Torpilles nucléaires : que sait-on du programme Poseidon ?

Le 16 janvier 2023, TASS a annoncé la production et le déploiement des torpilles nucléaires Poseidon sur le sous-marin BelgorodGuy Falconbridge, « Russia produces first set of Poseidon super torpedoes – TASS », Reuters, 16 janvier 2023.. Les informations fournies par l’agence de presse russe sont pour l’instant parcellaires. En effet, il n’a pas été précisé si les torpilles en question étaient couplées à des têtes nucléaires, ou s’il s’agit de modèles d’essai destinés à poursuivre les expérimentations nécessaires à l’entrée en service, ce qui a créé quelques confusions dans la presse occidentaleThomas Newdick, « Russia Has Built Its First Production Batch Of Poseidon Nuclear Torpedoes: Report », The Drive, 16 janvier 2023.. Néanmoins, ces annonces semblent montrer que ce programme, qui a eu jusqu’à maintenant de larges échos médiatiques, progresse et se rapproche d’un statut opérationnel.

Pour rappel, Poseidon, également désigné par le nom de code Status‑6 ou par sa désignation OTAN Kanyon, fait partie des armes nouvelles annoncées par Vladimir Poutine le 1er mars 2018Isabelle Facon, « Le « discours du 1er mars » de Vladimir Poutine : quels messages? », Note °4/18, Fondation de la Recherche Stratégique, mars 2018.. En réalité, le système avait été décrit dès 2015, lorsqu’un fascicule le décrivant avait été volontairement ou involontairement visible dans un documentaire diffusé sur une chaîne de télévision russePauline Lévy et Emmanuelle Maitre, « Poseidon : élément accessoire ou décisif pour la dissuasion russe », Bulletin n°64, Observatoire de la Dissuasion, FRS, avril 2019.. En février 2019, la télévision russe avait également présenté des images de l’arme à l’occasion de ce qui était décrit comme des essais sous-marins réussisMatteo Natalucci, « Russia completes testing of ‘Poseidon' thermonuclear torpedo », Janes, 19 février 2019.. Le Poseidon est, selon ce qui en a été montré, une des plus grandes torpilles jamais développées, avec une longueur d’environ 20 mètres et un diamètre d’environ 2 mètres, ce qui représente approximativement le double de la taille moyenne d’un SLBMH.I Sutton, « Spy Subs -Project 09852 Belgorod, hisutton.com, 18 octobre 2019.. Également présentée comme un drone sous-marin pouvant atteindre les grandes profondeurs (1 000 mètres), elle pourrait emporter une tête thermonucléaire de deux mégatonnes pouvant cibler les bases côtières ou les ports. Ses propriétés lui permettraient de provoquer une onde de choc et un tsunami sur les zones littorales. Il est également mentionné dans la presse internationale que le Poseidon aurait des têtes de deux mégatonnes contenant du Cobalt 60, un isotope ayant comme propriété de maximiser les retombées radioactivesThomas Nielsen, « Poseidon nuclear torpedo tested in Arctic waters is primarily a psychological weapon, expert says », The Barents Observer, 17 janvier 2023..

Des interrogations sur les conséquences stratégiques du programme Poseidon demeurentPauline Lévy et Emmanuelle Maitre, op. cit., mais son exploitation politique et psychologique par les autorités russes est claire, avec une volonté de démontrer la capacité de destruction des forces nucléaires russes et leur invulnérabilité face aux systèmes de défense adverses. D’un point de vue stratégique, le terme d’arme de « troisième frappe » a été employé pour décrire le Poseidon, avec comme cibles potentielles des villes côtières dans une optique de représailles. L’hypothèse d’une détonation en mer visant à provoquer des tsunamis radioactifs a également été avancée, ajoutant à l’émotion médiatique qui entoure ce systèmeRobyn White, « What Damage Could Tests of Russia Apocalypse Poseidon Weapon Do? », Newsweek, 4 octobre 2022..

Depuis 2019, plusieurs autres types d’essai ont été annoncés par les autorités russes. En août 2021, l’analyse d’images satellitaires a donné l’impression d’une nouvelle campagne d’essais en mer Blanche, au large de Severodvinsk, à bord du bâtiment de surface Akademik AleksandrovH.I. Sutton, « New Satellite Images Hint How Russian Navy Could Use Massive Nuclear Torpedoes », USNI News, 31 août 2021..

En janvier 2023, TASS a évoqué ce qui semble être des tests d’éjection avec des maquettes de torpilles, permettant de travailler sur l’intégration du vecteur au sous-marin« Belgorod submarine completes throw tests of Poseidon torpedo model — source », TASS, 10 janvier 2023.. Quelques jours plus tard, l’agence a indiqué que d’après les autorités militaires, plusieurs autres essais réussis ont permis de valider la conformité de l’arme, en particulier concernant son système de propulsion nucléaire« First batch of nuclear-armed drones Poseidon manufactured for special-purpose sub Belgorod », TASS, 16 janvier 2023.. Même si la livraison d’armes a été annoncée, l’entrée en service opérationnel serait prévue pour 2027 au plus tôt, pour un volume d’armes estimé à une trentaineThomas Nielsen, « Poseidon nuclear torpedo tested in Arctic waters is primarily a psychological weapon, expert says », The Barents Observer, 17 janvier 2023..

La livraison d’armes expérimentales en janvier 2023, sans tête nucléaire, si ce choix est confirmé, pourrait être justifiée par le souhait de contrôler l’adéquation du sous-marin Belgorod à l’emport de ces six torpilles massives, les essais précédents n’ayant visiblement impliqué qu’une seule armeThomas Newdick, op. cit.. Ce bâtiment, unique dans sa classe à ce jour, a été officiellement lancé en avril 2019 et est réputé être entré en service en juillet 2022Howard Altman, « Russia’s Giant Nuclear Torpedo-Carrying Submarine Declared Operational, The Drive, 8 juillet 2022.. Présenté par les autorités russes comme « un bâtiment de recherche permettant de mener diverses expériences scientifiques et des opérations de sauvetage dans les zones les plus inaccessibles des océans du globe »Sam LaGrone, « Russian Doomsday Sub Belgorod Spotted in the Arctic », USNI News, 5 octobre 2022., ce sous-marin aurait avant tout une multitude de fonctions militaires. Ainsi, si le personnel de bord appartiendra à la Marine russe, le navire sera en revanche opéré par la Direction principale de la recherche en haute mer, qui dépend directement du ministère de la Défense de la fédération de Russie.

L’expert naval H.I. Sutton recense diverses fonctions pour le Belgorod, dont l’emport des torpilles nucléaires Poseidon, mais aussi le déploiement de divers drones sous-marins y compris un système de reconnaissance arctique désigné sous le nom de Harpsichord‑2P‑PM. Le sous-marin pourrait posséder six tubes pour l’emport des torpilles, mais l’analyse des images n’a pour l’instant pas permis de préjuger de leur configuration à l’intérieur du bâtiment. Une de ses autres fonctions pourrait être le placement de systèmes de détection sur le plafond sous-marin. Ces systèmes peuvent être installés et mis en œuvre par un petit sous-marin embarqué par le Belgorod. Ce type de transport de petit sous-marin multifonction sous un sous-marin plus grand a été employé par la Marine russe depuis les années 1960.

Le Belgorod aurait une dimension d’environ 178 mètres et utilise la coque construite à partir de 1992 pour construire un sous-marin destiné initialement à l’emport de missiles de croisière (classe Oscar II). Son diamètre est estimé à 15 mètres. Le tirant d’eau pourrait être de 17 000 tonnes en surface et 30 000 tonnes en plongée. Ces dimensions en font un des sous-marins à propulsion nucléaire les plus imposants actuellement opérationnels. Sa portée est a priori illimitée avec des patrouilles d’une durée de quatre moisH.I Sutton, « Spy Subs -Project 09852 Belgorod, hisutton.com, 18 octobre 2019..

La combinaison de ces différentes missions a suscité des interrogations, puisque l’utilisation du Belgorod pour des missions spéciales pourrait se révéler incompatible avec l’emport d’armes stratégiques. Pour cette raison, il a été supposé que le sous-marin puisse alterner des patrouilles de différentes natures, ou que le déploiement des Poseidon sur le Belgorod soit une solution transitoire, dans l’attente de l’entrée en service du premier sous-marin de la classe KhabarovskH.I. Sutton, « Khabarovsk-Class-Submarine », hisutton.com, 20 novembre 2020.. Le premier bâtiment de cette classe devrait entrer en service opérationnel en 2024, mais la presse russe est très discrète sur l’avancement du programme. Trois autres navires sont a priori prévus pour cette classeThomas Nielsen, « Russia’s nuclear submarine construction reaches post-Soviet high », The Barents Observer, 6 janvier 2022..

 

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Torpilles nucléaires : que sait-on du programme Poseidon ?

Emmanuelle Maitre

Bulletin n°106, février 2023



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