Il y a cette année exactement vingt ans que le Département des Garanties de l’Agence internationale de l’énergie Atomique (AIEA) a commencé à mettre en évidence le programme nucléaire non déclaré de l’IranDocument clos le 22 juillet 2023.. Le 10 novembre 2003, un rapport accablant était envoyé au Conseil des Gouverneurs de l’AIEA, indiquant que l’Iran maîtrisait presque l’ensemble de l’amont du cycle du combustible nucléaire (y compris le processus d’enrichissement de l’uranium, qui a des applications civiles et militaires), et qu’il « travaillait à l’élaboration d’un programme d’enrichissement par centrifugation depuis 18 ans et par laser depuis 12 ans » sans en informer l’AgenceMise en œuvre de l’accord de garanties TNP en République islamique d’Iran, Rapport du Directeur général, GOV/2003/75, 14 novembre 2003.. Tout ceci alors que, dans les années 1980, l’Iran, en guerre avec l’Irak, n’avait aucun projet de construction de centrales nucléaires, celle en construction à Bushehr du temps du Chah ayant été détruite par l’aviation irakienne.
Toutes les conditions étaient donc réunies pour déclarer l’Iran « en violation » de son Accord de Garanties Généralisées (AGG) et pour référer le cas au Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) ainsi que le prévoit le statut de l’AIEA. Le CSNU aurait alors pu exiger le gel du cycle du combustible nucléaire de l’Iran en adoptant une résolution juridiquement contraignante interdisant notamment à l’Iran toute activité relative à l’enrichissement de l’uranium (y compris la production d’UF6) et au retraitement des combustibles irradiés, comme l’avait demandé le Conseil des Gouverneurs de l’AIEA dans une résolution adoptée à l’unanimité le 12 septembre 2003Cette résolution « engage » notamment l’Iran à « suspendre toutes les activités relatives à l’enrichissement de l’uranium », y compris l’introduction de matières nucléaires à Natanz.. Cela ne s’est hélas pas produit, alors qu’à l’époque la Russie et la Chine ne s’opposaient pas de façon systématique aux propositions de résolutions initiées par les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni, en particulier dans le domaine de la non-prolifération nucléaireMême si la Chine est largement responsable du fait que la Corée du Nord soit devenue un Etat possédant des armes nucléaires – mais c’est là un autre débat..
Pourquoi l’AIEA n’a-t-elle pas référé l’Iran au CSNU en novembre 2003 ?
Tout d’abord, il faut savoir que si les activités nucléaires non déclarées de l’Iran avaient été signalées à l’Agence, elles n’auraient pas été illégales (du moins celles connues à l’époque). Un des éléments qui a joué contre un rapport au CSNU vient du fait que dans son rapport de novembre 2003 au Conseil des GouverneursMise en œuvre de l’accord de garanties TNP en République islamique d’Iran, op. cit., le Directeur général Mohamed ElBaradei, au lieu de déclarer que l’Iran avait « violé » son Accord de Garanties GénéraliséesSelon l’Article XII.C du Statut de l’AIEA : « Les inspecteurs rendent compte de toute violation au Directeur général, qui transmet leur rapport au Conseil des Gouverneurs. Le Conseil enjoint à l’État ou aux États bénéficiaires de mettre fin immédiatement à toute violation dont l’existence est constatée. Le Conseil porte cette violation à la connaissance de tous les membres et en saisit le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des Nations Unies »., a utilisé la périphrase suivante : « l’Iran a par le passé dissimulé certains aspects de ses activités nucléaires et […] il a par conséquent manqué à l’obligation de se conformer aux dispositions de son accord de garanties ». Il a en outre ajouté : « Il n’y a pas de preuve à ce jour que les matières et activités nucléaires qui n’ont pas été déclarées par le passé aient un rapport avec un programme d’armement nucléaire », un lien qu’il eut été pratiquement impossible de prouver.
D’autre part, de nombreux États membres de l’AIEA craignaient que les États-Unis n’utilisent la dénonciation des violations de l’Iran au CSNU comme prétexte pour déclencher une guerre contre l’Iran. En effet, quelques mois auparavant, les États-Unis avaient envahi militairement l’Irak sur la base de la fausse présomption que le pays cachait encore des armes de destruction massive. Les Européens redoutaient également que le fait de référer l’Iran au CSNU ne pousse Téhéran à se retirer du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), comme l’avait fait la Corée du Nord au début de la même année.
De plus, trois semaines auparavant, le 21 octobre 2003, Téhéran avait signé un accord avec les ministres des Affaires étrangères de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni (les E3/UE) stipulant que « si l’Iran a le droit, dans le cadre du régime de non-prolifération nucléaire, de développer l’énergie nucléaire à des fins pacifiques, il a décidé de suspendre volontairement toutes les activités d’enrichissement et de retraitement de l’uranium telles que définies par l’AIEA »Full text: Iran declaration, BBC News, 21 octobre 2003. .
Bien que cela puisse sembler être un détail, l’inclusion dans l’accord de l’expression « activités d’enrichissement de l’uranium telles que définies par l’AIEA » au lieu de « activités liées à l’enrichissement », comme l’exigeait la résolution du Conseil des Gouverneurs de septembre 2003, s’est avérée une bévue majeure de la part des E3/UE. Hassan Rouhani, qui était à l’époque Secrétaire général du Conseil suprême de sécurité nationale et négociateur en chef du dossier nucléaire iranien, a pu tourner la question à son avantage, en faisant durer les négociations pendant de nombreux mois, permettant ainsi à l’Iran de développer ses capacités nucléaires au cours de cette période. Même si c’était improuvable à l’époque, le Département des Garanties de l’AIEA estimait vraisemblable que le programme nucléaire non déclaré de l’Iran avait une finalité militaire. Les Européens n’ont manifestement pas pris la mesure de l’enjeu, ni réalisé que le temps jouait en faveur de l’Iran.
Ils ont commis une nouvelle erreur en novembre 2004 en signant un accord extrêmement vague qui stipule : « Les E3/UE reconnaissent que cette suspension est une mesure de confiance volontaire et non une obligation légale. Dans le cadre de cette suspension, les E3/UE et l’Iran sont convenus d’entamer des négociations en vue de parvenir à un accord mutuellement acceptable sur des arrangements à long terme. L’accord fournira des garanties objectives que le programme nucléaire de l’Iran est exclusivement destiné à des fins pacifiques »INFCIRC/637, Communication dated 26 November 2004 received from the Permanent Representatives of France, Germany, the Islamic Republic of Iran and the United Kingdom concerning the agreement signed in Paris on 15 November 2004. . Ce n’est qu’en février 2006Nima Gerami, Pierre Goldschmidt, « The International Atomic Energy Agency’s Decision to Find Iran in Non-Compliance, 2002-2006 », National Defense University Press, décembre 2012. que le Conseil des Gouverneurs de l’AIEA a finalement adopté une résolution demandant au Directeur Général de présenter le dossier de l’Iran au CSNUMise en œuvre de l’accord de garanties TNP en République islamique d’Iran, GOV/2006/14, résolution adoptée le 4 février 2006. .
Le fait que l’Iran n’ait pas été officiellement déclaré en « violation » de ses Accords de Garanties en novembre 2003 a retardé de trois ans l’adoption par le CSNU d’une résolution au titre du Chapitre VII de la Charte des Nations unies rendant juridiquement contraignante la suspension jusque-là volontaire des activités de l’Iran liées à l’enrichissement. Ce retard a eu des conséquences importantes sur la situation en Iran et sur l’évolution future de la diplomatie nucléaire.
En effet, en 2003, l’installation de conversion d’uranium d’Ispahan n’était pas encore opérationnelle, l’Iran ne possédait pas de stock significatif d’hexafluorure d’uranium (UF6) et aucun uranium enrichi n’avait été produit à l’usine d’enrichissement de Natanz. Trois ans plus tard, l’Iran avait réussi à acquérir une expertise dans presque tous les aspects du cycle du combustible nucléaire et produisait de l’uranium enrichi à Natanz.
Il n’est pas possible ici de décrire toutes les péripéties du développement du programme nucléaire iranien au cours des dix années qui ont suivi. Rappelons seulement que le CSNU a adopté, en décembre 2006, au titre du Chapitre VII de la Charte des Nations unies, la résolution 1737 faisant de la suspension de « toutes les activités liées à l’enrichissement et au retraitement, y compris la recherche-développement, sous vérification de l’AIEA » une obligation légale, et décidant « que tous les États devront geler les fonds, avoirs financiers et ressources économiques [...] qui sont la propriété ou sous le contrôle des personnes ou entités visées dans l’Annexe ». Notons aussi que le Conseil de sécurité a adopté d’autres résolutions juridiquement contraignantes le 24 mars 2007 (1747), le 3 mars 2008 (1803) et le 9 juin 2010 (1929) qui réitèrent et renforcent ses exigences antérieuresL’article 9 de la résolution 1929 stipule que le Conseil de sécurité « [d]écide que l’Iran ne doit mener aucune activité liée aux missiles balistiques pouvant emporter des armes nucléaires, y compris les tirs recourant à la technologie des missiles balistiques, et que les États doivent prendre toutes les mesures voulues pour empêcher le transfert de technologie ou la fourniture d’une aide technique à l’Iran dans le cadre de telles activités »..
Nonobstant les résolutions du Conseil des Gouverneurs et du CSNU, l’Iran n’a pas suspendu ses activités liées à l’enrichissement et, dans son rapport du 11 novembre 2011Voir GOV/2011/65. , l’Agence a déclaré que « [d]epuis 2002, l’Agence s’inquiète de plus en plus de l’existence possible en Iran d’activités liées au nucléaire non divulguées impliquant des organismes relevant du secteur militaire, notamment des activités relatives à la mise au point d’une charge nucléaire utile pour un missile, au sujet desquelles elle reçoit régulièrement de nouvelles informations. (§38). […] Selon ces informations, l’Iran a exécuté les activités ci-après qui ont trait à la mise au point d’un dispositif nucléaire explosif » (§43). Le rapport contient une annexe de quatorze pages décrivant les « dimensions militaires possibles du programme nucléaire iranien ».
Dans ce contexte, il eut sans doute été judicieux, comme proposé en 2012Pierre Goldschmidt, « The Iranian Nuclear Issue: Negotiating a Win-Win Solution After Baghdad », Carnegie Endowment for International Peace, 26 mai 2012., que l’AIEA accorde à l’Iran une période de grâce au cours de laquelle toute admission d’activités nucléaires non encore déclarées n’entraînerait aucune conséquence négative, bien au contrairePierre Goldschmidt, « The Iranian Nuclear Issue: Negotiating a Win-Win Solution After Baghdad », Carnegie Endowment for International Peace, 26 mai 2012.. Cela n’a jamais été tenté. Faut-il dès lors s’étonner du manque de transparence persistant des autorités iraniennes ?
Le Plan d’action global conjoint (PAGC)
Le 14 juin 2013, Hassan Rouhani a été élu président de la République avec 51 % des suffrages, loin devant ses cinq adversairesConsidéré comme plus modéré que son prédécesseur (le conservateur Ahmadinejad), il prônait un rapprochement avec les pays occidentaux afin d’améliorer la situation économique du pays, soumis aux effets d’années de sanctions internationales, notamment en raison du refus de l’Iran de mettre un terme aux activités à double usage de son programme nucléaire. . Commencent alors des négociations discrètes (à l’abri des journalistes) qui aboutiront, deux ans plus tard, le 14 juillet 2015, à un « Plan d’Action Global Commun » (en anglais : Joint Comprehensive Plan Of Action ou JCPOA), conclu entre l’Iran et les P5+1 (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Russie plus Allemagne)Joint Comprehensive Plan of Action, Vienne, 14 juillet 2015.. Le PAGC est un accord détaillé de 159 pages. L’AIEA est chargée de vérifier le respect par l’Iran des dispositions relatives aux aspects nucléaires.
L’objectif du PAGC était de garantir que l’Iran ne développerait pas de capacité nucléaire militaire au cours des quinze années suivantes et que, s’il exerçait son droit de se retirer du TNP, il lui faudrait au moins un an, au lieu de trois mois, pour obtenir les matières fissiles nécessaires à la fabrication d’une seule arme nucléaire.
Il s’agit d’un accord politique (adopté aux Etats-Unis au titre d’un « Executive Order ») et non d’un traité. L’administration de Barack Obama n’aurait pas obtenu la majorité des 2/3 du Sénat requise pour l’adoption de tout traité international. Toutefois, cet accord a été entériné par la résolution 2231 du CSNU, adoptée à l’unanimité le 20 juillet 2015, ce qui lui donne un poids international plus important qu’un simple accord politique.
En échange des limitations acceptées par l’Iran au titre du PAGCPar exemple, pendant dix ans, l’obligation de limiter drastiquement le nombre de centrifugeuses opérationnelles, et, pendant quinze ans, de limiter à 300 kg le stock d’uranium enrichi à maximum 3,67 % en U-235. , les Etats-Unis et l’Union européenne (UE) se sont engagés à lever les sanctions économiques imposées à ce dernier du fait des violations de son Accord de Garanties Généralisées. C’est ainsi que, dès février 2016, l’Iran a pu disposer de plus de 100 milliards de dollars d’actifs gelés à l’étrangerUne grande partie de l’argent était conservée dans des banques en Chine, en Inde, au Japon, en Corée du Sud et en Turquie. . Il semble, hélas, qu’une bonne partie de cet argent ait été utilisée par le régime pour apporter son soutien à des groupes paramilitaires en Syrie, au Liban et au Yémen, non pour améliorer le sort de la population iranienne.
Le mauvais calcul du président Donald Trump et la réponse de l’Iran
Tout au long de sa campagne électorale, de mars à novembre 2016, Donald Trump a déclaré que ce pacte nucléaire avec l’Iran était « un désastre », « le pire accord jamais négocié », et que s’il était élu président, sa « priorité numéro un » serait de le démanteler. Cet accord étant le résultat de compromis de part et d’autre, il ne pouvait naturellement pas être idéal du point de vue des Etats-Unis ni même des EuropéensOn peut notamment regretter que n’y figure pas l’obligation pour l’Iran de ratifier le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE). Le fait que les États-Unis et la Chine n’aient eux-mêmes pas procédé à la ratification du TICE en est sans doute une des explications. .
Une fois devenu président, Trump a tenu parole et, le 8 mai 2018, les États-Unis se sont retirés unilatéralement du PAGCPeu de temps avant ce retrait, Israël avait révélé aux Nations unies que le Mossad avait réussi à dérober, en janvier 2018, dans un entrepôt de Téhéran, des archives constituées de 100 000 documents montrant notamment les plans de fabrication d’une « série de cinq armes » et des sites susceptibles d’accueillir d’éventuels essais nucléaires souterrains (« La véritable étendue du projet nucléaire iranien ayant reçu des aides étrangères », Times of Israel, 16 juillet 2018). . Le pari de Donald Trump était qu’en accroissant les sanctions économiques imposées à l’Iran, il parviendrait à négocier un nouvel accord plus contraignant que celui conclu par Obama.
Pendant une année entière après le retrait des États-Unis et l’imposition de nouvelles sanctions, l’Iran a continué à respecter scrupuleusement ses obligations. Il faut savoir que le PAGC et la résolution du CSNU du 20 juillet 2015 précisent que si les P5+1 ne respectent pas l’accord en tout ou en partie, l’Iran ne sera pas tenu de respecter ses engagements en tout ou en partie.
Ce n’est qu’à partir de l’été 2019 que l’Iran commence à enrichir de l’uranium à 4,50 %, au-delà du seuil imposé de 3,67 % U-235, puis à 20 % en janvier 2021, et à 60 % en avril 2021, tout en augmentant de plus d’un facteur 10 son stock d’uranium enrichi, qui devait être limité à 300 kg. Fait particulièrement préoccupant, l’Iran, contrairement à ce que prévoit le PAGC, a procédé au développement de centrifugeuses beaucoup plus performantes. Or, ce know-how, qui lui permet de produire beaucoup plus rapidement de l’uranium hautement enrichi, est irréversible.
Trump a donc perdu son pari et les conséquences pourraient en être catastrophiques.
Le PAGC est-il mort ?
La réponse en un mot est : oui…, notamment pour les raisons suivantes.
Premièrement, des échéances cruciales sont déjà dépassées ou sont proches de l’être. En effet, selon la Déclaration annexée à la résolution 2231 du CSNU :
- depuis octobre 2020Annexe B, paragraphes 5 et 6.b. , « [t]ous les États peuvent participer [à] la fourniture, la vente ou le transfert directs ou indirects à l’Iran, […] de chars de combat, de véhicules blindés de combat, de systèmes d’artillerie de gros calibre, d’avions de combat, d’hélicoptères d’attaque, de navires de guerre, de missiles et de systèmes de missiles […] ». Réciproquement, les Etats peuvent acquérir de tels matériels en provenance d’Iran, ce qui fait inévitablement penser aux drones livrés par l’Iran à la Russie, qui les a utilisés contre l’Ukraine ;
- à partir du 18 octobre 2023, l’Iran peut mener des activités liées « aux missiles balistiques conçus pour pouvoir emporter des armes nucléaires »Annexe B, paragraphe 3.;
- et, surtout, le 18 octobre 2025 est « la date d’extinction de la résolution du Conseil de sécurité [et] la date à laquelle la résolution approuvant le présent Plan d’action prend fin, […] sous réserve que les dispositions de résolutions antérieures n’aient pas été rétablies »Point 34.v. du PAGC. .
Cette dernière phrase fait référence à la seule façon pour l’UE d’empêcher ces échéances : l’activation des « snap-back sanctions ». Il s’agit d’un mécanisme très original qui permet à tout autre signataire, en cas de violation de l’Accord par l’Iran, de porter la question au CSNU. Celui-ci devra répondre à une et une seule question : faut-il maintenir la suspension des résolutions antérieures du CSNU relatives à l’Iran ? Il suffit donc qu’un seul des membres permanents du CSNU utilise son droit de veto pour que les sanctions onusiennes antérieures redeviennent automatiquement applicables.
La France, le Royaume-Uni et l’Allemagne (les E3/UE) ne l’ont pas fait avant l’échéance d’octobre 2020. Sont-ils plus disposés aujourd’hui à déclencher les snap-back sanctions avant l’échéance d’octobre 2023 ? C’est peu probable si l’on en croit le communiqué de presse du Conseil de l’UE daté du 12 décembre 2022, qui se contente d’« inviter tous les pays à soutenir la mise en œuvre de la résolution 2231 (2015) du Conseil de sécurité des Nations unies » et d’« exhorter l’Iran à [s’y] conformer pleinement ».
De plus, le 26 juillet 2022, Josep Borrell, le Haut Représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, a déclaré avoir proposé un nouveau projet de texte pour relancer le PAGC, estimant que « les possibilités de nouveaux compromis importants ont été épuisées »Ce projet comporterait quatre étapes. La première, qui prendrait effet le jour de la signature, verrait l’Iran geler ses activités d’enrichissement de l’uranium, tout en étant autorisé à conserver l’uranium enrichi qu’il aura stocké avant cette date. La deuxième étape prendrait trente jours pendant que l’administration du président américain Joe Biden soumettrait l’accord à l’approbation du Congrès. Lors de la troisième étape, soixante jours après l’approbation du Congrès, Washington notifierait au CSNU et à l’AIEA sa décision de rejoindre le pacte. A la quatrième et dernière étape – après soixante jours supplémentaires –, les États-Unis reviendraient officiellement à l’accord, les parties supprimant davantage de sanctions et cessant de violer le PAGC, selon le rapport. D’après certaines sources, l’Iran ne serait pas autorisé à posséder de l’uranium enrichi à 20 % et à 60 % et serait contraint d’arrêter ses centrifugeuses avancées, ce qui l’empêcherait d’accumuler la matière nécessaire à la fabrication d’une bombe (« Iran deal draft reportedly includes 4 phases, would take full effect after 165 days », Times of Israel, 28 août 2022). .
Selon un fonctionnaire américain anonymeSteve Holland, Arshad Mohammed, « Iran has dropped some demands for nuclear deal, U.S. official says », Reuters, 23 août 2022. , l’Iran aurait renoncé à exiger que les États-Unis lèvent la désignation du Corps des Gardiens de la Révolution Islamique comme organisation terroriste et que l’AIEA mette fin à son enquête sur les traces inexpliquées d’uranium sur trois sites non déclarésDepuis février 2019, l’AIEA a détecté la présence de particules d’uranium sur trois sites qui n’avaient pas été déclarés par l’Iran : Turquzabad, Varamin et Marivan. Téhéran a fourni quelques explications plausibles et d’autres jugées non crédibles par l’Agence (Section C.2. du rapport de l’AIEA GOV/2023/26 du 31 mai 2023)..
Aucun accord nucléaire n’a été conclu depuis, et le 5 mai dernier, les E3/UE ont averti l’Iran qu’ils déclencheraient les snap-back sanctions s’il « enrichissait de l’uranium au niveau optimal pour fabriquer une arme nucléaire », soit 90 % en U-235Arshad Mohammed, John Irish, Jonathan Landay, Parisa Hafezi, « Analysis: Smoldering Iran nuclear crisis risks catching fire », Reuters, 5 mai 2023.. Curieux message : les Iraniens savent maintenant qu’ils peuvent construire autant de centrifugeuses et produire autant d’uranium enrichi qu’ils veulent tant qu’il reste en-dessous de 90 %.
Qu’en est-il alors de l’échéance majeure d’octobre 2025, qui met fin à toutes les résolutions antérieures du CSNU relatives à l’Iran ? Actionner les snap-back sanctions ne serait pas sans risque. En effet, la Russie et la Chine pourraient considérer que les violations du PAGC par l’Iran sont la conséquence du retrait unilatéral des États-Unis de l’accord et du fait qu’ils n’ont pas levé comme convenu les sanctions économiques imposées à l’Iran. Dans ces conditions, Pékin et Moscou pourraient décider de ne pas appliquer les sanctions juridiquement contraignantes antérieures du CSNU à l’encontre de l’Iran. Cela créerait un précédent de nature à saper la crédibilité et l’efficacité du Conseil, chargé de prévenir l’aggravation de « toute menace contre la paix, rupture de la paix ou acte d’agression », comme le prévoit le Chapitre VII de la Charte des Nations unies.
En revanche, ne pas prendre ce risque et rendre caduques toutes les résolutions du Conseil de sécurité qui sanctionnent l’Iran et limitent ses programmes nucléaire et balistique peut aussi mettre en péril la paix dans la région et l’avenir du TNP. De tels choix politiques ne sont jamais faciles à faire.
Deuxièmement : avec le temps, les sanctions économiques deviennent moins efficaces. Elles affectent bien plus la population du pays visé que ses dirigeants. Si dans les pays démocratiques les souffrances endurées par la première ont un impact important sur les seconds, elles en ont beaucoup moins sur les dirigeants de pays totalitaires. De plus, au cours des dernières années, l’Iran a su mettre à profit les tensions croissantes entre les États-Unis et l’Europe d’une part, la Russie et la Chine d’autre part, pour contourner les sanctions américainesIl n’est dès lors pas étonnant que la Secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, ait admis en mars dernier que les sanctions imposées à l’Iran ne fonctionnent tout simplement pas, ou du moins fonctionnent « beaucoup moins que nous le souhaiterions idéalement » (« Les sanctions anti-Iran n’ont pas atteint leurs objectifs », Pars Today, 15 avril 2023). .
En mars 2021, quand le président Rouhani était encore en fonction, l’Iran et la Chine ont conclu un « accord stratégique » prévoyant une coopération économique, militaire et sécuritaire permettant de contourner les sanctions américaines touchant les deux pays. La Chine s’est engagée à investir de l’ordre de 400 milliards USD sur dix ans. En échange, l’Iran livre à la Chine de grandes quantités de pétrole à un prix discount. Le commerce non pétrolier entre l’Iran et les membres des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) a atteint 38 milliards USD au cours de l’année fiscale 2022-23, soit une augmentation de 14 % par rapport à l’année fiscale précédente.
Le 4 juillet 2023, l’Iran est devenu membre à part entière de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), un groupe de sécurité formé par Pékin et Moscou pour, entre autres, faire contrepoids à l’influence des États-UnisSes autres membres sont la Chine, l’Inde, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Pakistan, la Russie, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan, soit 40 % de la population mondiale.. L’Iran a aussi rétabli ses relations diplomatiques avec les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite. Il est donc loin d’être isolé sur la scène internationale. Depuis le début de la guerre en Ukraine, la coopération militaire entre la Russie et l’Iran n’a cessé de se renforcer. Cela s’est notamment traduit par la livraison de drones iraniens à la Russie, et la fourniture d’équipements militaires russes à l’Iran« La CIA s’inquiète du rapprochement militaire entre Téhéran et Moscou », L’Echo, 26 février 2023.. Outre leur impact économique favorable pour l’Iran, ces accords permettent indirectement à Téhéran de s’assurer que la Russie et la Chine utiliseront leur droit de veto à l’encontre de toute nouvelle résolution du CSNU (ré)imposant des sanctions à son égard.
Troisièmement, le Congrès américain prépare une série de projets de loi qui anéantiraient tout espoir pour l’administration Biden de conclure un nouvel accord nucléaire avec l’Iran, renforceraient les sanctions contre lui et limiteraient la capacité de la Maison blanche à renoncer aux sanctions dans le cadre d’accords futursAdam Kredo, « Inside The House GOP Plan to Stop a Second Iran Nuclear Deal », Free Beacon, 28 avril 2023. .
De leur côté, les Iraniens font logiquement valoir que si Trump a pu se retirer du PAGC, rien ne permet d’exclure qu’un autre président américain pourrait faire de même si l’accord était réactivé d’une manière ou d’une autre. De leur point de vue, il est préférable d’attendre les résultats des élections américaines de 2024 et, dans l’intervalle, de continuer à accumuler des moyens de pression comme la production d’uranium hautement enrichi.
Cela étant, des négociations secrètes entre les Etats-Unis et l’Iran par l’intermédiaire du Sultanat d’Oman ont abouti récemment à un échange de prisonniersEURACTIV France avec AFP, « L’Iran annonce un accord sur un échange de prisonniers avec les Etats-Unis », Euractiv, 23 août 2023. et au versement à l’Iran de l’équivalent de quelque 7 milliards USD bloqués en Corée du Sud« Iran’s frozen assets in ROK all released: chief banker », Xinhua, 13 août 2023. , en échange du gel de certaines des activités nucléaires de l’Iran. Cet accord, s’il vise à faire baisser la tension régionale par des gestes de bonne volonté de part et d’autre, ne constitue en rien un retour au PAGCBarak Ravid, « Biden adviser discussed possible outreach to Iran on nuclear program with Oman: sources », Axios, 30 mai 2023..
Les menaces de retrait du TNP peuvent-elles être contagieuses au Moyen-Orient ?
Depuis 2003, l’Iran a menacé à plusieurs reprises de se retirer du TNP. Ainsi, dès mai 2006, dans une lettre adressée au Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, le Parlement iranien avait manifesté son intention de forcer le gouvernement à se retirer du TNP si les États-Unis et leurs alliés continuaient à faire pression sur Téhéran pour qu’il suspende l’enrichissement de l’uranium« Iran says it may withdraw from Nuclear Non-Proliferation Treaty », WIKINEWS, 7 mai 2006.. Plus récemment, le 20 janvier 2020, le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, a déclaré : « Si les Européens poursuivent leur comportement inapproprié ou envoient le dossier de l’Iran au Conseil de sécurité, nous nous retirerons du TNP »« Iran to quit NPT if its nuclear programme referred to UN: Zarif », Al Jazeera, 20 janvier 2020..
De son côté, en mars 2018, le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed bin Salman, a signalé que le Royaume « ne veut pas acquérir de bombe nucléaire, mais sans aucun doute si l’Iran développait une bombe nucléaire, nous ferions de même dès que possible »Reuters Staff, « Saudi crown prince says will develop nuclear bomb if Iran does », Reuters, 15 mars 2018.. De telles déclarations ne doivent pas être prises à la légère alors qu’il n’est pas impossible que l’Arabie saoudite, en échange de sa participation au financement du programme nucléaire pakistanais, ait obtenu d’Islamabad de pouvoir disposer d’un armement nucléaire en cas de nécessité« Pakistan : le nouveau partenariat atomique avec Riyad », Courrier international, 7 janvier 2004..
L’Arabie saoudite insiste sur le fait qu’elle refuse d’adopter ce que l’on appelle « l’étalon-or nucléaire », c’est-à-dire l’engagement de s’abstenir d’enrichir de l’uranium et de retraiter du combustible irradié (pour en extraire le plutonium), ce que les Émirats arabes unis ont, eux, accepté dans leur accord bilatéral de coopération nucléaire civil avec les États-UnisVictor Gilinsky, Henry Sokolski, « The Nonproliferation Gold Standard: The New Normal? », Arms Control Today, octobre 2019. On peut aussi se poser la question de savoir si les Etats-Unis appliqueraient des sanctions unilatérales à l’égard de l’Arabie saoudite si elle devait un jour se retirer du TNP (de même pour la Corée du Sud)..
A l’automne 2019, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a pour sa part laissé entendre que la Turquie pourrait remettre en question sa position à l’égard des armes nucléaires : « Plusieurs pays ont des missiles avec des têtes nucléaires, pas un ou deux. Mais [ils nous disent que] nous ne pouvons pas les avoir. Je ne peux pas l’accepter »Shannon Bugos, « Turkey Shows Nuclear Weapons Interest », Arms Control Today, octobre 2019. . Il s’agissait clairement d’une référence à Israël et à son arsenal nucléaire non déclaré. Bien que la déclaration du président Erdoğan ait pu être une posture politique, elle indique que la situation en Turquie pourrait être plus volatile que par le passé et être appelée à changer rapidement si, par exemple, l’Iran se retirait du TNP.
Toutes ces menaces doivent être prises d’autant plus au sérieux que, comme l’a indiqué l’AIEA dans un rapport de 2008IAEA Board of Governors, « Implementation of the NPT Safeguards Agreement in the Socialist People’s Libyan Arab Jamahiriya », GOV/2008/39, 12 septembre 2008, para. 38. , « [u]ne grande partie des informations sensibles provenant du réseau [d’A. Q. Khan] existait sous forme électronique, ce qui en facilitait l’utilisation et la diffusion. Il s’agit notamment d’informations relatives à l’enrichissement de l’uranium par centrifugation et, plus inquiétant encore, d’informations relatives à la conception d’armes nucléaires ».
S’il est plus que probable que le programme nucléaire non déclaré de l’Iran était initialement à finalité militaire, on peut espérer que les dirigeants iraniens sont assez sages pour avoir renoncé, du moins pour l’instant, à construire un arsenal nucléaire, et se contentent de devenir un « Etat du seuil » défini ici comme un Etat capable de construire plus d’une bombe atomique en quelques mois sans que personne ne puisse l’en empêcher et disposant des vecteurs capables de les emporter.
D’après le Service de recherche du Congrès américain, « [s]elon des évaluations officielles des États-Unis, l’Iran a interrompu son programme d’armement nucléaire à la fin de 2003 et ne l’a pas repris. L’objectif de ce programme était de développer une arme nucléaire de type implosion pour le missile balistique iranien Shahab-3. L’Iran n’entreprend pas actuellement les principales activités de développement d’armes nucléaires qui seraient nécessaires pour produire un dispositif nucléaire testable »Paul K. Kerr, « Iran and Nuclear Weapons Production », In Focus, Congressional Research Service, Updated April 14, 2023.. Toutefois, dans la Nuclear Posture Review d’octobre 2022, il est mentionné : « des activités récentes de l’Iran qui étaient auparavant limitées par le PAGC sont très préoccupantes car elles sont applicables à un programme d’armement nucléaire »VoirU.S. Department of Defense. .
Serait-il grave que l’Iran se retire du TNP et dispose de l’arme nucléaire ?
L’Iran n’a aucun intérêt à se retirer du TNP si ce n’est pour se doter d’un arsenal nucléaire. Cela lui procurerait sans doute du prestige sur le plan régional et même au-delà, et un sentiment d’invulnérabilité, tout en sachant que jamais ces armes ne pourront être utilisées sans déclencher une guerre dévastatrice au Moyen-Orient dans laquelle il n’y aurait que des perdants.
Il n’est cependant pas inutile de se rappeler que certains considèrent que plus il y aura de pays dotés de l’arme nucléaire, moins il y aura de guerres dans le monde. Cette thèse, même si elle est peu défendue officiellement, mérite d’être évoquée.
Déjà en 1981, le politologue américain Kenneth WaltzKenneth Waltz est un politologue américain né en 1924, qui enseignait à la Columbia University. C’est un auteur important dans le domaine de la théorie des relations internationales. Il est l’un des fondateurs du néoréalisme (ou réalisme structurel). écrivait que « [l]a présence des armes nucléaires rend les guerres moins probables » dans une étude intitulée « The Spread of Nuclear Weapons: More May Be Better »Kenneth Waltz, The Spread of Nuclear Weapons: More May Better », Adelphi Papers, International Institute for Strategic Studies, n° 171, 1991. . Une trentaine d’années plus tard, Sergueï Karaganov, le doyen de la School of World Economics and Foreign Affairs de l’Université d’Etat de Moscou, écrivait : « Nous pourrions finir par reconnaître que l’élimination des armes nucléaires n’est pas seulement un mythe, mais un mythe nuisible, et que les armes nucléaires sont un atout utile qui a sauvé, et peut continuer à sauver, l’humanité d’elle-même »Sergei Karaganov, « The Danger of Nuclear Disarmament », Project Syndicate, 29 avril 2010.. En juillet 2012, Kenneth Waltz réitérait son point de vue en publiant dans Foreign Affairs un article au titre explicite : « Why Iran Should Get the Bomb: Nuclear Balancing Would Mean Stability »Kenneth N. Waltz, « Why Iran Should Get the Bomb: Nuclear Balancing Would Mean Stability », Foreign Affairs, Vol. 91, n° 4, juillet-août 2012, pp. 2-5..
Ces approches ne sont pas convaincantes. Il faut se rappeler que pendant la Guerre froide, à plusieurs reprises, il s’en est fallu de peu qu’une guerre nucléaire ne soit déclenchée, notamment lors de la crise des missiles à Cuba. L’URSS et les Etats-Unis, conscients de ce risque, avaient établi un téléphone rouge entre le Kremlin et la Maison blanche et de multiples canaux de communication destinés à éviter une erreur d’interprétation. De même, il existe de solides moyens de communication entre l’Inde et le Pakistan. Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui entre Israël et l’Iran, ce qui augmenterait considérablement les risques de dérapages catastrophiques.
Admettre que l’Iran puisse se retirer du TNP et acquérir l’arme nucléaire en toute impunité sous prétexte qu’Israël la possède, c’est adopter la politique du pire et la porte ouverte à ce que d’autres pays de la région suivent le même chemin.
Est-il naïf de croire en la force du droit international plutôt qu’en la loi du plus fort ?
Donald Trump ainsi que les néoconservateurs américains ne croient pas en l’efficacité des organisations internationales mais exclusivement en celle des accords bilatéraux. Il faut reconnaître que le système des Nations unies et de son Conseil de sécurité est loin d’être parfait, mais il semble de loin préférable d’essayer de le perfectionner et d’améliorer sa crédibilité et sa légitimité plutôt que de le dénigrer.
Au cours des quinze dernières années, j’ai fait des propositions très détaillées visant à faire adopter par le CSNU des mesures préventives de nature à diminuer le risque de retrait du TNP, de manière générique, c’est-à-dire ne visant aucun pays en particulierVoir notamment Pierre Goldschmidt, « Dealing Preventively with NPT Withdrawal », Nonproliferation Policy Education Center, 23 janvier 2020.. Ces propositions comprennent au moins les trois éléments suivants :
1. Etant donné que le risque qu’un Etat exerce son droit de retrait du TNP est accru lorsque l’AIEA découvre qu’il s’est livré à des activités nucléaires non déclarées, en violation de ses AGG, il est indispensable de disposer d’un mécanisme permettant de traiter rapidement et efficacement de tels cas. A cette fin, le CSNU devrait adopter une résolution générique et juridiquement contraignante :
a) accordant à l’AIEA (à sa demande et de façon temporaire) des droits de vérification élargis dès qu’un État est déclaré avoir violé ses Accords de Garanties Généralisés ;
b) obligeant l’Etat défaillant à placer toutes ses installations du cycle du combustible nucléaire sous Garanties irréversibles (voir point 3 ci-dessous).
2. Il faut se rappeler que la Corée du Nord a notifié son retrait du TNP le 10 janvier 2003, sans pour autant être immédiatement référée au CS. Ce ne fut fait que le 4 juillet 2006, soit trois ans et demi plus tard. Il a fallu que la Corée du Nord procède à un test nucléaire le 9 octobre 2006 pour que le CSNU adopte enfin une résolution juridiquement contraignante à son égard. Trop tard : les jeux étaient faits !
Dès lors, pour renforcer le régime de non-prolifération, le CSNU devrait adopter une résolution générique et juridiquement contraignante décidant que si un État notifie son retrait du TNP (un droit incontesté en vertu de son article X.1), cette notification constitue une menace pour la paix et la sécurité internationales au sens de l’article 39 de la Charte des Nations unies. Cette résolution générique devrait garantir que, dans ces circonstances, le CS se réunira immédiatement en vue de décider des mesures à appliquer dès que le retrait sera effectif (soit 90 jours plus tard). L’une de ces mesures devrait, en toute logique, être d’interdire à tous les Etats de coopérer militairement avec celui qui se retire du TNP puisque ce retrait représente une menace pour la paix et la sécurité internationales.
Comme l’illustrent les cas de l’Iran et de la Corée du Nord, l’une des plus grandes difficultés pour dissuader un Etat de violer ses engagements de non-prolifération et de ne pas respecter les résolutions juridiquement contraignantes du Conseil de sécurité est leur espoir que, pour des raisons géopolitiques ou économiques, au moins l’un des cinq membres du Conseil de sécurité disposant d’un droit de veto s’opposera à l’adoption de sanctions significatives à leur encontre.
Pour diminuer ce risque, la résolution dont il est question ici devrait inclure une déclaration des cinq membres permanents du Conseil de sécurité indiquant qu’ils considèrent le retrait du TNP comme une menace tellement importante pour la paix et la sécurité internationales que, dans ce cas, ils n’ont pas l’intention d’exercer leur droit de veto contre des sanctions spécifiques à un Etat s’ils sont le seul membre permanent à le fairePierre Goldschmidt, « Nuclear Non-proliferation: six lessons not yet learned », Arms Control Today, 20 mars 2018. . Cette déclaration d’intention n’étant pas juridiquement contraignante, elle ne priverait pas les cinq membres permanents du CSNU de leur droit de veto sur toute résolution spécifique à un Etat. Elle devrait toutefois diminuer le sentiment d’invulnérabilité de l’Etat qui envisagerait de se retirer du TNP.
A cet égard, il est intéressant de noter que le 26 avril 2023, l’Assemblée générale des Nations unies a tenu son tout premier débat formel sur l’utilisation du droit de veto au sein du Conseil de sécuritéVoir « General Assembly Holds First-Ever Debate on Historic Veto Resolution, Adopts Texts on Infrastructure, National Reviews, Council of Europe Cooperation », United Nations, 26 avril 2023. Le 26 avril 2022, l’AGNU avait adopté la résolution 76/262 dans laquelle elle : « 1. Décide que sa présidence convoquera une séance dans les 10 jours ouvrables suivant l’exercice du droit de veto par un ou plusieurs membres permanents du Conseil de sécurité, afin de tenir un débat sur la situation au sujet de laquelle le veto a été opposé […] ». .
3. L’une des principales faiblesses en matière de Garanties qui mérite une attention immédiate vient du fait que si un Etat non doté d’armes nucléaires se retire du TNP, l’Accord de Garanties Généralisées qu’il a conclu avec l’AIEA devient automatiquement caduc. Par conséquent, cet Etat peut utiliser les matières et installations nucléaires antérieurement soumises aux Garanties pour produire des armes nucléaires, comme l’a fait la Corée du Nord après son retrait en 2003, ce sans violer aucun traité international.
Pour corriger ce point faible, il faudrait exiger que, dans les Etats non dotés de l’arme nucléaire, toutes les installations sensibles du cycle du combustible nucléaire (mais pas les centrales nucléaires de puissance) soient couvertes par des accords de garanties irréversibles.
En particulier, le Groupe des fournisseurs nucléaires (GFN) devrait adopter comme condition d’exportation de matières et d’équipements nucléaires que l’Etat récipiendaire ait placé toutes ses installations du cycle du combustible nucléaire sous garanties irréversibles. Les Etats non dotés d’armes nucléaires membres du GFN devraient donner l’exemple et placer toutes leurs installations d’enrichissement et de retraitement sous garanties irréversibles. Il n’a pas été possible jusqu’ici de convaincre l’Allemagne et les Pays-Bas de le faire, alors qu’ils disposent sur leur territoire des usines d’enrichissement d’Urenco.
On peut penser que des résolutions, même juridiquement contraignantes du CSNU, n’auront jamais un effet dissuasif suffisant pour empêcher un Etat déterminé à acquérir l’arme nucléaire de mettre tout en œuvre pour y parvenir. C’est sans doute vrai, mais il ne faut cependant pas sous-estimer l’impact politique des sanctions onusiennes, bien supérieur à celui des sanctions économiques largement plus drastiques imposées unilatéralement par quelques pays.
Conclusion
Quels que soient les résultats des négociations en cours entre les Etats-Unis et l’Iran, il est sans doute trop tard pour empêcher ce dernier de devenir un Etat du seuil. Il est dès lors d’autant plus important d’adopter des mesures de nature à dissuader l’Iran d’aller un pas plus loin et de fabriquer une arme nucléaire. Au cours des deux dernières décennies, l’expérience nous a appris les nombreuses faiblesses et lacunes du régime de non-prolifération actuel.
Pour améliorer la situation, l’adoption par le Conseil de sécurité des Nations unies des deux résolutions génériques mentionnées ci-dessus ferait une réelle différence. Ces résolutions génériques sont purement préventives et non discriminatoires par nature. Elles ont été présentées au Sénat français en février 2010 par Jean-Pierre ChevènementRapport d’information, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le désarmement, la non-prolifération nucléaires et la sécurité de la France, par M. Jean-Pierre Chevènement, Sénateur (pp. 122-129), n° 332, enregistré à la Présidence du Sénat le 24 février 2010., mais les choses en sont restées là.
Pour que l’adoption de ces résolutions par le CSNU soit possible, ses cinq membres permanents devront agir de concert, en reconnaissant l’urgence d’adopter ces mesures pour atténuer les conséquences de la prochaine crise de prolifération nucléaire.
Il ne sera pas facile d’y parvenir, mais heureusement, à l’heure où les tensions sont si vives entre certains membres permanents du Conseil de sécurité, il est une chose sur laquelle ils sont tous d’accord : aucun d’entre eux ne souhaite qu’un autre pays possède la bombe.
Faut-il vraiment toujours attendre que des catastrophes se produisent pour faire évoluer les institutions nationales et internationales vers des systèmes plus aptes à garantir la paix entre les nations ?
Espérons que ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir seront convaincus des mérites des propositions rappelées ici, et auront à cœur de les faire aboutir, donnant ainsi tort à Paul Valéry, qui écrivait dans Mon Faust : « tous les politiques ont lu l’Histoire, mais on dirait qu’ils ne l’ont lue que pour y puiser l’art de reconstituer les catastrophes ».
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