Notes de la FRS

La Russie face à la Covid-19 : enjeux nationaux et internationaux

Note de la FRS n°38/2020
Isabelle Facon
12 mai 2020

Le 28 avril, le président Poutine a annoncé pour le 12 mai la sortie progressive du régime de restrictions imposées en réponse à l’épidémie de Covid-19 en Russie, ce alors que le pic de l’épidémie n’a pas encore été atteint (le chef de l’Etat a d’ailleurs laissé aux autorités régionales le soin d’ajuster leurs décisions à ce sujet en fonction de l’état épidémiologique local). Ces derniers mois, la situation en Russie pose des questions sur ce qui se passe au sommet de l’Etat – entre les rebondissements politiques depuis janvier (remaniement du gouvernement, « saga » de la réforme constitutionnelle…) et la « guerre du pétrole » dans laquelle s’est engagé le Kremlin début mars en remettant en cause l’accord OPEP+ malgré un contexte économique international qui apparaissait assez peu propice à une telle opérationCelle-ci a été qualifiée de coûteuse erreur stratégique par des politologues russes, par exemple Andreï Kortounov, directeur du Centre russe pour les affaires internationales, cité in Evgenia Pismennaya, Ilya Arkhipov, Henry Meyer, « Putin Makes Painful Climbdown as He Sues for Peace in Oil War », Bloomberg, 13 avril 2020.. La façon dont le Kremlin gère la crise du coronavirus n’échappe pas complètement à ce questionnement à l’heure où la Russie se dirige vers un « scénario à l’européenne » – pour reprendre les termes du maire de Moscou, épicentre de l’épidémieIl est à ce titre très présent dans les dispositifs de gestion de crise Covid-19 établis par les autorités russes : un au niveau du Conseil d’Etat (que S. Sobianine préside) ; un autre au niveau du gouvernement, présidé par le Premier ministre Mikhail Michoustine (récemment diagnostiqué positif au Covid-19 et remplacé par le premier vice-Premier ministre Andreï Beloousov), et dont S. Sobianine est le vice-président..

Le gouvernement russe n’a pas nié les risques. Pour tenter de limiter la diffusion de l’épidémie dans le pays, il a, dès la fin janvier, fermé les frontières terrestres avec la ChineLes deux premiers cas déclarés en Russie étaient des ressortissants chinois., et le 20 février les citoyens chinois étaient temporairement interdits d’entrée en Russie. Par la suite, d’autres mesures de fermeture des frontières et de restriction de circulation ont été progressivement appliquées de et/ou vers certains pays touchés par l’épidémieIran, Corée du Sud, France, Hong Kong, Italie, Pologne, Norvège, Allemagne, Ukraine, Moldova, Lettonie, Belarus, Etats-Unis, Royaume-Uni, Emirats arabes unis (voir la chronologie proposée par le Moscow Times).. Début mars, les Moscovites revenant de pays « à risque » (Chine, Corée du Sud, Iran, France, Allemagne, Italie, EspagneLa liste a été étendue à la mi-mars : Etats-Unis, Royaume-Uni, Union européenne, Ukraine, Belarus et pays européens non membres de l’UE.) ont été priés de se soumettre à un auto-confinement de 14 jours. Le 27 mars, tous les vols vers l’étranger étaient suspendus, et le 30 mars, le pays fermait toutes ses frontières (mesure prolongée pour une durée indéterminée fin avril).

Cependant, en partie parce que le nombre de cas d’infections est resté longtemps peu élevé (et concentré géographiquement), en partie parce que le Kremlin était accaparé par les affaires de politique intérieure (révision constitutionnelle) puis les effets de la rupture du pacte OPEP+ et de la chute de la demande pétrolière mondiale, les autorités russes ont semblé tâtonner et relativiser la situation. C’est en tout cas l’impression qu’ont pu donner la décision du président russe, le 18 mars, de fixer au 22 avril la date du référendum sur la réforme de la Constitution, puis sa réticence manifeste à le reporter – de même qu’un autre événement majeur pour lui : les célébrations du 9 mai pour le 75ème anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie, auxquelles devaient assister, entre autres, les présidents français et chinois. Et il aura apparemment fallu toute la force de conviction du maire de Moscou pour que le président et le gouvernement prennent le sujet Covid-19 à bras le corps et développent une approche plus articulée, les orientations de la gestion de la crise sanitaire et économique pâtissant apparemment de divergences au sein de l’équipe dirigeante.

A mesure que l’épidémie a gagné du terrain dans un pays longtemps apparu relativement épargnéLe 10 mai au soir, l’ensemble des régions et républiques de la Fédération de Russie sont touchées. 221 344 cas sont officiellement recensés, de même que 2 009 décès. 39 801 personnes auraient été guéries (Rapport quotidien sur la situation concernant la lutte contre le coronavirus, Centre de communication du gouvernement de la Fédération de Russie, mis à jour quotidiennement, disponible (en russe) à l’adresse suivante : https://стопкоронавирус.рф/)., un débat actif sur son ampleur exacte s’est fait jour, nombre de journalistes, de praticiens et d’opposants jugeant que le gouvernement s’est montré volontairement trop optimiste sur le sujet, et/ou négligent. L’évaluation de la situation et de sa gestion par les autorités russes au regard des politiques menées par d’autres gouvernements est compliquée. Il faut en effet tenir compte à la fois de la tendance du pouvoir russe à masquer ou déformer les faits défavorables à son image, mais aussi du caractère polarisé des débats internes, chaque « camp » étant tenté de mobiliser la crise à des fins politiques. Au 6 mai, le gouvernement décomptait 165 929 cas en Russie, mais le lendemain, le maire de Moscou estimait à 300 000 le nombre de cas pour la seule capitale, où la mortalité a augmenté de 15,5 % en avril 2020 par rapport à avril 2019 (soit l’augmentation la plus importante depuis 2010). On sait aujourd’hui que de nombreux cas de Covid-19 ont été classés en pneumonies et autres maladies pulmonaires, et que, de l’aveu du ministre de la Santé début avril, l’effort de dépistage n’a pas été suffisant (quantitativement et qualitativement)Tamara Alteresco, « La Russie se ravise : des milliers de pneumonies sont plutôt de la COVID-19 », Radio Canada, 11 avril 2020. Aujourd’hui, la Russie teste assez massivement (5,6 millions de tests au 11 mai), mais le problème de la fiabilité des tests se pose toujours. Le maire de Moscou a ainsi indiqué que 50 % des cas les plus sérieux de Covid-19 moscovites avaient été testés négatifs (Coronavirus in Russia: The Latest News, Moscow Times)..

Au regard de cette confusion apparente sur le plan interne, qu’accentuent la décentralisation de la gestion de crise et les à-coups de la prise de décision gouvernementale sur les mesures de soutien à l’économie, les options du gouvernement russe sur le volet international apparaissent nettement plus faciles à décrypter. Cohérentes avec la ligne de politique étrangère du Kremlin, qui s’estime conforté dans sa vision de l’ordre international pré-Covid-19, elles sont mobilisées comme outil pour minimiser l’impact politique interne de la crise sanitaire – le pouvoir russe étant soucieux de montrer qu’il n’est pas moins efficace que ses homologues étrangers, notamment occidentaux.

Enjeux nationaux : les contraintes de l’action gouvernementale face à la pandémie

Comme ailleurs, la communication des pouvoirs publics a pu sembler hésitante et insuffisamment claire, pesant un temps sur le comportement des citoyens face à l’injonction de restreindre leurs déplacements. Beaucoup d’analyses mettent en avant la volonté du « système » de préserver le chef de l’Etat des effets de la crise. Il a d’ailleurs été beaucoup reproché à Vladimir Poutine de ne pas s’investir suffisamment dans sa gestion – cette dernière, observent des chercheurs occidentaux, n’étant devenue réalité, dans l’esprit de beaucoup de Russes, que lorsque le chef de l’Etat l’a évoquée comme telle, à la fin du mois de marsKRI Online: Marlène Laruelle et Madeline McCann, conférence en ligne du King’s Russia Institute, animée par Sam Greene, 16 avril 2020, sur la gestion de la crise de la Covid-19 dans les Etats de l’ex-URSS.. Si celui-ci s’est exprimé devant la nation à de nombreuses reprises, conformément à son traditionnel rôle de « guide » dans les situations difficiles, on note une forte délégation de « l’initiative anti-Covid-19 » vers les autorités régionales, qui viserait à détourner le poids des responsabilités (et des échecs) vers elles. De plus, décision a été prise de donner au gouvernement la possibilité de déclarer l’état d’urgence, une prérogative relevant jusqu’ici du seul président. Cependant, dans le passé, Vladimir Poutine n’a pas reculé devant des mesures impopulaires – on pense ici à la réforme des retraites, qui avait écorné sa popularitéPoint rappelé in Fabrice Deprez, « Russia’s Confusing COVID-19 Response », Foreign Policy Research Institute, Eurasia Program, 7 avril 2020., ainsi qu’aux choix d’austérité faits au moment de la crise de 2014 pour maintenir la stabilité macro-économique, affectant le niveau de vie de la populationSergey Guriev, Russian Economy: Short, Mid and Long-term Outlook, Deep Dive into Russia Series, ECFR Wider Europe Programme, 15 avril 2020, YouTube.. Visiblement, c’est toujours le cas aujourd’hui, le président russe apparaissant comme l’un des tenants de mesures de soutien à l’économie plus modestes que ce qui a été décidé dans d’autres pays où les amortisseurs sociaux sont plus solidesUne majorité de Russes (2/3) ne dispose pas d’épargne (Ibid.), et beaucoup d’entre eux risquent de perdre leur emploi du fait de la timidité des mesures de soutien direct à l’économie, notamment aux PME, dont beaucoup n’auront pas pu assumer le maintien des salaires durant le mois chômé (avril). Il faut également souligner le poids de l’économie informelle qui, par définition, ne bénéficie pas des trains de mesure d’urgence décidés par le gouvernement..

La gestion de la crise de la Covid-19 par les autorités russes, au-delà d’un ajustement permanent aux réalités créées par l’évolution de la pandémie observé dans bien d’autres pays, suggère que, dans un contexte économique déjà obéré par la dégringolade des prix du brut (ils étaient dans le négatif le 20 avril), réduisant les marges budgétaires de l’Etat russe pour une durée difficile à prévoir, les autorités russes ont voulu limiter l’impact économique de la pandémie en évitant le plus longtemps possible des mesures trop strictes. Il semble aussi qu’elles aient escompté que l’épidémie toucherait les régions en dehors de Moscou de manière étalée dans le temps (du fait de l’isolement de beaucoup des centres urbains et de la circulation relativement peu dense sur l’ensemble de l’immense territoire russe), et que cela faciliterait la gestion de la criseConférence en ligne du King’s Russia Institute, op. cit.. D’ailleurs, si aujourd’hui toute la Fédération de Russie est touchée par la pandémie, il existe une forte différenciation régionale. Le 10 mai, la capitale avait enregistré 6 169 nouveaux cas, l’oblast’ de Moscou – 1 079, Saint-Pétersbourg – 307, l’oblast’ de Nijniï-Novgorod – 291, l’oblast’ de Smolensk – 164, le Daghestan – 119, l’oblast’ de Sverdlovsk – 108 ; les autres régions enregistrant de nouveaux cas en relevaient moins de 100, pour un total de 11 656Rapport quotidien sur la situation concernant la lutte contre le coronavirus, op. cit. Les sujets de la Fédération les plus touchés sont, à cette même date : Moscou ; oblast’ de Moscou ; Saint-Pétersbourg ; oblast’ de Nijniï-Novgorod, Daghestan, oblast’ de Mourmansk, kraï de Krasnodar, oblast’ de Sverdlovsk, oblast’ de Toula, oblast’ de Rostov, oblast’ de Kalouga, Tatarstan, oblast’ de Riazan, oblast’ de Briansk, Ossétie du Nord, Bachkortostan.  .

Assouplissement de la « verticale du pouvoir » ou chaîne d’irresponsabilité ?

Ces mêmes éléments peuvent expliquer partiellement le choix du gouvernement fédéral de laisser une grande marge d’initiative aux autorités régionales quant à la recherche du juste équilibre entre enjeux sanitaires et besoins de l’économie – qu’il s’agisse des modalités du confinement (et du déconfinement), ou de la désignation des acteurs économiques autorisés à continuer à travailler durant le mois d’avril chômé (annoncé le 2 avril par le président russe et faisant suite à une semaine non travaillée, il a été prolongé jusqu’au 11 mai, avec salaire maintenu). Cette pratique décentralisée, actée par un décret présidentiel en date du 2 avril, fait sens compte tenu de la diversité des situations épidémiologiques régionales. Cependant, elle tranche avec les choix faits au cours des vingt dernières années, restreignant fortement les prérogatives des exécutifs régionaux. Pour faire face à la pandémie, les régions ont obtenu le droit d’accroître leurs dépenses et de dépasser les limites fixées à leur déficit budgétaire, ainsi que d’amender l’agencement de leurs dépenses en fonction des besoins de soutien aux agents économiques et de financement de la lutte contre l’épidémieGeorgy Bovt, « Can Russia’s Power Vertical Deal with a Pandemic? », Riddle, 13 avril 2020 ; Tatiana Jean, « La Russie face à un triple défi : réforme constitutionnelle, chute du prix du pétrole et COVID-19 », Editoriaux de l’Ifri, 21 avril 2020.. L’insuffisance des mesures de soutien direct à l’économie est un paramètre à prendre en compte pour expliquer la préférence de certaines régions pour des mesures de confinement souples.

Il sera intéressant de mesurer les effets – et la pérennité – de cette décentralisation assez inédite au regard du durcissement de la « verticale du pouvoir » depuis l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine. Certes les autorités centrales ont eu à rappeler à l’ordre certaines composantes de la Fédération. C’est ainsi que le chef du gouvernement a critiqué, le 6 avril, les décisions sur la fermeture de leurs frontières administratives prises par un nombre (restreint) d’entre elles, les invitant à ne « pas confondre les prérogatives régionales avec les fédérales »« ‘Ne nado poutat’ regional’nyepolnomotchiia s federal’nymi’. Michoustine zapretil zaryvat’ granitsy medjdou reguionami Rossii » [‘Il ne faut pas confondre les prérogatives régionales avec les fédérales’. Michoustine interdit la compromission des frontières entre les régions de Russie], source Interfax, citée sur https://meduza.io, 6 avril 2020.. Le maire de Moscou a bien souvent donné le sentiment de vouloir « secouer » les autorités centrales sur les données de la pandémie et de devancer le gouvernement dans le choix des moyens pour y faire face. Mais une perte de contrôle du pouvoir central sur les régions n’est pas le principal risque dont est porteuse la décentralisation de la gestion de crise. Bien des politologues russes pensent que les gouverneurs pourraient être des « fusibles » utiles, ou que la crise pourrait être mise à profit pour limoger ceux qui sont déjà ciblés par le pouvoir central pour différents motifs. Cela peut peser sur leurs décisions face à la pandémie, et sur leur transparence quant à l’état des lieux sanitaire sur le territoire de leur région. Le site Meduza rapportait récemment que les personnels d’un hôpital à Oufa, capitale du Bachkortostan, une des entités de la Fédération de Russie les plus touchées par le virus, soupçonnaient publiquement les autorités de cette république de dissimuler la vérité des faits quant à l’ampleur de l’épidémie sur son territoire, ce depuis le mois de mars« Doctors under Quarantine at Ufa Hospital Appeal to Russian Authorities to Investigate Mass COVID-19 Outbreak », meduza.io, 30 avril 2020.. Il n’est pas impossible que, gouverneurs et présidents de républiques cherchant à éviter la sanction des autorités fédérales, d’autres cas du même genre se fassent jour.

A la mi-avril, Vladimir Poutine appelait en substance tous les chefs d’exécutifs régionaux à se mobiliser dans une même mesure contre la pandémie. Avançant que l’argent fédéral destiné à la lutte contre le coronavirus avait été débloqué, il déplorait qu’ils ne l’utilisent pas tous avec suffisamment d’efficacité ou de célérité« Poutine : vsié goubernatory doljny polnostiou vypolnit’ rabotou po bor’be s koronavirousom » [Poutine : tous les gouverneurs doivent exécuter pleinement les tâches de lutte contre le coronavirus], TASS, 17 avril 2020.. Les fonds de soutien au secteur médical ne seraient effectivement dépensés que dans une petite mesure par les pouvoirs régionaux (moins de 10 %)Selon le Premier ministre Michoustine, qui indique que l’Etat central aurait débloqué en janvier 33 milliards de roubles pour que les régions puissent augmenter le nombre de lits disponibles dans les hôpitaux, puis 32 milliards en avril pour leur permettre l’acquisition d’équipements et de moyens de protection individuelle ; cela représente au total à peu près 800 millions d’euros (Vladimir Kouz’mine, « Michoustine raskritikoval regiony za negotovnost’ k priemou bol’nykh COVID-19 » [Michoustine critique les régions pour leur impréparation à accueillir les malades de la COVID-19], Rossiïskaïa Gazeta, 22 avril 2020).. En tout état de cause, il est plus que probable que de nombreux gouverneurs soient avant tout embarrassés de la marge de manœuvre que leur offre soudainement le Kremlin, d’autant qu’elle n’est pas accompagnée d’une offre de moyens supplémentaires très importante.

Un soutien à l’économie très prudent

En effet, le gouvernement russe, qui dispose de réserves financières substantiellesLe Fonds de stabilisation (Fond natsional’nogo blagosostoianiia, ou Fonds de bien-être national) est évalué à 165,38 milliards USD au 1er avril 2020 (source : Ministère des Finances) ; les réserves de change – à 563,4 milliards USD au 10 avril 2020., s’est montré depuis le début de la crise réticent à les dépenser, en dépit des annonces préoccupantes qu’il a faites sur l’impact économique de la crise sanitaireLe chef de l’Etat russe a annoncé, dès sa première allocution de crise (25 mars), que « comme les économies d’autres pays », celle de la Russie s’apprêtait à traverser des temps difficiles. Selon Alekseï Koudrine, aujourd’hui président de la Cour des Comptes, le nombre des chômeurs en Russie pourrait passer de 2,5 à 8 millions d’ici la fin de l’année. Selon les pronostics de la Cour, en fonction de la durée des mesures de restriction de circulation et d’activité sur le territoire, le PIB de la Russie pourrait baisser de 5 % d’ici à la fin de l’année (« Tchislo bezrabotnykh v Rossii mojet vyrasti bolee tchem v tri raza » [Le nombre de chômeurs en Russie pourrait plus que tripler], Gazeta.ru, 13 avril 2020). Des économistes proposent des prévisions encore plus sombres, et Koudrine lui-même a récemment évoqué une possible récession de 6-8 %.. Cela a alimenté les critiques sur l’insuffisance des mesures de soutien à l’économie (aux alentours de 3 % du PIB) au regard de ce que font d’autres pays – ce même si elles se sont étoffées au fil des trains de mesure. Cela a d’ailleurs fait l’objet d’un débat au sein du pouvoir russe, le maire de Moscou et Guerman Gref, président de la Sberbank, appelant dès le début de la crise à des mesures fortes de soutien à l’économie, le ministre des Finances Anton Silouanov et le président Poutine lui-même privilégiant une position d’attenteConférence en ligne du King’s Russia Institute, op. cit.. L’Etat, qui doit compenser les effets de la chute de la demande mondiale de pétroleIl a déjà dépensé, en mars, quelque 7 milliards USD de ses réserves de change pour pallier la chute des prix du pétrole et celle, consécutive, du rouble – de plus de 30 % en mars (Henry Foy, Steve Johnson, « Russia Tapped Foreign Exchange Reserves as Rouble Tumbled », Financial Times, 10 avril 2020)., a sans doute préféré temporiser. Ainsi, non accompagnée d’aide directe de l’Etat, la décision sur le mois d’avril non travaillé avec maintien des salaires a suscité le désarroi de bien des chefs de PME du secteur privé. Ces choix sont en phase avec le conservatisme fiscal des autorités russes tel qu’il est observé depuis plusieurs années : les réserves financières étant conçues comme un gage de souveraineté géopolitiquePour reprendre les termes de Marlène Laruelle, professeur à l’Université George Washington, Conférence en ligne du King’s Russia Institute, op. cit., l’Etat russe a ces dernières années cherché à réduire au maximum son engagement financier dans les services publics.

Les effets en sont d’ailleurs particulièrement saillants à l’heure où la pandémie met en exergue les conséquences négatives des chocs et réformes qu’a subis le système de santé public depuis l’effondrement de l’URSS, avec à la clef de fortes réductions d’effectifs et de nombreuses fermetures d’établissementsBoris Iounanov, « Système de santé : l'heure de la reconquête », Courrier de Russie, 24 avril 2020.… A mesure que l’épidémie s’étend en Russie, les problèmes récurrents qui en découlent se manifestent pleinement, posant la question de la capacité du système hospitalier à supporter la pression qui s’exerce aujourd’hui sur lui. Faisant écho à la situation dans de nombreux autres pays, beaucoup de critiques s’expriment sur le manque de moyens qui frappe les hôpitaux, a fortiori dans les régions les plus éloignées de la capitaleVoir Benjamin Quénelle, « La Russie des hôpitaux dépassée par le coronavirus », La Croix, 14 avril 2020. On peut évoquer ici les arrestations multiples dont a fait l’objet Anastassia Vasilieva, présidente de l’Alliance des médecins, syndicat indépendant, et proche de l’opposant Alekseï Naval’nyï, qui a organisé l’acquisition et la livraison d’équipements pour aider les hôpitaux dans plusieurs régions de la Fédération de Russie, et dénoncé le manque de moyens du système médical russe tout en accusant les autorités russes de dissimulation quant aux vrais chiffres de la pandémie en Russie.. Si le nombre d’épidémiologistes et de lits d’hôpitaux demeure proportionnellement plus important que dans beaucoup de pays, il a baissé fortement entre 1990 et 2018 (respectivement de 33 000 à 13 300 et de 140 000 à 59 000)Alexandra Vacroux, « Russia’s Health Care System, Demographics Present Unique Advantages, Disadvantages in Fighting COVID-19 », https://russiamatters.org, 30 avril 2020.. Des hôpitaux sont devenus des vecteurs de la propagation du virus du fait de manques de masques et autres protectionsLe ministre de l’Industrie et du Commerce, Denis Mantourov, a annoncé courant avril que la Russie n’exportait plus de protections médicales individuelles et d’équipement médical, et devait s’en procurer en quantités importantes auprès de la Chine (« Russia Buys Protective Gear from China in Large Amounts », TASS, 19 avril 2020). Toutefois, début mai, il a signalé que ces interdictions avaient été levées. Cela correspond peut-être à l’augmentation de la production nationale de masques qui, en Russie comme ailleurs, a été intensifiée., dont le président Poutine a reconnu la pénurie ; le personnel médical n’est pas épargné par l’épidémieBenjamin Quénelle, « En Russie, la ‘liste du souvenir’ du personnel médical mort du Covid-19 », La Croix, 1er mai 2020 ; « En Russie, débrouille et marché noir face à la pénurie de masques », AFP, 1er mai 2020. Dans la capitale russe, 2 000 médecins auraient contracté le coronavirus (chronologie du Moscow Times, 2 mai). ; et les étudiants en médecine de quatrième et cinquième années ont été sollicités pour contribuer à l’effort anti-Covid-19. Il faudra voir si l’effort budgétaire soudainement consenti par l’Etat russe (qui inclut des primes aux soignants) mais aussi par des oligarquesBoris Iounanov, « Système de santé : l'heure de la reconquête », op. cit. permettra de compenser trois décennies de sous-investissement et les fortes disparités de situations entre régions du point de vue de l’état du système de soins.

L’armée à la rescousse

Le pouvoir russe s’appuie, dans la gestion de la crise, sur le secteur militaire, qui a bénéficié d’un important effort financier depuis le début des années 2010, Vladimir Poutine étant soucieux de compenser le sous-financement des forces dans les deux décennies précédentes. Dès le 15 mars, le chef de l’Etat russe appelait l’armée à organiser des exercices destinés à accroître sa préparation opérationnelle à participer si nécessaire à la lutte anti-Covid-19Voir Mathieu Boulègue, « How is the Russian Military Responding to COVID-19? », War on the Rocks, 4 mai 2020.. A la mi-avril, il indiquait que les spécialistes médicaux de l’institution militaire pourraient être mis à contribution autant que de besoin (la Direction principale médicale du ministère de la Défense – Glavnoe voenno-meditsinskoe oupravleniie, GVMOu – disposerait de plus de 100 000 spécialistes médicaux, 23 000 médecins, des stocks de matériels médicaux et de médicamentsMark Galeotti, « If Putin Wants to Use the Military against the Coronavirus, He’ll Need to Trust his Governors or Step up Himself », The Moscow Times, 14 avril 2020.). Le ministère de la Défense est mobilisé dans la construction d’hôpitaux spécialisés Covid-19 (seize sur l’ensemble du territoire russe d’ici au 15 mai), la décontamination de bâtiments dans certaines villes ou l’acheminement de l’aide internationale proposée par le gouvernement russeBoris Iounanov, « Système de santé : l'heure de la reconquête », op. cit. ; Jörgen Elfving, « The Impact of COVID-19 on the Russian Armed Forces », Eurasia Daily Monitor, vol. 17, n° 54, 21 avril 2020.. Celle à l’Italie a mobilisé ses capacités dédiées à la lutte contre les maladies infectieuses, ce que le président russe a mis en avant lorsqu’il a indiqué que l’armée allait aider à l’effort national contre la Covid-19« Medikov Minoborony mogout privletch’ k bor’be s koronavirousom v Rossii – Poutine » [La lutte contre le coronavirus en Russie pourra engager les médecins du ministère de la Défense], AiF, 13 avril 2020.. Et ce sont les forces aérospatiales (VKS) qui ont transporté les matériels médicaux que les Etats-Unis ont acquis auprès de la Russie en avril (matériels dont une partie est d’ailleurs produite par une entreprise de défense sous sanctions, KRET, qui produit, entre autres, des moyens de guerre électronique ; elle relève, qui plus est, de la tentaculaire corporation Rostec, elle aussi sous sanctions, et dont plusieurs composantes sont actuellement mobilisées dans la production de moyens médicaux dans la réponse nationale à la Covid-19Tatiana Stanovaya, « The Putin Regime Cracks », Carnegie Moscow Center, 7 mai 2020.). Cependant, l’armée, qui a retardé mais maintenu sa campagne de conscription du premier semestre, n’est pas épargnée par la pandémie (1 723 cas le 10 maiTweet des Izvestia., ce qui concerne en particulier les personnels qui devaient participer au défilé du 9 mai).

Rattrapée par la crise sanitaire internationale dans un environnement économique complexe, la Russie n’en est pas moins attentive aux opportunités (et aux difficultés) que la pandémie pourrait susciter du point de vue de son positionnement international.

La Russie face à la Covid-19 : quête d’opportunités sur le front international 

Une aide internationale modeste mais ciblée

L’aide internationale de Moscou dans le cadre de la crise sanitaire internationale s’avère plus modeste que celle que propose la Chine. Les moyens apportés par l’armée russe à l’Italie, qui a également reçu de l’aide chinoise, ont attiré un intérêt particulierLa Russie a dépêché vers l’Italie quinze avions militaires avec des unités de décontamination, huit brigades médicales et 100 membres des troupes de protection NBC.. Critiquée par différents acteurs en Russie, la jugeant incongrue au regard des difficultés prévisibles du secteur médical en Russie face à la pandémieTamara Alteresco, « Covid-19 : la médecin qui remet en question le nombre de cas en Russie a été arrêtée », Radio Canada, 4 avril 2020., cette aide reflète d’abord la reconnaissance de la Russie vis-à-vis d’un pays qui, ces dernières années, a été l’un des rares membres de l’Union européenne (UE) à prôner la réconciliation avec Moscou. Que dans ce contexte Moscou espère par ailleurs que cet acte de solidarité, en dédramatisant l’image de la « menace russe » dans certains pans de l’opinion publique occidentale et auprès de certains gouvernements, puisse contribuer à écorner le consensus européen et transatlantique, qui a ses failles sur le dossier Russie, n’aurait rien de surprenant. L’aide russe à l’Italie a fait l’objet, dans les pays occidentaux, d’analyses d’intentions encore plus sombres, considérant qu’elle visait à « renforcer les sentiments anti-UE et l’impression que l’UE s’effondre, de gagner des points en termes de propagande tout en récoltant du renseignement au cœur de l’OTAN »Natalia Antelava, Jacopo Iacoboni, en collaboration avec La Stampa, « The Influence Operation behind Russia’s Coronavirus Aid to Italy », codastory.com, 2 avril 2020.. Le durcissement de la politique étrangère russe ces dernières années (démonstration de force militaire récurrente, affaire Skripal, ingérences dans la vie politique de certains pays occidentaux…) constitue l’arrière-plan de ces analyses négatives. Et vu l’état actuel des relations entre la Russie et l’Occident, il n’est pas étonnant que certains officiels italiens, tout en accueillant cette aide russe, aient tenu à rappeler certaines données du contexte géopolitique pré-Covid, montrant par exemple une Russie active à se positionner comme compétiteur des Européens en Méditerranée et en AfriqueUn général italien a ainsi rappelé que « la Méditerranée, aussi bien orientale que centrale, est un champ de bataille pour l’hégémonie, de la Syrie à la Libye » (cité in Ibid.). Début mai, une aide à l’Algérie était annoncée de même qu’à la RDC (deux laboratoires mobiles et des moyens de dépistage pour cette dernière, à l’image de ce qu’a reçu la Guinée équatoriale ; Interfax, 5 mai 2020). Sputnik a indiqué que, de source diplomatique, plusieurs pays du monde arabe avaient sollicité l’aide de la Russie – outre l’Algérie, l’Égypte, le Qatar, le Koweït, le Liban, la Libye, la Mauritanie, le Maroc, la Palestine, la Syrie, le Soudan, le Yémen et la Tunisie (Kamal Louadj, « L’Algérie, premier pays arabe à recevoir une aide médicale russe », https://fr.sputniknews.com, 30 avril 2020).. L’expansion de la Covid-19 sur le territoire national n’empêche d’ailleurs pas la diplomatie russe de demeurer active sur les dossiers syrien et libyen.  

En tout état de cause, l’aide internationale de la Russie recoupe certaines de ses priorités diplomatiques, qu’il s’agisse du soutien au VenezuelaEn mars-avril, Caracas a reçu 30 000 tests de dépistage. Plus de 40 millions de tonnes de médicaments sont annoncées pour la première dizaine de mai (Alena Koroleva, « Rossiia postavit v Venezuelou bolee 40 tonn medikamentov » [La Russie va livrer plus de 40 tonnes de médicaments au Venezuela], The Insider, 26 avril 2020). ou de l’aide médicale transportée par l’armée russe vers la Serbie, faisant écho à l’effort de Moscou destiné à consolider ses positions dans les Balkans occidentaux face aux influences croisées de l’Union européenne, de l’OTAN mais aussi de la ChineL’armée russe a organisé onze vols vers la Serbie emportant des médecins (virologues et épidémiologistes) ainsi que des matériels de diagnostic et des moyens de décontamination (Ibid. ; Shaun Walker, « Coronavirus Diplomacy: How Russia, China and EU Vie to Win over Serbia », The Guardian, 13 avril 2020 ; Vuk Vuksanovic, « China has its Eyes on Serbia », Foreign Policy, 8 avril 2020 ; Elena Teslova, « COVID-19: Russia Sends Doctors, Supplies to Serbia », AA, 3 avril 2020).. L’ex-URSS, que l’on sait au cœur des priorités stratégiques russes, n’est pas oubliée : on pense ici au prêt de 217 millions USD sur dix ans que la Russie a consenti à la Moldova, à un taux d’intérêt annuel de 2 %« Moldova Reaches Loan Agreements With Russia, IMF To Counter Outbreak Fallout », RFE/RL, 22 avril 2020., au soutien à l’Ouzbékistan, ainsi qu’à l’aide fournie aux pays partenaires de l’Union économique eurasiatique (Arménie, Belarus, Kirghizstan). On peut également noter que le président russe a signé un décret interdisant l’expulsion des étrangers (essentiellement des ressortissants des républiques ex-soviétiques) et l’extension automatique de la durée de validité de leurs visas et autres permis de séjour entre le 15 mars et le 15 juin« Russia Suspends Deportations during Coronavirus Pandemic », Moscow Times, 23 avril 2020..

La livraison, le 1er avril, de matériel médical aux Etats-Unis, que le porte-parole du Kremlin Dmitriï Peskov a qualifiée d’aide humanitaire alors qu’il s’agissait d’une vente (600 000 USD à la charge des Etats-Unis), a fait couler beaucoup d’encre. Pour certains, la Russie espèrerait en un nouveau grand « deal », du type reset, avec les Etats-Unis. S’il est douteux que Moscou nourrisse sérieusement de telles attentes, compte tenu de l’état fort dégradé des relations bilatérales, le contexte a pu encourager le Kremlin à ce geste de solidarité envers les Etats-UnisLe compte Twitter du ministère russe des Affaires étrangères a posté une photographie du chargement de l’Antonov des VKS avec le hashtag #RussiaHelps, en indiquant qu’il s’agissait de « sauver des vies américaines ».. De fait, à cette époque, il avait intérêt à favoriser l’établissement de conditions favorables aux négociations avec Washington sur la question pétrolière (un accord a été trouvé le 13 avril). Les Russes ont ainsi pu espérer atténuer l’effet barrage susceptible de provenir des autres composantes de l’Exécutif américain, qui ne suivent pas Donald Trump sur le dossier russeVoir à ce sujet l’analyse d’Andrew Weiss, pour qui la démarche russe revenait à essayer de « court-circuiter la bureaucratie de sécurité nationale américaine, le Département d’Etat, le Pentagone, la communauté du renseignement » (cité in Nicole Gaouette, Marshall Cohen, Michael Conte, « Putin Leverages Coronavirus Chaos to Make a Direct Play to Trump », cnn.com, 18 avril 2020).. Quoi qu’il en soit, les autorités russes ont au moins pu mettre en avant le succès que représente, dans leur présentation des choses, le « raccrochage » du président américain à la discussion avec Vladimir Poutine et le roi saoudien Ben Salman en vue d’une « cessation des hostilités pétrolières » et d’un accord sur des baisses de production – et faire un peu oublier que les termes de cet accord pétrolier ne sont pas très favorables à la RussieSelon le vice-président de Lukoil, qui était opposé au choix de rupture de l’accord OPEP+, le nouvel accord permet d’espérer porter à terme les prix du baril à 30-40 USD. Leonid Fedun a néanmoins comparé l’accord au Traité de Brest-Litovsk, c’est-à-dire « humiliant et difficile à accepter ». La Russie, dans le cadre de l’arrangement précédent, devait réduire sa production de 1,5 million de barils par jour ; dans le nouveau – de 2,5 à 2,8 millions. De plus les engagements pour la partie américaine sont bien moins contraignants (Maxim A. Suchkov, « Is the New OPEC+ Deal a Win for Russia? », Al Monitor, 13 avril 2020).. Cela permet aussi de projeter l’image d’une Russie incontournable sur la scène internationale, dont sont censés attester la communication directe et les échanges aimables entre les présidents Poutine et Trump que l’achat de matériel médical par les Etats-Unis a suscités. Cela a potentiellement une utilité de politique intérieure, le pouvoir escomptant peut-être (à tort ou à raison) que, dans un contexte national se dessinant progressivement plus difficile sur le plan épidémiologique et économique, cela flattera quelque peu la fibre nationaliste de la population russe et servira d’amortisseur. L’aide internationale, surtout quand elle est destinée à des pays occidentaux, permet de jouer sur la sensibilité de la population russe à l’image de la Russie comme puissance (en l’occurrence une puissance « soft », même si elle est portée par les moyens militaires). Les responsables russes insistent sur le caractère mutuel de l’aide, qui peut également avoir été conçue comme un gage d’assistance internationale quand la Russie en aurait à son tour besoin (en mai, le président Trump proposait des respirateurs à la Russie). En outre, il n’est pas impossible que les autorités russes, en déployant des équipes médicales militaires à l’étranger, aient, aussi, voulu obtenir une expérience en conditions réelles de la gestion d’une crise qui allait frapper la Russie à son tourMathieu Boulègue, « ‘From Russia With Love’: A Coronavirus Geopolitical Game », Moscow Times, 7 avril 2020..

Diverses hypothèses quant à l’agenda politique guidant la politique d’aide russe ont été formulées en Occident, qui d’ailleurs ne sont pas nécessairement incompatibles. Par exemple, sur l’aide à l’Italie, certains ont supposé que la Russie cherchait à montrer que ses outils militaires pouvaient être utilisés à des fins non coercitivesPour Andreï Kortounov, la Russie, en portant secours à l’Italie, a peut-être voulu montrer qu’elle pouvait faire partie de la solution (The impact of covid-19 on the international system, Deep Dive into Russia Series, ECFR Wider Europe Programme, 6 avril 2020, Youtube)., tandis que d’autres ont supposé que l’objectif principal était d’en montrer l’efficacité et la rapidité de mobilisation. La diversité des interprétations renvoie aussi au fait que l’élite politique et économique russe est divisée sur le cours que devrait prendre la politique étrangère – entre ceux qui estiment qu’une posture moins fermée à l’égard de l’Occident est souhaitable pour le pays et leurs intérêts propres, et ceux qui préconisent le maintien d’une posture de fermeté. Le discours officiel russe sur les leçons internationales de la pandémie est d’ailleurs une assez bonne expression de ce débat interne. 

La grille de lecture russe de la scène internationale validée ?

Les autorités russes ont dans un premier temps opté pour un profil modeste s’agissant de livrer leur interprétation de la crise de la Covid-19 du point de vue de l’état du monde et, surtout, de la place qu’y tiennent les Occidentaux. Les choses ont cependant évolué au mois d’avril – peut-être parce que l’aide médicale russe a suscité plus de commentaires méfiants que produit un véritable succès de soft power, mais aussi parce que, la situation épidémique en Russie devenant plus difficile, les autorités russes peuvent être tentées de détourner l’attention des problématiques internes en pointant les contradictions et les difficultés des « adversaires ». C’est ainsi que les officiels russes évoquent désormais plus fréquemment la situation créée par la pandémie comme une validation de leur grille de lecture de l’évolution de l’ordre international. De fait, comme le soulignait le politologue Dmitriï Trenine à un moment où le Kremlin ne s’exprimait guère sur le sujet, vu des autorités russes, la crise du coronavirus va dans le sens de postulats qui leur sont chers : « la fragilité du globalisme … à l’heure où la communauté internationale se fragmente et où l’ordre libéral recule. L’Etat se réaffirme comme le principal acteur sur la scène globale »Dmitri Trenin, « Confronting the Challenges of Coronavirus, Russia Sees its Worlview Vindicated », Carnegie Moscow Center, 20 mars 2020.. Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov a souligné que dans chaque coin du monde, qu’existent ou non des structures d’intégration, ce sont les Etats qui ont pris la main dans la gestion de la pandémie« Lavrov zaiavil o rezkom povychenii roli natsional’nykh gosoudarstv v ousloviakh pandemii » [Lavrov évoque le net rehaussement du rôle des Etats nationaux dans le contexte de la pandémie], TASS, 25 avril 2020.. Ce point rejoint des constats formulés ailleurs sur l’inefficacité relative des organisations multilatérales face à la pandémie mais les autorités russes visent assez volontiers l’Union européenne, dont S. Lavrov a relevé qu’elle « traverse, comme nous tous, des temps difficiles » tout en estimant que, dans son cas, l’impact politique est d’autant plus fort que « cette crise a coïncidé avec le débat croissant [en son sein] sur l’équilibre entre le fonctionnement des institutions supranationales et les responsabilités des gouvernements nationaux »« Excerpts from Russian Foreign Minister Sergey Lavrov’s remarks at a roundtable discussion with the participants of the Gorchakov Public Diplomacy Fund », Moscou, 22 avril 2020.. Ironiquement, cependant, ce constat est tout aussi vrai de l’Union économique eurasiatique, qui s’est montrée atone face à la crise sanitaire, et n’a pas été un moteur de coordination des réponses de ses Etats membres.

La critique de la politique des Occidentaux, plus que présente dans la posture internationale de la Russie depuis des années, s’exprime selon des termes bien connus mais ajustés à la crise actuelle. Estimant que « [l]es concepts et pratiques de l’hégémonie et de la domination sont absolument inappropriés au XXIè siècle », son ministre des Affaires étrangères estime en substance que la Covid-19 donne raison à la vision du Kremlin selon laquelle l’idéologie libérale est discréditée dans ses fondements et ne saurait prétendre s’imposer partout dans le monde, dont l’état requiert « des approches collectives des relations internationales »Ibid. ; « Lavrov zaiavil o rezkom povychenii roli natsional’nykh gosoudarstv v ousloviakh pandemii », op. cit.. Moscou, militant en faveur de la levée des sanctions dans le contexte sanitaire actuel, a par ailleurs évoqué le caractère « inhumain » de leur maintien en pointant les décisions américaines sur l’IranGolnaz Esfandiari, « Calls Grow for U.S. to Lift Iran Sanctions due to Coronavirus Crisis », RFE/RL, 24 mars 2020. ; elle a également déploré « l’égoïsme » des Etats-Unis quand ceux-ci ont annoncé la suspension de leurs contributions financières à l’OMS (le tout visant aussi à projeter une image positive de la Russie en misant sur le fait qu’une part des opinions publiques, y compris occidentales, sont sensibles à ces enjeuxMoscou a promis un million USD à l’OMS en 2020 pour l’aider dans la lutte internationale contre le coronavirus (annonce du 6 avril).). Enfin, les autorités russes offrent une contribution au débat international en cours sur les mérites comparés des différents types de régimes face à la pandémie en ironisant sur les contradictions supposées des pays occidentaux. Il a ainsi noté que, parmi les Etats qui ont bien résisté à la pandémie, figurent des régimes dont les « amis occidentaux », ces « professeurs de démocratie », n’imagineraient pas de mettre en doute les fondements démocratiques alors qu’ils sont organisés selon une « verticale étatique assez forte » (Corée du Sud, Singapour, Japon)« Lavrov zaiavil o rezkom povychenii roli natsional’nykh gosoudarstv v ousloviakh pandemii », op. cit.

Il ne fait guère de doute que les autorités russes chercheront dans les données de l’actuelle crise les signaux validant leur appréciation quant au déclin du leadership occidental sur la scène internationale. Certains observateurs occidentaux considèrent d’ailleurs que l’aide russe à l’Italie vise à mettre en exergue l’absence de solidarité européenne, tandis que la vente en urgence de matériel médical aux Etats-Unis permet de manifester la vulnérabilité de ces derniers face à la pandémie. Et sans doute un tel effet d’image constitue-t-il une motivation (voire un objectif) pour certains membres de l’équipe dirigeante russe lorsque ces initiatives sont décidées. Si ces éléments ne font pas partie du discours officiel russe dans le contexte de la crise, toutes sortes de médias russes s’en sont fait l’écho, ce qui participe de la dynamique anti-occidentale installée dans le contexte politique russe de longue date, avec une vigueur intensifiée depuis le « tournant ukrainien » de 2014. Beaucoup de titres de la presse russe ont souligné, certes souvent d’une façon qui n’est pas très différente de la tonalité de médias occidentaux, le manque de solidarité intra-européenne et transatlantique tout en vantant l’aide russeUn article publié sur TV Zvezda (le réseau de télévision géré par le ministère russe de la Défense), titrant : « La solidarité européenne est un conte de papier : comment le coronavirus brise l’UE », est assez emblématique de la teneur de bien des articles publiés à l’époque. Précisant que les Etats-Unis ont « pris leurs distances vis-à-vis de leurs partenaires » européens (en référence à la fermeture des frontières américaines), il avance que, du fait de son manque de réactivité et des actes égoïstes de ses Etats membres, l’Union européenne a vu son unité se dissiper en quelques jours (l’auteur de l’article n’oublie pas de préciser que, en substance, cela n’a rien d’étonnant, compte tenu de la situation générale de l’UE ; ainsi, dit-il, la crise des migrants avait déjà fait son œuvre, et avant elle la crise grecque). L’article prédit ensuite que, malgré les plans d’aide adoptés par les institutions européennes, la crise du coronavirus fera que populistes et nationalistes s’attireront de nouveaux soutiens (Evgueniï Ksenzenko, « ‘Ievropeïskaïa solidarnost’ – skazka na boumaguié’ : kak koronavirous kaskalyvaet ES », TV Zvezda, 22 mars 2020).. On trouve aussi sur des médias et des blogs russes d’importance et d’influence variées de fausses informations «Russia’s Top Five Myths about NATO and COVID-19 », NATO Factsheet, avril 2020. Sur la question de la désinformation russe, il est intéressant de noter que des experts se sont déclarés sceptiques, dans le contexte précis de la couverture de la pandémie, quant à la méthodologie utilisée par la cellule EUvsDisinfo. Un article en particulier a pointé les excès et distorsions de cette méthodologie, et conclut en appelant les Européens à ne pas se discréditer en recourant à des procédés proches de ceux utilisés par certains médias russes (Stephen Hutchings, Vera Tolz, « COVID-19 Disinformation: Two Short Reports on the Russian Dimension », reframingrussia.com, 6 avril 2020). Une controverse est d’ailleurs née de la publication de ce papier. Le RUSI, en réponse aux critiques qui ont accueilli cette publication, a produit un fil sur Twitter expliquant pourquoi, à son sens, il fallait en considérer les apports..

De nouvelles incertitudes sur la place future de la Russie sur la scène internationale

Cela dit, d’une manière générale, le discours officiel russe est moins offensif qu’il a pu l’être depuis 2014, et qu’a pu l’être, ces derniers temps, la communication de la Chine sur les échecs des pays occidentaux face à la pandémie. D’une part, l’aide apportée à l’Italie et le soutien aux Etats-Unis véhiculent certains messages que, d’une certaine manière, il n’est pas besoin de formuler explicitement sauf à risquer de perdre les éventuels bénéfices politiques escomptés. D’autre part, la Russie se trouve à son tour dans une situation délicate du point de vue sanitaire, et l’impact économique et social de la crise de la Covid-19 s’annonce, dans son cas, dramatisé par la chute des prix du brut. Enfin, en Russie comme ailleurs, l’heure est à la réflexion sur les recompositions internationales que la crise pourrait entraîner, et ce que cela signifie de la place du pays dont les ambitions de politique étrangère sont chroniquement en décalage avec son état économique.

Le politologue Dmitriï Trenine résume sans doute la pensée d’une bonne partie de l’élite politique moscovite lorsqu’il estime que la pandémie conforte les grandes tendances pré-existantes des relations internationales : les Etats-Unis renoncent progressivement à un leadership global qui leur est devenu trop pesant et se concentrent sur le renforcement de leurs fondements nationaux ; l’Union européenne est affaiblie, ayant montré son incapacité à gérer efficacement des crises et la pandémie trahissant l’approfondissement des divergences entre Etats membres ; les pays d’Asie orientale verront leur poids renforcé du fait de leur succès dans la lutte contre la pandémieAndreï Kortounov estime que cela va valider l’intérêt du « pivot asiatique » que la Russie cherche à réaliser depuis plusieurs années (The impact of covid-19 on the international system, op. cit.). ; la Chine évolue vers une politique étrangère active à l’échelle globale et, sur le plan intérieur, vers une montée sensible du nationalismeDmitriï Trenine, « Kak Rossii ouderjat’ ravnovesie v postkrizisnom bipoliarnom mire » [Comment la Russie peut-elle tenir l’équilibre dans un monde bipolaire post-crise], Moscow Carnegie Centre, 15 avril 2020.. En Russie comme ailleurs, les analystes relèvent une accélération de la tension sino-américaine et soulignent la perspective d’une empreinte croissante de cette dynamique sur l’agencement de la scène internationale.

La Russie, qui aborde une nouvelle phase de difficultés intérieures fortes, ne se pose pas moins qu’hier la question de sa place, comme grande puissance, dans cet environnement très fluide. Parmi les sujets d’inquiétude figurent probablement les possibles implications de la crise du coronavirus sur les chances de réélection de Donald Trump. Certes, ce dernier, resté bloqué dans ses « initiatives russes » par le Congrès mais aussi des composantes de son administration, n’a pas pu orchestrer une amélioration des rapports entre les deux pays ; mais il a apporté de l’eau au moulin du Kremlin en écornant fortement l’image des Etats-Unis dans le monde et, espère-t-on à Moscou, en détricotant le lien transatlantique. En parallèle, le Kremlin s’applique (non sans l’aide de Pékin) à faire mentir les analyses qui voudraient que la crise de la Covid-19 ait érodé le partenariat stratégique sino-russe. De fait, si l’épidémie a pu alimenter des sentiments négatifs mutuels du côté des populationsVoir Ka-Ho Wong, « How Will the Coronavirus Outbreak Affect Russia-China Relations? », The Diplomat, 14 mars 2020. En avril 2020, suite à des cas de Covid-19 ramenés de Russie par des citoyens chinois ayant séjourné dans la région de Moscou, des mesures de confinement ont été prises pour la province d’Heilongjiang par les autorités chinoises et la frontière a été partiellement fermée (Xiaofei Xu, « Infodemic Infects Chinese-Russian Relations », Eurasianet, 12 avril 2020)., et si les relations commerciales vont baisser du fait des fermetures temporaires de la frontière bilatérale et de la diminution de la demande énergétique chinoise, cela ne semble guère modifier le cours des rapports sino-russes. Les deux pays, qui sont sur la même ligne sur les appels à la suspension des sanctions sur fond de crise sanitaire, ont échangé de l’aide médicaleMoscou a envoyé, en février, juste après la fermeture de la frontière, 40 tonnes d’aide médicale à la Chine, dont la presse officielle chinoise a fait grande publicité. et ont convenu de coopérer dans le domaine de la recherche médicale. La Russie, dont Pékin avait officiellement jugé compréhensible le choix de fermer la frontière et d’interdire d’entrée ses ressortissants, ne reprend en tout cas pas à son compte la critique internationale de la responsabilité de la Chine dans la pandémie.

Conclusion

En Russie, la crise de la Covid-19 intervient dans un contexte de transition politique qui, même si elle semble annoncer une grande stabilité sur le plan politique (Vladimir Poutine jusqu’en 2036 ?), est source de tensions et de remous au sommet du pouvoir. Cela peut expliquer partiellement les « absences » des autorités russes dans la gestion de la pandémie aussi bien que le timing acrobatique du projet de référendum sur la révision constitutionnelle et de la mise en cause de l’accord OPEP+. Tout cela suggère que le Kremlin n’avait pas pleinement anticipé l’impact du ralentissement brutal de la vie économique internationale sur la demande d’hydrocarbures ni la mesure dans laquelle la Russie allait être elle-même frappée par la pandémie. Si le gouvernement voit dans celle-ci un défi d’importance, il compte néanmoins sur la mobilisation du discours sur le caractère global de cet enjeu sanitaire, auquel même les puissances les plus avancées ont peiné à répondre efficacement (ce que le soutien à l’Italie ou aux Etats-Unis permet de mettre en relief), pour banaliser non seulement les écueils rencontrés dans la gestion nationale de la pandémie, mais aussi le défaut d’anticipation de ses effets sur l’économie globale. « Pas un seul pays sur la surface du globe n’était prêt pour ce défi, pas même nos amis chinois quand ils ont eu à faire face à ce problème », a déclaré Denis Mantourov, ministre de l’Industrie et du Commerce« Russia Buys Protective Gear from China in Large Amounts », op. cit.. Le rapport quotidien du gouvernement sur la progression de l’épidémie en Russie prend le soin de présenter, en regard des chiffres nationaux, les chiffres mondiaux et tout particulièrement ceux des Etats-Unis et du Royaume-Uni…

La situation, début mai, pourrait valider un tel calcul. En effet, si l’épidémie gagne du terrain, elle reste concentrée (pour ce qui concerne la mortalité) dans certaines régions, en premier lieu Moscou et sa région, qui paient le prix de rester la principale porte d’ouverture du pays. Si les chiffres officiels sont probablement minorés, le taux de mortalité demeurerait assez faible, ce qui s’expliquerait par la moyenne d’âge jeune de la population russe et l’espérance de vie assez basse des sujets masculinsAlexandra Vacroux, « Russia’s Health Care System, Demographics Present Unique Advantages, Disadvantages in Fighting COVID-19 », op. cit. Certaines sources évoquent la campagne de dépistage (mais la fiabilité des tests est sujette à caution) ; d’autres une manière de comptabiliser les « décès Covid-19 » différente de celle pratiquée dans les pays occidentaux (voir Pjotr Sauer, Evan Gershkovich, « Russia is Boasting about Low Coronavirus Deaths. The Numbers are Deceiving », The Moscow Times, 9 mai 2020).. Et sur le plan économique, les autorités russes misent sans doute sur la réserve de patience de la population, que l’on sait résiliente, tout en sachant disposer de marges de manœuvre financières – même s’il semble que le président ne soit pas pressé de les utiliser. Le gouvernement, alors que le prix du brut, début mai, est revenu à un niveau plus acceptable (bien qu’inférieur au prix auquel le budget de la Fédération est réputé équilibré – 30 USD vs 42 USD le baril), garde ainsi la possibilité de dérouler progressivement des programmes plus ambitieux de soutien à l’économie et à la population si l’état de l’économie et de l’opinion publique l’impose. Lors de sa dernière allocution sur l’épidémie, le 11 mai, Vladimir Poutine a d’ailleurs annoncé, enfin, des mesures de soutien plus robustes aux PME. Peu endettée, la Russie pourrait même envisager d’emprunter, estiment certains économistesRussian Economy: Short, Mid and Long-term Outlook, op. cit. Alekseï Koudrine a jugé nécessaire que la Russie dépense la moitié de son Fonds de stabilisation d’ici à la fin de l’année..

Cela dit, le pic de l’épidémie n’est pas encore atteint, et la situation du système de santé n’a rien d’enviable. Beaucoup d’observateurs occidentaux (et de politologues russes critiques du régime) pensent que la récession à venir pourrait constituer le test ultime pour Vladimir Poutine. Sa cote de confiance a perdu 6 points entre mars et avrilDavantage, donc, que le gouvernement (- 2 points) et le Premier ministre (- 1 point). Voir Denis Volkov, « ‘Tchernyï lebed’ dlia Kremlia : pandemiia oudarila po reïtingou Poutina » [‘Cygne noir’ pour le Kremlin : la pandémie frappe la cote de Poutine], Centre Levada, 3 avril 2020., puis encore 4 points entre avril et mai – le gouvernement et le Premier ministre semblant davantage épargnés, et les chefs d’exécutif régionaux gagnant en crédit depuis le mois d’avril. La Covid-19 n’est pas seule en cause : avant l’épidémie, l’opinion publique semblait reprocher de plus en plus au chef de l’Etat de se désintéresser de l’état du pays au profit de son projet de puissance internationaleJean-Robert Raviot, « Que veut vraiment Vladimir Poutine ? », The Conversation, 21 janvier 2020., et l’amendement ouvrant la voie à une « remise à zéro » des mandats présidentiels divise la population (une moitié y étant favorable, l’autre opposée). Les observateurs s’accordent à dire qu’un des effets de la séquence crise pétrolière / Covid-19 sera de compromettre la réalisation de tout ou partie des Projets nationaux, qui devaient permettre des investissements massifs dans le social, la numérisation de l’économie et les infrastructures, et d’enrayer cette dynamique négative pour l’aura du président (ce que devaient aussi servir le référendum constitutionnel et les célébrations du 75ème anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie).

Il est trop tôt pour savoir si la crise sanitaire va rendre plus instable la situation au sommet du pouvoir ; ou si en définitive, le président Poutine saura la mettre à profit pour se poser une nouvelle fois en « sauveur de la nation » ; ou encore si elle fera émerger des figures politiques majeures, tel le maire de Moscou, dont il ne faut pas oublier, quel que soit son avenir politique, qu’il a de longue date la confiance de Vladimir Poutine. Sur le volet international, Moscou a pour le moment opté pour une posture qui suggère que ses dirigeants (du moins une partie d’entre eux) supposent que la pandémie peut être l’occasion de porter l’image d’une Russie engagée de manière constructive sur la scène internationale (aide, activisme lors de la réunion virtuelle du G20 fin mars, etc.). Mais Moscou entend aussi montrer qu’elle ne baisse pas la garde. En articulant un discours sur la validation de ses thèses sur l’ordre international que, selon ses dirigeants, la pandémie apporterait ; en renvoyant l’image d’une communication privilégiée avec le président américain ; en dépêchant son armée pour déployer de l’aide médicale vers les régions et les pays où elle avait poussé ses pions dans l’avant-Covid-19, défendant ainsi son influence face aux Occidentaux (et, sans doute, la Chine) ; en maintenant le niveau de son activité militaire (exercices, patrouilles). L’enjeu pour la Russie est de tenir son rang sur une scène internationale dont les données pourraient évoluer rapidement sous la pression de la montée de la tension sino-américaine et sur laquelle son gouvernement espère pouvoir faire valoir que face à la Covid-19, elle ne s’en sort pas plus mal, voire mieux, que les autres grandes puissances.