainsi adopté une approche collaborative : « Construire, Explorer et Apprendre » où elle se restreint à un rôle de conseiller scientifique avec la production de rapports d’avancement techniques, d’études de marché et de mise à disposition d’outils de simulation. Cette démarche de la NASA culmine aujourd’hui avec le lancement de l’UAM Grand Challenge, remplacé depuis le 23 mars 2020, par l’Advanced Air Mobility National Campaign, qui propose d’associer à son effort de recherche les constructeurs d’ADAVEs par un programme de tests sur quatre ans, à la fois en simulation mais aussi par des expérimentations en environnements ur-bains réalistes. L’objectif est ainsi de sélectionner les designs d’ADAVEs les plus prometteurs, d’identifier les futurs besoins technologiques et d’établir in fine une codification des standards à même de permettre une certification par les autorités de régulation (ULM-4 Book of Requirements). La première phase, GC-DT (Grand Challenge – Developmental Testing) courant jusqu’à fin 2020, sélectionnera 3 à 4 appareilsBrian Garrett-Glaser, « NASA Launches Urban Air Mobility Grand Challenge Program », Aviation Today, 30 Août 2019. . Elle cherchera à évaluer l’impact de ces appareils sur l’espace aérien existant et à identifier les différentes architectures de gestion du trafic leur permettant de s’y intégrer. Cette première phase permettra de conceptualiser les différents scénarios-tests de la seconde phase, le « challenge » lui-même : GC-1, à la mi- 2022.
Le lancement du programme, le 1er novembre 2018, a vu la participation de plus de 140 entreprises, dont notamment Airbus, Boeing et Bell. Plus de 65 d’entre elles ont répondu à la Request for Information – RFITulinda Larsen, « UAM Insight 10 September 2019 – NASA Launches UAM Grand Challenge », airinsight.com, 10 septembre 2019. . Deux ans plus tard, la NASA a établi des Space Act Agreements avec 17 entreprises.
Seule Joby Aviation participe pour l’instant au segment « Development Flight Testing » en fournissant dès maintenant un véhicule destiné à être testé en vol dans de multiples scénarios. 11 entreprises, dont Uber Technologies, testent quant à elles, dans le cadre du segment « Developmental Airspace Simulation », leurs outils de gestion du trafic aérien. Enfin, 4 entreprises dont Bell et Boeing échangent au sein du segment « Vehicle Provider Information Exchange » des in-formations techniques en préparation d’un vol de test pour le GC-1Lillian Gipson, « Grand Challenge Developmental Testing Partners », NASA, 3 mars 2020, et J.D Harrington, « NASA’s Urban Air Mobility Grand Challenge Advances with Agreement Signings », NASA, 3 mars 2020. .
Les critères actuels UBER-NASA sont pour l’instant définis comme suit :
- Un Vertical Take-Off and Landing vehicule (VTOL), ADAV en français. L’aéronef, pour pouvoir réaliser une mobilité « déportée », c’est-à-dire « à la demande » et « libre de friction », donc sans être restreinte par les infrastructures et le trafic usuel, se doit de pouvoir à la fois atteindre une vitesse de croisière entre 200 et 300 km/heure (150-200 mph), tout en devant se poser et décoller dans des es-paces réduits en moins d’une minute. Il devra pouvoir transporter de 3 à 4 passagers pour une charge utile to-tale avec bagages de 440 kg. Sa taille ne devra pas excéder 15 m2.
- Tout électrique, propulsion et motorisation : une densité énergétique des batteries évaluée à 400 Wh/kg, un taux de charge et de décharge de 3C, soit de quelques 600 kW pour une autonomie de 3 heures avec 3 minutes de chargement des batteries.
- Sécurité et pilotage : les appareils seront in fine automatisés mais devront être en adéquation avec la catégorie des « avions civils légers » couverte par la partie 23 de la Federal Aviation Administration (FAA) et la partie CS-23 de l’Agence Européenne de la Sécurité Aérienne (EASA) ou alternativement répondre de la catégorie des hélicoptère de la partie 27 du FAA et CS-27 de l’EASA. Première conséquence de la législation, un pilote certifié à bord des ADAVEs sera nécessaire en attendant éventuellement de développer une nouvelle catégorie de standards de sécurité plus accommodante envers les caractéristiques uniques des ADAVEs.
- Pollution Sonore : les nuisances sonores des ADAVE utilisés à partir de vertiports / vertistops devront se rapprocher de la moitié du niveau sonore d'un camion circulant sur une route résidentielle (75-80 dB à 15 mètres), soit environ 62 dB à 152 mètres de hauteur par rapport sol (0,25 fois le bruit du plus petit hélicoptère à quatre places actuellement sur le marché). Uber parle d’une signature acoustique d’au moins 15 dB moins élevée que les hélicoptères légers sur le marché. Sur le court terme, cela se traduit prosaïquement par une augmentation des réveils nocturnes due à l’activité qui doit être maintenue en des-sous des 5%. Sur le long terme, pour ne pas être une nuisance supplémentaire, il serait souhaitable que les opérations ADAVEs n’augmentent pas le « bruit de fond » détectable par une personne, soit ne pas dépasser 1 dB supplémentaire par rapport à l’indicateur Day Night Level (DNL).
- Infrastructures : le développement de Vertiports possédant plusieurs pads de décollage/atterrissage, chacun doté de capacités de recharge, complétés de Vertistops constitués d’1 pad.
Les principaux défis technologiques : un design encore immature d’un « Tout Electrique » encore trop limité
En termes de gestion du trafic aérien, les investissements structurels devront certes être lourds – aux systèmes actifs de géolocalisation par GPS et de « détection et d’évitement », devra être combiné un système passif de détection des appareils par triangulation ou par réflexions électromagnétiques – mais leur redondance et leur maturité technique permettront sûrement de dépasser la limitation actuelle des bandes à haute fréquence qui requièrent une communication en visibilité directe entre récepteur et émetteur. Le plus surprenant se révèle être le domaine de la législation qui depuis moins de deux ans a connu de rapides transformations pour ménager le statut des ADAVEs. Des principaux obstacles à la réalisation des eVTOLs ou ADAVEs, deux de-meurent : l’optimisation du design et celui des batteries électriques.
Les inconnus du lithium-ion
Une des raisons principales pour laquelle la « Révolution eVTOL » pense pouvoir se réaliser et être acceptée par le législateur, comme le consommateur, est son argument « vert » du tout électrique. Cependant, celui-ci ne semble pas capable à l’aide de la technologie lithium-ion de per-mettre une charge d’emport suffisante pour les applications plus lourdes des ADAVEs de type Air Metro et, encore moins, pour celles militaires, en dehors de petits drones logistiques peu endurants. Plusieurs critères sont à prendre en compte.
- La densité énergétique des batteries, soit le rapport entre la capacité énergétique de la batterie et la masse qui lui est nécessaire pour la générer, tout en prenant en compte le fait que plus une batterie « dure », gage d’autonomie, moins elle est « puissante » en termes d’énergie délivrée. Or, les ADAVEs demandent les deux à la fois. C’est pourquoi tout l’enjeu aujourd’hui est de pou-voir atteindre et dépasser une densité de 400 Wh/kg, alors que la moyenne des batteries Li-ion s’établit à 200 Wh/kg. Cette densité, suffisante pour un trajet de 30 minutes, demeure insuffisante pour la législation et la sécurité qui en demandent le double. Les constructeurs tablent sur une augmentation de 8% par an de la densité énergétique du Li-ion pour atteindre cet objectif, les plus conservateurs avançant une autonomie de 90-100 km en 2025, contre 50 km aujourd’hui (NASA et Aurora flight Science en 2018Graham Warwick, « Electrification will take different forms across aviation sectors », Aviation Week & Space Technology, 10 août 2018, propos recueillis de Brian Yutko, vice-président du département recherche et développement d’Aurora Flight Sciences. ), bien que certains soulignent déjà pouvoir atteindre les 100 km. Bell le fait avec un moteur hybride et le producteur de batterie Sion Power, associé à Airbus, annonce déjà une batterie de 500 Wh/kgOlivier Franklin-Wallis, « The Battery to power Uber's flying car dreams doesn't exist (yet) », WIRED on Energy, 2 août 2018. . Là encore, atteindre 400 Wh/Kg ne signifierait pas une équivalence de performances avec les carburants traditionnels, seulement la possibilité de faire fonctionner un appareil selon les critères UBER-NASA. En termes de performances énergétiques à égalité avec le gasoil, la densité minimale requise d’une batterie électrique serait de l’ordre des 500-600 Wh/kgRoland Berger, « Aircraft Electrical Propulsion – Onwards and Upwards », Think-Act, 2018. . Or, les progrès jusqu’ici enregistrés dans la technologie des batteries électriques ont été largement dus à l’industrie automotrice. Atteignant les 350-400 Wh/kg de densité énergétique, la voiture n’a tout simplement pas besoin d’une optimisation supplémentaire du rapport énergie/poids des batteries qu’elle emploie. Le dernier segment de croissance de la densité énergétique (des 500 à 600 Wh/kg), n’incarne pas ainsi à court terme un impératif industriel pour le développement des ADAVEs urbains civils, qui auront déjà à charge le poids de la recherche et du développement du segment des 300 à 400 Wh/kg. À long terme, ce dernier segment à 600 Wh/kg pourrait se révéler déterminant pour le transport tout-électrique interurbain et pour concrétiser des applications militaires.
- La capacité de charge et de décharge des batteries : pour réaliser une offre « à la demande », la capacité de dé-charge et de chargement de la batterie se doit d’être ré-active et continue pour ne pas dépasser les 16 minutes de « plein » prévues par Uber, soit répondre à une norme dite des « 3C ». C’est trois fois la capacité nominale de chaque cellule électrique à se charger et à se décharger et implique donc une usure importante de la batterie dans son ensemble. Il faut également prendre en compte l’absence d’équation de distance « Breguet » : une batte-rie ne s’allège pas au fur et à mesure de sa consommation au contraire des carburants classiques avec autant de perte de masse utile pour l’appareil.
- Le « coût » de l’énergie : il est estimé que les 100 $/kWh sont la cible à atteindre pour garantir la parité avec les véhicules thermiques. Or, en 2016, malgré des baisses importantes, les batteries Li-ion étaient encore évaluées à 273 $/kWh. Ce problème d’accessibilité des batteries lithium-ion se voit compliqué par le monopole asiatique des ressources nécessaires en « terres rares » pour les fabriquer, ce qui rend la filière ADAVE particulièrement vulnérable aux tensions géopolitiques.
Une solution alternative et « propre » existe avec l’hydrogène bien qu’il pose d’importants problèmes de sécurité et de ravitaillement des infrastructures. L’entreprise Hypoint propose ainsi une pile à combustion d’une densité énergétique de 530 Wh/kg et développe une « turbo air-cooled fuel cell » où l’air est comprimé par une conduite d’air pour mieux refroidir la pile, qui devrait ainsi atteindre quelques 960 Wh/kg de densité énergétiqueBrian Garrett-Glaser, « Will Hydrogen Fuel Cells Play a Role in the VTOL Revolution », Avionics International, 16 avril 2020 et pour la science fondamentale, lire M. Husemann, C. Glaser et E. Stumpf, Assessment of a Fuel Cell Powered Air Taxi In Urban Flight Conditions, Institute of Aerospace Systems, 11 janvier 2019. .
Un design encore embryonnaire
Deuxième point, le choix du design n’est pas encore stabilisé. Il en existe 4 à 5 types différents. Ceux à poussée orientable (vectored thrust) ou tiltrotors, ceux à sustentation et vol horizontal (lift + cruise), ceux sans voilures ou multicoptères (Wingless – Multicopter), les hélicoptères tout électrique (electric rotorcraft) et, enfin, les divers designs dits « hybrides ». Le compromis technique est le suivant : les multicoptères, quadcoptères, hélicoptères utilisent leur pro-pulsion verticale pour se mouvoir en avant alors que les tiltrotors et autres aéronefs convertibles spécialisent leur méthode de propulsion selon les phases de décollage, d’atterrissage et de vol. Si le premier design assure une « poussée » plus forte et procure donc un comportement plus stable à l’appareil, gage de sécurité, il est moins performant en termes de vitesse de déplacement horizontal. Il semble, par conséquent, le choix idéal pour l’aéromobilité intra-urbaine sur les distances les plus courtes de type Air-Taxis. Le second design est le reflet inversé du précédent : son efficacité en vol stationnaire est moins grande mais il évolue plus vite une fois en vol horizontal bien qu’il génère plus de bruit et nécessitera donc des infrastructures plus conséquentes pour son atterrissage et décollage. Il semble ainsi plus à même d’incarner le design des services de navettes entre les aéroports et les centres urbains, des Air Metros, voire pour des trajets intercités.
La performance de ces designs s’évalue en termes de charge et de finesse des rotors (lift to drag ratio) de l’appareil. Selon une étude de faisabilité commandée par la Vertical Flight Society et la NASA en 2018Anubhav Datta, Commercial Intra-city On-Demand Electri-VTOL. Status of Technology, Hs/Nari Transformative Vertical Flight Working Group-2 Report, University of Maryland, 15 janvier 2018. , les critères d’Uber sont irréalistes en l’état actuel, à moins d’un allègement de la masse des aéronefs de 10 à 20% et une amélioration de la finesse des rotors. En effet, un tiltrotors à 350 km/h aura une finesse 7, un hélicoptère à 200 km/h obtiendra une finesse 5. Or, selon les critères d’Uber, les aéronefs devront atteindre une finesse de 13 à 17 pour les vitesses envisagées ce qui, en termes de performances, n’est pour l’instant atteint que par des aéronefs classiques en configuration tube et ailes tels que les appareils : A320 et B737.
Les promesses des Aéronefs à Décollage Vertical Electriques sont celles finalement de l’hélicoptère en ville dont ils assurent être la version propre, silencieuse, moins chère et plus sûre. Ils risquent cependant de reproduire les mêmes travers par le gigantisme des flottes d’appareils envisagées pour réaliser les économies d’échelle et nourrir l’innovation technologique vitale à l’optimisation de leurs performances tech-niques. À titre de comparaison, le crash d’un seul hélicoptère Sikorsky en 1977 à New York avait suffi à geler, voire à con-damner, l’essor du marché du transport aérien intra-urbain.
Si les ADAVEs réussissaient à respecter le même standard de sécurité qu’un avion classique – une défaillance par million d’heures de vol – ils s’exposeraient, une fois rapporté au volume d’opérations prévues pour être rentable, soit quelques 50 000 aéronefs volant 3 000 heures par an, à plus de 150 accidents annuels. La stratégie d’Uber, d’un abaisse-ment de ces standards de sécurité pour rendre l’industrie viable, fissure déjà son projet Elevate. Les constructeurs, avec en chef de file Bell, non-satisfaits d’être réduits à la production du hardware des écosystèmes de mobilité à la de-mande, ont saisi l’argument de la fiabilité des machines pour proposer leur propre infrastructure digitale, à l’instar de l’application AerOS de Bell, présentée au CES de 2020Brian Garett-Glaser, « Bell Expands Air Taxi Play : AerOS, Digital Infrastructure and All-Electric Nexus », Avionics Inter-national, 6 janvier 2020. .
Alors que beaucoup s’inquiétait déjà d’une bulle spéculative, le brutal coup d’arrêt porté à l’économie par la crise du COVID-19 risque de priver ce marché d’une partie des investissements de l’industrie aéronautique. Le soutien de la puissance publique américaine, à travers le programme de la NASA et maintenant de l’US Air Force, apparaît déterminant à double titre, d’abord pour préserver cette industrie naissante de la conjoncture dégradée, mais surtout pour assurer sa transformation de marché pour VIP en véritable service de masse aux applications collectives. Les orientations de la NASA révèlent qu’au-delà d’une certaine superficialité, l’investissement de la troisième dimension par des appareils ADAVEs, pour désenclaver les centres urbains, représente une solution crédible pour la fin de la prochaine décennie.
Les programmes militaires de l’US Air Force et des Marines démontrent quant à eux, que le besoin d’aéronefs compacts, agiles et potentiellement consommables sous une forme dronisée pour manoeuvrer dans les « canyons urbains » n’est pas redondant ni concurrent avec les programmes de revalorisation de l’aéromobilité mais qu’au contraire, ils en incarnent le segment complémentaire pour répondre avec agilité aux situations d’imbrications tactiques. La Révolution « eVTOL » impulsée par Uber peut ainsi éclater ; ses applications civiles comme militaires apparaissent aussi réelles qu’essentielles.
La « révolution » des aéronefs à décollage vertical électriques : les taxi-volants comme revalorisation d’une aéromobilité tactique délaissée par l’hélicoptère ?
Vincent Tourret, DEFENSE&Industries n°14, juin 2020
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