Sommaire du n°3 :
Début février, l'administration Obama a présenté sa requête budgétaire pour l'année 2016 (le President Budget, PB), ainsi que sa programmation jusqu'en 2020 (FYDP, Future Years Defense Program). Cette requête de 585 milliards de dollars pour 2016 confirme la volonté de l'administration de rehausser les crédits de défense à partir de l'an prochain après cinq années consécutives de baisse. Elle comprend 534 milliards de dollars alloués au "budget de base" (soit une hausse de 6 % comparée aux budgets 2014 et 2015) et 51 milliards consacrés aux Overseas Contingency Operations (OCO), logiquement en baisse en raison du désengagement américain d'Afghanistan. Les crédits de la FYDP s'inscrivent dans une tendance baissière. Il s'agit d'absorber les 487 milliards de réduction de dépenses sur 10 ans, décidée dans le cadre du Budget Control Act (BCA) voté en 2011 pour juguler les déficits fédéraux.
Voici pour la théorie. Dans la pratique, personne à Washington ne se risque à confirmer un tel scénario. Rappelons que le BCA a fixé un plafond budgétaire fédéral, lequel correspond pour la décennie à une baisse de crédit de défense de 500 milliards supplémentaires. Ce plafond se monte à environ 499 milliards de dollars pour le budget de la défense 2016. Si le budget dépasse ce plafond sans que l'on dispose des ressources fiscales correspondantes, alors s'applique un mécanisme de "Sequestrations", de coupes automatiques de crédits. Ces Sequestrations ont déjà été appliquées en 2013 provoquant une chute de la disponibilité opérationnelle des forces américaines et une grande pagaille dans la gestion de la R&D et des acquisitions car elles s'appliquent mathématiquement à tous les programmes (hormis bien sûr les soldes des militaires). L'amendement voté en décembre 2013 (le Budget Bipartisan Act) a suspendu le mécanisme, donnant deux ans de sursis pour parvenir à un accord.
Considérant que le plafond déterminé par le BCA ne permet pas de soutenir la stratégie de défense, le DoD a choisi délibérément de s'en extraire lorsqu'il a formulé l'an dernier la Quadrennial Defense Review et le budget 2015. Or, si l'administration et les Républicains qui contrôlent le Congrès semblent d'accords pour relever ce plafond, ils divergent toujours sur la façon d'y parvenir. Certains observateurs estiment que le Congrès pourrait éviter les sequestrations en négociant des "mini-deals" sur certaines portions de dépense ou en réduisant la requête budgétaire au niveau du plafond fixé. La réduction de crédit serait du même ordre mais forcerait cette fois l'administration à faire des choix drastiques.
Sur le fond, les priorités stratégiques guidant la PB 16 sont les mêmes depuis la Defense Strategic Guidance publiée en 2012. Elles s'inscrivent dans un triple rééquilibrage (Rebalancing) affectant :
- le type d'opérations, avec une priorité accordée à la préparation d'engagements contre des adversaires hybrides et surtout disposant de capacités de déni d'accès ;
- la posture, par la poursuite du rééquilibrage vers l'Asie-Pacifique tout en maintenant l'investissement au Moyen-Orient ;
- le volume de force et de capacités dans le sens d'une force plus réduite mais à la disponibilité opérationnelle et aux capacités de projection améliorées.
La moitié des hausses de crédits se concentre sur la R&D et les acquisitions qui recueillent respectivement 70 milliards (+ 6,3 milliards au regard du budget 2015) et 107,7 milliards (+ 14 milliards par rapport à 2015). Les capacités privilégiées sont les suivantes :
Les capacités de combat aérien et naval. Elles comprennent notamment:
- le F-35 (57 appareils commandés, même si la Navy a décidé d'étaler ses commandes de F-35C embarqués),
- le bombardier de nouvelle génération (2 milliards de R&D sans compter d'autres financements classifiés),
- le ravitailleur KC-46 (12 appareils commandés),
- les capacités de guerre navale (2 sous-marins d'attaque Virginia et 2 destroyers Arleigh Burke commandés),
- les capacités de surveillance persistante (P-8 Poséidon, programmes de drones stratégiques Triton et Global Hawk, l'USAF reculant cependant le retrait du U-2 de 2016 à 2019 devant l'efficacité encore insuffisante du Global Hawk Block 30).
La modernisation de la triade de dissuasion nucléaire avec le programme de remplacement des SNLE Ohio et la modernisation des missiles Trident ;
Les capacités spatiales, avec la poursuite du développement d'architectures plus résilientes en matière de télécommunications, de positionnement/navigation/timing (PNT) (GPS III) et de capacités de lancement (5 lanceurs nouvelle génération) ;
La défense anti-missile avec notamment un effort sur la modernisation des missiles d'interception basés à terre ;
La lutte informatique ;
La frappe de précision, notamment avec le Long-Range Anti-Surface Warfare Missile (LRASM) ;
Les capacités d'ISR en environnement contesté ;
Les capacités d'opérations spéciales destinées à la guerre contre les djihadistes.
L'Army est indiscutablement le parent pauvre de ce budget. Elle poursuit la réduction de son volume de forces de 490 000 à 450 000 hommes. Ses priorités d'acquisition concernent l'aviation (commandes de 64 Apache et 39 Chinook), le Warfighter Warfighter Information Network- Tactical et le remplacement de ses véhicules de transport. En revanche, suite au fiasco du Ground Combat Vehicule, elle en reste à la modernisation de ses principaux matériels de combat terrestre : chars Abrams, blindés Bradley, etc.
Enfin, pour le plus long terme, le DoD a lancé en grande pompe l'an dernier une Defense Innovation Initiative (DII) afin de conserver une avance technologique qu'il estime en érosion. Les financements de R&D relevant de cette DII seraient de 6 à 10 milliards sur la FYDP et concerneraient les appareils de supériorité aérienne et les moteurs de nouvelle génération, les canons électromagnétiques, la capacité PNT, la surveillance spatiale ou encore la frappe à haute vitesse.