Nicole Vilboux
26 mai 2017 Version PDf
Synthèse
L’Afrique est traditionnellement une région négligée dans la politique de sécurité des États-Unis. Certes, elle a fait l’objet d’une attention redoublée depuis le début des années 2000, au moins dans les discours des Administrations Bush et Obama. Mais, l’implication américaine y reste parcellaire, discontinue, très largement dépendante des crises qui suscitent épisodiquement l’intérêt de l’opinion interne aux États-Unis. Les dossiers africains sont rarement en tête des préoccupations des Administrations, dont l’attention est souvent consécutive à une crise. Mais après les initiatives lancées sous les deux dernières présidences pour contribuer à l’intégration du continent dans la mondialisation libérale, le retour à une certaine forme de négligence semble prévaloir. Le Président Trump ne manifeste aucun intérêt pour le continent et ses conseillers n’en témoignent pas davantage. Début 2017, ce sont donc les experts impliqués dans les questions régionales qui doivent plaider pour la poursuite de l’engagement américain, avec le soutien du Congrès. Il est à cet égard intéressant de souligner qu’il n’existe pas de véritable divergence entre les courants politiques américains sur les objectifs recherchés en Afrique.
- Ces deniers, formulés en 2012 par l’Administration Obama, restent valables aujourd’hui :
Le renforcement des institutions démocratiques ; - Le soutien à la croissance économique, au commerce et à l’investissement ;
- La progression de la paix et de la sécurité ;
- La promotion « des opportunités et du développement ».
La réalisation de ces objectifs passe largement par une politique d’aide et de soutien aux États africains, d’abord dans les domaines économique et sanitaire. Mais le développement du continent dépend aussi de la résolution de nombreux problèmes de sécurité :
- une conflictualité endémique ;
- la persistance d’activités criminelles, déstabilisantes pour les États africains et occidentaux ;
- et l’implantation des groupes terroristes affiliés à Al Qaida ou Daech.
Bien que l’Afrique sub-saharienne ne soit pas une zone prioritaire, les défis qu’elle présente doivent être pris en compte dans une perspective de sécurité globale.
Elle est d’abord considérée comme un terrain particulièrement propice à l’implantation d’organisations « extrémistes violentes », dont certaines sont déjà des menaces régionales importantes :
- les Shebabs en Somalie alimentent un conflit impliquant toutes les puissances voisines et une présence directe des États-Unis ;
- AQMI au Sahel demeure une source de déstabilisation, justifiant le soutien à l’engagement français au Mali ;
- Boko Haram, désormais considéré comme une menace régionale dans le Bassin du lac Tchad, nécessitant le soutien des États-Unis aux pays de la région.
Par ailleurs, les États-Unis retrouvent aujourd’hui en Afrique une préoccupation qui avait disparu avec la Guerre froide : celle de la place du continent dans les équilibres internationaux. De nombreuses puissances « émergeantes » s’y investissent en effet, à commencer par la Chine. L’influence grandissante qu’elle tire de sa présence économique peut avoir des conséquences néfastes sur l’évolution politique du continent, mais aussi sur les relations qu’y ont développées les États-Unis depuis les années 1990.
La poursuite des objectifs de sécurité en Afrique s’insère dans une approche « globale », interministérielle, dans la mesure où les dimensions militaire, économique et politique des problèmes sont étroitement imbriquées. L’absence de menace directe limite par ailleurs la nécessité d’un engagement militaire important. La stratégie américaine s’inscrit dans une logique de renforcement des capacités des partenaires africains qui se traduit à la fois par le financement de nombreux programmes d’assistance destinés à renforcer les instruments de sécurité locaux ; et par le développement de la coopération sur le terrain, entre les armées américaines et leurs homologues du continent.
Chargé de mettre en oeuvre cette stratégie depuis octobre 2008, AFRICOM se distingue de la plupart des autres commandements de théâtre par une structure (à forte dimension interministérielle) et par une posture (dispositif léger et dispersé) reflétant clairement la stratégie indirecte et expéditionnaire privilégiée. Les forces présentes sur le théâtre effectuent pour l’essentiel des missions de coopération de sécurité ou d’appui aux opérations de partenaires.
Les activités de coopération de sécurité couvrent un large éventail de domaines, depuis la formation et l’entraînement aux tactiques de combat (classiques et spéciales) jusqu’à la réforme des administrations civiles de défense, en passant par les opérations sanitaires et le renseignement.
L’appui aux opérations des partenaires englobe aussi un grand nombre d’activités, à l’exclusion de toute participation directe aux combats, seule la Somalie faisant exception. Hormis ce pays où l’Administration Trump a intensifié l’intervention militaire en mars 2017, l’engagement américain se concentre aujourd’hui sur l’Afrique de l’Ouest après avoir été important en Afrique centrale sous la présidence Obama. Il faut aussi rappeler le soutien apporté depuis 2013 à l’opération française et à la Force multinationale au Mali, qui reste considéré comme indispensable. Pour une majorité d’experts, la nouvelle Administration aurait intérêt à poursuivre la stratégie indirecte mise en oeuvre depuis les années 2000 en Afrique, associant les déploiements limités et temporaires ; le soutien aux partenaires et l’élimination ciblée des leaders de groupes terroristes, en particulier dans le Sahel et dans la Corne de l’Afrique.
Bien que l’aide extérieure soit remise en cause par la nouvelle Administration, la coopération reste l’instrument le plus adapté et le plus « rentable » pour traiter les enjeux africains.