Alors que le Premier ministre israélien présente comme imminente une offensive de grande ampleur contre la ville de Rafah dans le sud de la bande de Gaza, les médiateurs qatari et égyptien, aux côtés des Américains, tentent de conclure un accord qui permettrait a minima un arrêt temporaire des combats et la libération d’une partie des otages israéliens et, sur le plus long terme, une sortie de crise. Mais les positions apparemment inconciliables de la partie israélienne et du Hamas, ainsi que les calculs de politique interne de Benjamin Netanyahu, rendent ces efforts extrêmement incertains.
Quelle est la situation sur le terrain dans la bande de Gaza ?
Le 7 février, le Premier ministre israélien a balayé d’un revers de la main la proposition du Hamas en réponse à une proposition d’accord-cadre israélien formulée à Paris fin janvier avec la médiation du Qatar, de l’Égypte et des États-UnisVoir « Hamas ceasefire proposal details », Reuters, 7 février 2024.. Il a jugé que seule « une pression militaire continue » pouvait conduire à la libération des otages israéliens et que « céder aux exigences délirantes du Hamas […] non seulement n’entraînera pas la libération des otages, mais invitera à un nouveau massacre […] »« In Israel, Blinken Says Hamas Response Creates Space for Agreement as Netanyahu Slams ‘Delusional’ Demands », Haaretz, 7 février 2024.. Depuis lors, les négociations peinent à reprendre.
Benjamin Netanyahu a, dans la foulée, ordonné à son armée de préparer une offensive sur la ville de Rafah le long de la frontière égyptienne, seul centre urbain dans lequel l’armée n’a pas pénétré et présenté comme un des derniers bastions du Hamas (avec deux camps de réfugiés dans le centre de Gaza)Ibid.. Rafah est aussi la ville de 60 km² où se sont réfugiés 75 % des 2,3 millions de Gazaouis (cinq fois la population initiale de la ville), dont 600 000 enfants selon l’UNICEF« UNICEF warns against military operation in Rafah, where over 600,000 children, their families already displaced », UNICEF Website, 9 février 2024.. La plupart ont déjà été déplacés à plusieurs reprises au fil des opérations israéliennes dans la bande de Gaza, et sont désormais pris au piège entre la frontière égyptienne et l’armée israélienne. À ce jour, le prix payé par la population gazaouie est sans précédent : plus de 28 340 personnes tuées, en grande majorité des civils, dont 70 % sont des femmes et des enfants ; plus de 68 000 blessés ; 60 % des habitations détruites et destruction massive des infrastructures civiles ; ensemble de la population en grave pénurie d’eau potable, d’abris, de médicaments (64 % des hôpitaux sont hors d’état de fonctionnement) et en « situation d’insécurité alimentaire aiguë » selon le Programme alimentaire mondial« Hostilities in the Gaza Strip and Israel – reported impact | Day 128 », OCHA, 12 février 2024..
Le Premier ministre campe ainsi sur sa position réitérée maintes fois ces dernières semaines, à savoir la promesse d’une victoire « totale » contre le Hamas, qu’il estime désormais être une affaire de « quelques mois »Voir « Netanyahu: Victory in Gaza ‘within reach’; no surrender to Hamas’s delusional demands », The Times of Israel, 7 février 2024.. Pour B. Netanyahu, l’offensive contre Rafah serait pratiquement le dernier effort militaire pour venir à bout du Hamas. Elle permettrait de mettre la main sur le leadership à Gaza et de détruire les derniers bataillons restants du mouvement, ce qui signerait, selon le Premier ministre israélien, la victoire décisive d’IsraëlFin janvier, B. Netanyahu avait déclaré que l’armée israélienne avait pu démanteler plus des deux tiers des bataillons du Hamas. Voir le compte Twitter de B. Netanyahu, 7 février 2024.. Mais ces déclarations semblent relever davantage de la nécessité, pour le Premier ministre, de construire un récit de victoire que de la réalité de terrain. Selon une source israélienne proche des milieux militaires, le cabinet de guerre israélien reconnaît en réalité que les progrès militaires engrangés ne sont effectivement pas ceux escomptésEntretien téléphonique, 23 janvier 2024.. C’est également l’évaluation faite par les renseignements américains, qui considèrent que si les capacités du Hamas ont été affectées, l’armée israélienne est loin d’avoir démantelé le mouvement« Biden sharpens criticism of Israel, calling its Gaza response ‘over the top’ », The New York Times, 9 février 2024.. En outre, comme le montre la réémergence des forces de combat et de sécurité dans les zones d’où l’armée israélienne s’est retirée, le Hamas conserve des capacités opérationnelles et témoigne d’une certaine forme de résilience« Gaza combat resurges as Israeli tanks storm back into areas they left », Reuters, 16 janvier 2024.. Il semble donc qu’il n’y aura de victoire militaire claire pour aucune des parties. En outre, de l’aveu même du chef de l’État-Major israélien, les efforts militaires pour détruire le Hamas demeureraient vains sans horizon diplomatique de sortie de crise, exercice auquel le Premier ministre israélien refuse toujours de se plier malgré les pressions américaines en ce sens« IDF chief said to warn Gaza military gains being eroded due to lack of plans for after the war », The Times of Israel, 7 janvier 2024..
La victoire « totale » contre le Hamas promise par B. Netanyahu apparaît encore plus discutable sur le plan politique. En ébranlant le statu quo et en remettant la question palestinienne au centre de la diplomatie internationale, le Hamas a retrouvé une légitimité populaire qu’il avait perdue en tant que parti de gouvernance et se positionne, aux yeux des Palestiniens, comme le seul véritable mouvement de résistance face à l’occupation israélienneVoir par exemple le dernier sondage du Palestinian Center for Policy and Survey Research (15 janvier 2024). Celui-ci montre que la guerre à Gaza a conduit à une hausse significative de la popularité du Hamas auprès des Palestiniens et à une chute de celle du leadership de l’Autorité palestinienne à Gaza et en Cisjordanie. La guerre a également entraîné une augmentation importante du soutien pour la lutte armée en Cisjordanie comme mode de confrontation avec Israël (voir « Report I: Domestic Balance of Power and Palestinian-Israeli Relations before and after October the 7th », Palestinian Center for Policy and Survey Research, 15 janvier 2024).. C’est le schéma inverse qui caractérise le Fatah aujourd’hui. Le grand rival politique du Hamas s’est enlisé dans un projet d’État palestinien qui n’a jamais vu le jour. Et ses leaders, en premier lieu Mahmoud Abbas, perçoivent la guerre à Gaza comme une menace existentielle pour leur survie politiqueEntretien avec un expert palestinien, 12 janvier 2024.. Pour le moment, à l’opposé des objectifs affichés par Israël, un basculement du rapport de force sur la scène politique palestinienne semble s’opérer nettement en faveur du Hamas, assurant au mouvement un poids politique décisif sur la scène palestinienne dans les années à venirEntretien avec un expert palestinien, 24 janvier 2024.. En outre, ce sont bien les leaders du Hamas, et non pas ceux du Fatah, qui pèseront sur l’issue de la guerre dans la bande de Gaza, dont les paramètres reconfigureront inévitablement la question palestinienne« Hamas internal leadership [in Gaza] calls the shot. External leadership can mediate, mitigate the shock. But the final word will be in Gaza » (entretien avec un expert palestinien, 12 janvier 2024). De nombreuses négociations, menées par le Hamas à Doha, sont en cours pour la création d’un front uni palestinien (entretiens avec des représentants politiques palestiniens, janvier 2024).. Enfin, pour assurer sa viabilité, tout projet d’instauration d’une gouvernance palestinienne à Gaza après la guerre, quelle que soit sa forme, nécessitera forcément un accord a minima avec le parti islamiste, ne serait-ce que pour des raisons sécuritairesLe Premier ministre palestinien a déclaré que toute solution d’après-guerre pour Gaza devrait d’une manière ou d’une autre inclure le Hamas (voir par exemple son interview sur Al-Jazeera : « Palestinian PM: Will Israel’s war on Gaza bring Hamas and Fatah together? », 27 octobre 2023)..
Une offensive israélienne contre Rafah est-elle imminente ?
Pour le moment, selon une source proche des milieux décisionnaires israéliens, aucune décision finale n’a été prise concernant une offensive terrestre à RafahEntretien téléphonique, 13 février 2024.. Mais la ville est déjà soumise à des bombardements intenses« Rafah, dernier refuge pour les habitants de la bande de Gaza dans le viseur de l’armée israélienne », Le Monde, 12 février 2024.. Le Premier ministre israélien entendrait utiliser cette menace comme moyen de pression sur le Hamas pour obtenir un deal plus favorable à IsraëlEntretien téléphonique avec une source proche des cercles décisionnaires israéliens, 13 février 2024.. Selon cette même source, B. Netanyahu pourrait ordonner très prochainement des incursions terrestres limitées afin de rendre ces menaces encore plus « crédibles ». Sans accord, une offensive de l’armée israélienne de grande ampleur apparaît hautement probable.
Alors qu’une telle offensive dans la ville surpeuplée de Rafah aurait des conséquences dramatiques pour la population gazaouie, l’ensemble de la communauté internationale a tiré la sonnette d’alarmeVoir « Rafah, dernier refuge pour les habitants de la bande de Gaza dans le viseur de l’armée israélienne », op. cit.. Les États-Unis ont déclaré qu’ils ne soutiendraient pas une offensive contre Rafah si un « plan crédible » d’évacuation des civils n’était pas présenté par Israël, mais sans pour autant envisager d’utiliser leurs leviers pour dissuader le Premier ministre israélien de mettre sa menace à exécutionVoir la conférence de presse du 13 février à la Maison blanche sur ce sujet. . Face aux pressions internationales, B. Netanyahu assure qu’Israël mettra en place « un passage sécurisé » pour évacuer les civilsVoir « Rafah, dernier refuge pour les habitants de la bande de Gaza dans le viseur de l’armée israélienne », op. cit.. Plusieurs plans seraient à l’étude mais l’ONU a d’ores et déjà déclaré qu’elle ne participerait pas « à un déplacement forcé » de la populationVoir « Israël prévoit de déplacer les civils de Rafah vers 15 camps le long de la côte – WSJ », The Times of Israel, 13 février 2024.. En outre, l’ensemble des observateurs internationaux sur le terrain s’accordent pour dire qu’un tel plan est intenable, soulignant l’extrême fragilité de la situation humanitaire et l’absence de zones sûres dans la bande de Gaza« UN warns of ‘slaughter’ if Israel launches ground assault on Rafah », BBC News, 13 février 2024.. Pour Le Caire, une offensive à Rafah qui pourrait pousser des centaines de milliers de Gazaouis à tenter de fuir vers le Sinaï serait un scénario catastrophe qui risquerait de mener à des échanges de tirs de part et d’autre de la frontière. Mais ses moyens de pression vis-à-vis d’Israël demeurent très limités, d’autant plus que le chef de la diplomatie égyptienne semble avoir écarté toute remise en cause du traité de paix avec Israël« L’Égypte tente de faire pression sur Israël pour éviter une offensive militaire sur la ville de Rafah », Le Monde, 13 février 2024.. Selon une source proche des milieux décisionnaires israéliens, les Égyptiens seraient en train de construire actuellement un « sas » le long de la frontière avec RafahEntretien téléphonique, 15 février 2024. . Ils espèreraient qu’un tel espace puisse leur permettre de faire face à un afflux de réfugiés en cas d’offensive israélienne tout en les prémunissant contre l’établissement de camps de réfugiés qui risqueraient de devenir « permanents », ce que Le Caire a toujours refusé depuis le début de la guerreWashington avait tenté de convaincre l’Égypte d’accueillir plusieurs centaines de milliers de Gazaouis au début des opérations israéliennes en échange d’une aide substantielle mais le président égyptien s’y était fermement opposé (« L’Égypte tente de faire pression sur Israël pour éviter une offensive militaire sur la ville de Rafah », op. cit.)..
C’est dans l’espoir de conclure une trêve avant une offensive à Rafah que le Qatar et l’Égypte, aux côtés de Washington, tentent de redonner corps à l’accord-cadre de Paris. Mais les négociations qui ont débuté le 13 février au Caire entre le directeur de la CIA, le directeur du Mossad, le chef des services de renseignements généraux égyptien et le Premier ministre qatari ont tourné court. B. Netanyahu, qui avait confié un mandat très limité à sa délégation, l’a rappelé dès le lendemain, provoquant l’ire des familles des otages en Israël« Israel’s Delegation to Cairo Hostage Talks Has Limited Leeway – and Netanyahu Is in No Rush for a Deal », Haaretz, 14 février 2024.. Le Premier ministre a déclaré qu’il refusait de réamorcer des négociations sur la base de la dernière proposition du Hamas, présentée comme un « point de non-départ »« ‘Sacrificing the Lives of the Hostages’ | Hostages’ Families Slam Netanyahu for Ordering Israeli Delegation Not to Return to Cairo for Further Talks », Haaretz, 14 février 2024. Selon un représentant du Hamas de Gaza, une contre-proposition a été esquissée par la partie israélienne lors des rencontres au Caire, mais celle-ci se situe bien en-deçà de ce que le Hamas pouvait espérer au travers de l’accord-cadre de Paris (entretien téléphonique, 14 février 2024)..
Comment les jeux de politique interne israéliens affectent-ils la possibilité d’un deal ?
S’il apparaît très difficile d’obtenir des éléments solides sur les négociations en cours, on peut néanmoins établir deux principaux constats.
Le premier est que, malgré l’engouement suscité par l’accord-cadre de Paris, un fossé demeure entre les lignes rouges de la partie israélienne et celles du HamasPour des détails concernant l’accord-cadre de Paris, voir l’article du journal Al-Akhbar (en arabe) : « Al-Akhbar publie les termes de l’accord-cadre de la réunion de Paris », Al-Akhbar, 31 janvier 2024.. Les Israéliens, tous bords politiques confondus, n’entendent pas s’engager à mettre fin aux hostilités dans le cadre d’un accordEntretien avec une source proche des cercles décisionnaires israéliens, 8 février 2024.. Ils tiennent à maintenir des forces dans l’enclave et se réserver le droit d’y mener des opérations. Pour le Hamas, tout accord doit acter que celui-ci mènera à un moment ou à un autre à un cessez-le-feu permanent et au retrait total des forces armées israéliennes. Selon un cadre du Hamas de Gaza, ces deux conditions sont non négociables« Nous [le Hamas] ne pouvons pas négocier un accord sans la perspective d’un cessez-le-feu permanent, un retrait complet des forces armées israéliennes et l’autorisation pour les Gazaouis de remonter dans le nord. Le nombre de prisonniers, la quantité de l’aide humanitaire peuvent éventuellement être négociés mais pas le reste » (entretien téléphonique, 14 février 2024).. Ces positions jusqu’au-boutistes de part et d’autre s’expliquent par le fait qu’un nouvel accord, contrairement à celui conclu en décembre, façonnera de facto l’issue de la guerre. Pour les deux camps, renoncer aux lignes rouges exposées serait synonyme de défaite, ce qu’aucune des deux parties n’est prête à accepter. Lors des rencontres à Paris, les États-Unis ont déclaré publiquement soutenir l’exigence de leur allié israélien de ne pas être contraint à une cessation permanente des hostilités« Al-Akhbar publie les termes de l’accord-cadre de la réunion de Paris », op. cit.. Mais pour tenter de sortir de l’impasse, ils ont également fait passer le message au Hamas qu’une longue trêve, dans le cadre de la première phase d’un accord, pourrait leur permettre de convaincre Tel Aviv de s’engager dans une solution diplomatique à la crise et mettre fin à la guerre. Mais le Hamas exige des garanties solides« Les États-Unis tentent de nous [le Hamas] vendre ça, qu’un cessez-le feu temporaire mènera à plus. Mais nous savons quel jeu les Israéliens sont en train de jouer. Et Halevi [le CEMA israélien] a déjà donné hier une réponse claire là-dessus, en disant que l’armée israélienne savait exactement comment revenir à Gaza après un cessez-le-feu. Nous ne pouvons pas laisser l’avenir de notre peuple suspendu à un accord aux termes trop vagues » (entretien téléphonique, 14 février 2024)..
Le deuxième constat est que les calculs de politique interne de B. Netanyahu réduisent considérablement les marges de négociation. Le Premier ministre israélien s’oppose à la position des deux autres membres du cabinet de guerre, B. Gantz et G. Eisenkot, qui privilégient une libération des otages sur les objectifs militaires et estiment que seul un accord avant toute nouvelle offensive pourrait y conduireLe Hamas a déclaré que toute offensive sur Rafah mettrait fin aux négociations pour la libération des otages (voir « Hamas says any Israeli ground offensive in Rafah will ‘blow up’ hostage exchange talks – Aqsa TV », Reuters, 11 février 2024).. B. Netanyahu persiste à marteler que seule la pression militaire permettra de remplir l’ensemble des objectifs de guerre affichés (détruire le Hamas, libérer les otages, assurer la sécurité aux frontières israéliennes) et que signer un accord « trop coûteux » reviendrait pour Israël à perdre la guerre« Netanyahu uses hostage rescue to justify Rafah strikes as his support dwindles », The Guardian, 12 février 2024.. Dans ce cadre, il cherche à se présenter comme le seul leader politique israélien en capacité de résister aux pressions internationales et d’empêcher toute forme de souveraineté nationale palestinienneVoir « Israel-Hamas War Day 135 | Netanyahu Gov’t Rejects Unilateral Recognition of Palestinian State; Gantz Issues Rafah Ultimatum », Haaretz, 18 février 2024.. Mais derrière ce positionnement idéologique, le Premier ministre israélien tente avant tout d’assurer sa survie politique. Contrairement à ses adversaires, B. Netanyahu n’est pas pressé de conclure un accord. Alors qu’il devra nécessairement rendre des comptes en tant que Premier ministre pour ne pas avoir su prévenir les attaques du 7 octobre, la prolongation de la guerre lui assure une relative immunité politiqueB. Netanyahu est le seul haut responsable politique à n’avoir pas déclaré qu’il assumerait ses responsabilités pour le 7 octobre (« Netanyahu’s refusal to take responsibility for October 7 will be his downfall – analysis », The Jerusalem Post, 5 novembre 2023).. C’est surtout sur le maintien de sa coalition avec les leaders du parti fondamentaliste d’extrême-droite « Sionisme religieux », I. Ben Gvir et B. Smotrich, qu’il compte pour parvenir à rester au pouvoirUn analyste politique israélien explique : « Netanyahu a bien plus peur d’être lâché politiquement par Ben Gvir que par Gantz. Ben Gvir est perçu par Netanyahu comme un partenaire de long terme, et il constitue une menace en termes de votes. Gantz est bien trop gauchiste pour la base de Netanyahu, il ne lui volera pas de votes. Les menaces de Ben Gvir de quitter la coalition en cas d’accord sur un cessez-le-feu qui ne répondrait pas à ses exigences, par exemple sur la durée de l’arrêt des combats et sur les catégories des prisonniers palestiniens relâchés, sont réelles. Si un tel accord est signé, ce sera pour lui l’occasion de partir » (entretien téléphonique, 19 janvier 2024).. Or, ces deux alliés s’opposent fermement à tout arrêt total des combats pour une durée significative et à la libération de prisonniers palestiniens condamnés à perpétuité. Ils menacent de faire tomber le gouvernement en cas d’accord qu’ils estimeraient « irresponsable »Les deux leaders du parti « Sionisme religieux » ont appelé à plusieurs reprises au retour des colons israéliens dans la bande de Gaza et à « encourager » l’émigration des Gazaouis. Ils imputent également les attaques du 7 octobre au retrait israélien de Gaza de 2005 (voir « Washington et Paris critiquent les propos de ministres israéliens appelant à l'émigration de Gazaouis », France 24, 3 janvier 2024).. Fin janvier 2024, le chef de l'opposition israélienne, Yair Lapid, a tenté d’offrir une porte de sortie au Premier ministre pour essayer de sécuriser un accord sur la libération des otages« Lapid ready to enter government instead of Ben Gvir, Smotrich, to ensure hostage deal », The Times of Israel, 31 janvier 2023.. Il s’est dit prêt à remplacer le parti d’extrême-droite au gouvernement et de servir ainsi de « filet de sécurité » à B. Netanyahu. Mais cette proposition, fortement appuyée par les États-Unis, a été rejetée par le Premier ministre. Selon une source proche de ce dernier, celui-ci ne compte en aucun cas se reposer sur un partenaire comme Y. Lapid pour tenter de se maintenir en vie politiquement« Netanyahu aurait besoin que Lapid lui promette de rester au gouvernement pendant au moins un an. Mais cela paraît risqué et Netanyahu n’a aucune confiance en lui. L’absence de confiance entre le Premier ministre et ses opposants politiques a atteint un niveau sans précédent. G. Eisenkot craint de s’exprimer jusqu’au sein du cabinet de guerre, car il sait que la presse en faveur de Netanyahu utilisera ses propos dès le lendemain pour le décrire comme un gauchiste » (entretien téléphonique, 8 février 2024).. En l’absence d’un accord, il y a fort à parier que B. Gantz et Eisenkot quitteront le cabinet de guerre. La légitimité de B. Netanyahu pour conduire cette guerre s’en trouverait certes encore plus écornée et les manifestations appelant à sa démission prendraient de l’ampleur. Mais le gouvernement actuel pourrait tout de même survivre.
Conclusion
Dans la configuration politique actuelle en Israël, les chances de voir aboutir les efforts du Qatar et de l’Égypte, aux côtés des Américains, pour parvenir à un accord acceptable par les deux parties sont minces. Pour autant, plusieurs facteurs pourraient encore modifier la donne : pressions sérieuses des États-Unis (mais ils ne semblent pas y être disposés), retour des manifestations de grande ampleur en Israël... À ce stade néanmoins, le scénario qui paraît désormais le plus probable demeure la prolongation de la guerre, avec une offensive israélienne à Rafah.
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