Nicole Vilboux
Philippe Gros
Antoine Bondaz
Frédéric Coste
Stéphane Delory
12 juillet 2020 Version PDf
RÉSUMÉ
L’érosion de la supériorité des États-Unis dans le domaine technologique, qui sous-tend celle de leur leadership stratégique à moyen-long terme, surtout face à la Chine, est sur toutes les lèvres outre-Atlantique. La compétition est particulièrement vive dans les dix domaines technologiques critiques identifiés par le Dr Griffin, Under Secretary of Defense for Research and Engineering.
Parmi ces dix domaines, les missiles hypersoniques représentent la priorité numéro 1 du Pentagone. Sur ce plan, les Russes, suivis des Chinois, sont en avance dans le domaine des missiles de croisière antinavires et des missiles quasi-balistiques aérolargués, alors que les trois compétiteurs restent au coude à coude pour parvenir à des missiles à planeur opérationnels au début des années 2020, avec des ambitions moindres pour Pékin. Les ruptures principales apportées par ces armes ont trait au contre-IADS pour les Américains et à la lutte antinavire du côté russe et chinois. Ce dernier point est probablement le plus critique car il remet en cause la supériorité navale américaine. Cependant, si aucune solution n’existe à court terme pour se défendre contre ces armements, ce sont les Américains qui sont de loin les mieux placés, tant en matière d’architecture que de missiles d’interception, pour disposer de parades efficaces à moyen/long terme, tirant partie de leurs 40 ans d’investissement massif dans la défense antimissile.
Les armes à énergie dirigée (AED) représentent un domaine technologique très particulier. Il est probable que les Chinois ne soient guère éloignés des Américains en ce qui concerne tant les armes laser que les armes électromagnétiques (EM). Dans ce dernier domaine, ils sont peut-être même en avance en ce qui concerne la protection des plateformes navales alors que les Américains semblent disposer de capacités opérationnels air-sol offensives. Cependant, en ce qui concerne les armes laser, la vulnérabilité des trois camps apparaît encore réduite. En effet, la première génération d’armes laser en cours de maturation, si son déploiement se confirme dans les 5 ans, sera destinée à la lutte anti-drones courte portée, certainement pas à stopper les vagues de missiles du compétiteur stratégique. Quant aux lasers de contre-mesure optronique, à visée antisatellite (ASAT) par exemple, ils ne constituent pas une solution miracle, un élément clé de l’arsenal anti-ISR. Il est donc possible, de prime abord, que l’impact des armes EM soit beaucoup plus important que celui des lasers dans l’environnement haute intensité qui caractérise la présente compétition.
Ces AED font partie des capacités auxquelles les compétiteurs pourraient recourir en counterspace. Dans ce domaine, les trois puissances disposent déjà des instruments en mesure de menacer les constellations de l’adversaire : missiles capables d’intercepterdes satellites en orbite basse, guerre électronique contre les segments de liaison voire les satellites eux-mêmes en co-orbital, maîtrise des rendez-vous orbitaux et des technologies duales de capture d’une plateforme, etc. Cette évolution constitue une rupture majeure par rapport à l’ère de l’exploitation de l’espace en toute impunité dont ont joui les Américains ces dernières décennies. Ces derniers ont cependant plusieurs avantages : une meilleure situational awareness du milieu spatial et surtout une résilience allant croissant : « désagrégation » des architectures fonctionnelles, redondance des communications avec le milieu aérien (Aerial Layer Network), exploitation des nouvelles constellations commerciales de SATCOM et de télédétection en orbite basse ou médiane, réactivité des lancements, recherche effrénée de solutions de positionnement, navigation, timing (PNT) de complément puis de substitution au GPS. Comme la Chine suit peu ou prou la même logique, il apparaît de plus en plus douteux que les deux grands puissent mutuellement s’interdire l’ensemble de leurs capacités d’ISR et de SATCOM en cas de confrontation.