Notes de la FRS

La France, la sécurité environnementale et l’océan Indien : perspectives pour la coopération franco-indienne dans le domaine maritime

Note de la FRS n°38/2022
Manoj Babu Buraga
Thibault Fournol
24 novembre 2022

Une version de cet article a été publiée pour la première fois dans l’Electronic Journal of Social and Strategic Studies (EJSSS – Coimbatore) sous la référence suivante : Manoj Babu Buraga, (NMF), Thibault Fournol, « Indo-French Cooperation and Engagement in Holistic Maritime Security: Possibilities and Implications in the Indian Ocean Region », Electronic Journal of Social and Strategic Studies, vol. 3, n° 2, août-septembre 2022.

Introduction

Établies dès l’indépendance de l’Inde en 1947, les relations diplomatiques franco-indiennes ont progressivement mis en évidence une convergence de visions sur toute une série d’enjeux mondiaux. En 1998, les deux pays ont conclu un partenariat stratégique entérinant une coopération multisectorielle allant de la défense et la sécurité au nucléaire civil, en passant par l’espace et les interactions entre les peuples, et promouvant des liens étroits sur les plans économique, culturel et éducatif. L’Inde considère ce partenariat stratégique comme l’une de ses relations les plus fructueuses et les plus abouties – au point d’être qualifiée d’« originale » par l’ancien ambassadeur d’Inde en France, Rakesh SoodRakesh Sood, « Deepening the French Connection », The Hindu, 1er février 2016.. Plusieurs décennies plus tard, la convergence stratégique des intérêts maritimes français et indiens a donné naissance à une relation bilatérale robuste dans l’Indopacifique. Les deux pays se sont engagés ensemble dans de nouveaux domaines de coopération dans la région, y compris la lutte contre le terrorisme, le changement climatique, les énergies renouvelables et la croissance durable ainsi que la sécurité maritimeMinistère de l’Europe et des Affaires étrangères, Indo-French Call for an ‘Indo-Pacific Parks Partnership, Joint Declaration, Paris, 20 février 2022.. 2022, qui célèbre 75 ans de relations diplomatiques, est ainsi une année particulière pour les relations indo-françaises, marquant l’amitié de longue date et le partenariat stratégique qui fondent les liens entre les deux pays.

Sous l’effet notamment de la diffusion progressive du concept d’Indopacifique dans le vocabulaire stratégique des deux pays, l’évolution des relations entre la France et l’Inde a, ces dernières années, été marquée par une orientation tangible de la coopération vers les questions de sécurité maritime dans l’océan Indien. Avec la revalorisation de ses objectifs économiques, militaires, maritimes et stratégiques dans la région Indopacifique, l’Inde cherche à resserrer ses liens avec les pays de la région ; parallèlement à la France, qui, mettant en avant son identité indopacifique, manifeste un intérêt réel pour le renforcement de son partenariat avec l’Inde. L’océan Indien est ainsi devenu un sujet central dans les récentes discussions franco-indiennes, à l’heure où les deux nations cherchent à élargir leur partenariat stratégique au domaine maritimePrime Minister Office, India-France Joint Statement during the Visit of Prime Minister to France, communiqué de presse, 4 mai 2022. . New Delhi et Paris ont ainsi signé, en février 2022, une feuille de route visant à stimuler leurs échanges bilatéraux sur l’économie bleue, à forger une vision commune de la gouvernance des océans sur la base de l’état de droit, et à renforcer la coopération pour le développement d’infrastructures côtières et fluviales durables et résilientesMinistère de l’Europe et des Affaires étrangères, India-France Roadmap on the Blue Economy and Ocean Governance, 20 février 2022. . À cet égard, les deux parties ont convenu d’explorer les possibilités de collaboration dans le domaine de la recherche en sciences marines afin de mieux comprendre les océans, spécialement l’océan Indien. Cette démarche conjointe pour la sécurité maritime dans l’océan Indien s’incarne par exemple dans l’initiative indienne Indo-Pacific Oceans Initiative (IPOI) à laquelle la France s’est jointe et joue le rôle de « nation cheffe de file » pour le pilier « ressources marines » du projetMinistry of External Affairs, Address by External Affairs Minister, Dr. S. Jaishankar at the Chulalongkorn University on ‘India’s vision of the Indo-Pacific, 18 août 2022..

En Indopacifique, où vivent 1,6 million de ses ressortissants, la France jouit d’un vaste espace maritime, le deuxième au monde, et dispose de 9 des 11 millions de km2 que représente sa zone économique exclusive (ZEE). Sa stratégie pour la région, solidaire avec la vision formulée par l’UE en 2021 mais néanmoins distincte sur plusieurs aspects, élève nettement l’importance stratégique de l’Inde, avec qui elle partage une même définition géographique du concept : « une région qui s’étend des rives orientales de l’Afrique aux rives occidentales de l’Amérique »Ibid.. Aux questions de sécurité maritime s’ajoutent des intérêts et des objectifs géoéconomiques communs qui confortent encore l’ambition d’une coopération renforcée entre les deux pays dans cet espace. Tous ces facteurs incitent l’Inde à considérer la France comme un partenaire européen naturel dans la région IndopacifiqueManoj Babu Buraga, Pradeep Chauhan (Vice Admiral), « The European Union, India and the Indo-Pacific: Insights for Strategic, Privileged and Sustained Partnerships », National Maritime Foundation, 26 mars 2022..

La France est également le seul pays membre de l’Union européenne (UE) à posséder des territoires dans l’océan Indien, de La Réunion à Mayotte, en passant par les Terres australes et antarctiques françaises (îles Crozet, îles Kerguelen, îles Saint-Paul et Amsterdam, îles Éparses). Ces territoires expliquent en partie l’attachement de la France au maintien d’un ordre régional fondé sur les règles (rules-based order) et à une région Indopacifique libre et ouverte. Lors de sa visite en Inde en décembre 2021, Florence Parly, alors ministre des Armées, avait ainsi souligné l’engagement conjoint de la France et de l’Inde pour défendre le droit international, dans le rejet de toute forme d’hégémonie dans la régionAmbassade de France en Inde, « Visite de Florence Parly en Inde », communiqué de presse, 17 décembre 2021..

La relation maritime et navale franco-indienne dans le contexte indopacifique

L’engagement politique des deux pays pour la liberté de navigation se manifeste, entre autres, par la réalisation de patrouilles conjointes régulières dans l’océan Indien depuis La Réunion. Ces exercices s’inscrivent dans le cadre plus large du dialogue stratégique sur la coopération maritime, qui offre de nouvelles possibilités de coopération de service à service entre les deux marines. Sur le plan politique, la France a fait part à l’Inde de sa volonté de rejoindre l’Indian Ocean Rim Association (IORA), lancée en 1997 autour de l’Inde, l’Australie ou encore l’Afrique du Sud, et qui compte aujourd’hui 23 pays riverains de l’océan IndienDepartment of Foreign Affairs and Trade of Australia (n.d.), Indian Ocean Rim Association.. En 2020, la France est ainsi devenue le vingt-troisième membre de l’IORA – reflétant son ambition de s’afficher comme un acteur régional responsable par le biais d’une implication renouvelée dans les mécanismes de coopération multilatérale dans l’océan Indien. Lors de son discours au sommet Choose La Réunion 2019 à Paris, le président Macron avait ainsi précisé que « Les ambitions de la France pour l’océan Indien reposent sur le développement de l’économie bleue, la connectivité, la lutte contre les effets du changement climatique, la protection de la biodiversité, la sécurité maritime ainsi que la promotion des échanges humains et culturels »Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, Indian Ocean - France’s accession to the Indian Ocean Rim Association, 17 décembre 2020..

Aux côtés de l’IORA, la Commission de l’océan Indien (COI) et l’Indian Ocean Naval Symposium (IONS), lancé par New Delhi en 2008, constituent les principales plateformes à travers lesquelles s’exprime le pendant multilatéral de la stratégie régionale française. Le réengagement de la France, comme d’ailleurs celui de l’Inde, dans l’océan Indien a toutefois précédé son adhésion au concept d’Indopacifique. Le Livre Blanc français sur la défense et la sécurité nationale de 2013 proposait déjà que la région allant de l’Atlantique à l’océan Indien devienne un axe géographique prioritaire « et la ‘zone d’intérêt clé’ de la France », appelant à une plus grande concentration de sa présence militaire dans cette zone afin de protéger les intérêts du paysMinistère de la Défense, Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, 2013. . Dans ce contexte, les moyens militaires déployés dans la région (voir ci-dessous) autour de ses bases à La Réunion, à Mayotte, à Djibouti ou aux Émirats arabes unis (EAU) ont formé un « quadrilatère français » allant du sud-ouest au nord-ouest de l’océan IndienIsabelle Saint-Mézard, « The French Strategy in the Indian Ocean and the Potential for Indo-French Cooperation », Policy Report, S. Rajaratnam School of International Studies, mars 2015.. Côté indien, la stratégie de sécurité maritime de 2015 identifiait les eaux territoriales indiennes, l’océan Indien occidental et les voies maritimes commerciales comme zones d’intérêt (ZI) prioritaire, devant le sud-est de l’océan Indien, les mers de Chine méridionale et orientale et le Pacifique occidentalMinistry of Defence, Ensuring Secure Seas: Indian Maritime Security Strategy, Indian Navy, Naval Strategic Publication, 2015.. Aujourd’hui, une conception géographique commune de l’espace Indopacifique facilite le rapprochement maritime entre les deux pays et l’émergence d’une vision maritime convergente autour de l’attachement au droit de la mer, de la sécurisation des voies navigables, de l’assistance en cas de catastrophes naturelles et de la promotion d’une économie bleue durable.

La proximité de l’Inde et de la France sur le plan militaire s’illustre non seulement par l’organisation régulière d’une série d’exercices conjoints (Varuna, Garuda, Shakti…), mais aussi par une augmentation significative des exportations d’équipements sur la période 2017-2021, à un niveau près de onze fois supérieur à celui enregistré entre 2012 et 2016Pieter D. Wezeman, Alexandra Kuimova, Siemon T. Wezeman, « Trends in International Arms Transfers, 2021 », SIPRI Fact Sheet, SIPRI, mars 2022.. La synergie navale entre les deux pays demeure néanmoins l’axe le plus évident de leur rapprochement politique et militaire dans le contexte indopacifique. La préservation de la liberté de navigation et la contribution franco-indienne à la stabilité régionale étaient des points cruciaux de l’ordre du jour de la rencontre entre le Premier ministre Modi et le président Macron lors du sommet annuel qui s’est tenu en août 2019. Cette rencontre aura notamment débouché sur la décision de produire une constellation conjointe de satellites de surveillance maritime dans la région de l’océan Indien, de coordonner les actions des deux pays au sein de l’IORA et de l’IONS, et d’entreprendre un renforcement des moyens de lutte contre la piraterie et les trafics maritimes en tous genres dans le sud de l’océan Indien, aux côtés d’autres pays partenairesRahul Roy-Chaudhury, Kate Sullivan de Estrada, « India, the Indo-Pacific and the Quad », Survival, vol. 60, n° 3, 1er juin 2018, pp. 181-194.. Ces initiatives ont été accueillies assez positivement par la communauté stratégique indienne, estimant que des marines interopérables mutualisant leurs installations navales respectives permettront de mettre en place une architecture de sécurité plus efficace en IndopacifiqueHarsh V. Pant, « <Macron and Modi: What France can do for India and What India can do for France », The Diplomat, 9 mars 2018.. La possibilité pour l’Inde de bénéficier des infrastructures navales françaises à La Réunion, à Djibouti ou encore à Abou Dhabi est particulièrement favorable pour la promotion des intérêts stratégiques de New Delhi dans l’océan Indien occidental, agissant comme un multiplicateur de force pour sa Marine dans la régionVivek Mishra, « India’s Nuanced Indo-Pacific Strategy », South Asian Voices, 1er novembre 2018. .

Parmi les manifestations de la synergie navale croissante entre les deux pays, l’organisation de patrouilles conjointes dans l’océan Indien constitue l’une des évolutions récentes les plus significatives. En décembre 2019, le vice-amiral d’escadre Didier Maleterre, alors commandant de la zone maritime de l’océan Indien et des forces françaises aux Émirats arabes unis, avait ainsi annoncé l’intention des deux pays d’effectuer une patrouille conjointe dans le sud de l’océan Indien, réalisée au début de l’année 2020, à l’occasion de laquelle New Delhi avait déployé des avions P-8I« Indian, French Navies to Launch Joint Patrols in Southern Indian Ocean », The Indian Express, 10 décembre 2019. . Une deuxième patrouille dans le sud-ouest de l’océan Indien a été réalisée dans le courant du mois de mai 2022. Selon un rapport du Hindu le 17 mai 2022, un avion P-8I de la Marine indienne a été déployé depuis l’île française de La Réunion, avec à son bord des marins français, pendant les cinq jours de l’exercice (du 9 au 13 mai) afin de mener des opérations conjointes de surveillance et de patrouille avec la Marine française dans le sud-ouest de l’océan IndienDinakar Peri, « India, French Navies Jointly Patrol Indian Ocean », The Hindu, 16 mai 2022. . Deux frégates de surveillance françaises de classe Floréal, le Floréal et le Nivôse, ont également participé à cette patrouille, axée sur les activités de lutte contre la contrebande. Ce type d’opération illustre le rôle de la coopération navale franco-indienne dans l’ambition de New Delhi d’agir comme « net security provider » dans la régionEmmanuel Lenain, « France in India », interview de l’ambassadeur Emmanuel Lenain à FORCE Magazine, 8 juillet 2022. La notion de « net security provider » apparaît à plusieurs reprises dès 2015 dans le document stratégique de l’Indian Navy pour la sécurité maritime et reflète les ambitions de leadership de New Delhi en matière de sécurité régionale dans l’océan Indien. Dans le document, le terme de « net security » renvoie à l’état de sécurité réelle disponible dans une région donnée, déterminé par une série de variables (prise en compte des menaces existantes, enjeux inhérents au domaine maritime ou encore capacité à surveiller, contenir et contrer tous ces éléments). Pour l’Inde, cette posture caractérise surtout, au-delà du renforcement de ses capacités navales, une volonté de développer et d’approfondir ses relations et partenariats de sécurité régionale avec les États de la région..

En parallèle, les exercices navals conjoints menés à partir de 1993, sous le nom de Varuna depuis 2001, se sont déroulés à un rythme plus soutenu en complément d’autres initiatives visant à une meilleure connaissance du domaine maritime dans la région de l’océan IndienMohan Kumar, « India and France: A Deepening Friendship », The Indian Express, 31 mai 2022.. La dix-neuvième édition des exercices conjoints franco-indiens, qui s’est déroulée en avril 2021, a donné lieu à des opérations navales de haute intensité, notamment des exercices avancés de défense aérienne et de lutte anti-sous-marine, d’intenses opérations de vol à voilure fixe et tournante, des manœuvres tactiques, des tirs d’armes de surface et anti-aériennes, des réapprovisionnements en mer et d’autres opérations de sécurité maritime. L’itération la plus récente de l’exercice a eu lieu au mois d’avril 2022 au large de Goa, en mer d’Oman. Les exercices Varuna ont ainsi été « un moteur essentiel des interactions au niveau opérationnel entre les deux marines et ont souligné l’engagement commun des deux nations en faveur de la sécurité, de la sûreté et de la liberté du domaine maritime mondial », ainsi que la compréhension commune des deux marines sur la conduite d’opérations conjointes de sécurité maritimeAjai Shukla, « India and French Navies Conduct 20th Exercise Varuna off Goa », Business Standard, 3 avril 2022.. Au-delà de l’exercice Varuna, l’Inde et la France se sont engagées à utiliser toutes les opportunités d’escale de leurs navires de guerre dans les ports de l’autre pays pour organiser des exercices de passage (PASSEX).

La sécurité environnementale dans l’océan Indien : le rôle de la France

La coopération maritime entre la France et l’Inde a ainsi atteint un nouveau niveau de confiance et devrait se développer plus avant à travers le renforcement d’interactions diverses prenant la forme d’exercices, d’échanges ou d’initiatives conjointes dans le domaine de la sécurité. La stratégie française formulée en 2018 offre à la France un large espace pour échanger avec les nations de l’Indopacifique en général, et l’Inde en particulier. Le capitaine Sarabjeet S. Parmar, soulignait ainsi récemment : « Par rapport aux documents publiés par d’autres nations européennes comme l’Allemagne et les Pays-Bas, la stratégie indopacifique de la France est plus globale, plus spécifique et plus claire dans ses intentions. Cela vient du fait que la France, en tant que nation indopacifique, a une meilleure compréhension de plusieurs sous-régions qui composent l’Indopacifique, en particulier la région de l’océan Indien, ce qui amplifie les aspects de présence et de permanence »Sarabjeet S. Parmar, « France’s Indo-Pacific Strategy 2022: An Analysis », National Maritime Foundation, 20 mai 2022..

L’approfondissement des relations stratégiques entre la France et l’Inde est avantageux pour les deux pays. Ces relations ne sont contraintes ni par la dynamique transactionnelle qui caractérise celles que New Delhi entretient avec les États-Unis, ni par le poids du passé colonial comme avec le Royaume-Uni. Les liens noués avec l’Inde offrent aussi à la France l’opportunité de diversifier ses partenariats en Indopacifique et d’interagir davantage avec d’autres acteurs de la région par le biais de nouveaux formats minilatéraux, y compris au sein de l’ASEAN. De son côté, l’Inde peut bénéficier à divers titres de l’approfondissement de ses liens avec la France, qui partage son attachement à un multilatéralisme réformé et efficace. En outre, la relation avec la France est libre des considérations de politique intérieure qui entrent en jeu dans d’autres relations bilatérales, le soutien français à l’Inde faisant l’objet d’un consensus bipartisan depuis l’établissement du partenariat stratégique.

Les deux nations savent que les défis de la zone Indopacifique vont au-delà de la sécurité maritime, et elles ont la capacité d’offrir une autre voie que les propositions chinoises et américaines pour les pays de la région. De la connectivité à l’environnement en passant par la santé et le financement durable, leur coopération maritime se concentre désormais sur le développement de projets communs dans les pays tiers. C’est par ailleurs la force motrice de la stratégie de l’UE pour l’Indopacifique, dont la France est l’un des principaux promoteurs. Cette démarche est d’autant plus avantageuse qu’elle apporte les ressources supplémentaires des institutions de l’UE et des 27 États membres pour construire et financer des actions concrètes.

Il est à espérer que cette convergence stratégique renforcera l’amitié franco-indienne, en dépit de l’inconfort traditionnel de l’Inde à l’égard des alliances. L’utilisation même par Narendra Modi de l’expression d’alliance synergique de l’Inde et de la France (« इंडिया और फ्रांस का तालमेल alliance »PMO India, PM Modi attends Indian Community event at UNESCO Headquarters in Paris, France, YouTube, 23 août 2019.) démontre toutefois la détermination de l’Inde à développer et à maintenir un « partenariat à toute épreuve » (all-weather patnership) avec ParisManoj Babu Buraga, Indo-French Relations in the Context of India-EU Relations, thèse de doctorat, Université de Pondichéry, 2020.. Lors de son discours à l’UNESCO en août 2019, le Premier ministre Modi avait ainsi affirmé qu’« aujourd’hui, au XXIe siècle, nous parlons d’INFRA. Je voudrais dire que pour moi, c’est IN+FRA, ce qui signifie l’alliance entre l’Inde et la France »PMO India, op. cit..

Dans ce contexte, eu égard à l’intérêt manifesté par les deux pays pour renforcer leur coopération en matière de lutte contre le changement climatique et au lancement de la feuille de route relative à l’économie bleue et à la gouvernance de l’océan, la sécurité environnementale et la prévention des risques environnementaux maritimes constituent un point de rencontre entre deux domaines de coopération saillants entre l’Inde et la France : la sécurité maritime et le développement d’une réponse conjointe à la préoccupation environnementale. La confluence de ces deux thématiques, autour de risques environnementaux maritimes très largement partagés dans l’ensemble de la région, favorise l’apparition de synergies supplémentaires dans la relation franco-indienne qui reposent sur une présence déjà active de la France sur ces questions à l’échelle régionale.

Évaluation des risques de sécurité environnementale maritime dans la région de l’océan Indien

L’Indopacifique est l’une des régions les plus exposées aux risques environnementaux et aux catastrophes naturelles comme l’ont montré le séisme et tsunami de 2004 dans l’océan Indien ou encore le cyclone Nargis en 2008 au Myanmar – le plus meurtrier de la décennie avec plus de 138 000 personnes tuées ou portées disparues et 8 millions de personnes sinistrées. Le cyclone Idai qui a frappé la façade orientale de l’océan Indien en mars 2019 est, selon Météo France, le septième cyclone majeur dans la région. En 2008, l’Asie demeurait le continent le plus affecté par les catastrophes naturelles et concentrait 40 % des catastrophes naturelles sur l’ensemble de la planète et plus de 80 % de leurs victimesAnthony Caballero, Alistair Cook, Non-traditional security in Asia: issues, challenges and framework for action, ISEAS, 2013, p. 85..

Si le nombre de ces catastrophes naturelles a plus que doublé par rapport à la décennie 1980Observatoire Défense et Climat, « Bulletin de veille stratégique et opérationnelle n°2 », IRIS/FRS/GRIP, février/mars 2017, p. 52., l’élévation du niveau des mers constitue un risque fondamental, particulièrement pour les îles de l’océan Indien comme les Maldives. Certains experts indiquent que « pour une hausse de 40 cm à l’horizon 2080 (...) le nombre de personnes touchées annuellement par une inondation serait de 93 millions (13 millions sans hausse du niveau des mers). Pour ce scénario, le plus lourd tribut serait supporté par les zones littorales de l’océan Indien »Sénat, Climat : vers un dérèglement géopolitique ?, Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Rapport d’information n° 14, 6 octobre 2015, p. 44..

L’augmentation de la température des océans, plus rapide dans l’océan Indien que partout ailleursLee Cordner, « Rethinking maritime security in the Indian Ocean Region », Journal of the Indian Ocean Region, vol. 6, n° 1, 2010, p. 77., et leur acidification liée aux changements climatiques peuvent provoquer une dégradation majeure de l’environnement marin. En Indopacifique, les mangroves et récifs coralliens « assurent non seulement la survie des populations côtières, mais ils permettent aussi la reproduction et la croissance de nombreuses espèces, notamment de poissons, assurent l’épuration de l’eau et l’absorption du CO2 tout en constituant une protection non négligeable contre les tsunamis »Benoît de Tréglodé, Nathalie Fau, Mers d’Asie du Sud-Est : coopérations, intégration et sécurité, CNRS Éditions, 2018, p. 27..

Or, plus de la moitié de ces récifs sont déjà considérés comme fortement voire très fortement menacésWorld Resources Institute, Reefs at Risk Revisited, 2011.. On estime à 70 % la réduction de la superficie de mangrove au cours des cinquante dernières années, et celle des récifs coralliens – à 80 % depuis les années 1950Benoît de Tréglodé, Nathalie Fau, op. cit., p. 113.. En outre, le blanchissement des coraux induit par les conséquences des changements climatiques les rendent plus sensibles aux maladies, avec un risque accru de colonisation par des algues microscopiques toxiques susceptibles d’être ingérées par les poissons, eux-mêmes consommés par les humains.

La vulnérabilité de l’Indopacifique aux risques environnementaux est largement accrue par la littoralisation de la population et des activités, ainsi que par la dépendance relative de ces populations à l’égard des ressources marines. Ainsi, selon un rapport du Sénat, plus de 40 % de la population (environ 2 milliards de personnes) en Asie vit à moins de 60 km des côtesSénat, op. cit., p. 42., et ce chiffre s’élève à 70 % dans certains pays comme le VietnamSénat, Reprendre pied en Asie du Sud-Est, Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Rapport d’information n° 723, 15 juillet 2014, p. 90.. Dans ces circonstances, la disparition des récifs coralliens sur les ressources halieutiques pourrait « faire chuter de 80 % les ressources alimentaires de la région et affecterait entre 100 et 150 millions de personnes »Benoît de Tréglodé, Nathalie Fau, op. cit., pp. 27-30..

Dans le même temps, de nombreux pays riverains de l’océan Indien ont peu de moyens pour réduire ces risquesLee Cordner, op. cit., p. 71.. La capacité de réaction d’un État en cas de catastrophes naturelles dépend souvent de son système de réponse, notamment de l’existence d’un plan d’évacuation, d’organisations permettant le relogement des sinistrés, de canaux d’assistance, de protection des infrastructures, etc. En 2014, dans son rapport annuel sur l’Asie du Sud-Est, la Chine et l’Inde, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) mentionnait, par exemple, le renforcement de la gestion des catastrophes naturelles ainsi que la protection des infrastructures comme défi politique de moyen terme en IndonésieOCDE, Economic Outlook for Southeast Asia, China and India 2014: beyond the middle-income trap, 2014, p. 8..

Face à la grande vulnérabilité de l’espace indopacifique aux changements climatiques, à la relativement faible résilience des États et compte tenu des implications sécuritaires liées aux aléas climatiques et à la dégradation environnementale, le rôle des armées devrait ainsi gagner en importance dans la réponse à ces défis. Les armées disposent en effet généralement des ressources et des compétences nécessaires à une réponse rapide et efficace lors de catastrophes naturellesEvan Laksmana, « Double Jeopardy: Climate Insecurities and Their Implications for Asian Armed Forces », Defence Studies, 2011, 11 (2), p. 286., amenant certains auteurs à avancer qu’elles sont l’instrument le plus efficace à disposition pour la gestion de catastrophes transnationalesPradeep Kumar Gautam, Environmental security: new challenges and role of military, Institute for Defence Studies and Analyses, Shipra Publications, 2010, p. 150..

Evan Laksmana, chercheur à la Lee Kuan Yew School of Public Policy de l’Université nationale de Singapour, pointe cependant le risque de « sécuritiser » tout ce qui concerne le changement climatique. Il ne s’agit pas, selon lui, d’un phénomène uniforme au sens où il n’affecte pas chaque région et chaque pays de manière égale, certains étant plus vulnérables que d’autresEvan Laksmana, op. cit., p. 276.. Si l’espace indopacifique est certainement plus exposé aux conséquences des changements climatiques que d’autres régions dans le monde, et si de nombreux pays riverains manquent de moyens pour faire face à ces risques, ces défis pourraient nécessiter, selon Lee Cordner, analyste stratégique et ancien Commodore de la Marine australienne, une réponse fondée sur la coopération régionale et une action collective globaleLee Cordner, op. cit., p. 73..

Contribution de la France en matière de sécurité environnementale

La sécurité environnementale a été initialement l’un des piliers de la stratégie française dans l’Indopacifique et un levier d’influence essentiel pour la reconnaissance du pays comme acteur stratégique responsable dans la région. L’ambition de la France d’exercer un leadership régional sur ces questions a également pour double objectif de sensibiliser les États riverains des deux océans aux risques environnementaux croissants dans le domaine maritime, mais aussi de rassembler les acteurs de la région autour de thèmes de coopération jugés plus fédérateurs.

L’action de la Marine nationale en matière de sécurité environnementale maritime prend différentes formes dans la région de l’océan Indien. Elle intègre l’assistance en cas de catastrophes naturelles, comme en témoigne le déploiement d’un avion de transport A400M en Indonésie lors d’un typhon en 2018, ou encore la connaissance du domaine maritime et la lutte contre la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN). Le 17 novembre 2018, par exemple, un bâtiment de soutien et d’assistance outre-mer (BSAOM) a effectué un exercice antipollution à l’ouest de l’île de La Réunion, dans la baie de Saint-PaulCols Bleus, n° 3075, février 2019, p. 13. . En ce qui concerne la pêche illégale, la lutte contre le pillage de ressources vivantes et contre la dégradation des aires marines protégées, la Marine nationale a constaté en 2014 pas moins de 32 infractions dans les îles ÉparsesLes îles Éparses sont des territoires d’outre-mer français composés de cinq îles situées dans l’océan Indien, autour de Madagascar et sans population permanente.. À titre d’exemple, en 2016, la frégate de surveillance Floréal avait contrôlé un navire de pêche qui naviguait dans les eaux françaises de Juan de Nova, saisissant une tonne et demie de poissons et trois cents litres d’holothuries (concombres de mer protégés)Assemblée nationale, La diplomatie de défense des frontières maritimes de la France, Commission des Affaires étrangères, Rapport d’information n° 3900, 29 juin 2016, p. 120.. De même, le Floréal avait aussi été déployé fin 2018 au large de l’archipel de Crozet dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), un espace classé réserve naturelle et qui abrite d’importantes colonies de manchots royauxCols Bleus, op. cit., p. 7..

L’intérêt manifesté par la France pour ces questions dans la région Indopacifique s’inscrit toutefois dans un engagement politique plus large consistant à établir un continuum entre les changements climatiques et l’évolution de l’environnement stratégique et sécuritaire. En déclarant dès avril 2007 que « le changement climatique figure parmi les principales menaces qui pèsent sur l’avenir de l’humanité et mettent en danger sa sécurité environnementale »Discours de Jean-Marc de La Sablière, alors représentant permanent de la France auprès des Nations unies. Cité in Henri Leval, « La sécurité environnementale : combien de divisions ? », Annuaire français de relations internationales, vol. X, 2009, p. 3., la France a été parmi les premières nations à faire du changement climatique un enjeu de sécurité. Une dizaine d’années plus tard, le ministère des Armées affirmait l’ambition de la France d’être « un acteur pionnier de la sécurité environnementale et [de] contribuer à la sécurité humaine »Ministère des Armées, Défense et climat : la France s’engage, 2018, p. 11.. Le leadership affiché par le ministère des Armées dans ce domaine accompagne ainsi la montée en puissance de l’activisme diplomatique français sur ces questions, qui a culminé en 2015 avec l’organisation à Paris de la COP21. Cet événement a d’ailleurs été l’occasion pour le ministère d’organiser la première conférence internationale sur les liens entre climat et défense, réunissant pour la première fois des autorités de la défense du monde entier sur le sujet. Dans l’océan Indien, le rôle de la Marine nationale en matière de sécurité environnementale ne peut donc être compris autrement que dans la droite ligne des engagements pris par la France dans ce domaine au niveau politique. Cela inclut le protocole de Nagoya accompagnant la Convention sur la diversité biologique, couvrant les Zones économiques exclusives (ZEE), et les six conventions des mers régionales auxquelles la France est partieConvention de Barcelone pour la Méditerranée (1976) ; Convention pour la conservation de la faune et de la flore marine antarctique (1980) ; Convention de Carthagène pour la Caraïbe (1983) ; Convention de Nairobi pour l’océan Indien (1985) ; Conventions de Nouméa (1986) et d’Apia (1993) pour le Pacifique Sud ; Convention OSPAR pour l’Atlantique du Nord (1998)..

Le rôle environnemental de la Marine nationale dans l’océan Indien

Le rôle de la Marine nationale dans la mise en œuvre de ces conventions ne la réduit pas pour autant à un rôle de simple exécutant en la matière. En effet, la prise en charge par la Marine nationale du volet environnemental de la stratégie Indopacifique française s’explique non seulement par ses ressources et sa présence permanente dans la région, mais également par un mode de fonctionnement particulier, basé sur le modèle français d’action de l’État en mer et sur le concept de sauvegarde maritime

La présence de la Marine nationale dans l’Indopacifique suit un découpage rigoureux. Sur le plan maritime, l’océan Indien est placé sous la responsabilité d’« ALINDIEN », l’amiral commandant la zone maritime éponyme et les forces maritimes de l’océan Indien, et assurant le commandement supérieur des Forces françaises aux Émirats arabes unis (COMFOR FFEAU). Dans l’océan Indien, on distingue en effet les FFEAU et les Forces françaises à Djibouti (FFDJ) d’une part, les Forces armées de la zone sud de l’océan Indien (FAZSOI) d’autre part, dont les unités sont stationnées à La Réunion et à Mayotte. L’ensemble des moyens de la Marine nationale dans la région Indopacifique est concentré dans six bases navales situées en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française dans le Pacifique ; à La Réunion, à Mayotte, à Djibouti et aux Émirats arabes unis dans l’océan Indien. En 2019, la Marine disposait dans la région de, entre autres, quatre frégates de surveillance (le Floréal, le Nivôse, le Prairial et le Vendémiaire), trois bâtiments de soutien et d’assistance outre-mer (BSAOM), six patrouilleurs (tous types confondus), cinq détachements de fusiliers marins, un détachement de commandos maritimes, sans oublier les moyens aéromaritimes (hélicoptères de type Dauphin N3+, Alouette III et Panther, ou encore les avions Falcon 200). En 2022, pour la seule région océan Indien, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères évoquait environ 4 100 militaires déployés, dix avions de chasse et dix hélicoptères, cinq unités navales et trois avions de transport ou de surveillanceMinistère de l’Europe et des Affaires étrangères, La stratégie de la France dans l’Indopacifique, février 2022, p. 26..

Ces moyens déployés en permanence participent largement aux initiatives françaises en matière de sécurité environnementale dans la région. Dans un rapport parlementaire, l’Assemblée nationale soulignait d’ailleurs la portée environnementale des missions de la Marine : « L’État étant responsable de la protection de l’environnement en mer, la Marine met en œuvre un dispositif de répression des pollutions volontaires dans les espaces placés sous sa juridiction »Assemblée nationale, Action de l’État en mer, Commission de la Défense nationale et des forces armées, Rapport d’information n° 4327, 7 février 2012, p. 19..

Au-delà des ressources déployées, le mode de fonctionnement et d’organisation même de la Marine française en fait un contributeur naturel sur les questions de sécurité environnementale, y compris en Indopacifique. Ses moyens en matière de gestion des risques environnementaux reposent effectivement sur un modèle d’organisation particulier de l’action maritime qui intègre naturellement les aspects militaires et civils. Depuis 1978, la France dispose d’une organisation spécifique pour son action en mer. Sa spécificité est due à un haut degré de coordination entre les administrations intervenant en mer, à savoir la Marine, les douanes, les affaires maritimes, la police, la gendarmerie et la sécurité civile, toutes placées sous une autorité uniqueSénat, Maritimisation : la France face à la nouvelle géopolitique des océans, Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Rapport d’information n° 674, 17 juillet 2012, p. 155.. Baptisé « action de l’État en mer », ce modèle repose sur les moyens d’intervention des différents acteurs qui le composent et se décline en 45 missions, dont 44 relèvent de la compétence de la MarineIbid., p. 156..

La dualité naturelle des activités de la Marine nationale s’incarne également dans le concept de « sauvegarde maritime » qu’elle développe depuis le début des années 2000. Ce concept détermine le cadre des missions de défense de la Marine dans la fonction stratégique de protection et son implication dans l’action de l’État en mer. En d’autres termes, il synthétise les missions de défense et de service public que la Marine réalise en collaboration avec les autres administrations concernéesJean-Louis Battet (Amiral), « Le nouveau concept de sauvegarde maritime », Revue maritime, novembre 2002, p. 1.. Le concept de sauvegarde maritime comprend ainsi quatre grands domaines d’action et couvre la lutte contre les pollutions en mer, l’assistance en cas de catastrophes naturelles et les activités de police maritime – y compris contre la pêche illégale – dans les eaux territoriales françaises et au-delà. L’ensemble de ces missions de sauvegarde maritime représente 28 % des activités de la Marine nationaleAssemblée nationale, 2012, op. cit., p. 18.. En 2009, la création d’une « fonction garde-côtes » a aussi été l’occasion de revoir la feuille de route et les priorités de l’action de l’État en mer. Un Comité interministériel de la mer, qui s’est tenu en juin 2011, a simplifié les 45 missions qui composaient initialement cette feuille de route, fixant cinq grandes priorités pour l’action de l’État en mer : le sauvetage de vies humaines et l’assistance aux navires en difficulté, la lutte contre les trafics illicites par voie maritime, la lutte contre les pollutions en mer, la lutte contre le pillage des ressources vivantes et la surveillance et la préservation des aires marines protégéesIbid., p. 27..

Perspectives pour les relations franco-indiennes

Le dynamisme de la France en matière de sécurité environnementale, corroboré par la mise à l’agenda systématique de ces questions dans les enceintes de dialogue, et notamment à l’occasion de la présidence française de l’IONS en 2021, en fait un axe de coopération porteur entre les deux pays. Il ajoute une synergie aux relations maritimes franco-indiennes en écho à l’ambition de l’Inde de se placer comme « premier intervenant » en cas de catastrophes naturelles dans la région.

Les activités HADR (Humanitarian Assistance and Disaster Relief) sont en effet progressivement devenues un pilier de la diplomatie navale indienne dans la région depuis le début des années 2000. Au soutien substantiel de l’Inde aux autres pays victimes du tsunami de 2004 se sont ajoutées les différentes opérations de secours menées après les cyclones Nargis et Mora en 2008 et 2017, ou encore lors de la pénurie d’eau potable qui a touché la capitale des Maldives en décembre 2014. New Delhi avait ainsi été sollicitée par le gouvernement maldivien pour la livraison de matériel de secours, et de 1 200 tonnes d’eau douce livrées par l’Inde jusqu’à Malé en moins de douze heures. Les efforts indiens en matière de secours en cas de catastrophe naturelle s’expriment tout autant dans le cadre multilatéral, où l’expertise reconnue de l’Inde constitue un levier non négligeable pour la stratégie d’influence régionale de New Delhi. Ainsi, le Myanmar, après avoir refusé l’aide occidentale, a saisi la main tendue de New Delhi suite au cyclone Nargis. Ces contributions variées vont de l’initiative SAGAR (Security and Growth for All in the Region) à son positionnement comme « net security provider » dans la région. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant de voir la composante HADR impliquée dans bon nombre d’initiatives de coopération en matière de sécurité maritime d’origine indienne, au premier rang desquelles l’Indian Ocean Naval Symposium (IONS), créé en 2008. 

Sans contrarier l’approche multidimensionnelle et holistique qui guide les évolutions récentes des relations franco-indiennes en matière de sécurité maritime, la sécurité environnementale apparaît dans ce contexte comme un levier particulièrement pertinent pour porter la proposition conjointe de la France et de l’Inde pour la sécurité de l’océan Indien autour de formats de coopération plus pratiques et opérationnels. La synergie navale croissante et multisectorielle entre les deux marines dans l’espace indopacifique s’ajoute ainsi à des trajectoires stratégiques manifestement convergentes vers la prise en charge des enjeux maritimes de sécurité environnementale régionale, corroborée autant par l’activisme indien en matière de secours en cas de catastrophes naturelles que par l’approche environnementale dans laquelle infuse l’ensemble de la stratégie indopacifique de la France. La jonction de ces efforts, et surtout celle des moyens à la fois politiques (en particulier dans le contexte multilatéral) et militaires (ressources navales) dont disposent les deux pays, peut ainsi contribuer de manière substantielle à l’engagement des acteurs de la région concernés, bien qu’à des degrés divers, par les conséquences sécuritaires du changement climatique.

 

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