China’s Emergence as a Second Nuclear Peer. Implications for US Nuclear Deterrence Strategy. A Report of a Study Group Convened by The Center for Global Security Re-search at Lawrence Livermore National Laboratory, Printemps 2023

Comment l’Amérique doit-elle aborder le problème des « deux adversaires majeurs » sur le plan nucléaire ? C’est le thème du rapport d’un groupe de travail formé sous l’égide de Brad Roberts au Laboratoire Lawrence Livermore. Ses auteurs sont des personnalités reconnues du milieu stratégique américain, avec une forte expérience gouvernementale dans le domaine nucléaire (Brad Roberts, Elaine Bunn, Elbridge Colby, Frank Miller, Robert Soofer, Greg Weaver), et une participation alliée symbolique : un Européen (Jacek Durkalec) et un Japonais (Sugo Takahashi).

La question de départ est résumée de la manière suivante : la Russie est redevenue pays agresseur, la Chine va « probablement devenir dans la prochaine décennie, un égal (‘peer’) » sur le plan nucléaire, les deux pays ont proclamé en 2022 leur « amitié sans limite ». Des événements de rupture pourraient rendre ce contexte encore plus complexe : nucléarisation de l’Iran, initiatives de Pyongyang, élection d’un président isolationniste ou nationaliste aux États-Unis.

Sans dramatisation excessive, le rapport dresse un tableau préoccupant des nouveaux efforts de développement de la force chinoise de dissuasion, dans trois domaines : (i) édification d’une force stratégique capable, comme les États-Unis et la Russie, de « lancement sous attaque » ; (ii) multiplication des missiles de théâtre très précis à double capacité ; (iii) disponibilité à envisager des moyens nouveaux de lancement (cf. test FOBS). Les auteurs du rapport envisagent pour 2036 une Chine doté de 1 338 armes stratégiques (au sens des accords de maîtrise des armements) et de 450 missiles de portée régionale.

Les auteurs distinguent un problème immédiat, celui des « deux presque-égaux » (« two near peers », 2NP), et un problème futur, celui des « deux égaux » (« two peers » 2P). Le rapport contient pas moins de soixante recommandations, plutôt raisonnables et en tout état de cause peu révolutionnaires, parmi lesquelles on retiendra les suivantes :

  • L’Amérique n’a pas d’autre choix que de se mettre en mesure de dissuader les deux puissances en même temps, devant prendre en compte (i) le cas d’attaques coordonnées ou simultanées contre ses intérêts ; (ii) le cas d’une attaque opportuniste par une puissance au cours d’une crise majeure impliquant l’autre.
  • Le tableau dépeint n’implique pas de mise en cause des éléments fondamentaux de la dissuasion nucléaire telle qu’elle a été pratiquée jusqu’ici.
  • « Il ne va pas de soi que la croissance des forces nucléaires chinoises accessibles à la planification (« targetable ») doive se traduire par une croissance équivalente des forces nucléaires américaines » (p. 34).
  • Il n’est ni nécessaire ni accessible de pouvoir détruire toutes les forces nucléaires russes et chinoises. Les États-Unis doivent en revanche avoir la capacité de frapper une partie des forces nucléaires adverses en toute circonstance. Ils doivent par ailleurs « toujours être capables d’infliger des coûts intolérables à un adversaire nucléaire de taille égale – même à la suite d’une frappe préemptive sur ses forces et un échange nucléaire subséquent de grande ampleur » (p. 40).
  • L’arsenal américain doit ainsi être prudemment ajusté. L’aptitude à la survie des forces (avant et après lancement) doit être améliorée. Une version mobile du futur lanceur stratégique sol-sol Sentinel doit être envisagée. Il est souhaitable de se préparer à remettre en service un certain nombre d’armes, à l’horizon de l’échéance probable de New START (soit février 2026), prioritairement sur les missiles mer-sol afin d’éviter de renouer avec les difficiles débats sur la stabilité stratégique de première frappe qui pourraient résulter d’un accroissement de la dotation des missiles sol-sol.
  • La revitalisation des infrastructures de production doit prendre une importance nouvelle, et ne pas se limiter à la capacité rapide de production d’armes destinées à la réserve, remplaçant celles qui seraient déployées à partir de 2026.
  • La dissuasion élargie doit être renforcée, en mettant en œuvre les décisions prises du côté de l’OTAN en 2022, et en envisageant de nouvelles dispositions en Asie de l’Est (groupe de planification nucléaire, possibilité de déploiement du LRSO en temps de crise…).

C’est sur ce dernier point que le rapport est peut-être le plus faible, dans la mesure où il ne s’étend guère sur la question qui était pourtant centrale il y a une décennie dans les relations avec certains alliés, celle d’un arsenal américain « à nul autre égal » (Second-to-None). De même ne développe-t-il pas la notion de « division du travail nucléaire » qu’il suggère. Les forces britannique et française sont d’ailleurs absentes de la réflexion.

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China’s Emergence as a Second Nuclear Peer. Implications for US Nuclear Deterrence Strategy. A Report of a Study Group Convened by The Center for Global Security Re-search at Lawrence Livermore National Laboratory, Printemps 2023

Bulletin n°107, mars 2023



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Sommaire du bulletin n°107 :

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