Le Centre national de contrôle des maladies libyen a annoncé dans la nuit du 24 mars 2020 le premier cas officiel d’infection au COVID-19 en LibyeL’individu en question serait âgé de 73 ans et aurait contracté le virus lors d’un déplacement en Arabie saoudite au début du mois de mars (« النجار يعلن عن تسجيل أول حالة إصابة بفيروس كورونا في ليبيا » [Al-Najar annonce l’enregistrement du premier cas de coronavirus en Libye], Libya24, 24 mars 2020.. Quelques heures après l’annonce, des combats intensifs éclataient dans la capitale. Des bombardements auraient été menés par l’Armée nationale libyenne (ANL) dans les quartiers sud de Tripoli, y compris sur la prison d’Al-Ruwaimi, située dans le quartier d’Ain Zara« عدل الوفاق تطالب المجتمع الدولي بالتدخل لوقف قصف سجن الرويمي » [Le GUN appelle la communauté internationale à intervenir pour stopper les bombardements visant la prison Al-Ruwaimi], Libya24, 24 mars 2020.. Des affrontements armés violents dans le sud de la capitale ont également été rapportés. En réaction aux bombardements de l’ANL, les forces armées affiliées au Gouvernement d’union nationale (GUN) auraient initié une offensive contre la base aérienne d’Al-Watiyah, contrôlée par l’ANL et située à 150 km à l’ouest de la capitale. La base aérienne revêt un intérêt stratégique, permettant aux forces de l’ANL de fournir un soutien logistique aux zones contrôlées par les forces pro-ANL en Tripolitaine (Sabratha, Surman, etc.). Dans la journée du 25 mars, de nouveaux combats dans les environs de la base étaient rapportés. Il semblerait, d’après les sources disponibles, que l’attaque ait été repoussée par les forces de l’ANL et qu’une contre-offensive ait été initiée contre les villes de Riqdalin, Al-A’sah, Aljmail et Al-Ajailat, situées au nord d’Al-WatiyahLes informations utilisées pour la rédaction de cette note proviennent en majeure partie des réseaux sociaux.. Depuis, les combats se sont intensifiés dans la périphérie de Tripoli. Ils se sont également étendus aux villes de Syrte et Abu Grein, où des frappes de drones ont été signaléesLes informations utilisées pour la rédaction de cet article proviennent en majeure partie des réseaux sociaux..
Ces évènements illustrent le fait que malgré les appels répétés des Etats européens et de l’UNSMIL« Acting SRSG, Stephanie Williams, Strongly Condemns Grave Violations of Humanitarian Pause in Libya, Calls for Immediate Halt to all Military Operations », United Nations Support Mission in Libya, 24 mars 2020. à instaurer et à faire respecter une trêve humanitaire, les parties prenantes et leurs parrains régionaux sont plus que jamais mobilisés pour faire basculer le rapport de force à leur avantage. Ces dernières semaines, des sources journalistiques ont relayé l’arrivée de nouveaux combattants syriens dans les rangs du GUN mais également – élément nouveau – aux côtés de l’ANL, suite au rapprochement entre Khalifa Haftar et DamasJalel Harchaoui, « The Libyan Civil War is about to Get Worse », Foreign Policy, 18 mars 2020.. Les conséquences sanitaires de la poursuite des combats pourraient être d’autant plus dramatiques que le système de santé libyen a été mis à rude épreuve depuis l’offensive d’avril 2019Le Global Health Security Index, qui évalue les capacités des services de santé dans le monde, classe la Libye à la 168ème position sur 195. L’index fonde son classement sur les critères suivants : prévention, détection, réponse, système de santé, conformité aux normes internationales et risques (GHS Index – Global Health Security Index – Building Collective Action and Accountability, « Libya », octobre 2019, p. 8, p. 214).. L’inaction des autorités de Tripoli a été fortement critiquée par la population ces derniers jours. Ajouté aux soupçons de détournements de fonds, cela aurait conduit le ministre de la Santé du GUN à démissionnerSami Zaptia, « Tripoli Government Allocates LD 75 m to Municipalities across Libya after Criticism of Inaction; further Anti-Coronavirus Measures Announced », Libya Herald, 31 mars 2020..
Le GUN et le gouvernement intérimaire de Cyrénaïque ont adopté, au cours des deux dernières semaines, des mesures visant à réduire la propagation du virus. Dans un premier temps, des couvre-feux partiels ont été instaurés en Tripolitaine ainsi que dans le sud du pays. Les écoles et les commerces non essentiels dans les zones contrôlées par le GUN ont été fermés et des campagnes de stérilisation des rues et des bâtiments publics« حملة تعقيم لمقر الهجرة غير الشرعية والسجن في طبرق » [Campagne de stérilisation du Bureau chargé de la lutte contre l’immigration et de la prison à Tobruk], Akhbar Libya24, 25 mars 2020. ont été menées par plusieurs municipalités à travers le pays. A la suite de la révélation du premier cas de COVID-19, des mesures plus strictes ont été adoptées afin de limiter les déplacements. Des points de passage entre l’Algérie et la Libye au niveau de Ghadamès ont ainsi été fermés tandis que les autorités de Tripoli condamnaient la route côtière à l’ouest de la capitale en direction de la Tunisie« قفل الطريق الساحلي الرابط بين طرابلس وغرب البلاد » [Fermeture de la route côtière reliant Tripoli à l’ouest du pays], Libya24, 25 mars 2020.. En Tripolitaine, dix-huit municipalités ont déclaré leur intention d’instaurer un couvre-feu total. Des mesures identiques ont été adoptées par les autorités en CyrénaïqueSami Zaptia, « Libya’s Anti Coronavirus Efforts Continue; still no Cases Officially Reported », Libya Herald, 24 mars 2020.. Toutefois, le manque de coordination à l’échelle nationale, les faibles moyens de certaines municipalités et l’application non homogène du confinement – cas de Tripoli – pourraient impacter l’efficacité de ces mesures. Ainsi, un membre du directorat de la sécurité de Sebha (Fezzan) a évoqué les difficultés rencontrées par les forces locales pour faire respecter le couvre-feu en raison du manque de carburant et de personnels« المجبري: فرض حظر التجول التام أظهر محدودية إمكانيات سبها » [Al-Majbari : l’imposition d’un couvre-feu démontre les capacités limitées de Sebha], Libya24, 25 mars 2020..
L’intensité des combats observée ces derniers jours démontre que vraisemblablement nulle trêve ne sera conclue malgré l’apparition du COVID-19 en Libye. Pour rappel, le conflit est alimenté par de puissants parrains régionaux, notamment la Turquie et les Émirats arabes unis, qui ont tout intérêt à profiter de l’agitation engendrée par le virus pour avancer leurs pions. Ces deux puissances régionales ont investi et déployé des moyens importants (combattants étrangers, officiers encadrant les opérations, drones, etc.) pour soutenir leurs alliés libyens respectifs. Elles sont engagées dans une escalade de violence sans précédent. A défaut d’une intervention diplomatique extérieure aux parties impliquées qui sanctionnerait ces ingérences, il est fort probable que la population libyenne demeure durablement l’otage de deux fléaux : la guerre et le COVID-19.