Kyoko Kuwahara
27 janvier 2023 Version PDf
Kyoko Kuwahara est spécialisée dans la diplomatie publique, la désinformation et les stratégies de soft power. Elle est chargée de recherche à l’Institut japonais des affaires internationales (JIIA), et chercheuse invitée à l’Institut Macdonald-Laurier (MLI). Elle a travaillé au Bureau du Hub de communication stratégique du ministère des Affaires étrangères du Japon en 2018-2019 avant de rejoindre le JIIA. Ses livres récemment publiés portent sur la diplomatie publique et la désinformation.
Question 1 : La diplomatie publique est un élément important de la communication, y a-t-il une différence avec la propagande ?
Il existe différents points de vue sur la différence entre la diplomatie publique et la propagande. De nombreux spécialistes confondent diplomatie publique et propagande. Par exemple, Ben D. Mor définit la diplomatie publique comme une méthode stratégique et tactique tout en l’assimilant à la propagande. Pour sa part, Mark J. Davidson soutient que la diplomatie publique n’est pas de la propagande car elle est menée avec transparence et de bonne foi.
Le Japon met en œuvre une politique ambitieuse de diplomatie publique depuis la deuxième administration Abe. Il est essentiel de noter qu’il existe plusieurs formes de diplomatie publique : l’écoute, le plaidoyer, la diplomatie culturelle, la diplomatie d’échange, et la radiodiffusion internationale. Le plaidoyer et la radiodiffusion internationale en particulier peuvent être perçus comme de la « propagande » selon le contenu et la façon dont ils sont reçus par le public. Dans ce contexte, l’écoute est une forme importante pour la diplomatie publique. Si nous n’écoutons pas le public et ne faisons pas d’efforts pour comprendre ses intérêts et ses besoins tout en croyant développer une diplomatie publique, celle-ci sera perçue comme de la propagande et le résultat sera contre-productif.
Question 2 : Quelle est l’importance de la diplomatie publique pour les démocraties ?
La diplomatie publique est un outil diplomatique important pour tous les États, non seulement pour les démocraties mais aussi pour les « non-démocraties ». Le Japon, la France et même la Chine, par exemple, ainsi que d’autres pays, ont développé le soft power, qui vise à faire en sorte que leur pays soit perçu comme « attrayant » par le public d’autres pays et, par conséquent, contribue à renforcer les opinions positives ou, finalement, la confiance envers le pays. Le soft power, qui est également une forme importante de pouvoir lorsqu’il s’agit de diplomatie publique, peut aider les pays, qu’ils soient démocratiques ou non, à promouvoir davantage la compréhension mutuelle ou à renforcer la cohésion. Même lorsque des relations bilatérales sont froides sur le plan diplomatique, ou même au milieu de conflits permanents concernant le territoire, la souveraineté et la reconnaissance historique par exemple, des échanges culturels et personnels continus utilisant le soft power au niveau de la société civile sont essentiels pour les relations futures entre les deux pays et même pour la paix et la stabilité régionales.
En ce sens, la diplomatie publique n’est pas limitée aux démocraties, et pourrait être un outil diplomatique attrayant pouvant servir de pierre angulaire pour la résolution des problèmes et l’approfondissement de la compréhension mutuelle, quel que soit le système politique. À l’heure où le monde est parfois décrit comme un affrontement entre pays démocratiques et pays autoritaires, la diplomatie publique mérite une attention renouvelée.
Question 3 : Comment la diplomatie publique peut-elle contribuer à la lutte contre les fake news et les opérations d’influence, et est-elle efficace ?
La diplomatie publique, même si l’utilisateur n’en a pas l’intention, peut parfois être perçue comme de la simple propagande si elle est trop complaisante et intéressée, et pourrait être considérée comme un exercice d’opérations d’influence par d’autres. Si cela se produit, la diplomatie publique deviendra rapidement contre-productive.
Pendant la Guerre froide, un diplomate américain a proposé le concept de diplomatie publique en pensant que l’ère à venir exigerait une approche diplomatique plus transparente et plus positive que la propagande. Toutefois, avec la mondialisation et le développement rapide des technologies de communication, la désinformation et la mésinformation sont devenues plus répandues dans l’espace d’information, de sorte que les gens ont du mal à discerner ce qui est vrai de ce qui est faux. La diplomatie publique peut elle-même devenir une arme pour accuser ou nier les autres si elle est pratiquée de manière erronée, mais d’un autre côté, elle peut être un moyen d’empêcher l’incompréhension des personnes touchées par cette désinformation.
Si nous ne perdons pas de vue la véritable signification de la diplomatie publique, et si nous le faisons bien, elle peut finalement devenir une force qui permet aux publics cibles à l’étranger de discerner l’authenticité de l’information en se basant sur leur propre compréhension et expérience développées par la diplomatie publique. En ce sens, la diplomatie publique ne peut pas directement arrêter ou prévenir la menace de la désinformation, et si elle tourne mal, elle peut aussi devenir un moyen d’opérations d’influence. Mais la diplomatie publique demeure un moyen de fournir à l’opinion publique des éléments qui réduisent indirectement l’impact de la désinformation à l’ère des médias sociaux.