Cette note a été rédigée à la suite du webinar « Shared Values and Soft Power: How to Deal with the Importance of Gender Issues », FRS, 8 février 2023.
Alors que l’article 14 de la Constitution du Japon de 1947 reconnaît l’égalité hommes-femmes et interdit toute forme de discrimination selon le genre, le Japon se situe désavantageusement dans de nombreux classements relatifs à la parité et à l’égalité des genres, en comparaison défavorable avec les autres membres du G7 (selon le « G7 Dashboard on Gender Gaps »OCDE, « G7 Dashboard on gender gaps, Japan », 2022.). L’actuel Premier ministre Fumio Kishida souhaite promouvoir « l’indépendance économique » des femmes. Toutefois, malgré la ratification de la Convention pour l’élimination de toutes formes de discrimination envers les femmes (CEDAW) en 1985, le Japon peine à mettre en place les recommandations du comité du CEDAW.
Dans le même temps, on peut constater une forte dichotomie entre la situation au sein du Japon et sa politique extérieure, notamment sous la seconde administration Abe (2013-2020). En effet, celle-ci a été marquée par le slogan : « création d’une société où les femmes brillent », qui faisait figure de ligne directrice de la diplomatie. Son ambition était d’améliorer l’image du Japon à l’international, notamment par le biais d’aides publiques au développement ciblant la société civile et les femmes. L’Agence de coopération internationale du Japon (JICA) place au premier plan l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes en se concentrant sur cinq secteurs : l’émancipation économique des femmes ; les droits et la sécurité des femmes : l’éducation et la santé des femmes ; la prise en compte des questions de genre dans la gouvernance et la construction d’infrastructures.
La politique étrangère du Japon s’inscrit dans une ambition d’accroître son soft power, autrement dit son « habileté à séduire et à attirer » (Joseph Nye, 1990), à influencer les autres pays et donc à orienter les relations internationales dans le sens de ses intérêts. Il a été reconnu que pour des Etats tels que la Suède ou le Canada, le fait d’adopter une politique étrangère dite « féministe », en plus de promouvoir l’émancipation des femmes à l’intérieur du pays, non seulement améliore leur image à l’étranger mais également augmente leur influence sur la scène internationaleElizabeth Cameron, « Engendering soft power: Women and representation », British Council, avril 2022. . Il y a donc un lien direct entre la promotion des droits des femmes et de l’égalité des genres avec le soft power d’un État. Néanmoins, le Japon est un pays qui montre des nombreux paradoxes sur ces questions et une forte dichotomie sur ce sujet entre ses politiques étrangère et interne. Dès lors, en quoi, en intégrant les questions de genre dans l’ensemble de ses politiques, intérieures et internationales, le Japon pourrait-il améliorer son soft power ?
La prise en compte des femmes dans la sphère économique
Les évolutions les plus notables en matière de droits des femmes et de leur émancipation sont celles réalisées durant le second mandat de Shinzo Abe, entre 2013 et 2020. L’ancien Premier ministre avait annoncé cette politique lors de son discours en 2013 devant l’Assemblée générale des Nations uniesDiscours prononcé par le Premier Ministre Shinzo Abe lors de la 68ème session de l’Assemblée générale des Nations unies, 26 septembre 2013., présentant l’objectif d’accroître le « pouvoir des femmes » (josei katsuyaku) en se focalisant sur la croissance économique et, partant, l’indépendance économique des femmes. Ce choix politique s’inscrit dans un contexte international particulier où de nombreux pays, comme la Suède ou encore les États-Unis avec la « doctrine Hillary » de l’administration de Barack Obama, envisageaient d’adopter une politique étrangère féministe. Mais Shinzo Abe voulait surtout se démarquer par rapport à son premier mandat sur ces questions car il avait fait l’objet de vives critiques, notamment de la part des États-Unis. Voulant non seulement améliorer les relations diplomatiques avec l’allié américain, avec lesquels la coopération en matière de sécurité est cruciale, mais aussi rompre avec une image plus négative à l’international sur les questions de genre, le Premier ministre a entrepris cette politique intitulée « Womenomics ». L’objectif était de construire l’idée d’un Japon leader des droits des femmes et de l’égalité des genres afin d’augmenter l’influence du Japon en la matière sur la scène internationale. Celui-ci serait alors un modèle « faisant du vingt-et-unième siècle l’ère où les droits des femmes ne seraient plus bafoués »Déclaration du Premier ministre Shinzo Abe, 14 août 2015.. Ainsi, il s’agissait de démontrer que le Japon partageait les mêmes valeurs que les autres grandes puissances démocratiques.
Dès lors, des mesures législatives ont été adoptées pour augmenter la présence des femmes non seulement dans les postes de direction mais aussi dans la sphère politique. En 2015 a été adopté l’Acte sur la promotion de la participation des femmes et l’avancement des carrières professionnelles. Ce dernier avait pour but d’encourager les femmes à ne pas abandonner leur travail et d’augmenter leur nombre dans des positions d’encadrement et de direction. Suite à cette loi, 2 millions de femmes ont intégré le marché du travail et le taux d’emploi chez les femmes a atteint 66,1 % en 2016, supérieur à la moyenne de l’OCDE. Des mesures ont également été prises dans les entreprises pour satisfaire les besoins des femmes, à savoir une diminution des heures supplémentaires et la promotion d’un congé paternité auprès des hommes. Des centres de garde d’enfants ont par ailleurs été mis en place pour réduire la charge de cette garde, qui pèse essentiellement sur les femmes, permettant l’accueil de 500 000 enfants supplémentaires dans ces centres entre 2013 et 2017. En outre, concernant la représentation des femmes dans le monde politique, Shinzo Abe a fait adopter l’Acte sur la promotion de l’égalité des genres dans le domaine politique en 2018 et nommé quatre femmes ministres en 2014.
Sur le plan international, le Premier ministre Abe avait promis, lors d’un discours prononcé en 2013, 3 milliards de dollars d’aides publiques au développement ainsi que la création d’un plan national d’action pour la mise en œuvre de la résolution 1325 (2000) sur les « Femmes, la Paix et la Sécurité »« Les femmes, la paix et la sécurité », Affaires politiques et consolidation de la paix, site de l’ONU. du Conseil de sécurité. Le Japon est notamment intervenu dans le programme « Emancipation des femmes, communautés en paix » de l’ONU Femmes, en y consacrant 5,2 millions de dollars en 2018. Ce programme avait pour objectif de lutter contre l’extrémisme violent en Asie. Il a également aidé à financer le programme d’« Action conjointe pour l’élimination des violences faites contre les femmes et filles dans la région arabique ». De plus, le Ministère japonais des Affaires étrangères a établi une division « Approche intégrée de l’égalité des genres » et a organisé des événements internationaux annuels tels que, depuis 2014, l’Assemblée mondiale pour les femmes (WAW), conçue pour favoriser un dialogue international sur ces problèmes.
L’actuel Premier ministre Kishida Fumio appréhende toujours ces questions de genre sous un angle économique à travers sa politique de « nouveau capitalisme ». Selon lui, l’émancipation économique est « la clé pour répondre aux défis et aux problèmes structurels auxquels les femmes japonaises font face »Fumio Kishida, discours à l’occasion de la Journée internationale des femmes 2022.. Le gouvernement japonais a par ailleurs établi que remédier à la baisse du taux de natalité est l’une de ses priorités et que ce problème est fortement lié aux questions de genre. En mai 2022, le nombre de naissances était à son plus bas avec 798 561 naissances en douze mois. L’OCDE a également démontré que le Japon était le pays développé montrant la plus grande proportion (27 %) de femmes d’âge moyen sans enfantsEriko Fukuyama, « Japan leads world in childless middle-aged women », Nikkei Asia, 12 janvier 2023.. Ainsi, des experts ont souligné l’importance, pour améliorer cette situation, de ne pas en rendre les femmes responsables mais de prendre en compte les inégalités salariales persistantes et la responsabilité des soins familiaux (care) qui pèse sur elles. Pour favoriser une situation plus égalitaire, le Premier ministre Kishida a créé une loi obligeant les entreprises de plus de 300 employés à diffuser publiquement l’écart salarial en fonction du sexe.
Sur la scène intérieure, des évolutions encore trop limitées
Malgré ces efforts sur le plan politique, il ne semble pas y avoir eu d’amélioration majeure au sein de la société japonaise. L’opinion publique ressent toujours majoritairement des inégalités en fonction du sexe. Selon une enquête menée par le gouvernement, 74,1 % estiment que les hommes bénéficient d’un traitement privilégié par rapport aux femmesSelon le Bureau d’égalité des sexes du gouvernement japonais, 2022.. Mieko Yoshimura, l’une des deux seules gouverneures sur 47 départements, a déclaré : « honnêtement, je ne pense pas que nous faisons des progrès en matière d’égalité des sexes »Alice French, Rurika Imahashi, Wataru Suzuki, « Inside Japan's Gender Problem: The Men Tasked with Empowering Women – Pay Gap and Low Numbers of Women in Politics Persist as Kishida Assumes G-7 Leadership », Nikkei Asia, 25 janvier 2023.. Le modèle de partage des tâches qui s’est rapidement établi pendant la période de haute croissance au Japon dans les décennies 1960-1970 a été critiqué par de nombreuses femmes dès les années 1980. Aujourd’hui, même si les ménages disposent de deux revenus, des pressions sociales persistent envers les femmes pour qu’elles se marient, aient des enfants, arrêtent leurs carrières ou optent pour un travail non régulier, ce qui complique la réalisation des ambitions en matière d’égalité des genresYukiko Kimura, fondatrice de Genic Lab.. Ces limites se retrouvent dans de multiples secteurs – l’économie, la politique, l’éducation ou la culture.
Domaine économique : l’écart salarial
L’écart salarial est l’un des principaux défis auxquels le Japon fait face aujourd’hui et ceci est dû notamment à la proportion importante de femmes effectuant un travail irrégulier. En effet, alors que deux millions de femmes sont entrées sur le marché du travail suite aux politiques de Womenomics, il s’agissait d’un travail irrégulier, moins bien payé qu’un travail régulierAu Japon, le « travail régulier » désigne les emplois à vie, quasi fonctionnarisés, des grandes entreprises qui offrent des avantages sociaux spécifiques. Le « travail irrégulier » concerne les emplois non fonctionnarisés, qui offrent moins de perspective de progression et d’avantages sociaux. Une nouvelle loi impose une « régularisation » des emplois après cinq ans mais beaucoup d’entreprises sont réticentes à sa mise en œuvre. La question de la division entre emplois réguliers et irréguliers est un enjeu pour toute la société, mais touche particulièrement les femmes. . En 2014, plus de 53 % des femmes entre 20 et 65 ans effectuaient un travail irrégulier, contre 14,1 % des hommesKazuo Yamaguchi, « Les disparités femmes-hommes au Japon », Fonds monétaire international, mars 2019..
De plus, la politique « pour un même travail, un même salaire » de l’ancien Premier ministre Abe n’avait pas envisagé ces questions sous une dimension de genre. Même si la majorité des ménages ont désormais deux revenus, une des spécificités au Japon est le non-partage de la charge des soins à la maison – garde des enfants, cuisine et ménage, s’occuper du conjoint –, qui pèsent sur les femmesAsako Osaki, intervention, webinar « Shared Values and Soft Power: How to Deal with the Importance of Gender Issues », FRS, 8 février 2023.. Selon l’OCDE, l’écart de travail de soin non rémunéré entre les sexes serait de trois heures environ au Japon, avec 50 minutes pour les hommes et 225 minutes pour les femmes (contre une moyenne de deux heures dans les pays de l’OCDE et du G7)« G7 Dashboard on gender gaps, Japan », op. cit.. Ainsi, en plus d’un travail, régulier ou non, les femmes sont les seules dans le ménage à supporter le poids des soins quotidiens. Néanmoins, Shinzo Abe n’avait pas pris cela en compte et comme il l’avait explicitement annoncé dans son discours de 2013, Womenomics n’était pas une politique sociale mais la base d’une stratégie de croissance économiqueShinzo Abe, allocution devant l’Assemblée générale de l’ONU, 26 septembre 2013.. Cette politique avait pour unique objectif de sauver l’économie japonaise en manque de main-d’œuvre et non pas de régler les problèmes de division entre travail régulier et travail irrégulier au Japon et du partage des tâches dans le foyer en fonction du genreHisako Motoyama, Has Japanese Foreign Policy Become Feminist Too? An Analysis of the ‘Women Shine’ Foreign Policy of the Second Abe Administration, décembre 2022..
A cela s’ajoutent des lois qui limitent l’émancipation des femmes. On pense par exemple à l’« Acte national des retraites » selon lequel si l’un des conjoints gagne moins de 1,3 million de yen (9 000 euros) par an, il peut alors être couvert par la retraite et la sécurité sociale de l’autre conjoint, gratuitementAlice French, Rurika Imahashi, Wataru Suzuki, op. cit.. Cette loi, qui date des années 1980, pousse les femmes à choisir un emploi irrégulier, à ne pas demander, voire à refuser, toute augmentation de salaire afin de conserver l’avantage de la gratuité de la couverture sociale. Ceci pèse sur les perspectives d’indépendance économique des femmes.
Ces écarts se sont aggravés durant la crise de la Covid-19, et cette division des tâches, liée à des stéréotypes enracinés sur les rôles et responsabilités respectifs des femmes et des hommes dans la famille et dans la société, persiste, malgré les efforts et les politiques établies par le gouvernement japonais.
La question du manque de représentation des femmes
Dans les postes de direction
Un second défi que l’on peut souligner est le manque de femmes dans les postes de direction dans tous les secteurs. Selon le rapport de 2020 du Boston Consulting Group, il est nécessaire d’augmenter la représentation des femmes dans ce type de postes afin d’améliorer le revenu des femmes, de régler la question de l’écart salarial et d’accroître le nombre de femmes entrepreneuses. Les chiffres sont en effet très bas, témoignant d’une pénurie de femmes dans les postes d’encadrement, avec seulement 6,4 % des postes de direction de département, 8,9 % des postes de chef de service, 14,7 % des postes de chef d’équipeEnquête fondamentale 2016 sur l’égalité des chances en matière d’emploi, Ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, citée in Kazuo Yamaguchi, op. cit..
Contrairement à ce que pensent de nombreux chefs d’entreprise au Japon, ceci n’est pas dû majoritairement aux différences de formation ou d’expérience professionnelle entre les sexes, mais plutôt aux taux de promotion aux postes de cadre qui sont différents entre un homme et une femme ayant le même niveau de formation et d’expérience. Selon le chercheur Kazuo Yamaguchi, « [l]e sexe à la naissance détermine si une personne va occuper un poste d’encadrement au Japon, et non pas la réussite individuelle comme l’obtention d’un diplôme universitaire »Ibid..
Il y a également des problèmes structurels dans le fonctionnement des entreprises qui ne sont pas compatibles avec le statut de femme mariée – par exemple les heures supplémentaires puisqu’elles gèrent, en plus de leur activité professionnelle, toutes les tâches ménagères. Ces problèmes posent des limites aux femmes, qui décident de privilégier des filières administratives sans possibilité de progression de carrière (ippan shoku) au détriment de filières ouvrant aux fonctions de cadre (sogo shoku)Ibid..
Dans le secteur de la tech
On note également un fort manque de présence des femmes dans les industries les plus rémunératrices, dont l’industrie de la tech. Dans tous les pays membres du G7, il existe un écart dans le secteur digital mais cet écart est particulièrement important au Japon, où les femmes ne représentent que 19 % des employés dans ce domaine, selon le ministre OguraAlice French, Rurika Imahashi, Wataru Suzuki, op. cit.. Pour lui, la source du problème se situerait au niveau de l’université et de l’embauche puisqu’en 2019 seulement 17 % des femmes au Japon avaient obtenu un diplôme universitaire dans un des domaines STEM (science, technologie, ingénierie et mathématiques) contre une moyenne de 32 % à l’échelle de 36 pays analysés par l’OCDE. Les femmes seraient également sous-représentées dans les professions des sciences humaines dites prestigieuses telles que professeur d’université. Les modes de recrutement, enracinés dans des stéréotypes sexistes, seraient à la source de la présence réduite des femmes dans ces divers secteurs.
Ces pratiques limitent les carrières possibles des femmes à un simple prolongement du rôle que la société leur confère dans la famille à savoir garde d’enfants, soins infirmiers, tâches de soutien dans le domaine des soins de santéKazuo Yamaguchi, op. cit.. Pour Kazuo Yamaguchi, les politiques du gouvernement ne devraient pas se concentrer sur « un travail, un salaire » mais davantage sur l’égalité des chances professionnelles, « notamment pour les postes prestigieux et d’encadrement, afin de réduire l’écart salarial entre femmes et hommes ». L’actuel ministre de l’Egalité des genres a reconnu ces problèmes et souhaite « créer un environnement où les femmes peuvent travailler et éduquer leurs enfants »Alice French, Rurika Imahashi, Wataru Suzuki, op. cit..
En outre, les femmes ne représentent que 30 % des entrepreneurs au Japon, et seulement 2 % des cinquante meilleures startups ayant reçu une aide publique en 2019 ont une femme dans l’équipe fondatriceRapport 2022 de l’Agence japonaise des services financiers, cité in Ibid.. Ceci serait dû à l’écosystème des startups qui est « un endroit dominé par les hommes », selon le fondateur de la startup Anri. En réponse à ces défis, dans le cadre de sa politique de « nouveau capitalisme », le premier ministre Kishida envisage d’augmenter le nombre de femmes dans le secteur de la tech et des startups menées par des femmes. Mais jusqu’à présent, aucune mesure concrète n’a été prise en ce sens.
Dans la politique
Malgré l’adoption de la loi de 2018, la présence des femmes en politique au Japon demeure la plus faible des pays du G7. Au sein du gouvernement, 18 des 20 ministres sont des hommes, y compris le ministre de l’Egalité des genres et de l’Emancipation des femmes, créé en 2012 par Shinzo Abe dans le but d’accroître la présence des femmes au sein du gouvernement. Aujourd’hui, les deux seules femmes qui y sont présentes, Keiko Nagaoka et Sanae Takaichi, occupent respectivement les postes de ministre de l’Education et de ministre de la Sécurité économique. La faible représentation des femmes à la Diète, avec seulement 9,9 % des membres dans la chambre basse et 25,8 % à la chambre haute, place le Japon au 165ème rang du classement mondial des femmes dans les parlements, établi par l’Union interparlementaire en décembre 2022Rapport « Les femmes au parlement en 2022 » de l’Union interparlementaire, décembre 2022..
En 2020, le gouvernement s’était fixé un nouvel objectif : avoir 35 % de candidates femmes aux élections locales et nationales d’ici 2025. Il n’a cependant pris aucune mesure contraignante pour imposer cet objectif. On a ainsi constaté une très faible présence des femmes aux élections locales en 2021, avec seulement 18 % pour les candidats nominés. Selon la gouverneure du département de Yamagata, Mieko Yoshimura, il est très difficile pour les femmes d’entrer en politique. La barrière du financement est plus importante pour elles. C’est pourquoi, dit-elle, « nous devons faciliter l’accès des femmes à la politique »Ibid.. Le système électoral constitue une autre limite : les Japonais votent en fonction d’une personne et non de son groupe ou de son parti politique. La visibilité des femmes étant moindre, en raison de moyens limités, elles ont plus de difficultés à s’imposer. Mais le ministre Ogura estime que la résolution de ces problèmes structurels relève non pas du gouvernement mais des partis politiques, et il ne semble pas souhaiter étudier plus avant la question.
Les blocages législatifs
Pour Osaki Asako, experte sur les questions de genre, l’un des problèmes au Japon se situe au niveau du législatifOsaki Asako, intervention, webinar « Shared Values and Soft Power: How to Deal with the Importance of Gender Issues », FRS, 8 février 2023.. En effet, les codes civil et pénal reposent sur des lois archaïques datant de l’ère Meiji et qui, selon le comité du CEDAW, devraient être amendéesCes lois, souvent présentées comme reflétant des pratiques traditionnelles, ont en fait été inspirées par la volonté de se rapprocher des modèles occidentaux de rectitude morale de la fin du XIXème siècle, notamment celui de l’Angleterre victorienne. Ces références se sont ajoutées au modèle patriarcal confucianiste plus ancien.. Dans ses nombreux rapports, le comité du CEDAW a établi des recommandations que le Japon n’a pas encore prises en compte, notamment des propositions d’amendements au code civil visant à ouvrir la possibilité de garder son nom de jeune fille en cas de mariage, ou encore à supprimer le délai de cent jours suivant le divorce pendant lequel la femme n’a pas le droit de se remarier, qui n’existe pas pour les hommesLe même type de disposition, le délai de viduité, n’a été supprimé que récemment en France (2004).. Concernant le code pénal, le CEDAW recommande de supprimer l’exigence d’une plainte formelle de la part de la victime en cas de violences sexuelles pour qu’elle puisse faire un recours, mais aussi de criminaliser le viol matrimonial et d’alourdir la peine pour le viol statutaire.
Vers une approche systémique
Les politiques menées par Fumio Kishida et ses prédécesseurs portent essentiellement sur l’émancipation économique des femmes. Cependant, une approche systémique pour résoudre l’ensemble des problèmes précédemment évoqués est nécessaire puisqu’ils touchent de nombreux aspects et domaines de la société japonaise, du monde du travail à la sphère politique en passant par l’éducation, la santé, les médias et la culture populaire. Si l’on prend l’exemple du manque de représentation des femmes dans le système politique, l’on constate qu’il est dû à un faisceau de facteurs tels que la culture patriarcale au centre d’un système marqué par l’obligation de sortir en groupe, dans des bars, non adaptée aux femmes qui doivent s’occuper de multiples tâches à la maisonAlice French, Rurika Imahashi, Wataru Suzuki, op. cit., mais aussi l’éducation, qui limite implicitement les carrières pour les jeunes filles, ou encore le manque d’aides pour promouvoir les femmes en politique.
Selon Osaki Asako, il faut désormais adopter un regard genré dans tous les secteurs, sur les diverses problématiques, afin de trouver des solutions adaptées aux besoins des femmesOsaki Asako, webinar « Shared Values and Soft Power: How to Deal with the Importance of Gender Issues », FRS, 8 février 2023.. La chercheuse a remarqué une évolution dans les actions du gouvernement sur ces problématiques suite à la crise de la Covid-19, qui a impacté négativement les femmes davantage que les hommes. Le gouvernement japonais a mis en place un comité composé d’experts de l’économie, des finances mais aussi des droits des femmes. Ce comité mixte, dont elle a fait partie, a étudié les divers problèmes mentionnés, et a écouté la voix d’ONG et de l’opinion publique afin d’établir des recommandations pour le gouvernement sur la meilleure manière d’agir pour les femmes suite à la pandémie. Même s’il n’y a pas de grands mouvements constitués au Japon pour l’égalité des genres et les droits des femmes, toujours selon Osaki Asako, il ne faut pas pour autant négliger la forte influence des ONG qui travaillent constamment pour obtenir que les lois soient amendées afin de mettre en œuvre les recommandations du comité du CEDAW.
Les institutions internationales, comme ONU Femmes ou le Pacte mondial des Nations unies, ont une influence sur le secteur privé du Japon. Les entreprises suivent de plus en plus leurs lignes directrices mais également les objectifs de développement durable. Elles s’intéressent à la perception des médias dans un monde globalisé, où les réseaux sociaux ne permettent plus au Japon de préserver son « invisibilité ». L’image globale est en effet cruciale pour les investisseurs internationaux et est donc de plus en plus prise en compte par les entreprises japonaises, ce qui pourrait permettre une amélioration de la situation des femmes à l’échelle nationale dans la mesure où cela pousse les entreprises à mieux prendre en considération l’égalité des genres dans leurs campagnes publicitaires et leurs produits durant toutes les étapes de productionIbid..
En janvier 2023, le Japon a pris la présidence du G7, ce qui est l’opportunité pour les autres pays membres de faire pression sur le gouvernement japonais mais également dans la société afin qu’un travail de fond soit entrepris sur les questions de genre, d’égalité des sexes, et que des mesures réellement effectives soient prises sur ces enjeux.
Si la pression exercée conjointement par la communauté internationale, les mouvements féministes internes et une société plus ouverte parvenait à susciter des effets positifs sur les politiques du Japon, cela aurait un rôle bénéfique sur son attractivité et son positionnement en tant que leader sur les questions de genre à l’international alors que son image sur ces enjeux se détériore à chaque nouvelle édition du « Rapport mondial sur l’écart entre les sexes ».
La présidence du G7 pourrait marquer une rupture permettant l’émergence de solutions concrètes pour une meilleure égalité des genres. A cet égard, le récent discours du Premier ministre Kishida lors de la Journée internationale des droits des femmes le 8 mars 2023 est prometteur puisqu’il a souligné les différents problèmes auxquels la société japonaise fait face et a exprimé une forte volonté politique de les résoudreFumio Kishida, discours à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, 8 mars 2023..