Notes de la FRS

L’avenir des relations de sécurité entre le Japon et l’Australie

Publication générique pour un programme/observatoire n°00/2024
Akiko Fukushima
14 février 2024 Version PDf

Akiko Fukushima, PhD, Senior Fellow, Fondation de Tokyo pour la recherche politique

 

Question 1 : Comment les relations de sécurité entre le Japon et l’Australie contribuent-elles à la stabilité régionale dans la région Indo-Pacifique et au-delà ?

Dans la région Indo-Pacifique, on constate une diversification des menaces, qui vont du développement des armes de destruction massive/chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires de la Corée du Nord aux actions de plus en plus agressives de la Chine dans les mers de Chine orientale et méridionale, en passant par le renforcement de la coopération militaire entre la Chine, la Russie et la Corée du Nord sur une base bilatérale, et les menaces dans de nouveaux domaines tels que la cybernétique et l’espace. Après l’attaque du Hamas contre Israël et la contre-attaque israélienne depuis octobre 2023, la sécurité maritime de l’Indo-Pacifique est encore plus menacée, par exemple dans le golfe d’Aden avec l’attaque des navires marchands par les Houthis et la contre-attaque américano-britannique contre leurs bases, qui pourrait étendre les conflits au Moyen-Orient. Compte tenu de l’instabilité dans le Golfe, la plupart des navires marchands en provenance et à destination de l’Indo-Pacifique sont contraints d’éviter la mer Rouge, ce qui affecte les chaînes d’approvisionnement. Les menaces qui se développent en Ukraine, à Gaza, en Iran et peut-être dans l’Indo-Pacifique, ainsi que leurs ramifications, sont plus interconnectées que jamais. Elles renforcent les inquiétudes concernant la stabilité de la région Indo-Pacifique et concernent de plus en plus directement la sécurité nationale des pays de la région.

Face à ces menaces et défis sécuritaires croissants, les États-Unis jouent un rôle central grâce à leurs déploiements avancés et à leurs capacités de dissuasion étendues et intégrées dans la région Indo-Pacifique. Les alliés des États-Unis dans la région renforcent également leur préparation en matière de sécurité en coopérant étroitement avec les États-Unis. Au cours des deux dernières décennies, le rôle du Japon et de l’Australie dans la stabilité de la région s’est encore accentué. Cela se reflète dans les changements apportés à leurs politiques de sécurité respectives et dans leurs relations bilatérales en matière de sécurité. En 2015, le Japon a révisé son interprétation de l’article 9 de la Constitution concernant la défense collective avec les États-Unis et ses alliés et a décidé de se doter de capacités de contre-attaque dans sa stratégie de sécurité nationale publiée en 2022. De son côté, l’Australie a réduit son délai d’alerte officiel, qui est « le calcul par le gouvernement de la fenêtre dont dispose le pays avant une éventuelle attaque significative » – de dix ans à un délai immédiat.

En réalité, le Japon et l’Australie coopèrent au niveau régional depuis 1978. Le Premier ministre japonais de l’époque, Ohira Masayoshi, avait proposé une coopération économique régionale dans la région du Pacifique. La réunion de suivi s’est tenue à Canberra, en Australie, en 1980. Cela a conduit aux réunions du Conseil de coopération économique du Pacifique (CCEP) au niveau 1,5. Capitalisant sur l’expérience du PECC, le Japon et l’Australie ont lancé la coopération économique Asie-Pacifique (APEC) au niveau 1 après la fin de la Guerre froide, au mois de novembre 1989, lorsque le mur de Berlin s’est effondré. Depuis lors, les deux pays ont mené et promu la coopération régionale dans l’Asie-Pacifique en impliquant les États-Unis dans la coopération économique.

La coopération en matière de sécurité est venue ensuite. Le Japon et l’Australie avaient des perceptions différentes de la sécurité en raison de leur éloignement géographique par rapport aux menaces régionales. Toutefois, ces différences se sont récemment atténuées en raison des préoccupations croissantes en matière de sécurité dans la région, en dépit de de la géographie, et en raison de la frontière de plus en plus floue entre menaces militaires et non militaires. C’est ce qui a conduit le Japon et l’Australie à coopérer sur le plan de la sécurité. Après le 11 septembre 2001, le Japon et l’Australie ont coopéré avec les États-Unis dans le cadre de l’opération Enduring Freedom en Afghanistan. Les deux forces de défense, c’est-à-dire les forces d’autodéfense japonaises et les forces de défense australiennes, ont travaillé côte à côte à Samawah, en Irak, lorsqu’elles ont toutes deux envoyé des forces pour la consolidation de la paix et la reconstruction. Ces efforts en tant qu’alliés des États-Unis ont ensuite conduit à la déclaration conjointe Japon-Australie sur la coopération en matière de sécurité en 2007.

Afin de rendre leur coopération opérationnelle, le Japon et l’Australie ont conclu en mars 2013 un accord sur la sécurité de l’information portant sur le partage d’informations classifiées. La coopération bilatérale en matière de sécurité vise à assurer la stabilité de la région Indo-Pacifique, comme cela a été explicitement mentionné lors de l’accord sur le partenariat stratégique spécial en 2014, qui reflète les intérêts des deux pays. L’Australie a identifié l’Indo-Pacifique comme une région directement liée à sa sécurité dans son Livre blanc de 2012, tandis que cette région est un élément clé de la politique étrangère du Japon depuis 2017.

En outre, dans la dernière déclaration conjointe sur la coopération en matière de sécurité en 2022, le Japon et l’Australie ont défini les modalités de leur coopération en vue d’un Indo-Pacifique libre et ouvert (FOIP). La même année, le Japon et l’Australie ont également signé l’accord d’accès réciproque (RAA) qui établit des procédures pour les forces en visite et accélère la coopération entre les deux forces de défense. Le RAA allège le fardeau de la formation et des exercices militaires conjoints dans chaque pays en assouplissant les contrôles d’immigration pour les troupes et en simplifiant les procédures de transport d’armes et de munitions. Il permet également aux deux forces de s’entraider en cas de catastrophe naturelle. Le Japon et l’Australie ont aussi organisé des exercices bilatéraux, trilatéraux et multilatéraux plus sophistiqués et promu l’utilisation mutuelle des installations militaires, y compris la maintenance et la protection de ces installations. Ces opérations contribuent à renforcer l’interopérabilité, les liens personnels et la confiance entre les deux forces de défense. La coopération bilatérale s’étend au renseignement, à la surveillance et à la reconnaissance ; elle s’exprime également dans le cadre de l’assistance au renforcement des capacités des partenaires régionaux.

Le Japon et l’Australie sont pleinement conscients que toute faille dans leur solidarité ou un manque d’attention à l’égard des risques potentiels pour la sécurité dans la région inciteraient les acteurs désireux de modifier le statu quo à agir. Compte tenu de l’interconnexion des risques sécuritaires mentionnée ci-dessus, les relations de sécurité entre le Japon et l’Australie contribuent à renforcer la stabilité dans la région et au-delà.