Notes de la FRS

Filières robotiques civile et de défense françaises : des liens à affermir

Les marchés de la robotique, en particulier de service, affichent des progressions intéressantes, qui ont, selon toute vraisemblance, vocation à se prolonger dans le temps. Ils sont notamment de plus en plus sous-tendus par les applications personnelles et domestiques. Les appareils tendent à entrer progressivement dans les différentes sphères du quotidien : au travail, comme aides au domicile, mais également en tant que systèmes ludiques. De nombreux travaux sont ainsi menés pour étendre les champs d'application des machines : de plus en plus de programmes de recherche et d'expérimentations sont lancés pour assurer, entre autres, le développement de robots thérapeutiques (robots de compagnie pour les malades ou aidant à la rééducation fonctionnelle), d’assistance aux personnes en perte d’autonomie (en particulier les personnes âgées) et éducatifs.

Dans le secteur manufacturier, les robots de production - facteur de productivité pour les entreprises - sont en train d'évoluer. La plupart des machines des premières générations étaient fixes ou mobiles sur des rails. L'objectif est désormais de proposer des systèmes bénéficiant de plus de mobilité et de dextérité. Les nouveaux ne seront plus simplement plus endurants, précis, puissants ou rapides que l’homme ; ils seront également capables d’une certaine adaptabilité. Dans les grandes industries, le besoin de fabriquer en masse des produits ayant une durée de vie assez longue (comme les voitures) va continuer d’exister. Les plates-formes qui les réalisent ne seront toutefois pas toutes adaptées aux demandes de certaines PME/PMI. Celles-ci vont avoir besoin de robots capables de réaliser des tâches plus variées et sophistiquées que le positionnement de pièces (« pick-and-place »), le vissage ou la soudure, et plus facilement reprogrammables. Ce besoin pourra notamment impliquer un travail coopératif et coordonné entre robots et humains.

Pour accompagner ces évolutions et en bénéficier, la filière robotique française dispose de certains points forts. Elle connaît également des faiblesses. Ses caractéristiques sont désormais bien connues, notamment grâce à la publication de quelques rapports d'évaluation récentsErdyn Consultants, "Le développement industriel futur de la robotique personnelle et de service en France", juin 2012, (au profit du Pipame - DGCIS) ; Xerfi, "La robotique en France. Robotique industrielle et de service : analyse du jeu concurrentiel et perspectives du marché à l'horizon 2020", juin 2015..

Une filière innovante aux structures de R&D diverses et complémentaires

La France possède une recherche académique - théorique et appliquée - de haut niveau, au sein notamment des universités et des établissements d'enseignement supérieur, du CNRS et de certaines structures publiques et parapubliques. Le développement de centres dédiés à la robotique a été relativement précoce dans notre pays : dès les années 1970, différents organismes ont été créés qui, encore aujourd'hui, constituent des structures d'excellence (comme l'IRIA, devenu l'INRIA, ou le LAAS). Les techniciens supérieurs et les chercheurs travaillant en robotique sont relativement nombreux dans notre pays (plusieurs centaines) et impliqués dans les différents domaines constitutifs de la discipline (capteurs, représentation spatiale et cartographie, relation homme-machine, communication entre plateformes, algorithmique,...). La France dispose également d'un réseau de PME/PMI très innovantes, en particulier en robotique humanoïde et dans le développement des applications de service et domestiques. Certaines sont anciennes, créées dès les années 1970 et 1980 (comme Robosoft) - parfois comme excroissances de centres de recherche académiques ; d'autres sont apparues plus récemment (années 2000). Généralement impliquées dans des marchés de niches, beaucoup d'entre elles réalisent des robots "sur mesure".

Des capacités de production et une intégration encore trop limitées

Les limites de la filière sont toutefois nombreuses. Tout d’abord, elle ne peut s’appuyer sur l’apport d'entreprises de production de robots industriels. Les firmes construisant des systèmes pour le secteur manufacturier ont été assez largement démantelées en France. Dans les années 1980, les premiers centres de recherche et PME du domaine avaient été rejoints par quelques acteurs s'étant positionnés sur le marché de la robotique industrielle. Malheureusement, les grands groupes n’ont pas poursuivi leurs efforts initiaux. La filière a ainsi décliné et a quasiment disparu une quinzaine d’années seulement après sa création. La plupart des entreprises spécialisées des grands groupes français – comme Renault Automation – ont été rachetées par des acteurs étrangers (en particulier l’helvético-suédois ABB ou l’italien COMAU). Or, comme les exemples allemands et japonais le montrent, disposer d'entreprises de production de robots industriels est un avantage pour développer les autres types de robotique.

Par ailleurs, les PME/PMI françaises du secteur - en nombre relativement réduit - éprouvent des difficultés à se développer. En dehors des firmes du domaine de l’armement, la plupart des entreprises se sont ainsi spécialisées dans la valorisation des travaux de laboratoires et des recherches académiques. Elles connaissent d’énormes difficultés à transformer leurs réalisations en véritables projets commerciaux. Il semble qu’elles aient développé une culture bien plus tournée vers l’excellence technologique que vers la recherche de débouchés commerciaux. Elles produisent donc souvent des séries courtes (ce qui ne favorise pas les économies d’échelle) et ne parviennent que rarement à franchir l’étape de la production industrielle. Les PME françaises disposant d’une masse critique pour atteindre un stade industriel sur de multiples marchés sont en réalité très peu nombreuses.

Ces manques expliquent qu’elles éprouvent de réelles difficultés à lever des capitaux pour se développer. Les distributeurs sont relativement rares en France. Surtout, les marchés, pourtant en développement, de la robotique domestique et personnelle attirent relativement peu de financements privés. Le capital-risque français ne s’est pas encore véritablement tourné vers le secteur. Il existe certes quelques incubateurs spécialisés, dont l'une des fonctions est justement de mettre en rapport les start-ups avec les quelques industriels capables de produire à grande échelle. De même quelques fonds d’investissement nationaux s’intéressent désormais au domaine, afin notamment d’assurer la levée des capitaux pour les programmes de R&D et le transfert vers la production industrielle. Mais ils sont encore très peu nombreux et manquent de moyens financiers. Robolution Capital a, par exemple, été créé en 2012 pour favoriser les développements industriels de la robotique en France. En 2015, il ne disposait que d’une enveloppe de 80 millions d’euros.

La situation actuelle génère des risques réels. L’un des principaux est la captation de la technologie par des acteurs étrangers, qui peuvent facilement racheter les PME françaises puis transférer leurs savoir-faire. Un autre est bien évidemment la disparition de ces mêmes entreprises, faute d’une rentabilité suffisante et de véritables perspectives de développement.

Pour un rapprochement plus affirmé des producteurs de défense et des acteurs de la robotique civile

Les capacités industrielles existent pourtant en France. Les principaux groupes du secteur de l'armement (Dassault Aviation, Safran/Sagem, Thales, DCNS, Nexter et ECA Group) ont développé des compétences, parfois depuis les années 1980. Ils disposent de services de R&D, de lignes de production et de capacités de financement. Pour certains, ils ont même très clairement accentué leurs efforts depuis le début des années 2000, la demande en robots militaires n'ayant cessé de croître - et ce pour tous les milieux opérationnels. La création, au sein de Nexter Technologies, d'une filiale dédiée (Nexter Robotics), en 2013, est l'une des illustrations de ce plus grand intérêtIntérêt restant toutefois limité. Nexter Robotics ne disposait ainsi que d'une dizaine de salariés en 2015..

Pour la plupart, ces acteurs se sont toutefois positionnés sur des secteurs particuliers : drones, robots sous-marins, robots d’intervention terrestres, systèmes de déminage,… Au sein de leurs portefeuilles d’activités, la robotique est rarement un secteur de grande importance. Surtout, aucun d'entre eux n’a encore véritablement développé d’activités dans les autres types de robotique (production industrielle, de service,...). Les grands groupes de l'armement, d'un côté, et les PME/PMI et autres start-ups, de l'autre, semblent encore assez largement évoluer en silo – alors même que de nombreux développements techniques et technologiques sont communs aux différents types de robotiques.

Quelques initiatives récentes attestent cependant de progrès dans la mise en place de liens entre ces catégories d'acteurs. Parmi celles-ci, la décision, en juillet 2015, d'ECA Group de participer au capital de la start-up parisienne Wandercraft, leader en matière d’exosquelettes médicaux, et la naissance d'une joint-venture entre les deux entreprises. Cette nouvelle structure doit permettre le développement de robots destinés au soutien des missions de défense et de sécurité grâce aux savoir-faire de Wandercraft en matière de robotique humanoïde et aux compétences d’ECA en robotique mobile. De même, Nexter Robotics avait acquis, en 2013, la PME Wifibot, considérée comme un expert dans la conception de robots de R&D à bas coûts.

Le développement du secteur robotique français ne dépend bien évidemment pas que du rapprochement entre les groupes de la défense et les autres acteurs. Entre autres apports, il nécessite également une plus grande structuration. En Allemagne et au Japon notamment, des politiques de clusters thématiques ont été mises en place, relativement précocement, au niveau national, qui ont permis de créer de fortes synergies entre les différents types d'intervenants de la filière robotique. En France, cette convergence a essentiellement été prise en charge au niveau des pôles de compétitivité - c'est-à-dire à l'échelon régional. Il semble qu'il existe encore un manque de structures de coordination pour le pays entier.

Dans ces deux domaines - rapprochement des industriels de la défense avec les autres catégories d'acteurs de la filière et création de structures permettant une intégration plus poussée au niveau national - les pouvoirs publics ont sans doute un rôle à jouer.