OneWeb, l’entreprise pionnière qui visait à mettre en place la première constellation de 650 satellites pour connecter le monde entier, s’est déclarée en faillite le 27 mars dernier. Motif invoqué : le lâchage de son principal bailleur de fonds, le groupe japonais Softbank (près de 35 % du capital), dont la capitalisation boursière s’est vue réduite de moitié en un mois de crise du coronavirus. Désireux de se séparer rapidement de plusieurs dizaines de milliards de dollars d’actifs, Softbank a choisi de ne plus soutenir OneWeb. La start-up, qui a déjà fait lancer 74 satellites par Arianespace, envisage sa fin complète d’activité en juin prochain.
Créée en 2015 et basée au Royaume-Uni, OneWeb, dirigée par le charismatique et parfois critiqué Greg Wyler, avait semblé séduire les investisseurs par son projet de connectivité mondiale prévu pour 2022. Mais au lendemain de cette faillite soudaine, la communauté spatiale s’interroge. En Europe tout particulièrement, où Airbus, qui a construit les satellites et pris des participations dans OneWeb, et Arianespace, qui devait lancer les satellites, se trouvent particulièrement affectés. De fil en aiguille, une question plus fondamentale se pose. Cette fin brutale annoncerait-elle la fin du « New Space », ce mouvement censé révolutionner l’activité spatiale et qui a suscité au cours des dernières années autant d’enthousiasme que de controverses ? En réalité, pour OneWeb, il ne s’agit pas d’un coup de tonnerre dans un ciel serein. OneWeb a plutôt succombé à deux grandes difficultés que le COVID-19 a soudainement accentuées.
Un business model difficile à bâtir
La première tient d’abord aux risques inhérents à ce type d‘activité. Elle nécessite d’opérer des levées de fonds multiples en volume suffisant avant même d’espérer tout retour sur investissement. C’est ce que se sont employés à faire les cadres de OneWeb depuis quatre ans avec un certain succès, en s’appuyant majoritairement sur SoftBank, mais aussi sur d’autres sociétés connues comme Qualcomm, Hughes Network, Intelsat, Coca-Cola, la Deutsche Bank ou Airbus, tout cela alors même que le business model de ces nouvelles constellations de télécommunications par satellite n’est toujours pas prouvé. Greg Wyler lui-même en a fait l’expérience avec une entreprise créée précédemment, O3B (pour Other 3 Billion), censée connecter les 3 milliards de personnes « hors réseaux » et qui n’a finalement dû sa survie qu’à son rachat par SES en 2016, qui l’a recentrée sur les besoins de connexion professionnelle (B2B). Ce semi-échec ne faisait que confirmer les déroutes subies par plusieurs projets similaires lancés dans les années 1990On peut citer le projet Teledesic de Bill Gates, ou Skybridge, proposé en France par Alcatel, qui ont compté parmi les échecs les plus retentissants de l’époque. et cet historique douteux n’a pas aidé OneWeb.
Pourquoi la réussite viendrait-elle aujourd’hui plus qu’hier ?, s’interroge-t-on. Bien sûr des réponses ont été apportées, qu’elles soient d’ordre technologique (on peut faire en 2020 ce qu’on ne pouvait pas faire il y a vingt-cinq ans) ou qu’elles concernent l’environnement de cette activité. Les besoins en transmission ont explosé en trente ans et il reste difficile de comparer la demande actuelle avec celle des années 1990, quand Internet n’existait pratiquement pas. Ce sont les principales raisons qui ont convaincu OneWeb de l’intérêt de mettre au point des satellites de nouvelle génération, légers, rapides à assembler (14 exemplaires par semaine) et peu coûteux (quelques centaines de milliers de dollars dans un univers ou l’unité de compte s’établit habituellement en centaines de millions de dollars). L’entreprise a d’ailleurs suscité un intérêt tel dans les premiers temps que cela a durablement déstabilisé certains des acteurs les mieux établis du lucratif marché des télécommunications par satellites. Mais le chemin était encore long. L’entreprise avait levé jusqu’ici 3,5 milliards de dollars. Elle devait trouver au moins le double dans les prochains mois pour boucler son tour de table. Mais les investisseurs restés très prudents ne sont pas venus au secours de OneWeb.
Une concurrence nouvelle
Cette fragilité initiale a été accentuée par la concurrence de nouveaux entrants sur ce « marché ». L’un des coups les plus rudes est venu d’Elon Musk et de sa société SpaceX. Il y a près de deux ans, le fantasque milliardaire a lancé son projet Starlink, qui a durablement noirci l’horizon de OneWeb. Non pas que Musk ait mieux convaincu de la viabilité économique de son activité. A la surprise de tous les observateurs, Starlink envisage de peupler par étape différentes orbites de milliers de satellites, jusqu’à 12 000, voire 42 000 si l’on en croit les réservations faites auprès des autorités de régulation300 satellites sont déjà en orbite.. Il s’agit selon Musk, là encore, de connecter la planète entière, mais à une autre échelle, et d’ouvrir la perspective de nouvelles activités de télécommunications (communications ultra-rapides à grand débit, Internet des objets, etc.) à des prix défiant toute concurrence (de l’ordre du prix d’une connexion Internet classique par mois). Bien sûr, le doute est, là aussi, de mise. Sa clientèle n’est pas constituée et le projet fait preuve d’un optimisme certainDe ce point de vue, le projet de Musk se distingue de celui annoncé par Jeff Bezos, son ennemi juré et patron d’Amazon, qui a déposé en 2019 une demande d’autorisation pour le lancement de plus de 3 200 satellites dans le cadre de son projet Kuiper. La cible est identique (les « sous-connectés »), à ceci près que Bezos dispose à l’évidence d’une base de clientèle (les utilisateurs d’Amazon) que Musk n’a pas. Au passage, le projet de Bezos est venu bien sûr renforcer la concurrence directe de OneWeb..
Pour autant SpaceX a commencé à lancer les satellites Starlink à la fin de 2019 avec comme cible plus de mille satellites lancés dès la fin 2020. Et Musk dispose évidemment d’un atout incomparable en utilisant son propre moyen de lancement (les lanceurs Falcon). Il s’appuie, plus largement, sur le portefeuille d’activités de sa société SpaceX, dont une partie importante relève de la dépense publique (civile ou militaire)Récemment d’ailleurs, un contrat passé par le Pentagone pour étudier la possibilité d’utiliser la constellation Starlink par les militaires est venu confirmer ce soutien. Vu des analystes financiers et de potentiels investisseurs, ce type d’annonce n’est jamais neutre.. Enfin, l’effet d’annonce créé par ces premiers lancements est venu soutenir une campagne particulièrement active de SpaceX pour créer le trouble chez les investisseurs. Ainsi, Gwynne Shotwell, directrice générale de SpaceX, avait ouvert les hostilités dès octobre dernier en recommandant directement de ne pas investir dans OneWeb alors que Starlink, une fois opérationnel, se montrerait selon elle « 17 fois plus efficace par bit ». Elle concluait : « [OneWeb] trompe les gens qui seront très déçus à moyen terme », tout cela à l’occasion d’une réunion annuelle très courue par les investisseursMichael Sheetz, « SpaceX President Knocks Bezos’ Blue Origin: ‘They have a billion dollars of Free Money Every Year’», CNBC, 25 octobre 2019.. Le 9 mars dernier, Musk lui-même affichait sa détermination : « Devinez le nombre de projets de constellations qui n’ont pas fait faillite ? Zéro. (…) Nous voulons juste ne pas rejoindre cette catégorie »« Why SpaceX Desperately Needs a Government Bailout… », TMF Associates Blog, 21 mars 2020. , soulignant au passage ses propres besoins d’argent frais...
Dans cette situation de concurrence exacerbée, OneWeb pouvait difficilement « encaisser » la défection de SoftBank, qui n’a fait que révéler les faiblesses de la société britannique et sa dépendance critique vis-à-vis des stratégies d’un petit nombre d’acteurs.
Une opportunité pour l’Europe ?
Avec des satellites déjà en orbite et une production désormais bien établie, le projet reste évidemment tentant pour d’éventuels repreneurs. Les Européens, bien placés dans l’assemblage industriel, pourraient y voir l’occasion de prendre pied dans le domaine des constellations. Il s’agirait d’abord d’assurer la pérennité industrielle d’une filière de plates-formes qui peut déboucher sur de nouvelles utilisations. Mais aucune reprise industrielle ne se fera sans maîtrise des débouchés commerciaux. On pourrait alors imaginer un coup de pouce de l’Union européenne, qui permettrait d’afficher une présence politique plus visible dans ces nouvelles activités et de faire progresser l’Europe spatiale. Mais c’est alors d’un accord stratégique à vingt-sept dont il serait question…