Avangard : de nouvelles capacités pour la dissuasion stratégique russe ?
Observatoire de la dissuasion n°62
Emmanuelle Maitre,
février 2019
Le 1er mars 2018, Vladimir Poutine a vanté les avancées de la Russie en matière de missiles hypersoniques et pointé les progrès réalisés par le missile Avangard. Alors que le système a été mis en œuvre en 2018 et devrait être déployé en 2019, il est utile de s’interroger sur l’apport de cette capacité dans la stratégie de dissuasion russe.
Avangard est présenté comme un planeur hypersonique. Pour l’instant couplé à un RS-18/SS-19 qui lui sert de lanceur, il devrait à terme, être adapté au RS‑28 Sarmat.
Le missile Avangard est développé par la société NPO Mashinostroyenia Corporation. Il semble être hérité du projet 4202 lancé dès 1987 en réponse à l’Initiative pour la Défense Stratégique de Reagan. Repris à partir des années 2000, il a donné lieu à un vol de démonstration en 2004 qui a démontré sa capacité à percer les défenses adverses et à valider le concept au niveau politique. Une nouvelle série de tests ont eu lieu en 2011Pavel Podvig, « Russia’s Current Nuclear Modernization and Arms Control », Journal for Peace and Nuclear Disarmament, vol. 1, n°2, septembre 2018..
Le 26 décembre 2018, la Russie a réalisé un essai a priori réussi de l’Avangard. Selon les autorités, le véhicule aurait « voler à une vitesse hypersonique et réaliser des manœuvres horizontales et verticales » avant de toucher une cible fictive. La Russie a publié une vidéo de l’essai mais le planeur y est invisible, ce qui préserve le mystère sur ses caractéristiques physiquesAnkit Panda, « Russia Conducts Successful Flight-Test of Avangard Hypersonic Glide Vehicle », The Diplomat, 27 décembre 2018.. L’essai de 2018 a été accompagné d’une mise en scène importante. Le Président Poutine lui-même a donné l’ordre de tir et a présenté à la presse le résultat comme un « cadeau de Nouvel An merveilleux pour le pays »Anton Troianovski et Paul Sonne, « Russia is poised to add a new hypersonic nuclear-capable glider to its arsenal », The Washington Post, 26 décembre 2018.. En mars 2018, Vladimir Poutine avait insisté sur les prouesses techniques du missile, capable de s’imposer sur « n’importe quelle défense », de « manœuvrer sur plusieurs milliers de kilomètres » et de surmonter sans altération les températures de l’ordre de 1 600-2 000°CVladimir Poutine, Presidential Address to the Federal Assembly, Kremlin.ru, 1er mars 2018..
En décembre 2018, le commandant des Forces stratégiques de missiles russes Sergey Karakayev a indiqué que la division de missiles de Dombarovo recevrait son premier planeur Avangard, vraisemblablement monté sur un RS-18/SS-19 en 2019. Deux régiments devraient être équipés en 2027 de six systèmes chacunNikolai Novichkov, « Russia announces successful flight test of Avangard hypersonic glide vehicle », Jane’s Missiles & Rockets, 3 janvier 2019.. Pour rappel, le RS‑28 Sarmat devrait être déployé à partir de 2021« RS-28 Sarmat », Jane’s Strategic Weapon Systems, 19 novembre 2018..
En termes techniques, l’absence de données ou d’images du planeur empêche toute évaluation de ses capacités réelles et de son niveau d’innovation au regard de programmes concurrents chinois et américains. On ignore en particulier le rapport portance/traînée de l’Avangard. Ce rapport, déterminé par la masse du planeur, sa forme et l’angle d’attaque, est une donnée essentielle pour calculer la portée du véhicule en mode « planeur ». En effet, il est possible que l’Avangard effectue une large part de sa trajectoire en vol balistique et que la tête ne se sépare qu’à l’extrême fin du vol pour manœuvrer de manière limitée. À l’inverse, si le rapport portance/traînée est élevé, de l’ordre de ce qui était envisagé par le programme américain HTV‑2, le planeur pourrait poursuivre son vol sur plusieurs milliers de kilomètres.
Par ailleurs, la vitesse évoquée supérieure à Mach 25 correspond au moment de la réentrée mais on ignore quelle sera la vitesse du système sur les autres parties de son vol.
L’incertitude sur la longueur du vol plané mène à une seconde interrogation sur le degré de manœuvrabilité et de précision de l’arme. En effet, dans le cas d’un vol plané long, des techniques de guidage et de manœuvre extrêmement sophistiquées sont requises pour permettre une utilisation précise. Sans elles, le système ne pourrait être conçu que dans une mission nucléaireJames Acton, « Avangard: A Boost-Guide Primer », ACW Podcast, 23 janvier 2019..
En termes de maîtrise des armements, il sera intéressant de voir comment est répertorié l’Avangard. Suite aux négociations du Traité New Start, Washington avait indiqué qu’il considérait que les véhicules n’adoptant pas une trajectoire balistique sur une majorité de leur vol et en particulier les planeurs hypersoniques n’étaient pas limités par le New Start. Néanmoins, les États-Unis avaient alors en tête leurs propres programmes de missiles hypersoniques conventionnelsHyper-glide Delivery Systems and the Implications for Strategic Stability and Arms Reductions, James Martin Center for Nonproliferation Studies, avril 2015.. Tout pourrait donc dépendre de la trajectoire de l’Avangard. Cependant, s’il utilise un système balistique compté dans le New Start, et s’il a bien une capacité nucléaire, on voit mal pourquoi l’Avangard ne serait pas limité par le Traité. Dans ce cas, son déploiement devrait entraîner des choix pour les autorités russes et le retrait de certains systèmes plus classiquesJoseph Trevithick, « Russia's Satan 2 ICBM Service Entry Delayed As Arms Control Deals Falter », The Drive, 17 décembre 2018..
En termes de mission, la capacité de l’Avangard à emporter une tête nucléaire ou conventionnelle détermine le rôle qu’il peut jouer dans la doctrine russe et la menace qu’il représente. Dans une fonction purement nucléaire, ce qui semble le plus probable, le missile n’apporterait pas une plus-value militaire évidente au regard des têtes nucléaires classiques couplées aux ICBM. En effet, un missile comme le Sarmat devrait être parfaitement capable de surmonter les défenses antimissiles américaines quelle que soit sa tête. L’Avangard serait plus intéressant dans une mission conventionnelle, dans un rôle similaire au Prompt Global Strike américain, mais rien ne permet d’affirmer aujourd’hui que les technologies mises en œuvre permettent à l’Avangard d’être employé dans ce formatJames Acton, op. cit..
Reste un rôle politique qui paraît important pour l’Avangard : le Président Poutine semble très attaché à ce système qu’il a déjà évoqué à de nombreuses reprises. Dans son discours du 1er mars, il l’a assimilé à une « météorite » et une « boule de feu »Vladimir Poutine, op. cit.. Il pourrait donc être le symbole de la puissance technologique russe et un étendard pour le patriotisme militaire du pays. L’utilisation du vocable « hypersonique » a ainsi été qualifiée par certains de démonstration d’un « théâtre politique »David Axe, « How the U.S. Is Quietly Winning the Hypersonic Arms Race », Daily Beast, 16 janvier 2019.. Utilisée en interne et à l’international, cette vitrine reste trop peu connue pour être présentée à l’heure actuelle comme la révolution technologique annoncée.
Avangard : de nouvelles capacités pour la dissuasion stratégique russe ?
Bulletin n°62, février 2019