Nicole Vilboux
Didier Gros
25 mai 2021 Version PDf
Introduction
Le 15 février 1991, au moment où s’effondrait l’empire soviétique, les chefs d’État de la Hongrie, de la Pologne et de la Tchécoslovaquie se réunissaient symboliquement à Visegrad où, en 1335, les royaumes de Hongrie, de Pologne et de Bohême s’étaient alliés contre les Habsbourg. Par une « Déclaration sur une position commune et coordonnée pour l’intégration européenne » fut alors constitué le Triangle dit de Visegrad, appelé à devenir, après la séparation des républiques tchèque et slovaque le 1er janvier 1993, le Groupe de Visegrad (V4) dont l’ambition affichée, en vertu de la proximité culturelle et politique des pays signataires, était de sortir définitivement du système soviétique et d’affirmer leur appartenance à l’Occident, singulièrement en intégrant l’OTAN et l’Union européenne. Ce fut chose faite respectivement en 1999 et 2004.
Ainsi, en même temps qu’il atteignait ses objectifs, le Groupe de Visegrad perdait sa raison d’être. Pour autant, cette réussite, fondée sur une vision géopolitique partagée et des aspirations communes, ainsi que sur des projets socio-économiques soutenus par le Fonds International de Visegrad entretemps institué, encouragea le Groupe à persévérer dans sa volonté d’établir l’Europe centrale comme un espace et un interlocuteur de référence et à mettre en commun les capacités nationales face aux défis multiples posés par l’intégration européenne en particulier. Reconnu sans pour autant être déterminant sur la scène européenne, le V4 redevint un objet d’intérêt marqué pour les États-Unis, l’OTAN et l’UE à l’occasion de la crise migratoire de 2015 sur fond de pressions politiques et économiques croissantes de la part de la Russie et de la Chine.
Aujourd’hui, ses membres restent fortement atlantistes, considérant les États-Unis comme leur ultime garant de sécurité. Aussi, bien que le V4 en tant que tel, ne constitue pas une priorité affichée pour la politique de défense et de sécurité américaine et qu’aucun document officiel non confidentiel de sécurité nationale n’y fasse explicitement référence, le Groupe n’est pas négligé par l’Administration américaine, qui le traite en fonction de ses intérêts, que l’on peut catégoriser comme suit :
- Dimension géopolitique : disposer d’un relais d’influence au coeur de l’Europe, sous la forme d’un interlocuteur reconnu et fidèle à l’Alliance atlantique, au service d’une vision géopolitique visant à contenir les puissances russe et chinoise ;
- Dimension géoéconomique : promouvoir les investissements des pays partenaires, en particulier en matière d’infrastructures (transports, énergie et numérique), afin d’être en mesure de concurrencer les projets russes et chinois, malgré les divergences d’intérêt internes au V4 ;
- Dimension stratégico-militaire : encourager le V4 à contribuer au renforcement des capacités de défense collective de l’OTAN et à la facilitation des déploiements stratégiques américains dans le cadre d’une mobilité militaire accrue.
Discerner les lignes de force, actuelles et probables à court et moyen termes, de la politique américaine vis-à-vis du V4 requiert une lecture géopolitique des intérêts et enjeux que le Groupe de Visegrad représente dans le contexte de la compétition stratégique internationale.