Mohamed Ben Lamma
20 septembre 2017 Version PDf
La Libye s’est construite, bon gré mal gré, autour d’un caractère tribal et régional. La tribu joue en effet un rôle clé dans la formation de la carte des loyautés et des affiliations. Tout au long du processus d’édification de l’État par le colonisateur italien, britannique et français, puis pendant la monarchie de courte durée du roi Sanusi et enfin lors de la présidence de Kadhafi, les structures tribales ont prévalu. Elles jouent assurément un rôle plus important que jamais dans la vie quotidienne des Libyens. Si la confrérie Senoussi a pu prendre racine dans l’Est libyen à l’époque de l’Empire ottoman par exemple, puis jouer un rôle majeur dans la résistance à la colonisation italienne, c’est parce qu’elle a été capable de se greffer sur le réseau tribal existant.
Ce système a survécu jusqu’à l’indépendance de la Libye en 1951 et au règne d’Idris qui avait davantage besoin d’alliances tribales pour lui donner une légitimité. Le régime de Kadhafi a travaillé à revigorer l’efficacité des alliances tribales en même temps qu’il s’efforçait d’activer le rôle de l’idéologie en façonnant non seulement les structures politiques, mais aussi la structure tribale. Le conflit libyen de 2011 pose la question de la place du tribalisme et plus généralement celle de la référence aux liens de solidarité primordiale. En suppléant au système institutionnel, la tribu a joué un rôle déterminant pour organiser les réseaux de solidarité et assurer la protection des personnes quand les structures de gouvernance de l’ancien régime se sont effondrées. Elle a repris et réinventé leur rôle dans la sphère publique, y compris dans les domaines de la justice et de la sécurité, dans la gestion et la résolution des conflits.
La contextualisation du tribalisme libyen est donc importante pour une bonne compréhension des événements actuels, de leur cours à venir, de la signification historique des tribus dans la structure de l’État libyen ou de l’héritage d’un colonel Kadhafi respectueux de l’identité tribale. Les questions qui s’imposent sont de savoir si les structures tribales ont entravé l’édification de l’État en Libye. Quel rôle pour les tribus dans la nouvelle Libye ? Le sujet est d’autant plus crucial que la société internationale, misant tout sur un fragile gouvernement d’entente nationale, semble peiner à comprendre la dimension majeure que peut jouer la composante tribale en Libye. Pourtant, c’est un fait indiscutable : dans cette Libye à reconstruire de fond en comble, rien ne semble pouvoir se faire sans prise en compte de ce particularisme.
Cette étude se veut une analyse de la façon dont la structure tribale en Libye favorise ou empêche la création d’un nouvel État après la chute de régime de Kadhafi en 2011 et prétend avancer dans la compréhension de la signification et des limites de la politique tribale dans la Libye post-Kadhafi.