Philippe Gros
Nicole Vilboux
7 juillet 2020 Version PDf
Synthèse
Après une période de réduction sous le premier mandat de Barack Obama, le budget de la défense des États-Unis a repris une évolution à la hausse à partir de 2015, nettement accentuée depuis l’élection de Donald Trump, grâce au contrôle du gouvernement par les Républicains. Appuyées sur la National Defense Strategy de 2018, qui définit clairement la compétition sur la reconstitution de l’avantage militaire américain dans tous les domaines d’un affrontement potentiel avec des puissances majeures. Cela implique d’abord la poursuite de l’augmentation des dépenses de défense, initialement soutenue par un accord du Congrès en 2018, pour relever les plafonds budgétaires du Budget Control Act. Le budget 2019, exceptionnellement adopté sans difficulté, comporte ainsi 685 Mds $ en crédits discrétionnaires pour le DoD et un total de 716 Mds $ pour l’ensemble des activités de défense. Mais la croissance par rapport à 2018 reste modérée et l’Administration entend l’accélérer dans sa requête pour 2020, présentée en mars. Avec un total de 750 Mds $, dont 718 Mds pour le DoD, le budget serait en augmentation de 4,9 %. Toutefois, la situation politique a changé, avec le contrôle de la Chambre des Représentants par des Démocrates divisés, mais peu enclins à soutenir un effort de défense effectué au détriment des autres programmes fédéraux (en baisse globale de 9,3 % dans le budget 2020). Par ailleurs, les crédits discrétionnaires sont de nouveau soumis à des plafonds restrictifs pour 2020 et 2021, dont le respect impliquerait une réduction brutale du budget de défense. Pour l’éviter, tout en menant une politique de contrôle du déficit fédéral, l’Administration a choisi de requérir une partie importante des crédits de défense ordinaires (98 Mds $) sur le compte censé financer les opérations extérieures (OCO), épargné par les restrictions. Cette méthode de financement très critiquée a toutes les chances d’entraîner une sérieuse remise en cause de la requête budgétaire lors du processus d’examen parlementaire. Les désaccords politiques au Congrès accentuent encore l’incertitude sur le montant final du budget 2020 qui devrait être négocié d’ici fin juin. En ce qui concerne la répartition des crédits entre les différentes activités de défense, un large consensus s’est établi depuis 2015 pour soutenir la réorientation du DoD vers la préparation d’un conflit futur, ce qui conduit à privilégier la modernisation et dans une moindre mesure l’augmentation de la structure de forces. Ce mouvement, amorcé en 2019, a été jugé trop timide par beaucoup d’experts et doit s’affirmer en 2020. La nouvelle requête met en particulier l’accent sur les investissements en recherche, développement, tests et évaluations (RDT&E), destinés à développer des capacités décisives pour l’avenir, telles que les systèmes autonomes, les armes hypersoniques ou l’intelligence artificielle. Le budget de recherche requis pour 2020 s’élève à 104 Mds $ contre 95 Mds votés pour 2019. Cette augmentation s’accompagne d’un fléchissement des crédits d’acquisition d’équipements, qui ont été augmentés par le Congrès pour 2019 (148 Mds$), mais devraient décliner (143 Mds $ pour 2020) puisque tous les Services réduisent leurs programmes, à commencer par l’Army.
Certains arbitrages dans la modernisation susciteront certainement des débats au sein des commissions de défense (par exemple le retrait de l’USS Truman, ou la combinaison de F-15X/F-35), mais le domaine le plus polémique reste la recapitalisation de la triade nucléaire, présentée comme une priorité du DoD (14 Mds $ pour 2020), mais contestée par de nombreux Démocrates. L’importance accordée au développement capacitaire ne modifie cependant pas le poids structurellement dominant des dépenses d’entretien des forces et de leurs opérations en cours. Le volume des effectifs, en hausse en 2018 et 2019 (environ 25 000 personnels), n’augmente plus que faiblement dans la requête 2020, mais le poste Military personnel continue de croître (156 Mds $) en raison d’une nouvelle hausse notable des soldes. Le budget le plus important est toujours consacré au fonctionnement (Operations & Maintenance), couvrant à la fois d’importantes dépenses de santé des personnels militaires (34,3 Mds en 2019 / 33,3 Mds en 2020) ; le coût des opérations (34,5 Mds en 2019/ 34,2 Mds en 2020) et de la coopération de sécurité associée ; mais aussi l’amélioration de la disponibilité opérationnelle (readiness) des forces, par l’entraînement et le maintien en condition des équipements. La focalisation sur les conflits futurs ne remet pas en cause l’importance de préserver les moyens d’assurer les missions actuelles tout en préparant les forces aux opérations de haute intensité. Or, le budget O&M pour 2020 (292,7 Mds $) repose en partie sur les OCO, pour les opérations comme prévu, mais aussi pour la readiness (près de 60 % des crédits OCO concernent ces activités « de base »). Ce choix très contesté est susceptible d’être remis en cause dans le budget final, ce qui pourrait aboutir à une diminution des crédits de fonctionnement, ou plus probablement à des réductions dans les postes de modernisation, compte tenu de l’importance du maintien de la readiness pour les Services. * Pour permettre le suivi du processus et des débats budgétaires, ce premier rapport de l’Observatoire de la défense américaine commence par une mise en perspective des tendances d’évolution des dépenses depuis la fin de la Guerre froide, avant d’analyser les choix effectués en 2019 et 2020, par grande catégorie budgétaire. Un examen plus détaillé des programmes de modernisation est ensuite présenté, pour chaque Service et domaine interarmées majeur.