Les événements du 11 septembre 2001 ont eu une dimension planétaire, touchant de manière inimaginable, tant par leur forme que par leur brutalité, les symboles de la puissance américaine comme le Pentagone et le Word Trade Center, dont l’architecte, Minoru Yamasaki, avait dit, dans une allocation prononcée le 4 avril 1973 à l’occasion des cérémonies d’inauguration, qu’il était « le symbole vivant de l’attachement de l’homme à la paix dans le monde »Le 11 septembre 2001. Mémoire d’objets. Histoire d’hommes, Publication du Mémorial de Caen, Editions Ouest-France, 2008, p. 30.. Près de soixante ans après l’attaque aérienne surprise du 7 décembre 1941 sur Pearl Harbour, l’Amérique connaissait sur son propre sol une situation de guerre à laquelle elle n’était pas préparée.
Au-delà de l’effet immédiat de sidération qu’a provoqué cette tragédie, le gouvernement américain et la communauté internationale ont su rapidement réagir et apporter une réponse à cette situation inédite de par son ampleur et sa soudaineté. Après une phase de stupéfaction, l’Amérique a su retrouver ses esprits et se rassembler comme jamais elle ne l’avait fait depuis la Seconde Guerre mondiale. Avec détermination, elle se mit alors à agir en concertation et avec le soutien d’une grande partie du monde « pour prévenir et éliminer les actes terroristes », comme l’appela de ses vœux, dans son article 4, la résolution 1368 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies le 12 septembre 2001.
L’action des Etats-Unis porta au premier chef sur l’intérieur de leurs frontières, avec parmi les priorités le renforcement de la protection des infrastructures aéroportuaires puisque le mal était venu de l’action de dix-neuf terroristes s’emparant d’avions civils pour les projeter contre les symboles vivants de la nation américaine. Suivirent les mises sous protection d’autres infrastructures critiques comme les ports, les stations de train et de métro, les gares routières, ainsi que des réseaux essentiels à la vie que sont l’électricité et l’alimentation en eau potable.
Fut confiée au Department for Homeland Security (DHS), créé en 2002 (Public law P.L. 107-297), la responsabilité de veiller à la protection des infrastructures critiques américaines, incluant le secteur de l’eau. Dans la Homeland Security Presidential Directive-7, l’Environmental Protection Agency (EPA) fut plus précisément désignée comme l’organisme public responsable de la protection des systèmes de production et de distribution d’eau potable, mais également de ceux en charge de la collecte et du traitement des eaux uséesClaudia Copeland, Terrorism and Security Issues Facing the Water Infrastructure Sector, Congressional Research Service, 15 décembre 2010, p. 2..
Cet empressement à renforcer la sûreté des systèmes hydrauliques est certes directement lié aux évènements du 11 septembre, mais il s’inscrit aussi, de facto, dans l’héritage des années de guerre que les Etats-Unis eurent à connaître aux côtés de leurs alliés contre les puissances de l’Axe et contre le Japon en particulier. En 1941, le directeur du FBI, J. Edgar Hoover, écrivait ainsi qu’« il est reconnu de longue date que parmi les infrastructures publiques, l’alimentation en eau représente un point de vulnérabilité particulier, offrant des opportunités d’attaque à un agent étranger »J. E. Hoover, « Water Supply Facilities and National Defense », Journal of the American Water Works Association, vol. 33, n° 11, 1941, p. 1862..
Le renforcement de la protection des infrastructures hydrauliques post-11 septembre
Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, les premiers systèmes hydrauliques concernés par un renforcement drastique de leur sécurité furent les barrages hydroélectriques et les retenues d’eau brute destinées à l’irrigation, au contrôle des inondations ou encore à l’alimentation en eau domestique et industrielle. Les plus importants d’entre eux avaient été construits et étaient administrés par le Bureau of Reclamation, qui dépend du Department of the Interior, et par l’US Army Corps of Engineers, qui relève du Department of Defense.
Dans les heures qui suivirent les attentats ayant visé New York et Washington, ces ouvrages furent mis en alerte maximale, et leur sécurité fut renforcée par le déploiement de forces locales de police et d’éléments de la Garde nationale. Entre 2002 et 2006, le Bureau of Reclamation se lança dans un vaste programme de mise en sûreté visant d’abord à étudier la vulnérabilité des installations face aux scénarios de la menace, puis à déployer des mesures correctives en matière de dissuasion, de détection et de protection sur 280 ouvrages considérés comme les plus sensibles.
Les risques liés aux usines de production et aux réservoirs de distribution d’eau avaient déjà été pris en compte à compter de 1998 par la Presidential Decision Directive 63 (PDD-63) de l’administration ClintonThe Clinton Administration’s Policy on Critical Infrastructure Protection. Presidential Decision Directive 63, 22 mai 1998. , désignant le secteur de l’eau comme l’un des huit secteurs d’activité stratégiques devant être mieux protégés contre les actes criminels ou terroristes. Une première déclinaison des démarches de réduction des vulnérabilités concerna alors 340 systèmes d’alimentation en eau desservant chacun plus de 100 000 personnes.
Au lendemain du 11 septembre, cette démarche d’analyse de risques fut étendue à un nombre élargi de délégataires privés ou de régies publiques, en conséquence du Public Health Security and Bioterrorism Preparedness and Response Act (P.L. 107-188) de mai 2002. Selon son titre IV, tout exploitant d’un système d’alimentation en eau desservant plus de 3 300 personnes se devait en effet de mener à bien des audits de vulnérabilités et d’en soumettre les conclusions à l’EPA.
L’accent fut en outre mis sur le besoin des exploitants de disposer de plans opérationnels de gestion de crise face aux risques détectés, et en particulier en réponse à une pollution intentionnelle d’origine bactériologique ou chimique du réseau de distribution, tout comme en matière de capacités d’alerte rapide aux populations.
Enfin, les prémices du risque de cybermalveillance étaient prises en compte dans ces revues de détails portant sur les risques et menaces pesant sur les systèmes d’alimentation en eau potable.
Innovation et recherche en matière de sécurité des installations
Avec l’objectif d’un renforcement de la culture de sécurité au sein du secteur de l’eau, l’EPA avait signé, en 2000, un accord avec les deux associations représentatives que sont l’American Metropolitan Water Association (AMWA) et l’American Water Works Association (AWWA).
Au lendemain des attentats, l’Agence fédérale de la protection de l’environnement accéléra cette dynamique de coopération et commença une collaboration étroite avec le Sandia National Laboratory, appartenant au Department of Energy, pour développer des outils d’analyse de vulnérabilités, ainsi que, à partir de 2002, pour construire le Water Information Sharing and Analysis Center (ISAC), dont la pertinence ne s’est pas démentie depuis.
Cette plateforme numérique entre opérateurs américains de l’AWWA et services fédéraux a en effet permis un échange instantané d’informations en matière d’évaluation de la menace et de gestion de crise. Elle a également rendu possible une entraide entre exploitants en réponse aux situations de rupture de continuité d’activité qu’ils ont à affronter suite à des actes malveillants, des désastres naturels, des situations de blackout électrique (exemple : prêts de main d’œuvre et de moyens de pompage, de stations mobiles de production d’eau, de groupes électrogènes), entraide qui s’est ensuite déclinée à travers la mise en place du système WARNS (Water/Wastewater Agency Response Networks).
En conséquence des attentats du 11 septembre et à compter de 2005, l’EPA s’est également fortement investie pour faire émerger des moyens d’alerte de contamination en temps réel sur les réseaux de distribution d’eau, à travers le projet WaterSentinel, en permettant l’installation de capteurs sur les réseaux de villes-pilotes comme Cincinnati, New York, San Francisco, Dallas et Philadelphie, ou, plus tard, en veillant à doter de capteurs de détection la ville hôte de la finale annuelle du Super Bowl.
La réponse française
Ce que les Etats-Unis mirent en place pour protéger leurs infrastructures hydrauliques au lendemain du 11 septembre fut ainsi assez complet et allait directement influencer la réponse d’autres pays occidentaux, en particulier de la France, face aux menaces terroristes pouvant porter atteinte à la continuité du service de l’eau et à son intégrité.
Le 11 octobre 2001, des instructions visant à renforcer les mesures de prévention des risques terroristes contre les réseaux d’eau potable étaient ainsi adressées aux opérateurs par circulaire conjointe des ministères chargés de la santé et de l’écologie, dans le cadre du plan VIGIPIRATE renforcé.
Sur le même modèle qu’aux Etats-Unis, il fut ensuite décidé, dans le cadre d’un Plan d’action interministériel pour la protection des systèmes d’alimentation en eau vis-à-vis d’une attaque terroriste, finalisé en 2003, de procéder à des évaluations de vulnérabilités sur les réseaux d’eau publics, d’abord auprès de grosses collectivités (au-delà de 50 000 habitants desservis), puis auprès de plus petites, selon un principe d’auto-évaluation.
Il était également question d’améliorer la protection des ouvrages par des plans pluriannuels d’investissement, et de renforcer la surveillance en continu de la qualité d’eau via des capteurs de nouvelle génération, à même de détecter les agents pathogènes de la menace terroriste, et via l’extension du nombre d’analyseurs de chlore déployés permettant de détecter une contamination en raison d’une variation du taux chlore résiduel dans le réseau.
Ensuite, une première Directive Nationale de Sécurité (DNS) Eau fut élaborée et approuvée en comité interministériel de défense et de sécurité le 26 juillet 2007, et son décret d’application – signé par le Premier ministre le 18 octobre 2007.
Une seconde DNS, toujours classée Confidentiel Défense, sera ensuite approuvée par arrêté du 7 novembre 2016. Elle continue de régir aujourd’hui l’évaluation des scénarios de menaces et de risques pour les exploitants des services d’eau des grandes métropoles françaises, qui ont été désignés Opérateur d’Importance Vitale.