Introduction
La modernisation actuelle des arsenaux nucléaires se caractérise aujourd’hui par quatre tendances :
- Une logique de pérennisation pour les arsenaux occidentaux, alors que les autres États manifestent davantage, à des degrés divers, une volonté de diversification et de modernisation au sens premier du terme.
- Un effort général en faveur des composantes maritimes, à la fois chez les puissances nucléaires établies et, dans une moindre mesure, chez les détenteurs plus récents de l’arme nucléaire.
- La poursuite de la montée en gamme des missiles, que ce soit sur le plan de la portée, de la précision, de la vitesse (hypersonique : lanceurs de croisière, corps de rentrée) ou, pour certains missiles balistiques, de la capacité d’emport.
- Une dualité classique/nucléaire des systèmes d’armes de plus en plus répandue : porteurs (chasseurs-bombardiers, sous-marins), lanceurs (balistiques et de croisière).
Il n’est pas déraisonnable d’anticiper qu’en 2030, l’Inde et le Pakistan prendront leur place aux côtés de la Chine, de la France et du Royaume-Uni comme « puissances nucléaires de deuxième rang » disposant de centaines d’armes (200-1 000).
Outre les ruptures géostratégiques possibles, deux paramètres pourraient affecter, dans les cinq ans qui viennent, les tendances nationales décrites plus bas :
- La disponibilité ou non des États-Unis et de la Russie, en cas de non-pérennisation du mécanisme de maîtrise des armements stratégiques, d’en revenir à une logique de « course aux armements » quantitative, notamment à travers la multiplication des armes dont sont dotés les lanceurs balistiques.
- En cas de prolongation et d’approfondissement de la crise du COVID‑19, une éventuelle baisse significative des investissements disponibles pour la modernisation des forces nucléaires.
Les États-Unis
Les États-Unis entrent en phase de recapitalisation complète de la triade, pour une modernisation décidée sous l’administration Obama et qui devrait être achevée au début de la prochaine décennie (1 200 milliards de dollars sur 30 ans selon le Congressional Budget Office, une estimation souvent jugée conservatrice). Le budget pour l’année fiscale 2021 (2020-2021) a fait l’objet d’un consensus bipartisan.
Les SNLE de la classe Columbia, qui entreront en service en 2027 (pour une première patrouille en 2030 ou 2031), seront plus lourds (2 000 tonnes) que leur prédécesseurs de la classe Ohio, mais ne comporteront que 16 tubes de lancement de missiles au lieu de 24 actuellement (dont 4 non opérationnels – rendus inopérants en application du traité New Start). Avec un coût total estimé par le Congressional Research Service en 2018 à 103 milliards de dollars, le programme représentera un cinquième du budget de la construction navale américaine pendant une décennie. Le coût unitaire des bâtiments devrait être de l’ordre de 8 milliards. Le premier bâtiment devrait entrer en production en 2021. Au cours des années 2030, du fait de la transition, le parc de SNLE (14 aujourd’hui) descendra à 10, puis remontera à 12 au début des années 2040.
Le lanceur Trident-2-D5LE (avec le corps de rentrée Mk6), déjà en service, armera les SNLE de la classe Columbia. Une seconde extension de durée de vie active lui permettra de demeurer en service jusqu’aux environs de 2084. L’arme destinée au lanceur (W93 et corps de rentrée Mk4) sera, pour la première fois depuis longtemps, un concept nouveau bien que basé sur des formules testées. Dans l’intervalle, une première patrouille de SNLE doté de l’arme modifiée (énergie kilotonnique) W76‑2 a eu lieu en 2020.
Proposé par la NPR de 2018, un programme de nouveau missile de croisière mer-sol lancé par sous-marin est actuellement à l’étude.
Le remplacement des ICBM Minuteman-III modernisés, au travers du programme Ground-Based Strategic Deterrent, a été initié. Le nouveau lanceur devrait entrer en service à la fin de la décennie 2020. Pas moins de 666 lanceurs seraient produits pour un coût estimé à 100 milliards, dont 400 destinés à être déployés – un remplacement nombre pour nombre donc, à cadre constant en application des limitations prescrites par le Traité New Start, pour une durée de service actif pouvant aller jusqu’en 2075. Le GBSD sera initialement doté d’armes W87 et d’un corps de rentrée Mk21, les deux modernisés (W87-1/Mk4A). La portée du missile reste à définir : quelle couverture des objectifs non-russes offrira-t-il ?
Le développement du nouveau bombardier B‑21 Raider se poursuit. Le premier vol de démonstration devait avoir lieu fin 2021, mais cette date sera probablement reportée. Le B‑21 devrait remplacer graduellement les B‑1B et B‑2 à partir de la fin des années 2020. À ce stade, la production de 175 appareils est envisagée, pour un coût total estimé par des experts à 96 milliards de dollars (soit un coût unitaire de 550 millions). D’une capacité d’emport légèrement inférieure à celle du B‑2, le B‑21 sera doté de la bombe B‑61-12 et du missile à longue portée Long Range Stand-Off (LRSO).
Le LRSO fait partie des programmes nucléaires les plus controversés outre-Atlantique – y compris parce qu’il concerne un système véritablement nouveau avec des capacités significativement accrues (portée, précision, discrétion). Le concept sera retenu en 2022, pour une mise en service au début des années 2030 sur l’ensemble de la flotte. Destiné à remplacer l’ALCM (AGM‑86B), il serait doté d’une arme W80-4, version modifiée de la W80-1. Mille exemplaires sont envisagés, dont la moitié comme vecteurs d’armes nucléaires – les quelques 500 autres étant à la fois destinés à un emploi classique, ainsi qu’aux essais. Le coût de développement et de production du missile, de l’ordre de 5 milliards, serait deux fois moins élevé que celui de l’arme (jusqu’à 10 milliards).
La bombe B‑61-12 est destinée à remplacer l’ensemble des bombes à gravité B‑61 actuellement présentes dans l’arsenal américain. 480 exemplaires – soit une réduction de moitié du stock actuel – devraient être produits d’ici 2025, pour un coût total évalué par le General Accounting Office à 10 milliards. Les retards pris dans la mise au point de cette arme ont justifié, du point de vue de l’administration, le maintien provisoire en service de la B‑83. Cette bombe aura une certaine capacité de pénétration pour des objectifs durcis, et son couple énergie-précision sera optimisé (meilleure précision, énergie maximale de 50 kilotonnes). Elle pourra rester en service dans sa forme actuelle jusqu’en 2038, et une nouvelle version (B‑61-13) sera développée aux environs de 2045. La B‑61-12 peut déjà être emportée par les F‑15E, F‑16 et PA‑200 Tornado et sera déployée en Europe dans les années qui viennent (avant 2025). Elle pourra également, une fois les modifications du logiciel apportées et la certification accordée (2024), être emportée par le F‑35 dans la deuxième partie de la décennie. Le CBO estime que l’adaptation et la certification de cet appareil à la mission nucléaire coûteront environ 350 millions de dollars.
En parallèle, les États-Unis réinvestissent sur les moyens de commandement, contrôle et communications nucléaires (NC3) (24 milliards pour l’année 2020-2021), et sur la production de cœurs d’armes (710 millions accordés pour la construction de deux ateliers, à Savannah River et Los Alamos, avec un objectif de production d’au moins 80 cœurs par an en 2030).
Le coût total de la dissuasion nucléaire américaine est estimé par le CBO à 500 milliards pour les années 2019-2028, soit environ 5 milliards par an.
La Russie
La Russie conduit à la fois des programmes de pérennisation anticipés ou « de routine », des programmes plus nouveaux (annonces de 2018) dont l’ampleur et la portée sont encore difficiles à mesurer, ainsi que des efforts de modernisation de son arsenal non-stratégique.
Le programme de nouveaux SNLE de la classe Borei se poursuit avec quelques retards. Quatre bâtiments sont désormais opérationnels. La cible est maintenant de dix bâtiments, répartis en parts égales entre la Flotte du Nord et la Flotte du Pacifique, à l’horizon de la fin de la décennie, et dotés chacun de 16 lanceurs RSM‑66 Boulava (SS‑N‑32).
L’état du programme de « drone-torpille thermonucléaire » Status-6 Poseidon, dont l’entrée en service est annoncée à l’horizon 2027, est plus incertain. D’après les sources russes, le premier sous-marin de la classe Oscar (adaptation à l’emport des Poseidon) entrerait en service dès cette année, et pourrait emporter dix de ces engins.
La composante navale dite non-stratégique (non prise en compte des lanceurs par les accords Start) se poursuit à pas lents, les nouveaux SNA Yasen-N qui entrent en service au cours de la décennie actuelle pouvant emporter des missiles de croisière à double capacité 3M‑14 (SS‑N‑30-A Kalibr) et 3M‑55 (SS‑N‑26 Yakhont), ainsi peut-être que des moyens nucléaires « de bataille » (torpilles).
La modernisation de la composante terrestre continue de recevoir la priorité et est sur la voie d’un achèvement (plus des trois-quarts des lanceurs ont été remplacés depuis 2000) à l’horizon 2025, avec à ce moment quelques 530 lanceurs opérationnels. Elle est actuellement centrée sur le lanceur mobile ou en silo RS‑24 Yars (SS‑27 Mod-2), un dérivé du Topol-M (SS‑27 Mod 1). Déployés depuis 2010, les quelques 140 lanceurs Yars en service aujourd’hui peuvent emporter, en version mobile ou fixe, jusqu’à quatre armes chacun. La mise en œuvre d’une version plus compacte (RS‑26 Yars-M) a été repoussée. Dans un avenir proche, un autre lanceur, le RS‑28 Sarmat (SS‑29, Satan-2), retiendra sans doute l’attention. Destiné à remplacer le RS‑20V (SS‑18 Satan) – héritage soviétique – à partir de 2021, il s’agit en effet d’un nouveau lanceur lourd à combustible liquide, capable d’emporter un nombre significatif d’armes, dont la capacité réelle d’emport est encore inconnue et dont la dotation dépendra sans doute en partie de l’avenir du traité New Start. Les derniers lanceurs issus de la Guerre froide devraient être retirés du service au milieu de la décennie. Le corps de rentrée (planeur hypersonique) Avangard, qui équipe déjà certains lanceurs SS‑19 modifiés, pourrait également doter certains SS‑29. Cet engin est hérité des efforts soviétiques destinés à contrer les défenses antimissiles américaines.
Un autre moyen sol-sol a retenu l’attention : le missile de croisière 9M730 Burevestnik (SSC‑X‑9 Skyfall), dont la propulsion serait assurée par un système nucléaire qui lui garantirait une autonomie de vol quasi-infinie et dont les essais depuis 2016 ont été peu satisfaisants (accident majeur en 2019), ce qui peut laisser planer le doute sur la poursuite du programme jusqu’à son terme.
Comme aux États-Unis, les bombardiers stratégiques hérités de la Guerre froide continuent d’être modernisés pour être maintenus en service. C’est déjà le cas pour la plupart des Tu‑160 et peut-être des Tu‑95, qui emportent le nouveau missile de croisière air-sol Kh-102 (AS‑23B). Moscou n’en prépare pas moins le renouvellement de cette flotte : missile AS‑23B (en remplacement des AS‑15), et Tu‑160M2 pour les années 2020, en attendant un appareil de nouvelle génération PAK‑DA dans les années 2030, qui devrait remplacer tous les bombardiers à long rayon d’action existants.
S’agissant des moyens non-stratégiques, la logique de pérennisation des moyens à double capacité se poursuit : entrée en service des nouveaux chasseurs-bombardiers Su‑34 Fullback ; remplacement des Tu‑22M3 par des Tu‑22M3M ; des missiles de croisière air-sol Kh‑22M par des Kh‑32. En outre, un lanceur balistique air-sol Kh‑47M2 Kinzhal – dérivé du missile sol-sol Iskander – pourrait doter certains MiG‑31 modifiés et Tu‑22. Les missiles balistiques sol-sol Iskander‑M (SS‑26) sont désormais déployés en nombre, dans des unités qui sont par ailleurs en cours de dotation de missiles de croisière sol-sol 9M729 (SSC‑8 « screwdriver »).
La Chine
Pékin semble vouloir poursuivre le programme de SNLE de la classe Jin jusqu’à son terme : deux nouveaux bâtiments auraient été livrés en 2020, portant le parc à six, chaque bâtiment pouvant être doté de 12 missiles JL‑2, avec des incertitudes sur le statut opérationnel exact de la composante océanique du pays. Les caractéristiques peu satisfaisantes de ces modèles en termes de discrétion acoustique vont l’amener à engager assez rapidement son programme de troisième génération, sans doute au cours de la présente décennie. Au cas où les deux générations se chevaucheraient, la Chine pourrait disposer d’un parc de 10 bâtiments quelque part au cours de la décennie 2030. Les nouveaux SNLE de type 096, dont la construction devrait prochainement commencer, seront logiquement dotés de lanceurs JL‑3 à portée intercontinentale – en cours d’essais – ce qui leur offrirait de nouvelles options en termes de zones de patrouille même si le principe d’un bastion en mer de Chine méridionale n’a pas aujourd’hui de raison d’être remis en cause.
Tout aussi lente est la transition, initiée dans les années 1980, de la force de missiles stratégiques sol-sol vers les longues portées et la propulsion à carburant solide, ainsi que vers l’emport de têtes multiples (sur les DF‑5). Au cours des années 2000, la priorité est allée au déploiement des DF‑31 (CSS‑10 Mod 1) et DF‑31A et AG (CSS‑10 Mod 2). Le déploiement du DF‑41, en développement depuis deux décennies, est probablement imminent. Ce système destiné à remplacer les DF‑5 intercontinentaux vieillissants, et dont la capacité d’emport est significative, pourrait donner à Pékin les moyens d’un saut quantitatif en termes de nombre d’armes déployées, et ses modes de lancement seront diversifiés. Mais peu d’informations fiables existent quant aux intentions et capacités chinoises réelles dans ce domaine. Les systèmes intercontinentaux sont complétés par des capacités à portée « intermédiaire » (DF‑26) et « moyenne » (DF‑15, DF‑21 notamment). Ces systèmes sont quasiment tous duaux et cette dualité se retrouve même parfois au sein de certaines brigades. Des incertitudes significatives existent toutefois quant à l’ampleur de leur dotation effective en armes nucléaires dans la planification chinoise.
S’agissant de la composante aérienne, qui ne semble pas être prioritaire pour la RPC, des incertitudes significatives demeurent quant au rôle nucléaire de ses moyens. D’après les États-Unis, celle-ci aurait désormais (2018) de nouveau une mission nucléaire et certains de ses bombardiers (H6) auraient la capacité d’emporter des missiles balistiques aéroportés (CH‑AS‑X‑13, dérivé du lanceur sol-sol DF‑21). Par ailleurs, un futur bombardier stratégique H‑20 (du type B‑2 américain) est attendu à la fin de la décennie. Il pourrait lui aussi avoir un rôle nucléaire, doté de missiles de croisière duaux CJ‑10K ou CJ‑20.
Le Royaume‑Uni
Le programme Dreadnought est actuellement dans sa deuxième phase en 2018 (finalisation de la conception du premier bâtiment). L’entrée en service de ce premier bâtiment était prévue pour 2028, mais n’aura sans doute lieu qu’au début de la prochaine décennie et l’extension de la durée de vie d’une partie au moins du parc des Vanguard est envisagée. À la différence des Vanguard (16 tubes), les Dreadnought ne seront dotés que de 12 tubes de lancement. Le coût total du programme avait été officiellement estimé en 2015 à 31 milliards de livres.
La crise du Covid-19 pourrait avoir deux conséquences contradictoires sur le programme Dreadnought : d’un côté, des incertitudes budgétaires renforcées par celles qui découleront de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ; de l’autre, une consolidation politique du format à quatre SNLE, jugé plus résistant à des chocs brutaux affectant la composante, tels qu’une pandémie susceptible d’affecter la disponibilité des personnels (ce risque ayant toutefois été pris en compte depuis longtemps par la Navy).
Londres participe aux travaux de modernisation du lanceur Trident‑2‑D5, qui devrait permettre à ce dernier de rester en service jusque dans les années 2040.
Il est prévu que la décision de procéder à la conception et à la fabrication d’une nouvelle arme soit prise au cours de la législature actuelle, pour une entrée en service à la fin de la prochaine décennie ou au début de la suivante. Dans cette attente, l’Atomic Weapons Establishment coopère avec les laboratoires américains pour prolonger la durée de vie de l’arme actuelle.
L’Inde
L’édification par l’Inde d’une composante océanique se poursuit. Un deuxième bâtiment de la classe Arihant (l’Arighat) doit être mis en service en 2021, les essais à la mer semblant achevés. Si la cible finale n’a pas été confirmée, deux autres bâtiments sont en construction. Une base de SNLE doit prochainement voir le jour sur la côte est du pays (baie du Bengale), près de Rambili, et une mise à niveau des infrastructures de transmission (très basse fréquence) est en cours de réalisation. Delhi envisage déjà une deuxième génération de bâtiments. Le lanceur actuel (K‑15, annoncé comme opérationnel) est un système de transition. Le futur lanceur (le K‑4, en cours d’essais), de portée intermédiaire, serait trop volumineux pour l’Arihant, qui n’en emporterait que quatre par bâtiment, mais l’Arighat pourra en emporter un nombre supérieur, peut-être le double. Le K‑4 semble être mono-tête et sera suivi d’un K‑5 de portée plus longue. Cette composante océanique balbutiante est complétée par une petite composante de surface (deux bâtiments dotés du Dhanush, version mer-sol du Prithvi‑II).
La capacité de frappe en second de l’Inde – corollaire logique du non-emploi en premier affiché – reposera encore longtemps sur les missiles sol-sol et dans une moindre mesure sur la composante air-sol.
S’agissant de la première, le pays continue – comme d’autres États de la région – à investir dans divers programmes, qui ne seront probablement pas tous portés à leur terme. L’Agni‑5 mobile – destiné à menacer les centres vitaux chinois – en est le programme phare. Mais l’Inde envisage déjà un Agni‑6 de portée intercontinentale (ou quasi-intercontinentale), qui pourrait également être développé en version mer-sol. Une telle capacité ne lui serait sans doute pas nécessaire sur le plan militaire mais ferait entrer Delhi dans le « club » des rares puissances accédant à cette portée. Les missiles Prithvi‑II, à courte portée, ont presque certainement une mission nucléaire, au moins secondaire, et sont destinés au Pakistan.
L’Inde développe par ailleurs un missile de croisière multi-missions (Nirbhay) de courte à moyenne portée, mais rien n’indique à ce stade qu’il soit prévu de le doter de charges nucléaires.
La composante aérienne pourrait diminuer en importance pour l’Inde, la mission nucléaire n’étant sans doute plus assurée par les Jaguar de son armée de l’Air. Il est possible qu’elle continue à être assurée par d’autres appareils acquis plus récemment par les forces armées indiennes.
L’Inde entend développer considérablement ses capacités de production de matières fissiles à des fins explosives (Pu et UHE) au cours de la décennie 2030, et entend doter certains de ses lanceurs à longue portée de têtes multiples.
Le Pakistan
Pour ne pas être en reste sur son voisin indien, le Pakistan s’est lancé dans l’édification d’une composante maritime, qui sera probablement rudimentaire pour longtemps. Il semble avoir l’intention de déployer le lanceur de croisière Babur‑3 (dérivé du Babur‑2 sol-sol), en cours d’essais, sur ses sous-marins classiques Agosta, et à l’avenir sur certains des huit sous-marins chinois qui rejoindront la Marine pakistanaise dans la décennie 2020.
Pour l’heure, toutefois, et comme son voisin, le Pakistan mise encore largement, pour sa dissuasion, sur ses missiles sol-sol. Il dispose d’une famille de missiles sol-sol diversifiée développée à partir d’une filière « propulsion liquide » d’origine nord-coréenne et d’une filière « propulsion solide » d’origine chinoise. La famille Shaheen à combustible solide est appelée à remplacer au moins partiellement la famille Ghauri à combustible liquide ; le Shaheen‑3 est en cours d’essais. Le prochain système-phare de la dissuasion pakistanaise sera l’Ababeel, à combustible solide et annoncé comme étant capable d’emporter des têtes multiples, ostensiblement pour contrer d’éventuelles défenses antimissiles indiennes.
L’investissement pakistanais dans les courte et moyenne portées est particulièrement significatif – il est vrai que les centres vitaux et les bases militaires de l’adversaire de référence du pays sont localisés à relativement courte distance. (La longue portée étant destinée, dans le discours pakistanais, à garantir que l’Inde ne disposera d’aucun sanctuaire territorial.) Toutefois, il n’est pas certain que ces missiles soient déployés en nombre.
Il est raisonnable de penser que les familles de missiles de croisière Babur (sol-sol) et Ra’ad (air-sol) sont au moins en partie destinées à la dissuasion nucléaire du pays – ce qui signifierait que le Pakistan maîtrise désormais des formules d’armes au plutonium relativement compactes. Les Babur‑2 et Ra’ad‑2 sont en cours d’essais.
La composante aérienne représente sans doute encore un atout important pour Islamabad. Le Pakistan a probablement doté une partie de sa flotte de F‑16 et de Mirage d’un rôle nucléaire et procédé à cet effet aux adaptations nécessaires. Pour l’avenir, une incertitude majeure concerne la dotation éventuelle du JF‑17 (chinois) en armements nucléaires.
Israël
Il est supposé que les sous-marins de la classe Dolphin achetés à l’Allemagne (six ont été livrés) ont été adaptés par Israël à l’emport de missiles de croisière dotés d’une charge nucléaire. Les trois premiers devraient être remplacés dans les années 2030 par une nouvelle génération de bâtiments. Les analystes restent prudents quant à l’importance, pour la dissuasion nucléaire du pays, de cette composante supposée.
Il ne fait guère de doute en revanche que la composante sol-sol est pleinement opérationnelle. On estime que la moitié du stock d’armes israélien – soit plusieurs dizaines – est destinée à cette composante qui repose sur les lanceurs Jéricho‑II à portée régionale. Un nouveau lanceur Jéricho‑III, à portée accrue mais sans doute encore « intermédiaire », est en cours de mise en service.
Enfin, le pays dispose encore presque certainement d’un nombre significatif (quelques dizaines) de bombes destinées à ses chasseurs-bombardiers F‑16.
La Corée du Nord
Comme tous les autres États nucléaires désormais, la Corée du Nord s’est lancée dans l’édification d’une composante océanique (bâtiment expérimental Sinpo, doté d’un missile à combustible KN‑11 en développement). Une telle composante ne sera pas opérationnelle avant longtemps, mais la capacité de la Corée du Nord à investir dans ce qu’elle considère probablement comme l’attribut indispensable d’un État nucléaire moderne ne doit pas être négligée. Un sous-marin à propulsion diesel-électrique est en construction à cet effet.
La composante sol-sol nord-coréenne est très diversifiée (une dizaine de types de lanceurs) et reste axée sur les lanceurs à combustible liquide : dérivés du Scud (Scud‑ER et Nodong, probablement affectés à un rôle nucléaire), nouvelle génération de missiles à moyenne portée en développement (BM‑25, KN‑17) ; missiles multi-étages à longue portée (KN‑08, KN‑20, KN‑22), avec des incertitudes demeurant sur la maîtrise par Pyongyang de la rentrée dans l’atmosphère. Les lanceurs à combustible solide restent en développement (KN‑11 destiné à la composante maritime ; KN‑15, son dérivé sol-sol) mais sont probablement appelés à constituer une proportion de plus en plus importante de l’arsenal nord-coréen.
Si les capacités de production de Pu du pays sont assez bien connues, ses capacités exactes de production d’UHE restent entachées de nombreuses incertitudes.
Figure 1 : Corrélation entre nombre d’armes en service (stock militaire, évaluation FAS 2020) et budget de la dissuasion (dépenses 2019, évaluation ICAN 2020)