Notes de la FRS

De la reconstruction à la réconciliation nationale : les défis de la sortie de crise centrafricaine

Note de la FRS n°24/2015
Victoria Madonna
25 novembre 2015

En Centrafrique, la communauté internationale fait pression sur le gouvernement de transition pour organiser les élections avant la fin de l’année 2015 mais leur report répété montre que le chronogramme ne peut être réalisé dans de bonnes conditions. De plus, les défis de la sortie de crise sont encore nombreux puisque le programme de désarmement, démobilisation et réinsertion n’a pas commencé, le rétablissement de l’autorité de l’État sur le territoire est loin d’être effectif et les populations ne semblent pas prêtes pour la réconciliation. Si les efforts ne sont pas intensifiés pour mener à bien ces différents chantiers, la tenue des nouvelles élections n’aura qu’un impact limité et risque même de conduire à de nouvelles divisions entre les Centrafricains. Pourtant, la communauté internationale continue de percevoir les élections comme la fin du processus de sortie de crise. Les violences récurrentes montrent que le mandat de la mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine ne suffira pas à lui seul à ramener la Centrafrique sur le chemin de la paix. Or, une fois les élections passées, le pays sortira du champ de vision des partenaires internationaux. A quelques semaines des élections, cet article fait un bilan des différents chantiers sur lesquels il faudrait que les acteurs nationaux et internationaux accentuent leurs efforts s’ils veulent mener la Centrafrique vers la sortie de crise et la voie du développement.

Depuis son indépendance en 1960, la République Centrafricaine (RCA) a connu de nombreux épisodes putschistes et des violences politiques. Pourtant, la crise qui a commencé en 2012 est de loin la pire de l’histoire du pays. Ce conflit, à l’origine politique, a pris une dimension confessionnelle en raison de l’instrumentalisation du facteur religieux par les acteurs politiques. Après la prise du pouvoir par les ex-Seleka, majoritairement composés de musulmans, en mars 2013, le président déchu, François Bozizé, a appelé ses partisans à prendre les armes pour défendre leur patrie Emmanuel Chauvin, Christian Seignobos, L'imbroglio centrafricain. État, rebelles et bandits, Afrique Contemporaine, De Boeck Supérieur, 2013, pp. 119-148.. Les multiples exactions commises par les membres des ex-Seleka contre la population ont poussé les Centrafricains d’obédience chrétienne à former à leur tour une milice armée, baptisée Anti-balaka. Elle s’en est prise directement aux populations musulmanes avec un tel niveau de violence que la situation a parfois été décrite comme pré-génocidaire. La milicianisation des communautés centrafricaines a donc conduit à de violents affrontements, qui ont entraîné la mort d’environ 5 000 personnes entre 2013 et 2014 « Centrafrique, réouverture des mosquées », BBC Afrique, 22 mars 2015.et la fuite de plus de 1,3 million de personnes au plus fort de la crise (dont 935 000 déplacés internes) Données UNCHR.. La RCA qui avait jusqu’alors été orpheline de l’aide humanitaire, s’est retrouvée au cœur de l’agenda du Conseil de sécurité. L’intervention des forces internationales a permis d’améliorer la situation sécuritaire du pays et d’enclencher un processus de sortie de crise, caractérisé par la tenue du Forum de Bangui en mai 2015 et l’adoption du pacte républicain pour la paix, la réconciliation nationale et la reconstruction. La signature d’un accord de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) Les termes réinsertion et réintégration seront ici employés indistinctement., la réduction des effectifs militaires français (Sangaris), le départ de l’EUFOR et la tenue d’élections prévues pour la fin de l’année 2015 semblent indiquer que le pire de la crise est passé et que la RCA s’engage sur la voie de la paix et de la réconciliation. Cependant, le DDR n’a pas été accepté par toutes les factions, il n’est toujours pas mis en œuvre et les violences et les pillages perdurent. La communauté internationale fait pression sur le gouvernement de transition pour organiser les élections avant la fin de l’année 2015 mais elles viennent, une fois de plus, d’être repoussées. A cela s’ajoute la question du vote des réfugiés qui n’est pas encore résolue. Finalement, bien que le forum de Bangui ait permis de faire émerger un consensus national autour de la politique de sortie de crise à adopter, l’avenir de la RCA reste incertain et les défis pour mener à bien ce processus sont nombreux.

(Re)construire l’Etat centrafricain

La RCA est souvent qualifiée d’Etat fantôme République Centrafricaine : anatomie d’un État fantôme, rapport ICG, décembre 2007.. Au fil des tutelles coloniales, néocoloniales et régionales, l’Etat ne s’est jamais vraiment construit et ceux qui ont gouverné le pays se sont imposés par la force. La corruption et l’accaparement des ressources par le pouvoir ont empêché le développement de toute capacité institutionnelle et la crise de 2012 a conduit à une véritable catastrophe humanitaire. Depuis, le pays est sous perfusion. Mais aujourd’hui, la communauté internationale fait pression sur le gouvernement de transition pour mener les élections à terme, qu’elle considère comme la fin du processus de sortie de crise.

L’action des acteurs internationaux

Sur le plan de l’aide internationale, la sortie de crise centrafricaine est synonyme de transition entre l’aide d’urgence et l’aide au développement, avec une action qui doit être menée conjointement par les forces armées, les civils des missions internationales et ceux des ONG. Cela se traduit d’abord par le retrait progressif des forces armées. Déjà, la mission de l’Union européenne, l’EUFOR, a quitté le territoire mars 2015 et la France a réduit ses effectifs militaires à 900 hommes. Sa mission doit s’achever sur un bilan positif puisque, comme prévu dans son mandat, elle a permis au pays de retrouver un niveau de sécurité minimum, préparant le terrain pour le déploiement de la MINUSCA et le retour des ONG. Les hommes de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA) sont arrivés en Centrafrique en septembre 2014, avec un mandat plus élargi, comprenant des missions de protection des civils, d’appui à la transition, à l’aide humanitaire, à la justice et au programme de DDR. Cependant, ils peinent à assurer la stabilisation du pays en raison des groupes armés qui continuent de défier les forces de maintien de la paix, comme en témoignent les accrochages qui ont lieu régulièrement avec des groupes armés Deux éléments bangladais de la Minusca ont été blessés dans une attaque par des hommes armés non identifiés à 15 km de Béloko (Cameroun) le 28 juillet 2015, un a été tué à Bangui par une faction armée du quartier PK5 le 2 août et une patrouille de soldats rwandais a été attaquée dans le 4ème arrondissement de Bangui le 10 septembre. Depuis le regain de violences au mois de septembre, les forces internationales sont également prises à partie lors d’affrontements entre les Anti-balaka et les ex-Seleka. Le 11 novembre, un soldat camerounais a d’ailleurs été retrouvé mort à Batangafo. « ONU : deux soldats blessés en Centrafrique », BBC, 29 juillet 2015 ; « Centrafrique : Des groupes armés freinent le retour de la paix à Bangui », All Africa, 3 août 2015  ; « Centrafrique : Une patrouille rwandaise de la Minusca attaquée à Bangui », All Africa, 11 septembre 2015 ; « Centrafrique : tension toujours vive à Bangui après de nouveaux affrontements », Afrik, 30 septembre 2015 ; « Centrafrique, un Casque bleu camerounais a été tué à Batangafo », 11 novembre 2015, Jeune Afrique.. En dehors de la capitale, nombreux sont les bandits et les criminels qui continuent à agir en toute impunité, commettant braquages et extorsions sur les populations et les ONG « Too soon to turn away », International Rescue Committee, July 2015 ; « Malgré le chaos, la Centrafrique prépare les élections », Le Monde, 24 août 2015..

Il est difficile de distribuer l’aide humanitaire sur l’ensemble du territoire alors que plus de 2,7 millions de personnes en dépendent. L’an dernier, l’Union européenne a créé le Fonds Békou, qui est le premier fond fiduciaire européen devant permettre une meilleure articulation entre les actions d’urgence et de développement. Dans ce cadre, plusieurs chantiers à haute intensité de main-d’œuvre ont déjà été lancés. L’Agence française de développement a, par exemple, piloté des travaux de rénovation urbaine dans certains quartiers de Bangui. L’intérêt de tels projets est qu’ils créent des emplois rémunérés et contribuent à la fois à la stabilisation sécuritaire et au redémarrage économique du pays Thierry Vircoulon et Charlotte Arnaud, Penser et anticiper les impacts socio-économiques de l’intervention humanitaire en République centrafricaine, IFRI, 2 juillet 2015.. Cependant, les sources de financements sont encore largement insuffisantes. Sur les 415 millions de dollars jugés nécessaires par l’ONU à l’aide pour la Centrafrique en 2015, seuls 17,9 millions ont été versés au Fonds humanitaire commun en RCA Données OCHA.. De plus, la longévité des emplois créés reste souvent limitée à la durée de vie des projets de développement.

Malgré la création d’outils innovants comme le Fonds Békou et les doctrines institutionnelles internationales qui soulignent le lien fondamental qui existe entre sécurité et développement Voir le manuel de l'OCDE-CAD sur la réforme des systèmes de sécurité (avril 2008) et le rapport annuel de la Banque mondiale « Conflits, sécurité et développement » (2011)., militaires, humanitaires et bailleurs de fonds peinent à se coordonner, notamment en raison de la rigidité des mandats des forces internationales. À la lecture de ces derniers, les opérations EUFOR et Sangaris sont des succès. Pourtant, il a fallu attendre quatre mois avant que l’UE n’intervienne en RCA, à l’appel de la France, en décembre 2013 Les premiers hommes de l’EUFOR RCA arrivent en Centrafrique le 5 avril 2014. Général Thierry Lion à la conférence Minerve « La RCA : situation et avenir », 24 septembre 2015.. Quant à la France, elle réduit ses effectifs au moment de la préparation des élections, alors que de nombreux problèmes sécuritaires entravent encore le processus électoral. Enfin, il revient à la MINUSCA d’assister l’Etat dans le redéploiement de son autorité. Cependant, il faudrait préalablement rétablir la situation sécuritaire et désarmer les miliciens. Or, sans financement supplémentaire de la part des bailleurs internationaux, la politique de désarmement relève de la mission impossible. Finalement, l’absence d’une stratégie de sortie de crise coordonnée de la part des acteurs internationaux avant la tenue des élections, revient à laisser reposer tous les efforts sur le prochain gouvernement.

Mener à bien le processus électoral

Mener à bien le processus électoral est essentiel pour réussir une transition apaisée et transparente. A l’inverse, bâcler les élections risque de replonger le pays dans une nouvelle crise politique. Or, malgré la signature du pacte républicain pour la paix, la réconciliation et la reconstruction, il semble qu’il n’y ait pas de réel consensus sur cette question. Déjà, la prolongation de la transition jusqu’aux prochaines élections a fait débat puisque 20 des 60 partis politiques présents au forum de Bangui ont contesté cette décision. Pour les autorités de transition, il est plutôt dans leur intérêt de prolonger cette situation de rente, malgré les nombreuses critiques qui leur sont adressées. Alors que la transition ne devait durer que quelques mois, cela fait bientôt deux ans que l’équipe de Catherine Samba Panza est au pouvoir. Finalement, ce gouvernement ressemble en de nombreux points au précédent. C’est un gouvernement pléthorique, basé sur un modèle clanique (sauf qu’il s’agit cette fois de sudistes minoritaires) et sans réelle stratégie politique, comme en témoigne l’absence d’avancée dans le processus de DDR, pourtant inscrit dans sa feuille de route. En raison de la pression exercée par la communauté internationale, la présidente de transition répète qu’elle veut que les élections aient lieu avant la fin de l’année 2015. Après la démission de l’ancien président de l'Autorité nationale pour les élections (ANE), Dieudonné Kombo-Yaya, qui considérait le chronogramme irréalisable, Catherine Samba Panza s’est entretenue avec les forces vives du pays et un nouveau calendrier électoral a été proposé, fixant le référendum constitutionnel le 13 décembre, suivi par le premier tour des élections présidentielle et législatives, le 27 décembre.

Le processus d’enrôlement des électeurs a pris fin avec plus de 80 % de personnes susceptibles d’être inscrites et les fonds récoltés sont suffisants pour organiser le scrutin. En effet, après que le PNUD et l’ANE aient revu à la baisse le fond pour le projet d’appui au cycle électoral (PACEC), la France et les Etats-Unis ont annoncé le versement de nouvelles aides financières, si bien qu’il ne manque plus aujourd’hui que 1,5 million de dollars pour boucler le budget électoral. Pour la communauté internationale, le plus important est surtout d’avoir une autorité légitime avec laquelle dialoguer. Elle compte s’appuyer sur le mandat de la MINUSCA, qui a été prolongé, pour encadrer et conseiller le futur gouvernement Voir l’article b.iv) de la résolution 2217 (2015) du Conseil de sécurité de l’ONU, 28 avril 2015.. Le problème c’est qu’il n’y a, pour l’instant, aucune personnalité politique capable de fédérer la population autour de sa personne et dotée d’un programme politique qui pourrait offrir une perspective de sortie de crise à la Centrafrique. Parmi le large éventail de candidats, Martin Ziguélé, originaire du Nord-Ouest (ethnie Thalé) et président du Mouvement de Libération du Peuple Centrafricain (MLPC) est un personnage bien connu de la scène politique. Ce n’est pas la première fois qu’il se présente à la fonction présidentielle et il bénéficie d’une importante popularité grâce à l’implantation de son parti dans le pays (dans 16 préfectures). De plus, il a signé plusieurs accords électoraux avec l’Union des Démocrates Centrafricains (UDECA), le Mouvement Citoyen Patara (MPC), le Collectif des Anciens députés de la troisième législature et le Mouvement pour la Démocratie et l’Evolution Sociale (MDES) Le MPC représenté par son deuxième vice-président Marcel Yangué Boyfini, le Collectif des Anciens députés de la troisième législature par Joseph Malemindou et Jean-Marc Meiganga, le MDES par son président Patrick Bienvenu Dalemet Rebailé et enfin l’UDECA par son président Faustin Zameto., ce qui pourrait maximiser ses chances de succès. Cependant, Martin Ziguélé est considéré comme responsable de la percée des Seleka dans Bangui. Jean Barkes Ngombe-Kette, un Gbaya de Bossangoa, dispose également d’une certaine assise électorale, surtout à Bangui, où il a occupé, avec succès, la fonction de maire, au début de l’administration de Bozizé. Néanmoins, il a également été accusé de détournements de fonds publics dans le cadre de ses fonctions Voir Lettre du continent, n° 616, 21 juillet 2011.. D’autres candidats, comme Théodore Kapou, originaire de Lobaye et ancien de la Communauté des églises apostoliques en Centrafrique, ou Béatrice Epaye, conseillère au sein du CNT et d’ethnie Gbaya, sont perçus comme des personnalités plus intègres, mais elles ne bénéficient pas d’une assise électorale suffisante pour représenter des candidats sérieux. Il y a également ceux qui, comme Nicolas Tiangaye « RCA : Nicolas Tiangaye investi candidat pour la présidentielle », RFI, 10 août 2015., s’accrochent au pouvoir. Ils font partie du gouvernement de transition, mais ont cherché à contourner le principe d’inéligibilité, prévu par l’article 106 de la Charte constitutionnelle de transition, pour se présenter aux élections. Enfin, certaines personnalités bénéficient de soutiens extérieurs : Désiré Kolingba, un Yakoma chrétien converti à l’Islam, est discrètement poussé par le Tchad David L. Smith, La course à la présidentielle en République centrafricaine, Institut des études de sécurité, septembre 2014 ; « Centrafrique : Catherine et les soudards », Jeune Afrique, janvier 2014., tandis que Karime Mekassoua, ministre de confession musulmane sous le gouvernement de Bozizé, s’appuie sur ses réseaux d’influence en France et son mentor Sassou Nguesso Au Congo, Denis Sassou-Nguesso est obsédé par sa survie, Médiapart, 17 avril 2015..

Malgré une nébuleuse de candidats il n’y a pas vraiment de renouvellement de la classe politique et encore moins des programmes. De toute façon, dans un pays comme la Centrafrique, où la population bénéficie d’un faible niveau d’éducation, les candidats sont plus choisis en fonction de leur ethnie que de leur programme. En raison de la multiplicité des origines des candidats, le vote sera forcément synonyme de division. Si bien que finalement, ceux qui ont le plus de chances sont ceux qui disposent de suffisamment de fonds pour convaincre l’électorat, qui ont été adoubés par un parrain régional, ou bénéficient du soutien de la communauté internationale. En effet, la Centrafrique a toujours été victime de l’ingérence des puissances voisines dans sa gouvernance et elle est aujourd’hui sous la tutelle des acteurs internationaux. Ceux qui fournissent l’aide financière dictent donc les règles et la communauté internationale semble préférer « une mauvaise élection qu’une transition chancelante » Expression employée par Idriss Deby lors de sa visite à l’Elysée le 5 octobre 2015 et de plus en plus partagée par la France pour qui, le nouveau report des élections va contrarier l’agenda de retrait de la force Sangaris, « RCA transition sous pression », TTU, n° 991, 7 octobre 2015.. Cependant, les annonces, puis les reports répétés des échéances sont préjudiciables pour le moral de la population centrafricaine et ne font qu’entretenir sa méfiance Shérazade Gatfaoui, « Centrafrique : des élections à hauts risques », Afrique Education 1er au 15 septembre 2015.. Il aurait mieux valu fixer la date butoir du calendrier électoral dans le courant de l’année 2016 et laisser une chance à des candidats intègres de renforcer leur programme et leur assise électorale.

La question de la justice

Les groupes armés qui ont commis des exactions en RCA ont toujours bénéficié de lois d’amnistie. Pourtant, les consultations populaires menées en amont du forum de Bangui ont fait ressortir que les principales attentes de la population étaient la condamnation des acteurs responsables de la crise et la réparation des victimes. L’administration de la justice pendant la période de transition doit donc mettre fin à l’impunité. Cela doit, en premier lieu, passer par la réhabilitation du système judiciaire et policier. En effet, de nombreuses infrastructures comme le palais de justice, les tribunaux et les prisons ont été saccagées pendant la crise et doivent être reconstruites. Du côté de la police, quelques progrès ont été réalisés à Bangui. Cinq commissariats jusqu’alors occupés par les Anti-balaka ont été rouverts au mois de juin et les forces de police ont reçu une formation par des instances internationales. Cependant, on ne compte que 1 500 policiers, appuyés par la Gendarmerie, alors qu’il en faudrait 30 000 sur l’ensemble du territoire. La MINUSCA prend également part à la mission de reconstruction de l’Etat, en soutenant des programmes de réhabilitation des secteurs de la justice et de la police républicaine centrafricaine. Dans ce cadre, elle a inauguré, le 15 juillet, à Bria, les nouveaux locaux de la Préfecture de la Haute-Kotto. De même, elle prévoit de réhabiliter le commissariat de police, la brigade de gendarmerie, ainsi qu’une prison provisoire « Centrafrique : la préfecture, le commissariat et la gendarmerie de Bria réhabilités », Journal de Bangui, 16 juillet 2015.. Actuellement, seule la prison de Ngaragba tient encore debout mais elle est surpeuplée. Il est donc important de redéployer les magistrats sur le territoire car ils peuvent désengorger le système carcéral dans lequel sont détenues un trop grand nombre de personnes arrêtées pour des délits de droit commun. En parallèle, la Commission Justice, vérité, réparations et réconciliations doit commencer son travail de recensement et d’examen des crimes et des exactions commis sur le territoire centrafricain, en distinguant ceux dont les auteurs doivent être traduits en justice et ceux pouvant faire l’objet de simples réparations (dédommagements ou travaux d’intérêts généraux), afin d’induire les effets de contrition et de réconciliation intercommunautaire. En ce qui concerne les crimes graves, Catherine Samba Panza a promulgué la loi organique sur l’institution de la Cour Pénale Spéciale (CPS) le 3 juin 2015. Cette cour spéciale sera un tribunal mixte au sein du système judiciaire national. Elle sera présidée par un juge centrafricain, composée de magistrats nationaux et internationaux et assistée d’une unité de police judiciaire. Elle sera chargée de juger les violations graves des droits humains et les violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire centrafricain depuis le 1er janvier 2003. Elle doit permettre de compléter le travail de la CPI, qui a ouvert une enquête en septembre 2014 sur les crimes commis en Centrafrique, mais seulement depuis 2012. Cependant, les sources de financements sont encore insuffisantes et dépendent des bailleurs internationaux, ce qui laisse penser qu’il faudra encore du temps avant que la CPS ne soit vraiment effective. La lutte contre l’impunité est un combat de longue haleine qui se prolongera au-delà de la période de transition politique. Cependant, il est indispensable de redonner confiance aux Centrafricains en leurs institutions avant d’entamer un processus de réconciliation.

Le processus de réconciliation

Le processus de réconciliation doit permettre de reconstruire une unité nationale et réapprendre à la population centrafricaine à vivre ensemble. La reconstruction de l’appareil étatique est essentielle pour la réconciliation puisque c’est l’Etat qui doit encadrer ce processus. La réintégration des anciens combattants au sein de la société, celle des réfugiés mais également la réouverture d’un dialogue intercommunautaire sont autant de défis à relever pour mener à bien ce processus.

Le processus de désarmement, démobilisation et réintégration

Le processus de réconciliation national doit passer par la réintégration des anciens combattants dans la société. Dans ce cadre, une première étape a été franchie lors de la signature, le 10 mai 2015, d’un accord de désarmement, démobilisation, réinsertion et rapatriement entre le gouvernement de transition et les groupes armés. Cet accord prévoit que les candidats éligibles au DDR sont ceux qui sont membres d’un des groupes armés signataires des accords de Bangui et qui possèdent une arme de guerre. Ils doivent être rassemblés pour une courte durée dans un camp de cantonnement pour être désarmés. Par la suite, ils peuvent choisir de candidater pour intégrer les corps en uniforme de l’Etat ou réintégrer la population civile grâce à des programmes communautaires. Les combattants qui ne remplissent pas les critères du DDR doivent prendre part à des programmes de réductions de violences communautaires et autres programmes de développement. Enfin, les ex-combattants étrangers qui n’ont pas commis de crimes de guerre sont reconduits à la frontière.

Les précédents DDR ont tous échoué en Centrafrique. Le programme national sur le désarmement et la réinsertion (2002-2003) a été abandonné en raison de l’instabilité du contexte politico-sécuritaire, notamment due à la tentative de coup d’Etat avortée. Le deuxième projet de réinsertion des ex-combattants et d’appui aux communautés (2004-2008) a échoué pour des raisons structurelles : absence d’identification des combattants, manque de coordination interinstitutionnel, projets d’appui aux communautés mal identifiés, retards entre le désarmement et la réintégration sociale, etc. Enfin, le programme de DDR de 2008-2011 a été suspendu à cette date à cause du manque de coordination entre les donateurs et surtout, la présence d’un trop grand nombre d’étrangers dans les groupes armés. Aujourd’hui, la Centrafrique fait reposer tous ses espoirs sur le nouveau DDR et sur la MINUSCA. Pourtant, aucune des conditions n’est réunie pour assurer le succès du programme Centrafrique : les racines de la violence, International Crisis Group, 21 septembre 2015.. Le principal problème est d’ordre financier puisque le budget du DDR qui est estimé à 28 millions d’euros n’est pas disponible, tout comme le budget pour le programme de réduction de violences communautaires, chiffré à 26 millions d’euros. Ensuite, il n’y a aucune volonté de la part de la classe politique dirigeante de mener à bien le processus. Alors que le DDR devait commencer avant les élections, Catherine Samba Panza a annoncé qu’elle laissait le DDR au prochain gouvernement et ne mettrait en œuvre que des mesures de pré-DDR Pour Catherine Samba-Panza la transition ne peut plus durer, RFI, 15 juin 2015., c’est-à-dire des chantiers à haute intensité de main-d’œuvre. De plus, l’approche actuelle du désarmement des groupes armés sous-estime la dimension communautaire de la violence et la fragmentation des groupes armés. D’une part, les chefs des groupes armés qui ont signé l’accord de Bangui n’ont pas toujours autorité sur leurs hommes. D’autre part, le DDR n’a pas été accepté par tous les groupes armés. En effet, Nourredine Adam a rejeté l’accord quelques jours après l’avoir signé et le Front populaire pour la renaissance centrafricaine (FPRC) continue de faire obstacle au processus de DDR, comme en témoignent les attaques perpétrées dans les alentours de Sibut au mois d’octobre « Centrafrique : des combats autour de Sibut », RFI, 10 octobre 2015..

Au-delà du désarmement et de la démobilisation, la réinsertion des combattants constitue un enjeu encore plus complexe car elle doit être inclusive et prendre en compte les communautés d’accueil. Il faut trouver un emploi durable aux anciens combattants sans pour autant donner l’impression à la population que les ex-combattants sont récompensés. Une première étape peut donc consister à employer ces derniers sur des chantiers à haute intensité de main-d’œuvre pour reconstruire des infrastructures communautaires. Des initiatives allant dans ce sens ont déjà été prises pour tenter de relancer la machine économique en RCA, de même que des projets pour relancer le commerce artisanal ou l’agriculture par exemple. Ils sont indispensables au succès du DDR car sans relance de l’économie, il n’y a pas de réinsertion possible. Cependant, ces activités génératrices de revenus reposent surtout sur de petits financements. Alors que le désarmement et la démobilisation figurent dans le budget de la MINUSCA, la réinsertion est financée par des contributions volontaires. Mais en l’absence d’une stratégie claire du DDR, les bailleurs de fonds se montrent réticents à augmenter leurs contributions. À terme, l’insuffisance ou le retard des financements risque d’entrainer la suspension des mesures de réinsertion (formations professionnelles, projets culturels, micro-crédits pour soutenir l’entreprenariat, etc.).

Enfin, il faudrait confier l’exécution du DDR à la MINUSCA au lieu de la cantonner à une mission d’assistance Voir l’article 30.g) relatif au processus de désarmement, démobilisation, réintégration et rapatriement de la résolution 2149 (2014) du Conseil de sécurité de l’ONU, 10 avril 2014.. En Côte d’Ivoire, la communauté internationale a tenté d’imposer un dispositif de DDR même si elle s’est heurtée à une forte opposition politique. Les acteurs internationaux ont dû négocier avec les belligérants Magali Chelpi-den Hamer, « Les tribulations du dispositif Désarmement, démobilisation et réinsertion des miliciens en Côte d’Ivoire (2003-2015) », Hérodote, n° 158, La Découverte, 3ème trimestre 2015.et n’ont finalement pas collecté autant d’armes qu’espéré. En effet, la majorité des armes collectées étaient en fait des armes de petits calibres, des obus, des roquettes et des cartouches. Mais en Centrafrique où le pouvoir politique est inexistant, la communauté internationale bénéficie d’une marge de manœuvre suffisante qui lui permettrait d’imposer des conditions strictes pour le DDR, notamment en ce qui concerne l’éligibilité des ex-combattants. A force de repousser l’échéance du DDR, l’inaction des forces politiques et internationales risque de renforcer les groupes armés et les divisions entre les habitants.

La question des déplacés et des réfugiés

La réunification de la nation centrafricaine doit nécessairement passer par le retour des déplacés et des réfugiés. Cependant, l’incapacité de l’Etat à rétablir la situation sécuritaire et humanitaire n’offre aucune perspective d’avenir à la population. Au plus fort de la crise, en décembre 2013, on comptait 935 000 déplacés et 460 000 réfugiés. Aujourd’hui, le nombre de déplacés a largement diminué. Cependant, les affrontements intercommunautaires qui ont eu lieu du 26 au 30 septembre à Bangui, suite à l’assassinat d’un chauffeur de mototaxi, de confession musulmane, sont responsables de nouveaux déplacements qui ont affecté plus de 42 000 personnes. De plus, malgré une amélioration globale de la situation sécuritaire, des foyers d’instabilité perdurent et génèrent des déplacements forcés à Bambari, Batangafo, Bria et Bouca. On recense notamment des affrontements entre des éleveurs (associés aux ex Seleka) et les Anti-balaka, qui résultent des vols de vaches et de cycles d’attaques et de représailles qui s’en suivent. De même, sur certains axes, comme celui reliant Batangafo à Lady, les populations sont victimes des exactions des Anti-balaka et des ex-Seleka « Situation des mouvements de populations en RCA », rapport Cluster protection, août 2015.. Ces incidents empêchent les acteurs humanitaires de porter assistance aux populations déplacées dans des zones reculées ou en brousse. Ils sont également responsables de la création de nouveaux sites de déplacés à Bangui. Au mois de septembre, on en recensait 32 Ocha CAR, « Confrontations Bangui », Flash update 4, 30 September 2015.. Le HCR et le PNUD essaient de mettre en place des mécanismes pour assurer le suivi de l’assistance au retour des personnes déplacées mais de telles mesures peinent à être mises en place, particulièrement à Bangui. Dans l’intérieur du pays, il est possible d’effectuer des vérifications dans les villages, à travers des visites ou des activités de surveillance, des activités de cohésion sociale ou de relèvement économique, mais pas de façon systématique.

En ce qui concerne les réfugiés, 451 000 personnes sont toujours exilées, principalement au Cameroun (251 000), au Tchad (93 000), en République démocratique du Congo (97 000) et au Congo Brazzaville (25 000) Données UNHCR.. La diversité des populations qui se sont réfugiées dans les camps montre que la crise n’épargne personne : se mêlent aussi bien des fonctionnaires, que des éleveurs, des agriculteurs, des commerçants, des étudiants, des diamantaires, etc Thibaud Lesueur, analyste pour l’Afrique centrale à l’International Crisis Group s’est rendu dans les camps de réfugiés au sud du Tchad pour évaluer la situation et le sort des réfugiés.. Cependant, on trouve parmi ces échantillons une forte proportion de musulmans. Souvent assimilés aux éléments des ex-Seleka, ils ont été pris pour cible par les milices Anti-balaka durant les violences intercommunautaires et ont fui vers les pays voisins. Ces afflux massifs de populations posent des problèmes sociaux et économiques. Dans les camps, cela se traduit par des tensions communautaires et à l’extérieur, par une compétition pour l’accaparement des ressources et des conflits agro-pastoraux, aggravés par la circulation importante d’armes légères entre les frontières. Au sud du Tchad par exemple, les déplacements des pasteurs transhumants créent des goulets d’étranglement pour le bétail, où la prorogation des maladies décime les troupeaux. Au Cameroun, la présence d’éleveurs Peulhs Mbororo, dont le bétail dévaste les champs non récoltés des populations autochtones, génère des rivalités pour accéder aux ressources Les Peuhls Mbororo de Centrafrique, une communauté qui souffre, AIDSPC, juin 2015..

La question du vote des réfugiés pose également problème. Même s’il a été entériné par une décision de la Cour constitutionnelle Au mois de juillet 2015, la Cour constitutionnelle de la RCA a annulé l’amendement adopté par le Parlement qui prévoyait d’exclure les réfugiés des élections., plusieurs défis logistiques font obstacles à la participation au scrutin des 198 000 réfugiés admissibles au vote. Une telle initiative avait déjà été entreprise au Mali, où le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et le gouvernement avaient permis à 19 000 réfugiés de participer aux élections de 2013 Ce chiffre reste relativement faible si on prend en compte les 73 000 Maliens qui étaient alors en âge de voter.. Cependant, au Cameroun par exemple, les réfugiés sont dispersés dans sept camps dirigés par le HCR mais également dans de multiples communautés d’accueil. Distribuer des cartes d’électeurs et installer des bureaux de vote avant la fin de l’année dans de telles conditions est un défi logistique de taille Les réfugiés centrafricains pourront-ils voter ? IRIN, septembre 2015.. D’autant plus que la majorité des réfugiés ne possède pas de papiers d’identité et que, parmi les quatre pays d’asile, seul le Tchad a signé un accord tripartite Avec le HCR et le gouvernement centrafricain.pour mettre en œuvre des mesures opérationnelles pour l’enregistrement des électeurs. La RDC avait annoncé qu’elle ne signerait pas le document. Enfin, il reste extrêmement difficile pour les réfugiés, dont une majorité est analphabète, de se tenir informé des programmes politiques des différents candidats. L’argument avancé par ceux qui soutiennent le vote des réfugiés est qu’il représente une condition préalable au processus de réconciliation national et au retour de ces populations. Pour autant les obstacles à la réintégration des populations restent nombreux. D’une part, ceux qui essaient de rentrer au pays se voient souvent retirer et déchirer leur papier à la frontière Marie-Thérèse Keita Bocoum : “En Centrafrique, il ne faut donner aucun répit à l’impunité”, Mondafrique, 17 juin 2015.. D’autre part, une fois sur place, ils ne bénéficient d’aucun soutien car il n’existe pas de procédure officielle pour aider ceux qui reviennent de l’étranger « Retour difficile en RCA », Centrafrique-presse, 27 juillet 2015.Le risque de litiges fonciers entre les populations de retour et ceux qui n’ont pas été déplacés doit également être pris en compte. En effet, en Centrafrique les terres qui sont enregistrées ou qui font l’objet d’un titre de propriété sont quasiment inexistantes. Il sera donc difficile pour les propriétaires de prouver qu’ils sont victimes d’une confiscation de leur terre ou de leurs biens. Alors que la majorité de la population dépend d’une agriculture de subsistance, ces problématiques peuvent avoir d’importantes répercussions en termes de sécurité alimentaire et de moyens de subsistance à long terme Les dimensions migratoires de la crise en République centrafricaine, Organisation internationale pour les migrations (OIM), août 2014.. Enfin, le processus de retour et de réconciliation avec les musulmans est complexifié par la dimension ethno-religieuse qu’a prise la crise. Ceux qui sont revenus dans leurs villages sont souvent persécutés par les Anti-balaka et les autres sont regroupés dans des enclaves, protégées par les forces internationales. Aujourd’hui, ils sont environ 30 000 à vivre répartis dans sept enclaves à l’Ouest du pays Suppression de l’identité - les musulmans dans les zones de la République centrafricaine soumises au nettoyage ethnique, Amnesty international, juillet 2015.. Le vote des réfugiés est donc une condition essentielle pour apaiser la transition mais au-delà, la réintégration des populations déplacées et réfugiées au sein de la société reste l’enjeu principal car elle est indispensable au processus de réconciliation.

Réengager le dialogue intercommunautaire

La mise en œuvre d’une politique de réconciliation ne peut aboutir sans la volonté et l’implication de la population centrafricaine Augustin Jérémie Doui-Wawaye, Repenser la sécurité en République centrafricaine, Etudes africaines, L’Harmattan, septembre 2014.. Au-delà du travail des acteurs politiques nationaux et internationaux, les institutions traditionnelles, comme les assemblées des anciens ou des sages, les ONG, les acteurs de la société civile ou encore les acteurs religieux, travaillent sur la création de mécanismes d’apaisement social. Début 2015, l’Iman Lamine Koyama, l’Archevêque de Bangui Monseigneur Dieudonné Nzapalainga et le pasteur Nicolas Guérékoyamémé-Gbangou ont lancé l’initiative d’une plateforme interreligieuse, financée par l’UE dans le cadre de son projet « Soutien au dialogue communautaire ». Localement, elle travaille sur la mise en place de comités communautaires afin de promouvoir le dialogue et les initiatives de réconciliation à Bangui et dans les régions de la Vakaga, Haut Mbomou, Mbomou, et Haut Kotto. Dans le 3ème arrondissement de Bangui par exemple, les ateliers menés par les leaders communautaires au mois de juin 2015, et les campagnes de sensibilisation, ont permis le retour de certains habitants dans le quartier. Peu de pays marqués par un conflit à dimension confessionnelle engagent autant d’initiatives interreligieuses de pacification mais les résultats sont encourageants.

Les intellectuels centrafricains sont également fortement impliqués. Fin 2014, ils ont organisé un séminaire sur les dimensions culturelles et religieuses de la crise, et ont proposé poursuivre leur initiative, en marge du programme de réconciliation nationale Comprendre la crise centrafricaine, Observatoire Pharos, février 2015.. Le rôle de ces personnalités est fondamental et la Centrafrique a besoin de plus de cadres, mieux formés, notamment au sein des églises. En effet, les leaders religieux ont une part de responsabilité dans la confessionnalisation du conflit puisque ce sont eux que les jeunes Plus de 65 % de la population centrafricaine a moins de 25 ans.viennent consulter pour trouver une réponse au conflit. Leur vision s’appuie, certes, sur la Bible, mais également sur une tradition chrétienne biaisée par un certain nombre de facteurs, et surtout, sur une méconnaissance de l’Islam Interview du missionnaire catholique Antoine Exelmans dans l’émission d’Antoine Garapon «Le bien commun » sur France Culture, 3 avril 2014.. Dans les années 1980, la Centrafrique est touchée par un fort mouvement de réveil islamique, sous l’influence de nouveaux oulémas, formés au Soudan, en Egypte ou en Arabie saoudite Robinson David et Triaud Jean-Louis, Le temps des marabouts, Paris, Karthala, 1997., et au travers d’ONG et d’associations qui mènent des activités de bienfaisance, investissent dans l’éducation, en construisant par exemple des écoles coraniques, en mettant en place des groupes de prière et de guérison, etc. De plus, le facteur religieux a été largement instrumentalisé par les acteurs politiques en Centrafrique pour servir leurs intérêts personnels. Dès 2004, François Bozizé joue la carte religieuse en assimilant ses ennemis à des musulmans étrangers au pays et accuse, plus largement, les communautés musulmanes de complicité avec les rebelles venus de l’extérieur. Au niveau régional, les pays du Sahel sont affectés par une montée en puissance de l’extrémisme islamiste. Les différentes crises qui ont touché le Darfour, le Soudan, le Mali et le Nigéria ont permis à des groupes radicaux de s’implanter sur ces territoires, profitant de la faiblesse de l’Etat. Enfin, les groupes rebelles qui ont également pris part à ces conflits ont pu trouver refuge en Centrafrique. Ainsi, de nombreux musulmans au sein des ex-Seleka étaient en fait des mercenaires de nationalité soudanaise et tchadienne, qui avaient participé aux conflits précédents. Dans ce contexte, les pillages et les exactions, accompagnés de la profanation d’églises et de chapelles en Centrafrique, ont été perçus par la population comme un sentiment anti chrétien et une tentative de modifier l’équilibre religieux pour imposer l’Islam Angelo Romano, « Centrafrique : la coexistence déchirée » dans Le livre noir de la condition chrétienne dans le monde, Paris, Edition XO, 2014, pp. 488-501.. Dès lors, il est devenu impossible de penser le vivre ensemble ou d’accepter le pluralisme religieux. Aujourd’hui, la réconciliation doit donc passer par un travail de verbalisation de la colère. À ce titre, le travail des ONG, mené en collaboration avec les acteurs religieux, qui prennent part aux forums sociaux et aux groupes de parole, en jouant un rôle de médiateur entre les communautés est extrêmement bénéfique. Il permet aux individus de s’exprimer sur ce qu’ils ont vécu, sur les fautes qu’ils ont commises, tout en étant assurés qu’ils seront réintégrés dans le groupe. Les ONG comme Acord, CCFD Terre solidaire et Caritas Internationale ont également mis en place des programmes de développement local, en impliquant les deux communautés pour favoriser le travail collectif et appuyer les associations de jeunes dans des initiatives communes pour dépasser les clivages présents dans la société. La communauté des frères dominicains du Vicariat d’Afrique Equatoriale a quant à elle lancé une émission hebdomadaire qui met en interaction chrétiens et musulmans afin de faire baisser la défiance et réengager le dialogue.

La multiplication des initiatives de médiation intercommunautaire doit amener les Centrafricains à réfléchir sur la notion d’identité collective. La reconstruction de la nation centrafricaine doit s’appuyer sur un modèle qui incarne des valeurs positives d’unité dans la diversité. L’acceptation du pluralisme culturel et religieux est nécessaire pour mettre un terme aux conflits mais les freins sont encore nombreux car les amitiés communautaires ont été rompues. Les affrontements intercommunautaires qui ont fait 15 morts à Bambari le 20 et le 21 août 2015 « RCA : violences religieuses meurtrières à Bambari », RFI, 21 août 2015., ainsi que les violences qui ont lieu à Bangui depuis la fin du mois de septembre et qui ont causé la mort de plus de 60 personnes « Centrafrique : sept morts dans de nouvelles violences à Bangui », 27 octobre 2015, France24., montrent que les populations ne sont pas prêtes pour le processus de réconciliation. Lors des affrontements fin septembre, la mosquée de Lakouanga a été une nouvelle fois détruite, alors que sa reconstruction par des chrétiens et des musulmans au mois d’avril devait symboliser la paix entre les communautés. Ces signes montrent que les élections ne vont pas suffire à apaiser les tensions et il apparaît alors difficile de concilier le rythme de la réconciliation, qui s’inscrit dans une dynamique de longue durée, avec celui imposé par les acteurs internationaux.

Conclusion

Si le pire est passé, les efforts à fournir doivent être intensifiés pour réussir le processus de sortie de crise. Les violences récurrentes montrent que la situation sécuritaire n’est pas encore stabilisée et qu’un retrait précoce des forces armées internationales peut nuire au processus électoral. Pour la communauté internationale, il est difficile de choisir la moins pire des solutions entre la prolongation du mandat d’un gouvernement de transition incompétent et des élections bâclées. D’un côté, seules les autorités au pouvoir et les groupes armés tirent profit de la situation de transition, et de l’autre, une fois les élections passées, la RCA sortira du champ de vision des acteurs internationaux alors qu’il reste d’immenses chantiers à terminer. Les partenaires internationaux doivent fournir une aide plus cohérente et plus coordonnée dans les différentes phases de consolidation de la paix en période post-conflit. La réussite de la réforme du secteur de sécurité (RSS) sera conditionnée par celle du DDR et en particulier par la réintégration des combattants dans leurs communautés. Le soutien apporté aux institutions sectorielles de gouvernance de sécurité est un moyen souvent sous-estimé pour établir le lien entre DDR et RSS. Pourtant, la MINUSCA devrait en tenir compte pour jouer pleinement son rôle et aider l’Etat à retrouver sa souveraineté sur l’ensemble du territoire. De plus, c’est grâce à la reconstruction des institutions et de la justice que les Centrafricains retrouveront confiance en l’Etat. Enfin, si le rétablissement de son autorité est indispensable au retour des réfugiés, à leur réintégration dans la société et au processus de réconciliation, celui de l’économie est tout aussi déterminant pour recréer du lien social entre les communautés. La MINUSCA, l’UE et la Banque mondiale devraient donc coordonner leurs actions pour articuler les programmes de DDR à des programmes de développement, plus durables et créateurs d’emplois. Quelle que soit la date de la fin de la transition, stopper la perfusion signifie laisser le pays à l’agonie alors que la communauté internationale devrait continuer ses efforts pour aider les Centrafricains à s’approprier les enjeux du processus de sortie de crise.