Bâtir une industrie de défense permettant de réduire la dépendance vis-à-vis de l’étranger tout en répondant aux besoins croissants des forces armées est une aspiration depuis longtemps exprimée. Son nouvel avatar est le « Make in India » promu par le Premier ministre Modi, destiné à dynamiser la base industrielle et technologique de défense et à en corriger les déficiences. Les différentes pistes comme le développement de partenariats avec des entreprises étrangères et la valorisation du secteur privé indien sont ici explorées.
Lors du discours que le Premier ministre indien prononça à Bengaluru (Bangalore) le 18 février 2015 à l’occasion de l’inauguration du salon Aero India 2015, il déplora que l’Inde reste le premier pays importateur d’armes au monde. Un fait mis en avant par le SIPRI qui rappelle que l’Inde a compté en volume pour 15 % des importations mondiales sur la période 2010-2014. Ce constat reflète les errements de la base industrielle et technologique de défense (BITD). Pour Narendra Modi, cela ne doit pas occulter le fait que le pays a la capacité de devenir un lieu attractif pour la fabrication et l’exportation de matériel de défense, notamment dans un contexte global de resserrement des budgets militaires appelant à une maîtrise des coûts. Il invite les entreprises étrangères à s’associer à des partenaires privés et publics dans le cadre du « Make in India » destiné à soutenir l’activité industrielle en Inde. Le souhait de considérer les importations de matériel militaire comme devant contribuer à asseoir une industrie de défense nationale est ancien mais il s’est le plus souvent heurté à des dysfonctionnements liés à l’inertie bureaucratique, l’apathie des acteurs économiques, et la corruption générée par les contrats d’importation. Comme nous le verrons ci-après, le nouveau gouvernement entend avant tout faire preuve de détermination pour mettre en pratique des orientations définies au cours des années précédentes. Nous nous attarderons sur quatre lignes directrices : dynamiser la BITD, notamment au sein du secteur privé, s’en donner les moyens à travers le recours aux investissements étrangers afin de bénéficier de transferts de technologie, et enfin devenir à terme un acteur international pour l’exportation d’armes à l’image de la Chine.
Relancer et réformer le processus d’acquisition dans le cadre du « Make in India »
“It will be no longer enough to buy equipment and simply assemble them here. We have been doing this in the past, without absorbing any technology or developing our own capabilities. In some areas, we are where we were three decades ago,’’ (Modi à Aero India).
Investi en mai 2014, le gouvernement de Narendra Modi considère que la modernisation de l’outil militaire doit, dans le cadre de la réponse aux enjeux sécuritaires, servir à stimuler le développement de l’industrie de défense indienne. Domaine stratégique, celle-ci fut jusqu’à une période récente du ressort exclusif du secteur public et amenée à se développer en vase clos, à l’exception de licences de production pour la plupart d’origine soviétique, induisant une certaine léthargie. Pendant cinquante ans, l’Inde s’est contentée d’une relation acheteur-vendeur avec au mieux un assemblage sur le sol national mais sans transferts de technologie.
Les 39 arsenaux continuent à produire essentiellement du matériel de base (uniformes, tentes, munitions pour armes légères). En 1991, la commission Arjun Singh sur les dépenses de défense avait d’ailleurs souligné l’obsolescence des arsenaux, recommandé la fermeture de 5 d’entre eux en transférant au secteur privé leur production. Une proposition qui resta lettre morte. Quant aux performances des neuf entreprises de défense du secteur public (DPSU), elles ne sont pas à la hauteur des investissements réalisés avec des coûts de production relativement élevés du fait d’une faible productivité et d’un manque de savoir-faire. Les 52 laboratoires de la Defense Research and Development Organisation (DRDO), établie en 1958 pour être le porte-étendard de l’excellence indienne en matière de conception de systèmes d’armement, n’ont pas répondu aux attentes suscitées en termes d’avancées technologiques et de leur application industrielle, ne serait-ce que sur la mise au point d’un fusil d’assaut performant. Si des avions de chasse, des missiles BrahMos ou des sous-marins peuvent sortir de chaînes de production basées en Inde, il s’agit de production sous-licence d’armes conçues à l’étranger et dont les composants critiques continuent à être importés. Pas une seule plateforme ou pièce d’armement est totalement conçue et produite en Inde, qu’ils s’agissent d’armes personnelles, de canons, de chars de combat, de navires ou d’avions de chasse. Si des voix se sont élevées pour demander la privatisation des structures les moins productives, le fait que l’industrie de défense publique est grosse pourvoyeuse d’emplois lui assure un patronage politique peu propice aux réformes.
Un programme phare du DRDO, en coopération avec l’Aeronautical Development Agency et Hindustan Aeronautics Limited (HAL) est l’avion de combat léger, le Tejas, censé remplacer le Mig-21. Un premier exemplaire fut livré seulement en 2015 à l’armée de l’Air indienne pour validation opérationnelle, trente-deux ans après le lancement d’un projet qui devait faire du Tejas l’élément central de l’Indian Air Force à partir de son entrée en service en 1994. En cours de chemin, il fallut renoncer au moteur conçu en Inde, le Kaveri qui devait propulser l’appareil, au profit d’un moteur General Electric. Le projet de Tejas Mark-II lancé en 2009 est supposé corriger les déficiences observées sur le Mark-I en disposant notamment d’une motorisation plus puissante. HAL rencontre aussi des difficultés pour la mise au point de l’avion d’entraînement HJT-36 Sitara ou l’avion de transport léger Saras. L’incapacité à tenir les échéances s’accompagne de dépassements de coûts et a amené d’ailleurs les Russes à s’interroger sur la réalisation en commun d’un avion de chasse de cinquième génération. D’autres projets alloués au DRDO, comme le système aéroporté de détection et de contrôle, le missile sol-air à longue portée ou la torpille légère de nouvelle génération ont pris beaucoup de retard.
Le char de combat Arjun Mk-1, un autre projet emblématique du DRDO, a essuyé le feu de la critique pour les ajournements et les défauts de conception, notamment sa lourdeur. Si 118 exemplaires doivent être incorporés dans l’armée de Terre, l’essentiel des tanks de l’armée de Terre – plus de 3 400 – est d’origine russo-soviétique, des T-90 et des T-72 assemblés dans la Heavy Vehicle Factory située à Avadi (Tamil Nadu). Souvent présenté comme un char de combat « made in India », le taux d’indigénisation pour le Mk-1 est de 60 % – le moteur est ainsi allemand –, et pourrait même être inférieur pour le Mk-2 du fait que les améliorations apportées nécessitent de recourir à des importations Les essais sur le missile anti-tank fabriqué par Israeli Aerospace Industries n’ont pas donné satisfaction, laissant présager de nouveaux retards. Les résultats les plus probants du DRDO sont à trouver dans le programme intégré de missiles guidés.
La principale résultante des errements de l’appareil productif est que l’Inde dépend encore à environ 70 % d’importations pour satisfaire les besoins en matériel militaire. On est loin de l’objectif fixé au milieu de années 1990 par A.P.J. Abdul Kalam, alors chef du DRDO, de faire passer le taux d’indigénisation de 30 % à 70 % en une décennie. En 2008, la commission Rama Rao avait recommandé que le DRDO se concentre à l’avenir uniquement sur quelques projets d’importance critique. Une recommandation apparemment guère entendue puisque le DRDO annonça depuis la mise au point d’une crème anti-moustique et d’implants dentaire et oculaire. La commission, après avoir évalué le fonctionnement du DRDO, avait aussi suggéré la création d’une formation technologique universitaire spécialisée sur la défense, sur le modèle de ce qui se faisait pour l’énergie atomique et l’espace Sur le papier un fond de développement technologique a été créé afin de soutenir la recherche et le développement de systèmes de défense dans les entreprises publiques et privées et dans les institutions scientifiques. La commission Dhirendra Singh, établie en mai 2015, a fixé à 2027 la date à laquelle le pays pourrait espérer parvenir à un taux d’autosuffisance de 70 %, un objectif conditionné à des transferts de technologie et à une capacité d’absorption de l’industrie indienne bien supérieurs à ce qu’ils sont aujourd’hui.
En dépit d’un recours massif à des importations, un rapport de la Confédération de l’Industrie Indienne (CII) publié en janvier 2010 observait que 50 % de l’armement indien était obsolète, bien plus que les 30 % jugés acceptables par le ministère de la Défense. Les affaires de corruption associées aux contrats de défense (canons Bofors en 1987, ou plus récemment, hélicoptères AgustaWestland en 2013) aux lourdes répercussions politiques ont eu tendance à freiner le processus d’acquisition d’armement. En 2012, la société allemande Rheinmetall Air Defence fut placée sur une liste noire, étant accusée d’avoir versé des pots-de-vin au directeur général des arsenaux dans le cadre d’un appel d’offres portant sur des canons. Dans cette optique, les contrats de gouvernement-à-gouvernement paraissent moins objet à délits que les transactions commerciales directes et permettent d’envisager une conclusion plus rapide des négociations. Nombre d’achats de matériel aux États-Unis empruntent cette voie dans le cadre du programme de Foreign Military Sales du ministère américain de la Défense, notamment pour l’acquisition de 22 hélicoptères d’attaque Boeing AH-64E Apache et de 15 hélicoptères gros porteur CH-47F Chinook. Cette procédure a d’ailleurs permis aux États-Unis d’être en 2014 le premier fournisseur d’armes à l’Inde, devançant la Russie et Israël. Le revers est l’absence de transferts de technologie et le recours à l’importation de pièces de rechange qui devront être acquises à un coût élevé.
Face au vieillissement des équipements, une des priorités du gouvernement Modi a d’ailleurs été de s’atteler à débloquer des contrats d’armement à l’étude depuis plusieurs années avec des fortunes diverses. La conclusion de contrat reste un processus s’étendant sur plusieurs années depuis la manifestation d’un intérêt pour une nouvelle acquisition, la reconnaissance de nécessité par le Defense Acquisition Council (DAC), la demande d’informations (Request for Information), la sollicitation de propositions (Request for Proposals) et enfin la négociation avec le fournisseur retenu d’autant plus longue lorsqu’elle s’accompagne de demandes plus ou moins pressantes en matière de transferts de technologie et d’offsets. Le cas de Rafale est à cet effet typique puisque, malgré des capacités opérationnelles en baisse face au vieillissement du matériel et à la perte d’avions (32 escadrons opérationnels alors que l’armée de l’Air espère pouvoir en déployer 42 à la fin du 14e plan quinquennal en 2027 pour faire face à un double front, pakistanais et chinois), les négociations perdurent alors que l’avion fabriqué par Dassault avait été retenu à l’issue des évaluations techniques et que le gouvernement indien avait annoncé le 31 janvier 2012 l’entrée en négociation pour l’acquisition, initialement prévue, de 126 appareils.
La question se pose aussi de la capacité de l’Inde à être financièrement à la hauteur de ses ambitions au regard des demandes en matériel multiples des forces armées. Les montants dédiés à la modernisation du matériel pourraient atteindre 100 milliards d’euros au cours des sept prochaines années. Des moyens budgétaires toutefois jugés souvent insuffisants, une fois pris en compte l’inflation et la dévalorisation de la roupie par rapport au dollar. Les dépenses de défense représentaient 1,75 % du PIB et 11 % du total des dépenses gouvernementales en 2015. Le prochain budget de la défense devra aussi prendre en compte la revalorisation prévue des salaires des agents de l’Etat (seventh pay commission) et l’augmentation des pensions pour les militaires à la retraite. Des contraintes financières qui notamment ont conduit en 2015 le gouvernement à revoir à la baisse les effectifs – de 90 000 à 35 000 hommes – du nouveau corps d’attaque de montagne comprenant deux divisions d’infanterie, des brigades blindées, d’artillerie, du génie, de défense aérienne qui doit être déployé le long de la frontière orientale avec la Chine avec un quartier général situé à Panagarh au Bengale occidental.
Si le gouvernement Modi a fait du « Make in India » un élément de langage, le principe en avait déjà été acté par son prédécesseur. Le ministère de la Défense avait ainsi adopté en 2006 la notion de « Make » dans le processus d’acquisition « afin d’assurer une recherche, une conception, un développement et des capacités de production locales répondant aux besoins des forces armées dans un délai prescrit en utilisant au maximum le potentiel de l’industrie indienne ». Par la suite, il fut spécifié que le secteur privé devait jouer un rôle actif, en incluant les PME, dans le processus d’indigénisation. Dans la procédure d’acquisition en matière de défense (Defence Procurement Procedure) de 2013, la préférence nationale fut rappelée chaque fois que des équipements et des armements requis par les forces armées dans une échéance donnée pourraient être fournis par l’industrie indienne. Une hiérarchisation est mise en place accordant la priorité au « Buy » avec un taux d’indigénisation minimum de 30 % pour le matériel pouvant être acquis directement auprès d’entreprises indiennes. Viennent ensuite deux autres catégories réservées uniquement à celles-ci, le « Buy and Make » (India), avec un taux d’indigénisation de 50 %, et enfin le « Make » (India). Aucun projet à ce jour n’a abouti dans cette dernière catégorie chargée de promouvoir la conception et le développement de prototypes de systèmes sophistiqués en Inde. Le DAC a décidé d’accorder dorénavant la préférence à une nouvelle catégorie destinée à l’équipement conçu, développé et produit en Inde, requérant un taux minimum d’indigénisation de 40 % pour l’équipement conçu localement et de 60 % si cela n’est pas le cas.
Plus bas dans l’échelle des priorités, on trouve le « Buy and Make » et le « Buy » destinés aux appels d’offres internationaux auxquels des sociétés indiennes peuvent également participer. Dans le cadre du « Buy and Make » global, les entreprises étrangères sont invitées à transférer leur technologie aux partenaires indiens chargés de la fabrication.
Cette volonté de participer au développement d’une industrie nationale de défense s’est retrouvée par exemple lorsque le DAC lança en novembre 2014 un appel d’offres pour l’acquisition de 814 canons tractés de 155 mm entrant dans la catégorie « Buy and Make » (India). Les 100 premiers exemplaires devront être importés et les 714 autres construits en Inde. En remplacement des Cheetah/Cheetak vieillissants, il fut aussi décidé d’invoquer le « Buy and Make » (India) pour l’acquisition de 197 hélicoptères utilitaires légers. Un marché qui devrait revenir au Kamov 226-T dans le cadre d’un partenariat avec HAL ou l’entreprise privée Reliance Defence. HAL peut se prévaloir de l’expertise acquise avec la production de l’hélicoptère léger Dhruv, un appareil toutefois développé avec un large recours à des apports extérieurs : moteur Turbomeca, système de contrôle des vibrations américain, avionique fournie par Israel Aircraft Industries (IAI), etc.
Alors que le DRDO rencontre des difficultés pour intégrer un missile sur son véhicule aérien sans pilote Rustom-II, Il a été décidé d’acquérir 10 drones armés Hebron TP (l’Inde opère déjà 176 drones isréaliens, IAI Searchers and Heron-1) avec l’ambition de parvenir à un accord avec l’IAI par la suite pour la co-production de drones en Inde. La construction navale est le secteur qui, en termes d’indigénisation, apparaît le plus performant. La Marine revendique aujourd’hui la capacité à concevoir tout type de bâtiments de guerre (frégates, destroyers, porte-avions) dans les quatre chantiers navals publics de Mumbai (Mazagaon Dock Ltd.), de Kolkata (Garden Reach Shipbuilders and Engineers Ltd.), de Goa (Goa Shipyard Ltd.) et de Visakhapatnam (Hindustan Shipyard Ltd). Un an après l’INS Kolkata, un second destroyer, l’INS Kochi, dessiné par le Directorate of Naval Design et construit à Mazagaon, a été mis en service en septembre 2015. Il y a aussi la construction en Inde par le chantier naval de Mazagaon de 6 sous-marins Scorpene de technologie française dont le premier exemplaire a été mis à l’eau en avril 2015. La part d’apport local est en constante augmentation. Pour la flottaison, il dépasse les 90 %, il est supérieur à 60 % pour la propulsion, mais ne dépasse pas les 30 à 40 % pour les munitions critiques (missiles, torpilles) et les sondes The Hindu, 20 avril 2015.
L’attente d’investissements étrangers
“We will build an industry that will have room for everyone – public sector, private sector and foreign firms. From sellers, foreign firms must turn into strategic partners. We need their technology, skills, systems integration and manufacturing strength,’’ (Modi à Aero India 2015)
La nouvelle direction politique du pays escompte que les lacunes observées dans l’industrie de défense indienne en matière de conception et de production pourront être corrigées afin d’en faire un acteur global en recourant largement aux investissements étrangers à travers des partenariats permettant aux entreprises publiques et privées d’absorber de nouvelles technologies. Une perspective qui pose la question de l’adéquation entre l’invitation faite à des sociétés étrangères à venir faire du « Make in India » et la politique d’indigénisation du ministère de la Défense visant à promouvoir l’industrie indienne.
L’assistance étrangère a surtout été marquée historiquement par le partenariat privilégié avec l’Union soviétique qui en était venue à prendre une position dominante dans la fourniture de plateformes à l’Inde. Entre 2009 et 2013, la Russie comptait encore pour 75 % des importations d’armes indiennes, les États-Unis 7 % et Israël 6 %. Pour autant, si l’assemblage de chars de combat ou d’aéronefs s’effectua en Inde, les retombées technologiques au niveau local furent pratiquement nulles et la dépendance vis-à-vis de l’étranger pour la fourniture des pièces de rechange est restée largement inchangée, sans compter les problèmes liés aux retards de livraison et les surcoûts afférents.
Un des moyens adoptés pour améliorer la BITD indienne est la politique de compensations (offset) mise en place en 2005. Afin de systématiser l’existence de contreparties pour l’industrie indienne, et notamment de développer son pool scientifique, le gouvernement indien annonça que toutes les commandes placées à l’étranger dépassant les 45 millions de dollars devront à l’avenir s’accompagner d’engagements du vendeur de collaborer, à hauteur minimum de 30 % de la valeur du contrat, avec l’industrie d’armement indienne et ses laboratoires de recherche ou d’acheter en retour des biens produits par l’industrie locale. Un objectif souvent difficile à atteindre compte tenu des déficiences de l’appareil productif local. Une autre piste concomitante fut l’invitation faite à des entreprises étrangères de nouer des partenariats en Inde.
Le débat sur l’élévation du plafond imposé aux investissements directs étrangers (IDE) dans l’industrie de défense court depuis de nombreuses années, oscillant entre la crainte de perte de contrôles sur un secteur d’activités stratégiques et la volonté d’insuffler dynamisme à une industrie essentiellement entre les mains du secteur public. Anand Sharma, le ministre du Commerce et de l’Industrie du précédent gouvernement dirigé par le parti du Congrès, avait déjà proposé en 2013 dans une lettre adressée à Manmohan Singh que le niveau des investissements étrangers passe de 26 % à 74 %, ou a minima à 49 %, afin d’encourager des entreprises étrangères à installer des plateformes en Inde ouvrant la voie à des transferts de haute technologie et stimulant la croissance de la production intérieure The Hindu, 23 mars 2013. Les réticences des DPSU (Defence Public Sector Undertakings) à abandonner une partie de leur contrôle sur le secteur de l’armement inhiba pendant longtemps toute tentative gouvernementale visant à hausser la participation d’investisseurs étrangers.
Les organismes patronaux comme la Confédération de l’Industrie Indienne (CII) et la Fédération Indienne des Chambres de Commerce et d’Industrie (FICCI) émirent aussi des réserves quant à une ouverture trop grande aux IDE qui mettrait ceux-ci dans une position majoritaire et découragerait les acteurs du secteur privé. La FICCI, encore marquée par l’héritage protectionniste, fixa une liste de demandes en échange d’une hausse du plafond des investissements étrangers : la production de plateformes complètes, l’indigénisation et le développement sur place de la technologie amenée par le partenaire étranger qui devra s’engager à se procurer auprès de vendeurs indiens 50 % à 70 % des composants et des sous-systèmes, l’absence de restrictions sur la technologie reçue quant à son exploitation à l’international, l’assurance qu’aucune loi rétroactive sera applicable qui conduirait à restreindre l’utilisation de la technologie acquise. Au sein même de la mouvance nationaliste affiliée au Bharatiya Janata Party du Premier ministre existe une opposition à une participation majoritaire de sociétés étrangères. Le Swadeshi Jagran Manch (Association de Défense du Swadeshi), opposé à la globalisation, participe de ce courant qui s’oppose au projet d’élever la part des IDE à 74 % ou plus dans le cadre d’une joint-venture.
Une des premières mesures prises par le gouvernement Modi fut pourtant d’autoriser une participation étrangère à hauteur de 49 % dans les entreprises liées au secteur de la défense selon la voie d’agrément normal, voire au-delà si les IDE s’accompagnent de transferts de haute technologie permettant de mieux répondre localement aux besoins des forces armées, une formulation qui reste assez floue. Jusqu’à 49 % d’IDE, l’autorisation gouvernementale pourra être seulement demandée par le partenaire indien. Au-delà l’accord devra être demandé par la partie indienne et le collaborateur étranger. Le gouvernement se réserve le droit de donner son accord aux propositions à travers le Foreign Investment Promotion Board (FIPB) opérant au sein du Département des Affaires économiques du ministère des Finances. Si dans la limite des 49 %, l’investissement étranger dépasse les 12 milliards de roupies (180 millions d’euros), il devra être approuvé par le Cabinet Committee on Economic Affairs (CCEA). Au-delà de 49 %, le feu vert devra venir du Cabinet Committee on Security présidé par le Premier ministre et comprenant les ministres de la Défense, des Finances, de l’Intérieur et des Affaires extérieures. Afin de se protéger de toutes fuites d’informations sensibles, il est aussi prévu que le chef de la sécurité pour les joint-ventures, quel que soit le niveau de la participation étrangère, doive être un résident indien. Les fonds d’investisseurs institutionnels étrangers, les placements de portefeuille étrangers, les investissements de Non-Resident Indians (NRI), les investisseurs en capital-risque sont dorénavant autorisés, mais seulement à hauteur de 24 %. Une évolution notable est le fait qu’il n’est plus nécessaire d’avoir un partenaire indien unique contrôlant 51 % des parts.
Le principal défi est d’attirer des IDE s’accompagnant de transferts de technologie significatifs. La commande de 36 avions Rafale « clé en main », contre la moitié initialement prévue, montre aussi la difficulté de trouver un terrain d’entente avec le partenaire indien dans le cadre de transferts de technologie et de partage des responsabilités en cours d’exécution du contrat alors que la négociation portait au départ sur la fabrication par HAL de 108 exemplaires. La pertinence d’imposer aux sociétés étrangères des offsets difficiles à remplir au regard de l’appareil industriel et technologique local est un facteur dissuasif pour celles-ci d’où la récente décision d’augmenter la valeur plancher d’un appel d’offres (de 3 milliards à 20 milliards de roupies) à partir de laquelle des contreparties pour l’industrie indienne seront demandées. L’augmentation du plafond des IDE à 49 % n’a pas changé la donne. Les chiffres du Département de la promotion et de politique industrielles (DIPP, ministère du Commerce et de l’Industrie) montrent que les investissements directs étrangers (IDE) dans le secteur de la défense d’avril 2000 à septembre 2015 sont insignifiants, à peine supérieurs à ceux observés dans la fibre de coco.
Le partenaire étranger n’ayant pas le contrôle de la joint-venture, il n’est guère enclin à partager des technologies de pointe développées à un coût élevé. D’où la proposition d’autoriser des IDE jusqu’à 100 % pour encourager des entreprises étrangères à s’installer en Inde, seul moyen de s’assurer qu’il n’y aura pas de rupture d’approvisionnement pour des technologies clés et d’intégrer les chaînes de production globales d’entreprises de haute technologie bien plus sûrement qu’à travers l’obligation des offsets. La facilité de conduire des affaires face aux obstacles bureaucratiques (l’Inde n’arrive qu’à la 142e position au niveau global selon le rapport 2015 de la Banque mondiale), la sécurité des investissements et la protection des droits de propriétés intellectuelles comme le retour sur investissements dépendant du volume des commandes, resteront des éléments d’appréciation plus importants que l’apparente bonne disposition des autorités envers les investisseurs étrangers.
Plusieurs pays ont aussi des lois sur les exportations régulant la participation d’entreprises du secteur de la défense dans des opérations à l’étranger. C’est notamment vrai pour les États-Unis. Le missile antichars israélien Spike développé par la firme Rafael fut préféré au Javelin américain, qui avait pourtant été activement défendu par le secrétaire d’État à la Défense Chuck Hagel, parce que les États-Unis étaient réticents à se départir de certaines technologies dans la perspective d’une co-production. Si des espoirs ont été mis dans les 17 projets proposés dans le cadre de la Defense Trade and Technology Initiative (DTTI) lancée en septembre 2013 et visant à renforcer la BITD indienne dans le domaine de la défense par une approche collaborative, les quatre projets présélectionnés à l’occasion de la visite du président Obama en Inde en janvier 2015 pour un développement et une production conjointe sont à ce stade modestes : modules de renseignement et de reconnaissance pour avions de transport C-130J, sources de propulsion électrique hydride mobiles, équipement pour la guerre chimique et bactériologique et, un peu plus conséquent, une nouvelle génération de véhicule aérien sans pilote Raven destiné à la surveillance du champ de bataille. La volonté américaine de répondre activement et rapidement en coordination avec son industrie de défense aux demandes indiennes dans le cadre du DTTI peut toutefois être vérifiée avec l’établissement d’une cellule d’action rapide spécifique au sein du Pentagone décidée en février 2015. Les Américains ne sont pas les seuls puisque lors de la visite en Inde du Premier ministre japonais, Shinzo Abe, en décembre 2015, il fut signé un accord sur l’équipement de défense et la coopération technologique. New Delhi escompte que la multiplication des accords de coopération générera une concurrence propice à un accroissement des transferts de technologie.
La participation de l’entreprise privée au secteur de l’armement
En mai 2013, le ministère de la Défense lança un appel d’offres auprès d’entreprises étrangères (Boeing, Lockheed Martin, Airbus, Antonov, etc.) pour l’acquisition de 56 avions de transport moyens-porteurs afin de remplacer la flotte vieillissante des HS 748 Avro. L’idée était d’acheter clé en main 16 exemplaires au fournisseur étranger qui ensuite assurerait la construction en Inde des 40 autres exemplaires, associé à un partenaire privé de son choix, écartant délibérément l’entreprise publique HAL. C’était la première fois que le gouvernement choisissait d’ouvrir un important contrat industriel au seul secteur privé.
Celui-ci avait été autorisé à participer à l’industrie de défense en 2001. En 2007, la commission Kelkar instituée par le Department of Defence Production (DDP), avait proposé d’accorder à 12 entreprises – sur 40 prétendants – le statut de « Raksha Udyog Ratna » (RUR, entreprises jugées championnes dans le domaine de la sécurité). Ce statut devait les autoriser à participer à des appels d’offres aux côtés de DPSU et des différents arsenaux. Le statut de RUR serait accordé pour cinq ans, avec la possibilité d’une extension de trois ans. Parmi les entreprises privées retenues par la commission Sengupta pour leur capacité à générer un investissement en capital d’au moins 1 milliard de roupies (13,5 millions d’euros) et un chiffre d’affaires supérieur à 10 milliards de roupies, on trouvait Tata Motors, Larsen and Toubro, Tata Power Company, Mahindra, Godrej and Boyce, Bharat Forge, Infosys Technologies, Wipro Technologies and Tata Consultancy Services. Elles devaient être autorisées à solliciter des collaborations et des investissements étrangers à hauteur de 26 % et à bénéficier de financements publics pour la conception et la production d’équipements militaires, incluant des avions de chasse, des chars de combat ou des vaisseaux. Des sociétés comme Infosys et Wipro seraient naturellement tournées vers la conception technique et l’électronique de défense alors que les compagnies à forte composante manufacturière (Larsen & Toubro, Bharat Forge, etc.) seraient impliquées dans l’intégration et l’assemblage final des équipements. Les sociétés de taille intermédiaire soucieuses d’être aussi présentes dans le secteur de la défense pourraient sous-traiter des entreprises « RUR ». Cette nomenclature ne fut jamais validée par le DAC Les recommandations de la commission Kelkar se seraient notamment heurtées aux objections exprimées par les syndicats affiliés aux entreprises de défense du secteur public et aux réserves d’acteurs industriels contestant la façon dont furent identifiées les sociétés ayant obtenu le statut de RUR. En 2011, les chantiers navals privés furent autorisés à se porter candidats sur des appels d’offres. Autre extension possible au secteur privé, la construction de routes dans les régions frontalières qui reste une prérogative de Border Roads Organisation placée sous le contrôle administratif du ministère de la Défense. En brisant le monopole du secteur public, le risque est de remplacer, partiellement, un secteur public inefficace par un secteur privé chercheur de rente à travers les offsets.
Tournant le dos à la pratique du moins-disant avec le danger de retenir une offre au final non performante, le rapport de la commission Dhirendra Singh, repris l’idée de RUR en l’adaptant sous la forme de partenariats stratégiques. Ceux-ci prévoient l’identification sélective de quelques entreprises privées qui bénéficieraient d’un traitement préférentiel sous la forme de cooptation pour le « buy and make » et de financement de leur programme de recherche et développement. Pour chaque secteur défini (aéronefs, navires de guerre et sous-marins, blindés, systèmes de guidage, matériel de communication et de reconnaissance, matériaux critiques), un ou deux partenaires privés seraient identifiés pour développer des systèmes complexes et recevoir une technologie étrangère, mais ils ne pourraient alors concourir dans les autres secteurs d’activités. Une perspective guère appréciée des grandes sociétés qui ne veulent pas se limiter à un seul secteur d’activités Laxman K Behera, « Make in India » in Defence Sector: An Overview of the Dhirendra Singh Committee Report’, IDSA Issue Brief, 16 septembre 2015. Une autre critique entendue est qu’un modèle réservant un secteur d’activités à une ou deux entreprises risque d’engendrer des monopoles et un « capitalisme de connivence ». Les sociétés étrangères pourraient aussi être découragées à l’idée de voir le gouvernement indien décider de leur partenaire indien. Le ministère de la Défense a établi une commission placée sous la direction de V.K. Aatre, un ancien chef du DRDO, afin de fixer les paramètres déterminant le choix des entreprises privées pour un partenariat stratégique.
En 2013, la part du secteur privé dans les dépenses de défense était de seulement 6 % loin derrière les DPSU et les sociétés étrangères. Le gouvernement n’accordait qu’une licence de trois ans au secteur privé pour développer un équipement et celui-ci n’avait aucune assurance quant à des commandes gouvernementales. Afin de rendre le secteur plus attractif, le long processus d’obtention de licences pour les entreprises privées a été levé pour 60 % des produits. Le gouvernement Modi s’est engagé à renforcer la participation des acteurs privés susceptibles d’attirer des investisseurs étrangers que l’idée de coopérer avec les DPSU pourrait rebuter. Plusieurs sociétés privées ont exprimé le souhait de développer des systèmes d’artillerie avec des partenaires étrangers. Ainsi en est-il de Bharat Forge avec Elbit d’Israël, Tata Power SED avec Denel d’Afrique du Sud et Larsen & Toubro avec Nexter de France. Le groupe Kalyani, dont Bharat Forge fait partie, a signé un accord en février 2015 avec Rafael Advanced Defense Systems Ltd pour la constitution d’une joint-venture, possédée à 51 % par Kalyani et à 49 % par la société israélienne, visant à produire en Inde des composants pour les systèmes de missiles Rafael (Barak 1, Spike, etc.) et des blindages.
La réalité ne correspond pas toujours aux attentes gouvernementales. Ainsi pour remplacer les avions de transport Avro, une seule offre a été reçue provenant d’une joint-venture entre Airbus Defence and Space et Tata Advanced Systems Limited (TASL) plongeant le ministre de la Défense dans l’embarras. Fallait-il accepter cette proposition portant sur l’avion-cargo tactique militaire C-295 quitte à contrevenir à la DPP n’autorisant pas un vendeur unique ou fallait-il relancer l’appel d’offres au risque de nouveaux retards ? Le DAC finalement donna en mai 2015 son feu vert à la proposition du consortium Tata-Airbus. TASL avait été jusqu’alors seulement fournisseur de composants pour Sikorsky et Lockheed Martin. Airbus Helicopters s’est par ailleurs associé avec le groupe Mahindra avec l’objectif de fournir des hélicoptères à l’armée de l’Air indienne. Piparav Defence & Offshore Engineering (PDOC), qui fut en 2011 la première société privée dans le secteur de la défense à se voir attribuer un contrat par le ministère de la Défense pour la construction de cinq patrouilleurs, envisage de coopérer avec la compagnie japonaise ShinMaywa Industries pour l’assemblage dans ses chantiers des avions amphibies US-2 (Utility Seaplane Mark 2) que l’Inde souhaite acquérir.
Le suisse Pilatus Aircraft Ltd n’a pas réussi à trouver des partenaires privés dans le cadre du remplacement des vieux avions d’entraînement HAL HPT-32 Deepak. 75 Pilatus PC-7 Mk-II furent commandés en 2012 (le dernier exemplaire fut livré en novembre 2015) alors que, faute d’alternative, HAL devait fournir 106 HTT-40 toujours en développement. Il fut d’ailleurs décidé en février 2015 d’acquérir 38 Pilatus supplémentaires, réduisant le nombre d’appareils commandés à HAL à 68. Comme le permet la DPP révisée de 2013, l’attribution de la maintenance des 36 Rafale à un acteur privé, plutôt qu’à HAL, est envisageable.
Le secteur privé demande à être consulté dans le cadre de la réactualisation périodique du DPP et à être informé sur les besoins en équipements à moyen et long terme, notamment dans le cadre de la Technology Perspective Capability Roadmap. Il revendique à minima des règles du jeu équitables face aux DPSU et aux arsenaux en termes de critères d’éligibilité, de taxes et de charges, d’accès au foncier et au capital, ou encore la possibilité d’utiliser les infrastructures publiques en R&D et la prise en compte de la variation du taux de change dans la réalisation de contrats. Le secteur privé souhaite également que le gouvernement s’engage à financer 80 % du coût de développement de nouveaux projets, comme le véhicule blindé de combat de nouvelle génération, sur la base de propositions présentées par des entreprises reconnues pour avoir une expérience de dix années dans la production de pièces d’armement. Larsen & Toubro a, par exemple, participé à la construction de la coque du Arihant, premier sous-marin à propulsion nucléaire indien dont les essais en mer ont commencé en décembre 2014. D’autres nouveaux entrants, comme Reliance Aerospace, voudraient voir ce critère de sélection ramené à cinq ans. À côté des grands groupes, les PME espèrent ne pas être marginalisées par le ministère de la Défense et attirer l’attention de firmes étrangères par le faible coût du travail tout en levant les doutes quant à leurs compétences technologiques.
Le secteur privé demande plus de transparence et d’implication dans l’actualisation biennale de la DPP. Un investisseur privé hésitera à faire de lourds investissements s’il doit assumer totalement la responsabilité au cas où le produit est rejeté par les forces armées. Le volume des commandes est aussi un élément déterminant pour des entreprises devant établir de nouvelles chaînes de production. Un autre domaine dans lequel les acteurs privés souhaitent que l’État ait un rôle de facilitateur est celui de la certification du matériel, étape indispensable pour pouvoir notamment exporter et réaliser des économies d’échelle.
L’Inde, pays exportateur d’armements ?
« While India will not stop importing defense equipment the country would like manufacturers to incorporate India in their global supply chain. India’s frugal but sophisticated manufacturing and engineering services sectors can help reduce costs. India can also be a base for export to third countries, especially because of India’s growing defence partnerships in Asia and beyond,’’ (Modi à Aero India 2015).
Autre ambition, résultant largement d’un accomplissement des objectifs détaillés plus haut : faire de l’Inde un pays exportateur d’armes. Peu après avoir approuvé le passage à 49 % des IDE dans le secteur de la défense, le Premier ministre exhorta la nation avec le « Make in India » à créer une base industrielle solide avec l’indigénisation pour mission et l’exportation d’armes comme horizon une fois dépassée la traditionnelle indulgence de l’attitude « chalta hai » (nonchalance). Présentant le budget 2015-2016, le ministre des Finances, Arun Jaitley, rappela que le gouvernement avait facilité les IDE afin que des entités contrôlées par les Indiens deviennent des fabricants d’équipement de défense non seulement pour le marché intérieur, mais aussi pour l’exportation. Le Department of Defence Production a annoncé en septembre 2014 l’adoption d’une nouvelle stratégie prévoyant notamment l’attribution de certificats de non-objection pour l’exportation d’équipements militaires. De son côté, le DRDO a identifié 15 systèmes d’armes qui pourraient permettre à l’Inde de pénétrer le lucratif marché international de l’armement. Les missiles seraient le point d’entrée de l’Inde dans les limites imposées par le MTCR interdisant l’exportation de missiles d’une portée supérieure à 300 kms. Les types d’armes présélectionnées sont le missile air-air au-delà de la portée visuelle Astra, le missile sol-sol Prahar d’une portée de 150 kms, le missile sol-air Akash d’une portée de 25 kms, le missile de croisière Brahmos d’une portée de 290 kms, l’avion de combat léger, le tank Arjun Mk-2, des sonars, le système aéroporté de détection lointaine et de contrôle, des radars du champ de bataille. Que certaines plateformes, comme le LCA, le tank Arjun Mk-2, ou le missile air-air « Astra » développé par DRDO, ne soient toujours pas opérationnelles au sein de l’armée indienne, conduit à un certain scepticisme quant à la crédibilité des ambitions exportatrices à court et moyen termes, au-delà de la fourniture d’armes légères à de petits pays du voisinage.
Le fait est que l’Inde reste un pays exportateur d’armement mineur, très loin de la Chine qui s’est hissée à la troisième place au niveau mondial en 2015. Le ministre de la Défense, Manohar Parrikar, a déclaré au Parlement que l’achat d’armes à l’étranger au cours des cinq dernières années s’était élevé à 1035 milliard de roupies (15,5 milliards d’euros). En comparaison, les DPSU, les quatre chantiers navals et les 39 arsenaux, de même que le secteur privé, avaient réussi à vendre des équipements militaires au cours des trois dernières années pour seulement 16,5 milliards de roupies (245 millions d’euros) The Times of India, 29 novembre 2014. Jusqu’ici l’Inde a essentiellement exporté des fusils d’assaut, quelques hélicoptères et des petits navires militaires. La vente en 2009 de sept hélicoptères Dhruv construits par HAL aux forces aériennes équatoriennes laissait entrevoir d’autres succès jusqu’à ce que Quito suspende le contrat après la perte de quatre appareils. Les armées des Maldives (2), du Népal (3) et de Maurice (1) sont les autres pays à avoir pris possession de cet hélicoptère suite à des considérations plus diplomatiques que commerciales.
Les principaux marchés visés par l’Inde sont des pays du Sud. Ainsi, le missile BrahMos intéresserait des pays de l’Asie du Sud-Est (Vietnam, Indonésie), notamment dans sa version navale et de défense côtière. L’accord du russe NPO Mashinostroyenia (NPOM), partenaire de la joint-venture, pour des ventes à des pays amis faisait partie de l’accord intergouvernemental portant sur le développement du missile. Le premier succès majeur remporté à l’international par une entreprise privée fut une commande passée en 2012 par le Nigéria auprès du chantier naval de Pipavav pour la fourniture de deux patrouilleurs océaniques.
Des pistes sont à l’étude pour la promotion des exportations. Une option est un « Export Promotion Body » chargé de faire la liaison entre le ministère de la Défense, le ministère des Affaires extérieures et le ministère du Commerce et de l’Industrie afin de s’assurer que les exportations d’armes soient compatibles avec les objectifs de la politique étrangère et les obligations du pays dans le cadre du régime de contrôle des armements au niveau international. Le DRDO pourrait être doté d’une branche commerciale sur le modèle d’Antrix Corporation chargé de vendre à l’étranger les compétences spatiales de l’ISRO (Indian Space Research Organisation). La possibilité d’inclure des représentants de l’industrie de défense indienne dans des délégations officielles à l’étranger et d’utiliser les représentations diplomatiques dans les pays du Sud pour favoriser les exportations est également une piste explorée. Pour parer à d’éventuelles difficultés de paiement du pays importateur, des facilités de crédit pourraient être accordées par des organismes gouvernementaux (ministères des Affaires extérieures et des Finances, EXIM Bank, etc.).
Conclusion
Le nouveau gouvernement indien s’est fixé d’ambitieux objectifs pour une industrie de défense qui a marqué le pas et suscité l’animadversion des forces armées qui se traduit par une préférence de celles-ci pour du matériel importé. La création du poste de chef d’état-major de la Défense, longtemps débattu, pourrait permettre une meilleure coordination entre les trois armées pour la définition des besoins et être une interface avec les autorités gouvernementales pour l’acquisition d’armement. Le dynamisme supposé être insufflé au secteur de la défense par le recours aux investissements étrangers pourrait buter sur l’inadéquation des réformes aux conditions requises pour des transferts de technologie et une intégration verticale. Il faudrait aussi bousculer les habitudes de la bureaucratie civile encline à protéger le complexe militaro-industriel public. Sans quoi, l’autre piste mise en avant, une politique visant à favoriser le secteur privé pour instaurer une concurrence avec les DPSU, voire même écarter ces dernières de certains appels d’offres, pourrait toutefois être freinée par l’iniquité des règles du jeu. La réalisation de l’objectif affiché – réduire les importations, à travers le « Make in India », en effaçant les errements du passé et en faisant du pays une plateforme de production crédible, technologiquement et économiquement, et reconnue à l’international – dépassera largement le temps d’une ou deux législatures.