Renad Mansour
Alia Al-Kadi
9 juillet 2018 Version PDf
Introduction
Dans sa déclaration du 10 juillet 2017 à Mossoul, le Premier ministre irakien, Haider AlAbadi, a déclaré victoire contre le groupe de l’État islamique, qui mettrait enfin un terme à « l’État terroriste du mensonge ». Le choix de cette ville du Nord de l’Irak pour cette déclaration est symbolique, dans la mesure où elle avait été choisie par l’EI pour annoncer son prétendu « califat ».
Malgré la déclaration, Mossoul fait toujours face à des défis. Cette ville, longtemps assiégée par l’État islamique, subit encore aujourd’hui les effets de cette occupation, auxquels s’ajoutent les répercussions de sa libération dévastatrice. Nombreux sont les quartiers de Mossoul qui ont été réduits en ruines, leur restauration et leur reconstruction dans les années à venir seront loin d’être évidentes. En août 2017, la coordinatrice humanitaire de l’ONU, Lisa Grande, qualifiait Mossoul du « plus grand défi » de stabilisation (du point de vue de son échelle, de sa complexité et de l’étendue des dégâts) auquel l’organisation « a été confrontée »AFP, « Iraq faces vast challenges securing, rebuilding Mosul », 3 août, 2017, http://www.al-moni-tor.com/pulse/afp/2017/08/iraq-conflict-reconstructi…. Le long processus pour se relever est toujours embryonnaire, près d’un an après la défaite de l’État islamique et son expulsion définitive de la ville. D’ailleurs, on peut observer le contraste en termes de développement, entre l’est et l’ouest de la ville. La partie est a montré quelques signes de récupération en tentant de redevenir un centre économique, tandis que la partie ouest demeure déserte et fortement marquée par des luttes intenses.
La lutte militaire pour l’éradication de l’État islamique en Irak n’a pas encore pris en compte les causes profondes qui ont ouvert la voie à son émergence et qui résident principalement dans la fragilité de l’État irakien post-2003. Le sort de Mossoul est capital, sachant qu’il s’agit de la plus grande ville majoritairement sunnite en Irak, et d’un symbole de la réintégration de cette minorité marginalisée dans un ensemble irakien plus vaste. Si l’on ne tire pas les enseignements de la marginalisation des Sunnites et de la communautarisation accrue en Irak depuis 2003, une entité similaire à l’EI verra très probablement le jour dans les villes sunnites ou disputées. D’autant plus que partout en Irak, les clivages et les tensions au sein des communautés elles-mêmes sont devenus tout aussi notables que les conflits entre les différents groupes ethno-confessionnels, au point que certains décrivent une évolution de la politique : auparavant basée sur l’identitéFaleh A. Jabar, « From Identity Politics to Issue Politics – The Iraqi Protest Movement. The End of Conformity, the Beginning of Accountability », 28 janvier 2017, http://iraqieconomists.net/en/2017/01/28/from-identity-politics-to-issu…, elle serait de plus en plus fondée sur des enjeux concrets et rationnels. Nombreux sont les habitants de Mossoul qui considèrent, par exemple, que le décalage entre l’élite et le reste de la population est devenu bien plus problématique que celui entre les différentes communautés.
C’est pourquoi cette étude soutient l’idée qu’une victoire durable sur l’État islamique à Mossoul ne pourrait être envisagée sans que des défis sur les court et long termes ne soient identifiés et résolus. Sur le court terme, il s’agit de la reconstruction, du relogement de la population, du retour des déplacés et du rétablissement de la sécurité. Les défis sur le long terme, en revanche, englobent la représentation politique, la corruption, la fragmentation du champ sécuritaire irakien ainsi que la fin des divisions ethno-confessionnelles et la réconciliation de la population de MossoulPour un débat plus complet sur la stabilisation dans les zones libérées, voir : Renad Mansour, « Rebuilding the Iraqi State: Stabilisation, Governance, and Reconciliation », European Parliament’s Committee on Foreign Affairs, 15 décembre 2017, disponible sur : http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2017/603859/EXPO_STU(…. Pour finir, quelques défis resteront insurmontables tant que les gouvernements locaux et fédéral ne les auront pas saisis. Alors seulement pourra commencer la reconstruction de l’État irakien.
La présente recherche est issue d’une étude de terrain à Mossoul en mars 2018, ainsi que de la correspondance téléphonique et par e-mail avec divers acteurs de la société civile dans la ville, issus principalement des secteurs politique, sécuritaire et économique.