Notes de la FRS

La configuration du Moyen-Orient vingt ans après le 11 septembre

Note de la FRS n°23/2021
Agnès Levallois
6 septembre 2021

Vingt ans après, l’onde de choc des attentats du 11 septembre 2001 continue de provoquer des secousses.

L’opération menée par Washington contre l’Irak au nom de, entre autres, la guerre contre le terrorisme alors que les preuves du soutien de Bagdad à Al-Qaïda n’ont jamais été apportées a profondément déstabilisé le Moyen-Orient. Le démantèlement de l’armée irakienne et la dissolution du parti Baas au lendemain de l’invasion américaine ont favorisé l’émergence de mouvements radicaux à l’image de l’organisation État islamique. Les administrations américaines successives ont depuis tiré les enseignements de l’échec de cette intervention en décidant de ne plus s’impliquer directement dans les affaires de la région – le départ d’Afghanistan des troupes américaines en étant le dernier exemple.

La politique de Washington était passée d’une stratégie s’appuyant sur les deux puissances régionales que sont l’Iran et l’Arabie saouditeLors de la visite du président Nixon en Iran en 1972 et en Arabie saoudite en 1974, ce dernier affirme le soutien militaire des États-Unis aux « deux gendarmes du Golfe » après le départ des forces britanniques. à celle, à partir de 1993, du dual containment vis-à-vis de l’Irak et de l’Iran, considérés par Bill Clinton comme des États voyous (rogue states). Après les attentats du 11 septembre, l’administration Bush entend briser ce qu’il considère comme « l’Axe du mal » en commençant par l’Irak, et envisage ensuite de poursuivre en Syrie, en Libye et, pourquoi pas, en Iran. Ce projet s’inscrivait dans le cadre de la Greater Middle East Initiative, qui visait à faire tomber les régimes autoritaires en s’appuyant pour cela sur la société civile. Mais ce projet de démocratisation ne s’est pas concrétisé et a conduit, en Irak, à la mise en place d’un système confessionnel qui porte en lui les racines mêmes de l’instabilité et de l’échec et qui a vu l’émergence d’un Etat-milicien soumis à des influences étrangères fortes, dont celle de Téhéran.

Les attentats du 11 septembre avaient également porté un coup d’arrêt aux processus d’ouverture de la vie politique qui étaient alors perceptibles. Les hommes forts de la région – Hosni Moubarak, Bachar al-Assad, Zineddine Ben Ali… –, qui subissaient des pressions des Occidentaux pour engager un processus démocratique, ont immédiatement brandi la menace terroriste pour y mettre un terme en faisant valoir la naïveté des Occidentaux face à ce défi. La fermeture de cette timide parenthèse n’a pas pour autant tué toute contestation, et les mouvements de 2011 ont démontré la volonté des sociétés de se libérer de la chape de plomb sous laquelle elles vivaient. Mais les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes de ceux qui ont participé aux soulèvements, la guerre et l’instabilité règnent dans la région, et les appareils sécuritaires ont repris la main.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Le Moyen-Orient n’a jamais connu autant de crises simultanément : plusieurs guerres sont en cours, les milices se multiplient, affaiblissant un peu plus le rôle de l’État, certaines se comportant comme des quasi-États (Hezbollah libanais, Houthistes yéménites par exemple) ou étant dans l’État (cas de l’Irak, où 6 000 miliciens sont installés dans la zone verte et où la milice Hachd el-chaabi fait partie de l’appareil sécuritaire officiel).

Sur le plan géopolitique, la situation a fortement évolué avec l’affirmation des puissances régionales, souvent en compétition les unes avec les autres. Les pays du Golfe, avec à leur tête l’Arabie saoudite du prince héritier Mohamed ben Salman, entendent jouer un rôle de premier plan, en particulier dans la lutte contre l’influence de l’Iran au Moyen-Orient. Celle-ci ne cesse d’inquiéter ses voisins arabes en raison des actions menées en Syrie, au Yémen, en Irak et au Liban. L’Arabie se sent particulièrement vulnérable car en dépit des centaines de milliards de dollars d’armement achetés aux États-Unis et d’une asymétrie militaire conventionnelle avec l’Iran, le régime de Téhéran menace le royaumeLe 14 mai 2019, deux stations de pompage en territoire saoudien sont attaquées, le 20 juin l’usine de dessalement d’Al-Shuqaiq, le 8 août l’aéroport d’Ahba et le 14 septembre les installations pétrolières d’Abqaiq et Khurais (attaque au missile de croisière). D’autres attaques ont eu lieu qui visaient des pétroliers dans le détroit d’Ormuz les 12 mai, 13 juin et 19 juillet. Les Émirats arabes unis seront eux aussi visés le 17 août.. Mais les pays du Golfe sont affaiblis par les rivalités internes : l’axe formé de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis (EAU), et auquel l’Égypte est associée, est actif sur plusieurs terrains et se retrouve en confrontation avec celui constitué du Qatar et de la Turquie. La récente normalisation des relations des EAU et de Bahreïn avec Israël vise à remettre en question la centralité de la question palestinienne et a brisé le consensus au sein des pays arabes. Enfin, le rôle de la Turquie est également significatif car Ankara est engagée aussi bien en Syrie, en Libye, dans le Caucase qu’en Méditerranée orientale, et elle se tourne vers l’axe Moscou/Pékin/Téhéran alors qu’elle est membre de l’OTAN.

Tous ces bouleversements démontrent des changements de paradigme : les puissances régionales traditionnelles – Irak, Syrie et Égypte dans une moindre mesure – sont marginalisées, de nouvelles émergent – Arabie saoudite et EAU d’un côté, Qatar de l’autre – alors que la défiance vis-à-vis de Washington augmente. De plus les divergences entre les pays de la région n’ont pas permis la mise en place d’un système de sécurité régionale – bien au contraire –, et l’instabilité qui règne dans la majorité d’entre eux a des incidences sur les pays européens, en particulier avec la question migratoire.

Le chaos provoqué par les attentats du 11 septembre et l’intervention américaine qui s’en est suivie n’ont pas fini de provoquer des répliques, font le jeu du terrorisme international et désespèrent les sociétés, prises en otage.