Les premières semaines qui ont suivi l’investiture, le 20 janvier 2021, de Joe Biden, que certains considèrent comme le président américain le plus qualifié en matière de politique étrangèreSharon Squassoni, « Why Biden Should Abandon the Great Power Competition Narrative », Bulletin of the Atomic Scientists, 12 janvier 2021., ont été marquantes pour ce qui concerne les enjeux du nucléaire militaire. Tout au long de sa campagne, Joe Biden n’a pas hésité à exprimer son désaccord sur la gestion de ces dossiers par l’administration TrumpJoe Biden, « Joe Biden: There’s a Smarter Way to be Tough on Iran », CNN, 13 septembre 2020. . Pour autant, la donne internationale et régionale a changé entre aujourd’hui et le temps où il était vice-président, de 2009 à 2017. De ce fait, son élection ne signifie pas un retour aux années ObamaDoyle Mcmanus, « Column: Biden’s Foreign Policy won’t be Obama 2.0, and that might be a Good Thing », Los Angeles Times, 15 novembre 2020..
Alors que le précédent président s’est efforcé de détricoter de nombreux accords bilatéraux ou multilatéraux de désarmement (absence d’extension du traité New Start, dénonciation du JCPOA mais également du traité FNI et du traité Ciel ouvert), Joe Biden va être confronté à de nombreuses questions importantes et ce jusqu’en 2025. Le nouveau président va notamment devoir esquisser sa vision doctrinale de la dissuasion américaine durant son mandat, tout en préparant la future Conférence des États parties au TNP cette année, si la situation sanitaire le permet. D’autres dossiers nucléaires vont nécessiter un investissement et un engagement important de son administration, et les premières semaines l’ont montré avec la prolongation du Traité New Start. La question du nucléaire iranien et du JCPOA prend déjà une place centrale dans la politique étrangère de la nouvelle équipe.
Le contexte multilatéral : quelle vision de Joe Biden en matière de non-prolifération et de maîtrise des armements ?
Deux anniversaires ont marqué l’élection du nouveau président à la Maison Blanche en 2020 : il y a 75 ans, la toute première bombe nucléaire était utilisée à Hiroshima et Nagasaki, et il y a 25 ans, le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) était prorogé pour une durée indéfinie. Ces deux évènements ont façonné le cadre multilatéral de la non-prolifération nucléaire et Joe Biden souhaite, contrairement à son prédécesseur, réaffirmer le rôle indispensable des discussions multilatérales dans le domaine de la maîtrise des armements.
Alors que l’administration Trump avait commencé la préparation de la Conférence d’examen (RevCon) du TNP qui devait se tenir en mai 2020, cette dernière a été reportée deux fois à cause de la Covid-19 et devrait finalement avoir lieu en août 2021, donc sous l’administration Biden. Cet évènement, central dans la vie des négociations multilatérales de maîtrise des armements, est une occasion importante pour l’administration Biden de réitérer l’engagement des États-Unis en faveur du multilatéralisme, mis à mal durant le mandat Trump. De nombreuses difficultés demeurent, et arriver à un consensus à la fin de la RevCon semble complexe en raison d’un environnement multilatéral tendu, exacerbé par l’entrée en vigueur du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) le 22 janvier 2021, deux jours après l’investiture de Biden. Ce texte illustre une rupture sur la scène internationale entre les États dotés de l’arme nucléaire (EDAN) et les États non dotés de l’arme nucléaire (ENDAN), ces derniers dénonçant un désarmement nucléaire trop lent, voire inexistant. Alors que Donald Trump et son équipe rejetaient et dénigraient purement et simplement l’idée même du TIAN, Joe Biden devrait, lui, reconnaître, sans que les Etats-Unis y souscrivent, ce traité comme une norme internationale existante. Un changement de rhétorique des représentants américains pourrait contribuer à des discussions moins tenduesAu sein des enceintes du TNP, des personnalités de l’administration sortante, telles que Christopher Ford ou Marshall Billingslea, étaient perçues comme particulièrement peu sensibles aux perceptions de certains ENDAN et peu ouvertes à des postures de compromis..
Un terrain d’entente pourrait même être trouvé entre l’administration Biden et les États signataires du TIAN, notamment sur la question de l’assistance aux victimesL’article 6§1 du TIAN stipule que « chaque État partie fournit aux personnes relevant de sa juridiction qui sont touchées par l’utilisation ou la mise à l’essai d’armes nucléaires, [...] une assistance y compris des soins médicaux, une réadaptation et un soutien psychologique, ainsi qu’une insertion sociale et économique »., Joe Biden étant depuis longtemps un fervent défenseur de la ratification par les États-Unis du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE). Cependant, cette ratification du TICE par la nouvelle administration américaine reste une perspective peu crédible pour l’avenir proche car elle nécessite un vote du Sénat à une majorité qualifiée des 2/3, soit 67 voix sur 100, chiffre qui reste difficile à atteindre.
Enfin, Joe Biden pourrait initier des rencontres de haut niveau avec les quatre autres membres permanents du Conseil de sécurité à propos des questions nucléaires (P5 Process) car il est attaché à une gestion multilatérale des problématiques nucléaires. L’enjeu pour les États-Unis est en effet de favoriser une meilleure compréhension des questions globales et communes et de permettre la reprise d’un dialogue plus ouvert et plus durable entre les EDAN dans un contexte de modernisation des arsenaux. En dehors du cadre du P5, d’autres initiatives peuvent être entreprises, comme l’organisation de rencontres diplomatiques au sein du CEND, Creating an Environment for Nuclear Disarmament. Ce forum, qui regroupe aujourd’hui 40 pays, a été créé par les États-Unis en 2019 et sa mission est de poursuivre un dialogue interétatique réaliste et pragmatique sur la question du désarmement nucléaire. Si l’administration Biden n’a pas encore communiqué sur le maintien ou non de cette instance multilatérale créée par l‘administration Trump, de nombreux centres de recherches américains reconnaissent la réussite du projet et appellent à la poursuite de ces « discussions productives et substantielles sur les défis techniques du désarmement nucléaire »George Perkovich, Pranay Vaddi, « Proportionate Deterrence: A Model Nuclear Posture Review », Carnegie Endowment for International Peace, janvier 2021..
Concernant les enjeux de maîtrise des armements et plus particulièrement le traité Ciel ouvert, alors que la Russie a notifié mi-janvier 2021Vladimir Isachenkov, « Russia Follows US to Withdraw from Open Skies Treaty », Defense News, 15 janvier 2021. vouloir sortir du traité (ce qui pourrait prendre six mois) suite à la dénonciation américaine, effective en novembre 2020, Joe Biden va devoir également trancher sur le futur de ce traité multilatéral. Ce texte, entré en vigueur en 2002, permet de conduire des vols d’observation au-dessus des territoires des 33 autres États signataires et vise à renforcer la confiance entre États. La Russie a précisé qu’elle pourrait reconsidérer sa position si les États-Unis revenaient dans l’accordKingston Reif, Shannon Bugos, « U.S., Russia Extend New START for Five Years », Arms Control Association, 5 février 2021.. Début février, le porte-parole du Département d’État, Ned Price, a déclaré que l’administration Biden étudiait la question de l’avenir du traité et qu’une « décision sera[it] prise en temps utile »Ned Price, « Department Press Briefing », Département d’État, 2 février 2021., sous-entendant que cette question ne figure pas sur la liste des priorités immédiates. Le défi juridique non résolu aujourd’hui est de savoir comment les États-Unis peuvent revenir dans l’accord : le retrait effectué par Donald Trump peut-il être considéré comme sans effet afin de revenir au statu quo anteStephen Rademaker, « Are there Shortcuts for the U.S. to Rejoin the Open Skies Treaty? », Lawfare, 15 janvier 2021. ? L’administration Biden pourrait-elle réintégrer les États-Unis dans le traité sans avoir à passer par la longue procédure de ratification par le Sénat ?
La prolongation du traité New Start
Le traité New Start a été signé en 2010 par Barack Obama et son homologue russe Dmitri Medvedev et est entré en vigueur début 2011. Il limite à 1 550 le nombre de têtes nucléaires déployées par chaque pays. Le traité arrivait à échéance début février 2021, mais son article XVI§2 stipule que « si les parties décident de proroger ce traité, celui-ci sera prorogé pour une période de cinq ans au maximum, à moins qu’il ne soit remplacé plus tôt par un accord ultérieur sur la réduction et la limitation des armes stratégiques offensives ». Durant son mandat, Donald Trump n’a pas établi de politique claire sur la prorogation du traité New Start. La Nuclear Posture Review 2018 posait en effet comme principe que les États-Unis « continueraient à appliquer le traité, au moins jusqu’en 2021 »« The New START Treaty: Central Limits and Key Provisions », Congressional Research Service, mis à jour le 3 février 2021. mais le texte restait muet sur l’extension. Cette dernière n’a pas été possible durant la mandature Trump, en particulier du fait de l’exigence de l’administration que la Chine rejoigne les discussions de réduction des armements. Prenant ses fonctions en janvier 2021, la nouvelle administration ne disposait que de deux semaines pour trouver une solution avant l’expiration du texte.
Le 21 janvier 2021, un jour après l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche, ce dernier déclare vouloir proroger le traité New Start pour 5 ansJohn Hudson, « Biden Administration to Seek Five-year Extension on Key Nuclear Arms Treaty in First Foray with Russia », Washington Post, 21 janvier 2021. et la Russie accepte : le mardi 26 janvier 2021 (soit dix jours avant l’expiration du texte), les deux chefs d’État s’entendent, lors d’un entretien téléphonique, pour étendre de cinq ans la durée d’application du traitéDavid Herszenhorn, « Putin and Biden Confirm Extension of New START Treaty », Politico, 27 janvier 2021.. L'extension du traité, qui ne nécessite pas de ratification par le Congrès américain, a requis une procédure de vote devant la Douma et le vendredi 5 février 2021, les parlementaires russes ont voté pour et le traité New Start reste ainsi en vigueur jusqu’au 5 février 2026Vladimir Isachenkov, « Russian Parliament OKs New START Nuclear Treaty Extension », AP News, 27 janvier 2021.. Cette extension ne règle pas définitivement la question des négociations bilatérales de maîtrise des armements entre la Russie et les États-Unis. En effet, la prolongation de ce traité n’est qu’une première étape permettant de laisser du temps aux deux pays d’examiner les options afin de négocier un nouveau traité bilatéral. Cette période de temps que les deux pays se sont donnée soulève de nombreuses questions : quels autres types d’armes et vecteurs la Russie et les États-Unis pourraient-ils envisager d’inclure ? Un futur traité devrait-il rester bilatéral ou engager d’autres pays ? Si un nouveau traité était négocié et entrait en vigueur, Joe Biden parviendrait-il à obtenir une majorité suffisante au Congrès pour la ratification ?
Le 3 février 2021, dans un communiqué de presse, le Secrétaire d’État Antony Blinken a abordé de nombreuses questions relatives la maîtrise des armements. Il a déclaré que « l’extension du traité New Start n’est que le début de nos efforts pour relever les défis de sécurité du XXIe siècle. Les États-Unis utiliseront le temps que leur donne la prorogation de cinq ans du traité New Start pour poursuivre avec la Fédération de Russie, en consultation avec le Congrès et les alliés et partenaires des États-Unis, un contrôle des armements qui porte sur toutes ses armes nucléaires. Nous poursuivrons également la maîtrise des armements afin de réduire les dangers de l’arsenal nucléaire moderne et croissant de la Chine »Antony Blinken, « On the Extension of the New START Treaty with the Russian Federation », Département d’État, 3 février 2021.. Alors que la Chine renforce son programme nucléaire, il est nécessaire qu’un dialogue s’ouvre entre les deux puissances mais les autorités chinoises ont toujours rejeté les invitations de Donald Trump à négocier. Au regard de la déclaration d’Antony Blinken ainsi que de celle de Robert Wood, ambassadeur américain à la Conférence du désarmementVidéo issue du Compte Twitter de Robert Wood, Compte Twitter, février 2021. « Even with the New Start Treaty extension, there’s an urgent need to pursue new arms control. The US will also seek to engage China on nuclear arms control and risk reduction. », ll est probable que l’administration Biden tentera d’engager des pourparlers avec la Chine sur le nucléaire, non pas sur la base de négociations trilatérales mais sur la base d’un dialogue bilatéral.
Doctrine et programmes nucléaires américains
Le changement d’administration américaine voit également une évolution dans la vision présidentielle de la dissuasion nucléaire. Alors que Donald Trump, dans la Nuclear Posture ReviewDepartment of Defense, Nuclear Posture Review 2018, février 2018. de 2018, en était revenu à une conception traditionnelle des circonstancesIbid., page 21. dans lesquelles l’utilisation de l’arme nucléaire pouvait être envisagée (interprétée par certains comme un élargissement de ces circonstances), Joe Biden avait déclaré lors de sa campagne présidentielle que le seul rôle de l’arme nucléaire était de dissuader et si nécessaire de répliquer à une attaque nucléaire.
En effet, alors qu’il était vice-président de Barack Obama, Joe Biden avait préconisé une politique de « sole purpose » lors d’un discours, neuf jours avant l’investiture de Donald Trump. Cette vision a été soutenue par Adam Smith (président démocrate de la Commission des forces armées de la Chambre des Représentants) et la sénatrice démocrate Elizabeth WarrenIl est intéressant de noter que l’ancienne conseillère à la sécurité nationale d’Elizabeth Warren, Sasha Baker, a été nommée Senior Director of strategic planning au sein du National Security Council. qui ont déposé une proposition de loi en janvier 2019 en faveur de l’adoption d’une politique de no first use. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si la vision de Joe Biden durant sa campagne présidentielle va être celle retenue pour la durée de son mandatJamie McIntyre, « Biden Advocated No First Use Policy as VP. Would he Change Nuclear Doctrine as President? », Washington Examiner, 13 août 2020. ? Pour certains, l’adoption d’une posture de non-emploi en premier ou de sole purpose serait une rupture majeure dans un domaine qui ne s’y prête pas et poserait problème au niveau de la dissuasion élargie. Alors que l’amiral Charles RichardRebecca Kheel, « Top US Admiral would ‘Welcome’ Biden Review of Nuclear Strategy », The Hill, 5 janvier 2021., actuel commandant de STRATCOM, ainsi qu’Adam SmithMallory Shelbourne, « HASC Chairman Smith: A Biden Administration Would Revisit Nuclear Posture Review », USNI News, 30 octobre 2020. ont appelé tous deux à une révision de la Nuclear Posture Review de 2018, il est probable que toute actualisation de ce texte se fera en consultation avec les alliés européens et asiatiques soucieux de cette question.
Tandis que Donald Trump a poursuivi le renforcement de l’arsenal nucléaire américain, pour certains de manière excessiveVoir par exemple : Vivian Salama, « Biden Eyes Cuts to Trump Nuclear Program as Critical Arms Control Deadline with Russia Looms », CNN Politics, 29 décembre 2020., le nouveau président américain va devoir se positionner sur les programmes de modernisation de la triade. La plupart des programmes ne devraient pas être modifiés et parmi les rares qui pourraient voir des changements, le programme de missiles de croisière (SLCM) devant être opérationnels d’ici dix ans risque d’être suspendu par l’administration Biden. En effet les SNA américains ne sont pas conçus pour lancer des missiles nucléaires de croisière. De plus, ce programme ne bénéficiait pas d’un grand soutien de la Navy pour des raisons de sécurité : les SNA étant dépendants du guidage par satellite, il y a un risque de piratage et de brouillage du signal GPS. Ce missile est par conséquent considéré comme une arme plus déstabilisante qu’utileRobert Farley, « Does the US Need a New Nuclear Sea-Launched Cruise Missile? », The Diplomat, 24 février 2020. et Joe Biden s’opposait à ce projet alors qu’il était candidat à la présidenceAaron Mehta, « Find out where Trump and Biden Stand on Defense and Security Issues », Defense News, 9 octobre 2020.. Un autre projet mis en œuvre par l’administration Trump et sur lequel Joe Biden s’est exprimé négativement est le déploiement d’armes nucléaires à faible énergie (ogive W76-2 de moins de 10 kilotonnesDave Zikusoka, « Biden Should Rethink US Policy on Low-yield Nuclear Weapons », Bulletin of the Atomic Scientists, 12 janvier 2021.) fin 2020 à bord des sous-marins nucléaires américains. Alors candidat à la Maison Blanche, Joe Biden avait qualifié ce déploiement de «mauvaise idée »Joseph Trevithich, « New Low-Yield Nuclear Warheads that Biden Calls a ‘Bad Idea’ have all been Delivered », The Drive, 29 décembre 2020. . En effet, il considérait que ces armes à faible énergie risquaient d’inciter davantage à l’emploi de l’arme nucléaire que par le passé. Kamala Harris, alors sénatrice, avait même appelé à son interdiction. Toutefois, de nombreux chercheursVoir par exemple le verbatim du webinaire « Nuclear Policy and Posture in the Biden Administration » du think tank Carnegie Endowment for International Peace, 5 février 2021, p. 5. s’accordent à dire que le retrait de ces armes n’apporterait pas de bénéfice financier ou stratégique majeur (et quel avantage à retirer les nouvelles ogives W76-2 si elles sont remplacées par d’anciennes ogives plus puissantes ?). Il est donc possible que l’administration américaine n’abandonne pas le programme d’ogives W76-2.
D’autres projets, comme le remplacement des armes W93, sont pointés du doigt et l’administration Biden devra décider s’il faut poursuivre ou non cette modernisation. Certains jugent ce programme prématuré : Daryl Kimball, Directeur exécutif de l’Arms Control Association, « conseille à la nouvelle administration de faire une pause sur trois des programmes lancés sous l’administration Trump »Vivian Salama, « Biden Eyes Cuts to Trump Nuclear Program as Critical Arms Control Deadline with Russia Looms » op cit. comme le remplacement des missiles Minuteman III ou celui des armes W93, considérés comme trop coûteux. Un autre projet qui pourrait également être décalé est celui de la reconversion de l’ancienne usine de combustible à oxyde mixte en usine de production de plutonium à Savannah River (Caroline du Sud). Cette construction, qui à terme pourrait créer 1 000 emplois, est vue par des associations de surveillance de la sûreté nucléaireSamuel Fretwell, « Atomic Weapons Plan Risky for SC, Lawyers Say. Noted Legal Service Joins Fray, », The State, 12 février 2021. comme dangereuse pour l’environnement, superflue et trop coûteuseSammy Fretwell, « Is Jobs-rich Nuclear Plant in Jeopardy? Biden Expected to Re-examine SC Factory », The State, 27 novembre 2020.. Les autres installations de Los Alamos et de Livermore étant toujours en état de fonctionner, ce projet pourrait être probablement décalé d’une décennieFrank von Hippel, « Why a Decision on a Second US Plutonium-pit-production Factory should be Delayed », Bulletin of the Atomic Scientists, 12 juin 2020..
Toutes ces questions devraient trouver une réponse très rapidement et vont faire l’objet d’une attention particulière durant les prochaines semaines, jusqu’en mars 2021, lorsque Joe Biden devra présenter les propositions budgétaires et trancher sur les enjeux financiers des différents programmes présentés ci-dessus.
L’Iran et le JCPOA
Alors que le retrait de Donald Trump du JCPOA reste un événement marquant de son mandat, Joe Biden souhaite de son côté un retour des États-Unis dans l’accord. En effet, la question iranienne est essentielle et est l’un des premiers dossiers de politique étrangère sur lesquels la nouvelle administration américaine va travailler. L’urgence s’explique par le fait que l’Iran est plus proche d’obtenir la bombe nucléaire aujourd’hui qu’il ne l’était quand Donald Trump avait pris ses fonctionsJoe Biden, « Joe Biden: There’s a Smarter Way to be Tough on Iran », op. cit. mais également par le comportement de la République islamique, qui reste relativement inquiétant (des missiles balistiques iraniens ont été lancés lors d’un exercice militaire en mer d’Arabie mi-janvier 2021« Exercice militaire en Iran : des missiles balistiques tirés sur des cibles en mer », Lapresse.ca, 16 janvier 2021.). En tout état de cause, sur ce sujet, l’arrivée au pouvoir de Joe Biden rassure les partenaires européens également signataires du JCPOA, du fait que le nouveau président américain et l’UE s’accordent sur une vision plus pragmatique, multilatérale et concertée face à l’Iran.
Si l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche pourrait signifier un retour sous conditions des États-Unis dans l’accord, la question iranienne reste soumise à beaucoup d’aléas. Les élections présidentielles iraniennes du 18 juin 2021 pourraient crisper les relations déjà fragiles entre les États-Unis et l’Iran, Hassan Rohani ne pouvant pas se représenter pour un troisième mandat. Toutefois, Joe Biden souhaite mettre fin à la politique de pression maximale engagée par son prédécesseur et retourner à la table des négociations avec l’Iran. Cette volonté s’illustre par l’équipe qui entoure le président sur ces questions : le Secrétaire d’État Antony Blinken, Wendy Sherman, numéro deux du Département d’État ou encore Robert Malley, nouvel émissaire américain pour l’Iran, sont des figures importantes des négociations ayant conduit à la signature du JCPOA en 2015. De plus, Jake Sullivan, aujourd’hui directeur du National Security Council, avait participé en 2013 aux rencontres secrètes entre les États-Unis et l’Iran.
Néanmoins, si la nouvelle administration souhaite relancer le JCPOA, les Etats-Unis considèrent que c’est à l’Iran de faire le premier pas, c’est-à-dire de revenir à un respect strict de l’accord de 2015 et de stopper tout enrichissement d’uranium au-delà des limites prévues par le texteL’Iran a déclaré avoir dépassé le taux d’enrichissement de l’uranium à 20 % alors que l’accord de 2015 fixait une limite à 3,67 %.. Lors de sa première conférence de presse, il a déclaré que ce n’est qu’à partir de ce moment-là que les États-Unis pourront revenir dans l’accord après une certaine période, « le temps que nous puissions évaluer si l’Iran respecte ses obligations »Nick Wadhams, « Blinken Says Iran Should Move First to Restart Nuclear Deal », Bloomberg, 27 janvier 2021.. La vision de l’Iran est inverse : c’est aux États-Unis de faire le premier pas, comme un gage de bonne foi après la sortie de l’accord par Donald Trump en 2018 et le rétablissement des sanctions américainesMohammad Javad Zarif, ministre iranien des Affaires étrangères, Compte Twitter, 28 janvier 2021. . La diplomatie iranienne cherche également à obtenir des États-Unis une indemnisation financière pour compenser le retrait américain de l’accord et cette demande pourrait compliquer les négociations« Iran Seeking Compensation for US Breach of JCPOA », Financial Tribune, 30 janvier 2021. .
L’administration Biden envisage donc le retour des États-Unis dans l’accord de 2015 mais selon des termes différents et sous conditions. Joe Biden souhaite ainsi inclure dans les négociations des dispositions à propos du programme balistique iranien, qui viole l’annexe B de la résolution 2231 du Conseil de sécurité du 20 juillet 2015Cette annexe stipule que « l’Iran est tenu de ne mener aucune activité liée aux missiles balistiques conçus pour pouvoir emporter des armes nucléaires, y compris les tirs recourant à la technologie des missiles balistiques, jusqu’au huitième anniversaire de la Date d’adoption du Plan d’action ». L’Iran a violé ces dispositions en recourant à un essai de plusieurs missiles balistiques en début d’année 2021, alors que l’annexe interdisait toute activité avant 2023.. Cependant, trouver un accord sur les essais balistiques iraniens paraît très complexe aujourd’hui et la priorité pour Joe Biden et ses équipes est de voir l’Iran respecter au plus vite les limites prévues par le JCPOASteven Erlanger, « Biden Wants to Rejoin Iran Nuclear Deal, but It Won’t Be Easy », New York Times, 17 novembre 2020..
Le programme nucléaire et balistique nord-coréen
Donald Trump aura rencontré trois fois le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un et conclu avec lui un accord en 2018. Mais cela n’a pas conduit à un recul du programme nucléaire et balistique de la Corée du Nord. Joe Biden va donc être confronté à un dossier nord-coréen épineux où il peut sembler difficile d’arriver à un accord avec Pyongyang. En effet, l’administration Biden a fait savoir que « le président […] ne serait disposé à rencontrer Kim Jong-un que si le dirigeant nord-coréen acceptait de réduire la capacité nucléaire du pays »Naoko Aoki, « Biden’s North Korea Challenge », East Asia Forum, 17 janvier 2021.. Pour sa part, la Corée du Nord « a clairement fait savoir qu’elle souhaitait voir les Etats-Unis faire des concessions »Ibid., notamment concernant les sanctions du Conseil de sécurité contre le régime.
Une des questions sur lesquelles le nouveau président va devoir trancher est de savoir s’il faut revenir sur la promesse que Donald Trump avait faite en juin 2018 lors du sommet de Singapour, où l’ancien président américain avait annoncé mettre fin aux exercices militaires conjoints entre la Corée du Sud et les États-Unis. Si Joe Biden décide de reconsidérer cette décision, les relations ne risquent pas de se réchauffer. D’ailleurs, début janvier 2021, lors du 8ème Congrès du Parti du travail de Corée, Kim Jong-un a qualifié les États-Unis de « plus grand ennemi » de la Corée du Nord et a promis de renforcer les capacités nucléaires et plus largement militaires du paysClaude Fouquet, « Corée du Nord : Kim Jong-un promet de renforcer la dissuasion nucléaire », Les Échos, 13 janvier 2021. .
Une des hypothèses envisagées au sujet de la politique à mener sur la Corée du Nord, en accord avec la politique plus multilatérale du président Biden, serait de mettre en place des dialogues stratégiques avec les partenaires asiatiques des États-Unis (Japon et Corée du Sud) pour s’accorder sur une vision régionale et commune de la menace nord-coréenne. C’est en ce sens qu’Antony Blinken a déclaré que les États-Unis « prévoient de revoir entièrement leur approche à l’égard de la Corée du Nord [...] car c’est un problème qui ne s’est pas amélioré et qui s’est aggravé »« Blinken Says U.S. Plans Full Review of Approach to North Korea », Reuters, 19 janvier 2021.. Kurt Campbell, haut fonctionnaire du Département d’État sous l’administration Obama qui vient de devenir le coordinateur du président Biden pour l’Asie au National Security Council, a indiqué qu’il fallait agir rapidement sur le dossier nord-coréen« Kim Jong Un Likes to Provoke New U.S. Presidents. Biden’s Team should be Prepared », Washington Post, 22 janvier 2021. et revoir toute l'approche et la politique à l'égard de la Corée du Nord. Bien que Joe Biden ait qualifié Kim Jong-un de « voyou »« La Corée du Nord envoie un message à Joe Biden quelques jours avant son investiture », Le Figaro, 15 janvier 2021., on peut cependant attendre dans les prochains mois une tentative de l’administration Biden de poursuivre le dialogue mis en place par Donald Trump durant son mandat. Cette approche est soutenue par la Corée du SudHyonhee Shin, « Moon appelle Biden à poursuivre le dialogue avec la Corée du Nord », Challenges, 18 janvier 2021., qui estime qu’il serait bénéfique que Joe Biden engage des discussions avec la Corée du Nord en profitant des rencontres entre les deux pays sous la mandature Trump pour aller plus loin dans les négociations.
De l’autre côté, alors que le pouvoir nord-coréen a organisé un défilé militaire le 14 janvier 2021 et présenté un nouveau missile balistique SLBM, le Pukguksong-5Jeffrey Lewis, « Will North-Korea Test another SLBM ? », Arms Control Wonk, janvier 2021. , on peut attendre de la Corée du Nord un potentiel essai de missile, le pays ayant l’habitude de saluer l’arrivée des nouveaux présidents américains par des essais de missiles balistiquesSimon Denyer et Joby Warrick, « North Korea’s Kim could be Planning Missile Launch to Welcome Biden Administration », Washington Post, 18 janvier 2021..
Conclusion
L’administration Biden, mais également la Chine, la Russie, la Corée du Nord et plus largement le reste du monde, sont actuellement en train d’analyser ce que va être la politique nucléaire américaine durant les quatre prochaines années. Le nouveau président va être confronté à de nombreux défis qui exigent une stratégie sur les court, moyen et long termes, notamment en ce qui concerne les futures négociations avec l’Iran ou encore avec la Russie à propos d’un potentiel futur traité bilatéral de maîtrise des armements.
Contrairement à son prédécesseur, Joe Biden a une longue expérience en ce qui concerne les questions sécuritaires. Cela s’illustre par la place importante qu’ont prise les discussions politiques à propos du nucléaire, ce dès le début de son mandat. Le choix de ses conseillers à des postes clés de l’administration renforce également l'idée que pour Joe Biden, la gouvernance des questions nucléaires est l’une des questions centrales de sa politique étrangère.
Pour autant, si Joe Biden souhaite rétablir le leadership américain sur la scène internationale et rompre avec la politique étrangère de Donald Trump, sur certains dossiers, on remarque une certaine continuité. Par exemple, Joe Biden entend revenir sur la décision de Trump de sortir du JCPOA. Pour autant, le nouveau président n’hésite pas à rester ferme en ne projetant pas de totalement rompre avec la pratique de Donald Trump vis-à-vis des sanctions américaines contre le régime iranien.
Quant à la doctrine nucléaire américaine et la gestion des programmes nucléaires nationaux, si Joe Biden n’a pas la même vision que Donald Trump en ce qui concerne les circonstances qui pourraient justifier l’utilisation par les États-Unis de l’arme nucléaire, on peut attendre une relative continuité dans la future politique de dissuasion américaine.