La visite prochaine du Président de la République à Pékin devrait marquer la reprise des échanges avec la réouverture de la Chine et la relance du partenariat stratégique alors que les crises internationales se multiplient. C’est une opportunité pour la France de tenter d’obtenir des engagements chinois tout en affichant l’unité européenne. C’est aussi une opportunité risquée, surtout si la communication du Président est mal maîtrisée.
Emmanuel Macron veut mettre la guerre en Ukraine au cœur des discussions. Lors de sa conférence de presse de clôture du G20 en novembre 2022, il avait appelé à « un rôle de médiation plus important » de la part de la Chine. Cependant, les attentes de la France doivent être réalistes, et donc limitées, surtout après la mise en scène du partenariat stratégique sino-russe lors de la récente visite de Xi Jinping à Moscou.
La Chine n’a pas présenté de plan de paix en février, n’est pas un médiateur dans la guerre et ne fait preuve d’aucune neutralitéAntoine Bondaz, « La Chine n’est pas et ne sera pas le médiateur de la guerre en Ukraine », Le Monde, 10 mars 2023.. Elle apporte un soutien politique, diplomatique et économique à la Russie. Il sera important d’éviter tout commentaire qui serait ensuite utilisé par Pékin pour se présenter comme une puissance responsable, voire providentielle, auprès de sa population et de ses partenaires non occidentaux.
S’il faut espérer que la Chine finira par jouer un rôle dans la résolution du conflit, ses positions restent pour l’instant générales, sans mise en œuvre concrète. Pékin s’est déjà prononcé contre les attaques armées contre les centrales nucléaires ou contre la menace ou l’utilisation d’armes nucléaires. Obtenir de la Chine qu’elle renouvelle sa position n’est pas une mauvaise chose mais ne constituerait pas une avancée notable.
Au fond, ce ne sont pas tant des concessions pour amener la Chine à faire pression sur la Russie qui sont attendues que des avertissements clairs. Tout soutien militaire de la Chine à la Russie irait à l’encontre de la sécurité européenne et la Chine s’exposerait à des conséquences importantes. Car si Pékin peut bien être sensible à un argument de Paris, c’est bien celui du risque de sanctions occidentales contre certaines de ses entreprises et surtout d’un approfondissement de la coordination transatlantique sur la Chine.
D’autre part, le président Macron a une opportunité unique, y compris pour se différencier positivement. La France est une puissance nucléaire qui ne fait partie d’aucun accord de partage nucléaire, contrairement aux États-Unis et au Royaume-Uni dans le cadre de l’OTAN. Il est légitime pour la France de demander à la Chine une réaction officielle à l’annonce par la Russie de son intention de déployer des armes nucléaires en Biélorussie, et d’essayer d’empêcher un tel déploiement.
La Chine s’oppose au déploiement d’armes nucléaires et au partage du nucléaire américain, et associe depuis 2022 le partage du nucléaire à « une forme de prolifération nucléaire ». Poser la question à Xi Jinping, même en l’absence de réponse claire, permettrait à la France d’assumer ses responsabilités internationales et d’engager la Chine sur un sujet qui intéresse tous nos partenaires, et pas seulement européens.
Afficher l’unité européenne est une autre priorité d’Emmanuel Macron. L’invitation faite à la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen d’accompagner le président est un énième signe que Paris attache une importance fondamentale à cette coordination européenne. Déjà en mars 2019, lors de la visite d’État de Xi Jinping en France, il avait invité la chancelière allemande et le président de la Commission européenne à Paris, à la surprise du partenaire chinois.
Il convient toutefois de s’assurer qu’il s’agit d’une unité durablement mise en scèneAntoine Bondaz, « Searching for a Bolder China Policy », Echowall, novembre 2020.. Jouer au bon flic et au mauvais flic entre Macron et von der Leyen à Pékin affaiblirait instantanément le récit européen d’un front uni. Et les autres partenaires européens doivent également jouer le jeu. En novembre 2019, alors que le président français s’était rendu comme invité d’honneur à la foire commerciale de Shanghai avec un commissaire européen et une ministre allemande, Angela Merkel y était présente avec sa seule délégation allemande...
Le défi pour le président est de maîtriser un « en même temps » en combinant trois impératifs qui ne sont pas contradictoires : la spécificité française, l’unité européenne et la coopération avec ceux qui partagent nos idées et intérêts. Cette coopération avec nos partenaires affinitaires va bien au-delà de la seule coopération transatlantique ou de la seule coopération avec les démocraties.
La position de la France sur la Chine gagnerait par exemple à être clarifiée car elle est parfois perçue comme ambiguë. Si le terme de « troisième voie » n’est heureusement pas utilisé officiellement, celui de « puissance d’équilibres » fait naître des doutes inutiles auprès de nos partenaires. Au-delà d’un manque de réalisme sur le poids réel de la France, ce concept n’est pas compris par nos partenaires, surtout dans sa traduction anglaise de « balancing power ». Il suscite une crainte injustifiée d’une équidistance de la France entre la Chine et les Etats-Unis.
Si la France a une politique étrangère indépendante, elle n’est en rien équidistante. La France partage avec ses partenaires des préoccupations identiques sur la Chine, préoccupations évoquées conjointement dans les communiqués du G7, ou de façon unilatérale dans la Revue nationale stratégique 2022. Il convient de ne pas donner à Pékin le moyen d’exploiter les différences entre partenaires, qui sont bien réelles quand on évoque les stratégies mises en œuvre, et d’éviter de chercher à se différencier au détriment de nos partenaires.
En cela, le terme de « de-risking » et non de « de-coupling » utilisé par la présidente de la Commission dans son discours à Bruxelles jeudi dernier est utile car c’est un objectif partagé par tous les partenaires de la France, à savoir de réduire les vulnérabilités de nos chaînes de valeur en les diversifiant. Encore faut-il s'assurer que la communication officielle n'envoie pas des signaux contradictoires. C’est en cela que la présence de plus de cinquante dirigeants d'entreprises dans la délégation française contre seulement quinze personnes du monde universitaire et de la culture, et le choix de Canton, capitale de la province du Guangdong, le cœur de la machine exportatrice chinoise, peuvent être risqués.
Le risque est évident que la Chine instrumentalise ces deux éléments en affirmant que toute stratégie de « de-risking » est illusoire et, surtout, pas réellement mise en œuvre par la France… Cela souligne un autre problème de fond dans la relation bilatérale. Alors que le plan d'action franco-chinois de 2019 posait comme objectif « le rééquilibrage vers le haut des échanges économiques bilatéraux », le déficit commercial français avec la Chine a atteint un record en 2022, à près de 50 Mds d’euros contre 30 Mds en 2017. Les investissements chinois restent aussi limités et peu créateurs d'emplois. Selon Business France, ils auraient créé autant d'emplois en France que les investissements belges entre 2017 et 2021, et moins que les investissements suisses...
Hasard du calendrier, le président français arrivera en Chine le jour où la présidente taïwanaise, en transit aux Etats-Unis, rencontrera le président de la Chambre des Représentants. La probabilité qu’une question lui soit posée à ce sujet est grande, et on se souvient des tensions d’août 2022 dans le détroit. Emmanuel Macron pourrait donc être amené à s’exprimer directement sur un sujet qu’il a soigneusement évité jusqu’à présent, faisant simplement référence aux tensions autour de Taïwan dans son discours aux Ambassadeurs de 2022 puis dans ses vœux aux Armées en 2023.
Que le président rappelle que la France, l’Union européenne mais aussi la Chine ont un intérêt au maintien de la stabilité dans le détroit serait bienvenu. Car si la France a multiplié, récemment, les déclarations en format multilatéral avec les partenaires du G7 ou européens, ou bilatéral avec le Japon, l’Australie ou encore le Royaume-Uni sur ce sujet, une expression du chef de l’État aurait un poids politique autre sans pour autant entrer dans la moindre confrontation avec la Chine.
Enfin, si une voie française mérite d’être encore davantage mise en avant, c’est auprès des pays de l’Indo-Pacifique. Il y a une réelle attente que la France ait une voie et une offre alternative, y compris avec ses partenaires européens. Paris, qui a clairement cette ambition, gagnerait à renforcer son agenda positif dans la région en s’affirmant comme la puissance d’initiatives qu’elle est, une puissance responsable et fiable, qui est l’un des moteurs de la coopération internationale pour contribuer à la résolution des problèmes globauxAntoine Bondaz, « La France, une puissance d’initiatives en Indo-Pacifique », Notes de la FRS, Fondation pour la recherche stratégique, n° 37/2022, 15 novembre 2022.
Dans ce cadre, il est important que la France continue de communiquer sur les initiatives qui sont quotidiennement mises en œuvre dans la région par les ministères et les opérateurs de l’État, en insistant sur les résultats concrets. Cette visite d’État en Chine devrait également précéder d’autres déplacements en Indo-Pacifique, notamment dans le Pacifique Sud. Alors qu’aucun président ou ministre des Affaires étrangères ne s’est jamais rendu dans les États insulaires du Pacifique, il est urgent de le faire.
Finalement, ce qui se joue dans cette visite d’État en Chine, c’est peut-être plus l’image et la place de la France dans l’Indo-Pacifique et dans le monde que la relation bilatérale ou l’avenir de l’Ukraine.
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