Missile Defense Review : des réactions contrastées

La Missile Defense Review (MDR), parue le 17 janvier 2019, propose un certain nombre de développements, parmi lesquels la mise en place d’un système pour intercepter les missiles dans leur phase de décollage, l’amélioration des capacités des systèmes de défense antimissile existants (notamment Aegis pour lui permettre d’intercepter des ICBM), et l’augmentation du nombre d’intercepteurs installés en Californie et en Alaska. La parution de celle-ci s’est accompagnée d’une allocution du Président Donald Trump, dans laquelle il affirme, entre autres, que le rôle de la défense antimissile américaine est « d’assurer que nous [les États-Unis] pouvons détecter et détruire tout missile lancé contre les États-Unis – à toute heure et en tout lieu »Remarks by President Trump and Vice President Pence Announcing the Missile Defense Review, The White House, 17 janvier 2019. et que son pays va « reconnaître l’espace comme nouveau champ de bataille »Remarks by President Trump and Vice President Pence Announcing the Missile Defense Review, The White House, 17 janvier 2019.. Si les défenseurs de la Review invoquent la menace des développements technologiques des missiles russes et chinois comme responsable du caractère offensif du document présenté par la Maison Blanche il y a quelques semainesJoan Johnson-Freese and David T. Burbach, « The Best Defense Ever? Busting Myths About the Trump Administration’s Missile Defense Review », War on the Rocks, 6 février 2019., ses détracteurs redoutent une inévitable course aux armements dans l’espace. Le présent article se propose d’étudier la façon dont la Missile Defense Review de 2019 a été perçue à l’international.

Dans ce document, la Chine et la Russie sont aux côtés de l’Iran et de la Corée du Nord explicitement mentionnées comme des menaces directes pesant sur les États-Unis. Les deux États ont eu une réaction assez similaire à la sortie de la MDR : exprimant leur inquiétude qu’une vision si radicale de leurs avancements technologiques n’aboutisse à une véritable course aux armementsVoir par exemple : « Russia warns US missile defense plans will fuel arms race », The New York Times, 18 janvier 2019., ils appellent les États-Unis à conduire une politique plus raisonnable et moins belliqueuseVoir par exemple : « Russia warns US missile defense plans will fuel arms race », The New York Times, 18 janvier 2019.. Comparant la présente MDR au programme « Star Wars » de Reagan, le ministre des Affaires étrangères russe a désapprouvé les idées mises en avant dans celle-ci, expliquant que ses « provisions concernant le développement du segment spatial de la défense antimissile américaine étaient très inquiétantes »« Russian Foreign Ministry expresses concern over U.S.' plans to develop space segment of missile defense (Part 2) », Interfax, 18 janvier 2019., et que la « réalisation de [telles] idées [allait] nécessairement mener à une course aux armements dans l’espace »« Russian Foreign Ministry expresses concern over U.S.' plans to develop space segment of missile defense (Part 2) », Interfax, 18 janvier 2019.. À ce titre, la Russie encourage les États-Unis à maintenir un programme d’activités dans l’espace strictement pacifiqueVladimir Soldatkin, « Russia calls on U.S. to drop plans to deploy missiles in space », Reuters, 25 janvier 2019. et à s’engager dans un dialogue avec la Russie sur les questions du contrôle des armements« Russia warns US missile defense plans will fuel arms race », op. cit.. Pékin n’a pas fait de déclaration officielle sur la MDR. Certains commentateurs chinois, reconnaissant que les États-Unis disposent du système de défense antimissile le plus développé du monde, méprisent cependant le ton et les idées du texte, affirmant qu’il n’est qu’un outil pour donner l’illusion que les États-Unis dominent le monde, dans un contexte où ils ne peuvent plus, en vérité, assurer l’hégémonie sécuritaire à laquelle ils aspirent« US missile defense plan reveals illusion disguised as safety net », Global Times, 18 janvier 2019.. Mais pour d’autres, la Chine pourrait se laisser intimider par la rhétorique américaine exprimée dans le document et perdre confiance dans la capacité de ses armes nucléaires à dissuaderAnkit Panda, « Trump’s Missile Defense Review Will Be Read Closely in China », The Diplomat, 26 janvier 2019..

En Europe, les réactions ont été variées et concernaient la sphère académique. En Allemagne, des commentateurs ont condamné la MDR de peur qu’elle ne conduise à un retour à une course aux armements, comme pendant la Guerre FroideThomas Wiegold, « Missile Defense Review‘ der USA – und: Rückkehr zu Star Wars? », Augen Geradeaus, 18 janvier 2019.. Le discours du président Trump – mais, paradoxalement, pas le document lui-même –, a été accusé d’alimenter la « paranoïa russe »Oliver Meier, Twitter, 17 janvier 2019. à l’égard des États-Unis. Les éditorialistes ou experts ont souligné le coût de la mise en œuvre du programme tel qu’il est décrit dans le document, et interrogé l’efficacité d’un système consistant à installer en Pologne et en Roumanie des intercepteurs d’ICBM dirigés contre la Russie, car celle-ci pourrait, si elle le souhaitait, les contourner avec des missiles de moindre portéeGötz Neuneck, « Trumps Mauerphantasien jetzt auch im Weltall? Aktuelle Stellungnahme », IFSH News, 24 janvier 2019.. En Pologne, pays concerné au premier chef, un journaliste a exprimé de fortes inquiétudes par rapport au coût engendré et aux déclarations du Président Trump perçues comme les prémices d’une « militarisation » de l’espaceMaksymilian Dura, « USA: Militaryzacja kosmosu przeciwko rosyjskim i chińskim rakietom », Defence 24, 19 janvier 2019.. Un expert des questions militaires a appelé à une réouverture d’un dialogue avec la RussieRafał Ciastoń, « Powrót Gwiezdnych Wojen? », Polska Zbrojna, 30 janvier 2019.. L’article d’un ancien responsable des forces armées roumaines considère à l’inverse que la MDR, quoiqu’ambitieuse, est à la hauteur de la menace russe à laquelle elle doit faire face. Il espère d’ailleurs que les États-Unis ne vont pas se contenter d’appliquer leur programme sur le long terme, mais vont aussi prendre des mesures pour contrer la menace sur le court termeMircea Mocanu, « Directiva americană de apărare anti-rachetă - o reacţie pripită? », Monitorul Apărării și Securității, 26 janvier 2019.. D’un point de vue européen plus global, certains redoutent que le programme des États-Unis non seulement ne catalyse les tensions avec la Russie, mais également ne crée des divisions au sein de l’OTAN entre les pays soutenant leur position et ceux s’y opposant, d’autant plus que la défense antimissile de l’OTAN dépend énormément de celle de son pilier américainKatarzyna Kubiak, « Europe and Trump’s Missile Defense Policy », European Leadership Network, 23 janvier 2019..

En Asie, les réactions ont été variées mais dans l’ensemble plutôt positives. Côté indien, une coopération avec les États-Unis en matière de défense antimissile a été considérée comme envisageable et bénéfique pour les deux pays par Rajeswari Pillai RajagopalanRajeswari Pillai Rajagopalan, « Where Would India Fit in a Missile Defense Partnership in the Indo-Pacific? », The Diplomat, 24 janvier 2019.. Au Japon, impliqué directement dans le système de défense antimissile américain suite à l’achat du système Aegis Ashore, des opinions partagées ont été émises sur la question de la MDR. Si la plupart des commentateurs s’accordent à dire que la MDR en l’état est utopique voire dangereuse« 'Star Wars' missile defense remains a dangerous fantasy », Japan Times, 23 janvier 2019., certains soutiennent l’idée des États-Unis de solliciter davantage leurs alliés (dont le Japon) pour mettre en place un système de défense antimissile mondial efficace« 'Star Wars' missile defense remains a dangerous fantasy », Japan Times, 23 janvier 2019., tandis que d’autres craignent que le coût d’un tel investissement ne soit trop élevé et ne pèse lourdement sur la santé économique du pays« New U.S. missile defense strategy could launch space arms race », The Asahi Shimbun, 22 janvier 2019.. Enfin certains jugent que le Japon ne devrait pas céder aux politiques agressives de Washington et évoque le rôle pacificateur que devrait jouer le Japon dans ce type de situation« New U.S. missile defense strategy could launch space arms race », The Asahi Shimbun, 22 janvier 2019.. La Corée du Sud, quant à elle, est également clivée sur la question de la défense antimissile américaine. D’un côté, la peur de la Corée du Nord l’incite à suivre toute initiative américaine lui permettant de se protéger de sa voisine« [사설] '核 폐기' 멀어지고 韓美동맹 허무는 美北 거래 우려한다출처 :», Chosun Ilbo, 19 janvier 2019., mais de l’autre, l’installation du THAAD soulève des mécontentements. Un article américain publié en juillet 2018 rapportait, à cet égard, la mobilisation des habitants du village de Soseong-Ri, où le THAAD est installé, qui souffrent de nuisances sonores et écologiques, et craignent que la Corée du Nord ne s’attaque directement à leur villageJeongmin Kim, « 'No Nukes, No THAAD': South Korean Town Calls for Missile Defense Withdrawal », U.S. News and World Report, 5 juillet 2018..

Il est intéressant de constater les différences de perception selon la nationalité des commentateurs, mais également de noter que la Missile Defense Review a été jugée globalement agressive et déstabilisatrice par les auteurs et journalistes (au demeurant rares) en ayant parlé. Reste à savoir si ces préoccupations sont fondées ou si, comme le suggère Simon Petersen, elles sont dues à une désapprobation générale de la politique trumpienneSimon Petersen, Twitter, 18 janvier 2019..

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