Le sommet du Partenariat oriental, prévu le 18 juin 2020, aura lieu sous un format virtuel en raison de la Covid-19. Le sommet « physique » a été reporté au début de 2021. L’attention de l’Union européenne (UE) pour son voisinage oriental s’est manifestée dès le début des années 1990, avec la fin de l’URSS et l’indépendance des républiques qui en faisaient partie. L’UE a signé alors des accords de partenariat et de coopération avec dix d’entre elles, dont celles du voisinage oriental – la Biélorussie, l’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Bruxelles a par la suite élaboré à leur intention un traitement spécifique dans le cadre de sa Politique de voisinage. Les deux élargissements de 2004 et 2007 ont eu pour effet de créer des frontières communes entre l’UE et ces pays, certains mitoyens de la Russie. Ce changement majeur, et par la suite le tournant qu’a représenté la guerre russo-géorgienne, ont amené l’UE à lancer en 2009 la politique de Partenariat oriental, proposant une «association politique et d’intégration économique ». Elle s’est traduite par la signature avec plusieurs partenaires, l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie, d’accords d’association (AA) et d’accords de libre-échange complets et approfondis (ALECA), en lieu et place des APC, à charge pour les pays récipiendaires d’appliquer des réformes et de reprendre l’« acquis communautaire ».
Dix ans plus tard, cette politique est dans l’ensemble un succès, notamment pour ce qui concerne la libéralisation économique. Mais sa finalité reste un sujet de controverse. Le prochain sommet « physique » du Partenariat oriental à Bruxelles, au début de 2021, devrait adopter une « Déclaration » visant à réaffirmer l’importance stratégique de cette politique et identifier de nouveaux objectifs au-delà de 2020. Les défis qui se posent sont de nature sanitaire et économique (la réponse de l’UE à la pandémie de la Covid-19 et à la crise économique dans les pays partenaires a été jusqu’à présent à la hauteur) mais aussi politique et géostratégique (la Russie estimant que cette politique est une menace pour ses intérêts).
Genèse et ambiguïté de la politique de Partenariat oriental
Face au bouleversement géostratégique majeur qu’a représenté la dissolution de l’URSS, la Communauté économique européenne (CEE) a élaboré un cadre de coopération spécifique pour essayer de canaliser le développement des six ex-républiques soviétiques devenues indépendantes dans son voisinage oriental et les empêcher de sombrer dans le chaos. Elle a signé entre 1994 et 1999 des accords de partenariat et de coopération (APC) avec l’Ukraine, la Moldavie et les trois pays du Caucase du sud (Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan), mais également avec la RussieLa coopération entre la Russie et l’UE repose théoriquement sur l’accord de partenariat et de coopération signé en 1994 et entré en vigueur en 1997. Avant même la crise ukrainienne, les négociations d’un nouvel accord censé remplacer l’APC, ouvertes en 2008, n’avançaient plus (depuis 2010). Le partenariat pour la modernisation, mis en place en 2010, s’est heurté à, entre autres, des difficultés sur les volets commerce et investissements. Initialement prévu pour une période de dix ans, l’APC a par la suite été renouvelé automatiquement chaque année. Il fixe les principaux objectifs communs et établit le cadre institutionnel des contacts bilatéraux (y compris des consultations régulières sur les droits de l’Homme et des sommets présidentiels semestriels, actuellement suspendus).. Aucun APC n’a pu être signé avec la Biélorussie du fait de la situation insatisfaisante sur le plan des droits de l’Homme dans ce paysEn janvier 2015, l’UE a préparé une feuille de route (road map) non publique, « The List of Possible Additional Concrete Measures to Deepen the EU’s Policy of Critical Engagement with Belarus », ayant pour ambition d’améliorer ses relations avec la Biélorussie.. Ces accords, visant à contribuer à la stabilité et à la démocratisation des pays partenaires, prévoyait pour chacun d’entre eux l’octroi d’une assistance politique et économique basée sur les « valeurs européennes », ainsi que l’introduction d’une économie de marché.
Dix ans après la signature des APC, les deux élargissements de 2004 (Pologne, République tchèque, Hongrie, Slovaquie, et les trois Etats baltes) et de 2007 (Roumanie et Bulgarie) ont établi des frontières communes entre l’UE et ces pays, directement ou par le biais de la mer Noire (Caucase du Sud), ainsi qu’avec la Russie (district fédéral du Nord-Ouest et Kaliningrad). La politique de l’UE devait donc devenir politiquement et économiquement plus robuste et plus attractive. Comme l’a souligné Romano Prodi, Président de la Commission européenne entre 1999 et 2004, l’Union devait créer autour d’elle un « cercle d’amis allant du Maroc à la Russie et la mer Noire ».
En mai 2009 a été lancée la politique de Partenariat oriental, volet de la Politique européenne de Voisinage (PEV), qui visait à assurer « une association politique et une intégration économique » des pays du voisinage de l’Est avec l’UE. Sa gestion a été confiée au Service européen d’action extérieure (SEAE), fondé en décembre 2010 lors du Sommet de Lisbonne, sous l’autorité du Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et vice-président de la Commission européenne.
Par ce biais, l’UE se donnait pour tâche de :
- renforcer le dialogue politique grâce aux accords d’association en lieu et place des APC des années 1990 ;
- libéraliser les échanges et faire reprendre l’« acquis communautaire » par les pays partenaires via des accords de libre-échange complets et approfondis (ALECA ; DCFTA en anglais) ;
- libéraliser le régime de visas de court séjour ;
- développer la coopération régionale multilatérale par l’organisation de réunions politiques ou techniques (sommets du Partenariat oriental) et de lancer des projets de développement concrets.
Il est opportun de rappeler que la Pologne et la Suède, géographiquement proches du voisinage oriental et ayant eu au cours de l’histoire une forte présence dans cette région, ont été le moteur de cette initiative. Cette nouvelle politique a représenté un bond qualitatif majeur, donnant aux pays partenaires un accès au marché de l’UE, le plus important du monde, en échange de la reprise des standards européens (convergence réglementaire), de réformes législatives profondes et de changements irréversibles des structures et mentalités héritées de l’ancienne URSS. Pour David Cadier et Florent Parmentier, « l’UE a dorénavant la volonté d’exporter son ensemble normatif, que ce soit en termes de droit de la concurrence, de règles d’appels d’offre, de normes environnementales, etc. »David Cadier, Florent Parmentier, « UE Partenariat Oriental : quelles perspectives ? », Diploweb, 12 décembre 2009..
A ce jour, trois AA ont été signés – avec la Moldavie, la Géorgie et l’Ukraine en 2014. Ces pays ont bénéficié d’une importante assistance financière de l’UE, liée à l’application des réformes. Durant la période 2014-2020, un nouvel instrument financier, l’Instrument européen de voisinage (IEV ; en anglais : European Neighbourhood Instrument, ENI) a été créé et doté d’environ 15,4 milliards d’euros.
L’ambiguïté fondamentale du Partenariat oriental concerne sa finalité. La question de savoir si cette politique ouvre la voie à l’adhésion des pays partenaires à l’UE continue d’opposer les pays membresLe Traité de Rome (Art. 237) et le Traité de Maastricht (Art. 49) prévoient que « Tout État européen peut demander à devenir membre de la Communauté ».. Pour les pays fondateurs de l’UE, comme la France et l’Allemagne, le Benelux et les pays méditerranéens, cette question devrait être laissée de côté. Selon eux, il ne saurait y avoir de porosité entre le voisinage et l’élargissement, la priorité devant être l’application des réformes dans lesquelles les partenaires orientaux se sont engagés. Pour les nouveaux pays membres entrés dans l’Union européenne à la faveur des élargissements de 2004 et de 2007, au contraire, le Partenariat oriental devrait reconnaître, à tout le moins, une « perspective européenne » aux pays partenaires les plus avancés dans les réformes et devenir une « antichambre » pour l’adhésion.
L’évolution de la politique de Partenariat oriental
Dès 2011, Bruxelles avait procédé à une « révision » du Partenariat oriental en mettant fin au traitement uniforme (« one suit fits all ») qui prévoyait des étapes communes et standardisées pour l’ensemble de ces pays. L’UE a estimé nécessaire d’adapter sa politique aux spécificités et aux ambitions de chacun d’eux et d’insister davantage sur la flexibilité et le pragmatisme (principe de « more for more »), sans oublier le respect des « valeurs européennes », tout en continuant à exclure toute logique d’adhésion.
Cette nouvelle approche a permis à l’UE d’identifier deux groupes de pays partenaires en fonction de leur degré de progression sur les réformes ainsi que de leurs ambitions respectives. Le premier, considéré comme le plus « avancé », comprend l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie, qui ont signé avec l’UE les AA et les ALECA. Le second compte la Biélorussie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, qui n’ont pas signé ces textes et pour lesquels l’UE a adopté une approche plus pragmatique, en dehors de tout encadrement juridique.
La Biélorussie n’a jamais montré une grande appétence pour se rapprocher de l’UE pour des raisons de politique intérieure (régime fort de Loukachenko) et internationale (proximité avec la Russie, adhésion à l’Union économique eurasiatique). Minsk a toutefois toujours souhaité maintenir une certaine ouverture vers l’Europe afin d’équilibrer ses relations avec Moscou.
Avec l’Arménie, aucun AA n’a été signé à la suite de son adhésion à l’Union économique eurasiatique (UEE) en janvier 2015. Toutefois, en novembre 2017, l’UE a conclu avec Erevan un texte ad hoc intitulé « Accord de Partenariat global et renforcé », compatible avec ses engagements au sein de l’UEE mais ne prévoyant pas de zone de libre-échange avec l’Union européenne.
L’Azerbaïdjan a quant à lui toujours privilégié une approche différenciée et pragmatique, prenant en compte sa dimension de producteur d’énergie. L’UE et ce pays négocient depuis 2018 un accord intitulé « Nouvelles priorités de partenariat ».
Dix ans après son lancement, l’UE fait un bilan de sa politique de Partenariat oriental. Les chercheurs de l'Institut d’études de sécurité de l’Union européenne, Stanislav Secrieru et Sinikukka Saari, ont estimé que, malgré « la persistance des tensions géopolitiques, de la corruption et du clientélisme […] le tableau [n’est] pas aussi sombre que l’on aurait pu le penser à première vue »Stanislav Secrieru, Sinikukka Saari, « Doom or Bloom for the Eastern Partnership? », in Stanislav Secrieru, Sinikukka Saari (ed.), The Eastern Partnership a Decade On. Looking back, Thinking ahead, Chaillot Paper n° 153, EU Institute for Security Studies, juillet 2019, p. 5.. Selon ces chercheurs, les ALECA et l’assistance financière de l’UE ont compensé, pour « ces Etats fragiles », les effets négatifs de la crise financière globale et des restrictions imposées par la Russie à presque tous les pays partenairesCf. les embargos russes récurrents sur le vin et les produits agro-alimentaires de Géorgie, de Moldavie et d’Ukraine.. De plus, « les fonds européens ont aidé à absorber certains coûts occasionnés dans les pays partenaires par l’application des réformes, financièrement et socialement très coûteuses mais nécessaires »« Doom or Bloom for the Eastern Partnership? », op. cit., pp. 5-6..
Malgré un environnement politique complexe, les accords d’association « ont engagé [les] relations [de l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie] avec l’UE dans une voie complètement différente. Dans leur cas, la dernière décennie peut être divisée entre un ‘avant’ et un ‘après’ les accords d’association »Ibid., p. 6.. Les trois pays ont également signé avec l’UE des accords de suspension des visas de court séjour, ce qui a eu pour effet qu’un nombre croissant de ceux-ci ont pu voyager dans l’UE.
Ces résultats plutôt positifs sont cependant à nuancer selon les pays, estime le chercheur Nicu PopescuEntretien avec Nicu Popescu, Directeur du programme « Wider Europe » de l’European Council on Foreign Relations (ECFR) et ministre des Affaires étrangères de l’éphémère Cabinet pro-européen de Maia Sandu à Chisinau (juin-novembre 2019).. L’un des défis majeurs qui se posaient aux pays partenaires était, selon lui, l’excessive orientation de leurs échanges commerciaux vers la Russie et la CEI aux dépens de l’UE. L’Ukraine, malgré le conflit avec la Russie et l’annexion de la Crimée, a « pleinement réussi » à relever ce défi, tant en termes quantitatifs (ses exportations vers l’UE ont augmenté de 49 % entre 2015 et 2018) qu’en termes de diversification. Il en va de même pour la Moldavie, dont les exportations vers l’Union ont augmenté en valeur de 22 % par rapport à la période d’avant-ALECA. Cependant, la Géorgie, malgré ses avancées politiques et ses succès dans la lutte contre la corruption, semble avoir moins bien réussi. L’UE n’absorbe que 24 % de ses exportations et leur structure n’a pas varié. Les exportations géorgiennes vers la Russie ont presque doublé depuis 2014.
S’agissant des « pays moins avancés », la Biélorussie n’est liée par aucun cadre juridique prévoyant une association politique ou un accord de libre-échange avec l’UE. Seul un accord de délivrance de visas de courte durée a été signé avec celle-ci en janvier 2020. Aussi l’Union poursuit-elle « une politique consistant à maintenir le contact avec la Biélorussie tout en adoptant un point de vue critique à l'égard de ce pays »« Relations de l'UE avec la Biélorussie », Conseil européen - Conseil de l'Union européenne., au gré de la (plus ou moins bonne) volonté du président biélorusse et des évolutions de la situation des droits de l’Homme.
Comme cela a été souligné, l’Arménie ayant adhéré à l’UEE, l’UE a « recalibré » ses relations bilatérales en signant en novembre 2017 « l’Accord de partenariat global et renforcé ». Moins ambitieux qu’un AA, il a néanmoins permis à ce pays de renforcer ses relations avec l’UE dans les limites imposées par l’UEE et les impératifs de la sécurité de l’Arménie, assurée par Moscou. L’Union et Erevan ont également assoupli, en 2014, le régime des visas. Trois ans après l’adhésion de ce pays à l’UEE, les échanges commerciaux avec l’UE ont augmenté de 19 % en 2018 et l’Union est devenue le principal marché pour l’Arménie (28,4 %).
S’agissant de l’Azerbaïdjan ses relations avec l’UE s’appuient sur, outre l’APC, le Partenariat énergétique stratégique conclu en 2006. L’ambition de Bakou est d’augmenter l’exportation d’hydrocarbures vers l’Europe, notamment par la construction du gazoduc « Trans Adriatic Pipeline », qui créera une nouvelle source d’approvisionnement de gaz de l’Union, soucieuse de diversification énergétique.
Les défis du Partenariat oriental
Le défi institutionnel et politique
A la veille du dixième anniversaire de la politique de Partenariat oriental, le sommet de Bruxelles de novembre 2017 avait adopté un document-cadre intitulé « Les 20 livrables à atteindre en 2020 », identifiant quatre objectifs prioritaires : une économie plus forte ; une gouvernance plus forte ; une connectivité plus forte ; une société plus forte.
Dans la perspective du prochain sommet « physique » du Partenariat oriental à Bruxelles au début de 2021, le SEAE et la Commission européenne ont conçu un projet de Communication sur l’avenir du Partenariat oriental au-delà de 2020. Ce document, non public, synthétise les « consultations structurées » organisées en juillet 2019 par la Commission et le SEAE, qui ont recueilli près de 200 contributions écrites émanant des Etats membres et partenaires, d’ONG et de représentants de la société civile. En tirant un bilan plutôt positif des dix ans du Partenariat oriental, dont ils réaffirment l’importance stratégique malgré des faiblesses dans le domaine de la gouvernance, le SEAE et la Commission ont proposé de structurer son avenir autour de cinq objectifs de long terme : (1) des économies plus résilientes, soutenables et intégrées ; (2) des institutions responsables, l’Etat de droit et la sécurité ; (3) une résilience environnementale et climatique ; (4) une transformation numérique résiliente ; (5) des sociétés inclusives, résilientes et justes ; à l’exclusion de toute intervention dans les domaines de la sécurité et la défense, selon le souhait des « anciens » pays membres. La Communication, qui se veut stratégique, a fait l’objet de multiples amendements. Pas moins de sept versions ont circulé entre Bruxelles et les capitales des pays membres. La version définitive, adoptée le 11 mai 2020, devrait être soumise au Sommet de Bruxelles.
Ce texte n’écarte pas l’ambiguïté originelle de la politique de Partenariat oriental concernant sa finalité, ni son corollaire, le couple « inclusivité »/« différenciation ». « L’inclusivité », qui a la faveur des « anciens membres », prévoit un traitement certes adapté à chacun des six pays partenaires, selon le principe du « more for more », mais exclut toute enceinte ad hoc pour les traiter. La « différenciation » est, elle, privilégiée par les nouveaux Etats membres, pour lesquels le traitement des pays partenaires doit être plus nettement différencié entre les plus « avancés » et les autres. Ses partisans souhaitent la création de formats ad hoc, ce dont, encore une fois, les anciens pays membres ne veulent pas entendre parler.
Enfin, les discussions sur le volet de « la communication stratégique » du projet de Communication ont également été vives. Pour les anciens pays membres, elle ne devrait pas s’apparenter à une entreprise de contre-propagande contre la Russie, mais plutôt améliorer l’image de l’UE sur la base des valeurs communes. La crise de la Covid-19 a néanmoins mis en relief la guerre de « communication stratégique » entre l’UE et la Russie dans certains pays du Partenariat oriental. Selon l’UE, la Russie n’a pas hésité à recourir à la désinformation dans les pays du voisinage« Coronavirus: EU Strengthens Action to Tackle Disinformation », European Commission Press release, 10 juin 2020.. De même, l’assistance fournie par la Russie (et la Chine) a bénéficié d’une promotion insistante notamment en Moldavie, où l’aide sanitaire a fait l’objet d’une couverture médiatique massive, relayée par le président Dodon, aux dépens de l’assistance européenne« Russia, China were First to Meet Moldova’s Request to Tackle Coronavirus – Dodon », TASS, 6 mai 2020..
Le défi sanitaire et économique
S’agissant du défi sanitaire et économique, l’aide de l’UE en faveur des pays du Partenariat oriental, par rapport aux hésitations observées à l’intérieur de l’Union elle-même, a été rapide et importante et, à ce stade, plutôt bien adaptée à la situation propre de chacun de ces pays. Elle a également été consensuelle et coordonnée entre l’UE et ses Etats membres au sein de l’« équipe Europe » (Team Europe). Une enveloppe globale de 80M d’euros a ainsi été rapidement débloquée pour des besoins sanitaires, ainsi que près de 883M d’euros en faveur du secteur social et économique à court et moyen termes, dont des versements destinés à chacun des six pays partenaires : 92M d’euros pour l'Arménie, 14M pour l'Azerbaïdjan, 60M pour la Biélorussie, 183M pour la Géorgie, 87M pour la Moldavie et 190M pour l'Ukraine.
C’est donc près d’un milliard d’euros que Bruxelles a consacré à l’assistance immédiate aux pays partenaires frappés par la crise sanitaire, ajouté à une enveloppe macro-financière d’1,4Md d’euros pour certains d’entre eux. C’est qu’Ursula von der Leyen, présidente de la nouvelle Commission, qu’elle a voulue « géopolitique », a conscience de jouer en partie la crédibilité de l’UE à l’occasion de cette crise.
Le défi stratégique
La Russie, qui souhaite le maintien de son influence dans son « étranger proche »« L’utilisation de l’expression ‘étranger proche’ est … avérée dès 1992 : à l’époque de la présidence de Boris Eltsine, le ministre des Affaires étrangères A. Kozyrev l’utilise pour désigner les anciennes républiques soviétiques désormais juridiquement indépendantes, bien que toujours sous l’influence de la Russie. […] Les États slaves, ceux du Sud Caucase et d’Asie centrale représentent pour le Kremlin non seulement des pays amis, alliés ou partenaires, mais aussi une zone tampon à préserver des influences étrangères » (Sophie Tournon, « Retour sur le concept d’un étranger proche russe », Regard sur l’Est, 17 décembre 2010). Dmitriï Medvedev, alors président, avait affirmé en août 2008 devant la télévision que cet espace relevait des régions où la Russie avait des « intérêts privilégiés »., demeure un défi stratégique pour le Partenariat oriental. Moscou a commencé à s’inquiéter dès lors que l’UE s’est géographiquement rapprochée de son territoire en 2004 et a souhaité développer dans son voisinage oriental une politique directe d’influence et de réformes politiques et économiques. Le Partenariat oriental, au même titre que l’expansion de l’OTAN, sont en effet ressenties à Moscou, adepte du « jeu à somme nulle », comme une menace pour ses intérêts politiques, stratégiques, économiques, voire culturels.
Dès la fin des années 1990, Moscou avait proposé aux républiques ex-soviétiques, en recourant parfois à la pression, d’adhérer à la Communauté économique eurasiatique, absorbée en 2015 par l’Union économique eurasiatique, lancée quelques années auparavant par Moscou, de concert avec Minsk et Almaty. Les résultats en sont mitigés. Avec la Biélorussie, pays fondateur de l’UEE, l’Arménie est le seul pays partenaire à y avoir adhéré, en 2015. La Géorgie, après la guerre de 2008, et l’Ukraine, à la suite de « l’Euromaïdan », n’ont aucune intention d’en faire partie. La Moldavie n’a pas dérogé à son statut d’observateur et l’Azerbaïdjan continue à privilégier l’équidistance entre la Russie et l’Occident.
Dix ans après le lancement du Partenariat oriental, la défiance entre l’UE et l’Occident, d’une part, et la Russie, d’autre part, est maximale. Pourtant des tentatives de rétablir le dialogue existent. Le président Macron a lancé l’an dernier un « dialogue de sécurité et de confiance avec la Russie », dont il a confié la coordination à Pierre Vimont, ancien ambassadeur auprès de l’UE et à Washington et ancien Secrétaire général du SEAE. M. Vimont est également chargé de susciter le soutien à l’initiative française de la part de l’UE et des pays membres. La Commission européenne, de son côté, malgré les sanctions qu’elle a adoptées contre la Russie, poursuit ses contacts informels et techniques avec l’Union économique eurasiatique, avec laquelle elle ne souhaite pas à ce stade établir des relations officielles. L’objectif de ces contacts semble être de maintenir un dialogue informel avec Moscou, les contacts institutionnels prévus par l’APC de 1997 étant gelés depuis 2014.
Une autre approche intéressante est contenue dans la note publiée en 2018 par le think tank américain RAND Corporation, pourtant très atlantiste. Selon ce document, afin de mettre un terme à la défiance et la peur entre la Russie et l’Occident, « [il convient] d’élaborer un nouveau cadre intellectuel traitant de ce qui divise réellement les deux parties, c’est-à-dire le statut des ‘Etats entre-deux’ – l’Ukraine, la Moldavie, la Biélorussie, l’Arménie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan »Samuel Charap , Jeremy Shapiro, Alyssa Demus, « Rethinking the Regional Order for Post-Soviet Europe and Eurasia », RAND Corporation, 2018, p. 3.. Ces « Etats entre-deux » ne sont ni plus ni moins les pays partenaires de la politique de Partenariat oriental de l’UE. Le document propose que les deux parties définissent un « nouveau statu quo que toutes les parties acceptent»Ibid., p. 15.. Les trois pays les « plus avancés » pourraient tisser des liens économiques avec l’UEE (et vice versa). L’UE, les Etats-Unis et la Russie s’engageraient, par le biais « de garanties de sécurité multilatérales », à renoncer à la force contre ces Etats et à toute ingérence dans leurs affaires intérieures. Dans ce cadre, la Russie s’engagerait à « accepter (et ne à pas saper) les institutions euro-atlantiques »Ibid., p. 19.. Avec l’Occident, elle pourrait esquisser des « incitations destinées aux ‘Etats entre-deux’ » adoptant un cadre d’intégration non alignéIbid., p. 20.. Enfin la compatibilité entre les arrangements de l’UE et de l’UEE devrait être recherchée afin que ces pays ne soient pas obligés de choisir entre ces deux unions. Le document, qui place les pays partenaires du Partenariat oriental en son centre, est optimiste quant à l’acceptation de son schéma par les opinions publiques des « Etats entre-deux », sauf en Ukraine, alors que la Russie semble depuis 2015 « vouloir accepter quelque chose qui serait moins qu’une domination totale de la région »Ibid., p. 31..
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Dans son communiqué de presse saluant l’adoption du texte de la Communication, le Conseil de l’UE a estimé « qu’il importait que le Partenariat oriental futur soit un cadre de coopération davantage stratégique, ambitieux, souple et inclusif, qui permettrait aux partenaires de relever ensemble les défis communs et mondiaux dans un large éventail de domaines, en particulier dans la situation actuelle sans précédent causée par la pandémie de Covid-19 ». Le Partenariat oriental, partie intégrante de la Politique de voisinage et de la politique étrangère et de sécurité commune, sera l’un des éléments essentiels qui étaieront le positionnement de l’UE en tant qu’acteur global, indépendant et responsable. Les défis, globaux, devront être relevés globalement par l’Union si elle veut pouvoir tenir son rang géostratégique.
S’agissant de l’UE, la géostratégie renvoie en premier lieu à ses relations avec son puissant voisin qu’est la Russie, avec laquelle elle est en concurrence dans la région du voisinage Est, objet du Partenariat oriental et qui est pour la Russie l’« étranger proche » où elle entend maintenir son influence. L’UE paraît tétanisée par le blocage ukrainien et ne sait plus comment avancer sans déclencher un nouvel affrontement. Plutôt que de poursuivre une lutte d’influence régionale qui risquerait d’entraîner des conséquences encore plus sérieuses, l’Union et la Russie pourraient travailler à identifier des dossiers d’intérêt commun pouvant aboutir à une entente en matière de développement économique et de dialogue politique, en essayant de s’inspirer des tentatives de rapprochement citées plus haut.
Plus globalement, la Russie, comme l’UE, aura à se repositionner dans la confrontation américano-chinoise. Et le partenaire sur lequel elle semble davantage en mesure de s’appuyer ne devrait pas être la Chine, comme on semble actuellement le penser à Moscou, mais l’Union européenne, avec qui elle partage largement des conceptions favorables à un monde multipolaire reposant sur le renforcement des instances multilatérales de dialogue, notamment l’ONU et l’OMC.