Le droit de retrait du TNP
Observatoire de la dissuasion n°106
Emmanuelle Maitre,
mars 2023
Il y a vingt ans, le 10 janvier 2003, la Corée du Nord annonçait son retrait unilatéral du Traité de non-prolifération (TNP). Cette décision entérinait une menace faite une décennie plus tôt, en 1993. Cette menace avait été gelée par des efforts diplomatiques visant à convaincre Pyongyang de rester partie au TNP, qui se sont finalement avérés infructueux. Depuis 2003, la question du droit des États à se retirer du Traité agite la communauté internationale, sous l’angle politique et juridique.
L’article X.I du TNP prévoit que « chaque Partie, dans l’exercice de sa souveraineté nationale, aura le droit de se retirer du Traité si elle décide que des événements extraordinaires, en rapport avec l’objet du présent Traité, ont compromis les intérêts suprêmes de son pays. Elle devra notifier ce retrait à toutes les autres Parties au Traite ainsi qu’au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies avec un préavis de trois mois. Ladite notification devra contenir un exposé des évènements extraordinaires que l’État en question considère comme ayant compromis ses intérêts suprêmes »Le deuxième alinéa de l’article X porte sur la durée de validité du Traité, initialement prévue à 25 ans..
Il existe donc une condition de forme, concernant la notification préalable aux autres États parties et au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (CSNU), et des éléments de fond, sur l’atteinte aux intérêts suprêmes. Concernant la Corée du Nord, la première condition n’a techniquement pas été remplie. Pyongyang a déclaré en 2003 un retrait à effet immédiat, en signalant avoir déjà signalé son intention de se retirer du Traité en 1993. Le moratoire de dix ans ne peut pas être formellement assimilé au préavis de trois mois prévu à l’article X. La seconde condition a été jugée inopérante par beaucoup d’États, qui ont estimé qu’aucun événement extraordinaire n’a porté atteinte aux intérêts suprêmes nord-coréens entre 1985 (date de ratification du Traité par Pyongyang) et 2003 (date de retrait). Pyongyang a évoqué l’hostilité américano-sud-coréenne, mais aucune agression réelle n’a eu lieu, et la situation de légitime défense n’a pas été reconnue par le CSNU. La Corée du Nord a également indiqué comme élément justificatif le caractère partial des inspections de l’AIEA sur son territoire, ce qui ne peut être considéré comme mettant en cause ses intérêts suprêmes de sécurité. Deux négociateurs du Traité ont présenté une analyse très détaillée démontrant l’absence de base légale de la manœuvreGeorge Bunn et Roland Timerbaev, « The right to withdraw from the nuclear nonproliferation treaty (NPT): the views of two negotiators », Yaderny Kontrol, vol. 10, n°1–2, automne 2005..
Dans les faits, le texte du TNP indique que le retrait ne peut être envisagé que si des événements ont déjà compromis ou altéré la sécurité d’une nation, pas si ces événements sont susceptibles de le faire ou menacent de le faireGrégory Boutherin, « Le Traité sur la Non-Prolifération à l’épreuve du droit de retrait », Politique Etrangère, IFRI, 2008/4, hiver 2008.. Mais concernant la qualification de l’événement en elle-même, elle appartient à l’État en questionNicholas Sims, « Withdrawal Clauses in Disarmament Treaties: A Questionable Logic? », Disarmament Diplomacy, n°42, hiver 1999., et il n’existe pas de procédure au sein du TNP permettant de vérifier son bien-fondé. Le caractère subjectif de l’appréciation a rapidement été décrit comme une fragilité du régime puisque les interprétations peuvent naturellement varier quant au caractère exceptionnel de l’événementMohamed Shaker, The Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons: A Study Based on the Five Principles of UN General Assembly Resolution 2028 (XX), thèse n° 281 de l’Institut universitaire des hautes études internationales (HEI-IHEID) de Genève, 1976.. Selon la coutume internationale, le seul élément pouvant entraver le caractère subjectif de l’appréciation de l’État est l’obligation de faire preuve de bonne foi dans la mise en œuvre des Traités, un rempart fragileChristopher Evans, op. cit..
La discussion sur le droit de retrait est rendue plus complexe par deux éléments. Tout d’abord, les grands principes de droit international public incluent le fait qu’un État souverain puisse toujours décider de mettre fin à un engagement international, en particulier si les circonstances ont changé ou en réponse à des violations par les autres États parties. Deuxièmement, le principe de réalité fait que même si un État se retire sans respecter les termes de l’article X, il est très difficile de ne pas reconnaître de facto son statut d’État non-partie. Ainsi, aujourd’hui, bien que les diplomaties occidentales soient vigilantes à mentionner la Corée du Nord comme un État partie en rupture de ses obligations« DPRK/North Korea: Statement by the High Representative on behalf of the EU on the launch of an intercontinental ballistic missile », Council of the EU, Press Release, 19 novembre 2022., la résolution du CSNU 1874 a appelé Pyongyang « à rejoindre » le TNP, transmettant l’idée d’une rupture de faitResolution 1874, S/RES/1874 (2009), Conseil de Sécurité des Nations Unies, 12 juin 2009..
Aujourd’hui, la crainte d’un retrait du TNP est particulièrement forte concernant l’IranMahsa Rouhi, « Will Iran Follow North Korea’s Path and Ditch the NPT? », Foreign Policy, 16 mars 2020.. Téhéran a depuis plusieurs années fait miroiter la menace d’un retrait du TNPGeorge Bunn et John B. Rhinelander, « NPT Withdrawal: Time for the Security Council to Step In », Arms Control Today, mai 2005.. Cette possibilité a été à nouveau mentionnée comme une option en janvier 2023Mehran Shamsuddin, « NPT withdrawal; Iran's new option », Tehran Times, 22 janvier 2023.. Contrairement à la situation qui prévalait au début de la crise nucléaire iranienne, il a été noté qu’il pourrait être défendable pour l’Iran de se retirer officiellement du TNP, avec la possibilité d’utiliser plusieurs facteurs d’évolution de son environnement stratégique pour justifier le retraitChristopher Evans, op. cit.. En particulier, le retrait américain du JCPOA en 2018 et la réimposition unilatérale de sanctions alors que l’Iran respectait à l’époque les termes de l’accord pourraient être utilisés comme facteurs justificatifs, tout comme les tensions fortes entre Téhéran et Washington depuis 2019, marquées par des affrontements indirects, des assassinats, ou des attaques sur des bases ou des équipements navalsIbid.. Naturellement, certains États, et en particulier les États-Unis, jugeraient vraisemblablement ces circonstances comme insuffisantes pour justifier la mise en œuvre de l’article XAdam Scheinman, « What if Iran leaves the NPT? », Bulletin of the Atomic Scientists, 8 juin 2018..
Mais l’Iran n’est désormais plus la seule source de préoccupation concernant le TNP. Alors que le Président sud-coréen a récemment mentionné que l’acquisition d’armes nucléaires par Séoul était envisageable « si [les menaces nord-coréennes] deviennent plus sérieuses »Jeongmin Kim, « Yoon says Seoul could rapidly acquire nukes if North Korean threats increase », NK News, 12 janvier 2023., une formulation nuancée quelques jours plus tardRajeswari Pillai Rajagopalan, « Is South Korea Considering Nuclear Weapons? », The Diplomat, 23 janvier 2023., la question de la manière dont la Corée du Sud pourrait exercer son droit de retrait du TNP a acquis une acuité particulière. En effet, certains analystes ont argumenté qu’alors que le retrait de Pyongyang du TNP était illégal, celui de Séoul serait « légal et justifié », l’article X du TNP « étant spécialement écrit pour les circonstances auxquelles la Corée du Sud fait aujourd’hui face »Jennifer Lind et Daryl Press, « Should South Korea build its own nuclear bomb? », The Washington Post, 7 octobre 2021.. D’autres observateurs ont en revanche pointé les difficultés politiques d’une telle manœuvre, notamment pour des pays comme la Corée du Sud ou le Japon, et soulignent en particulier la fenêtre de vulnérabilité créée par la période de préavis de trois moisLauren Sukin, « How International Law Could Help Preserve Nonproliferation in East Asia », Just Security, 1er décembre 2021..
L’article X du TNP et ses conditions de mise en œuvre ne peuvent donc pas être aujourd’hui considérés comme une restriction à la mise en œuvre du droit de retrait par un État. Dans ce contexte, les facteurs dissuadant un État de se retirer du TNP sont avant tout de nature politique et sécuritaire et se jouent tout autant dans les forums multilatéraux qu’au niveau bilatéral.
Le droit de retrait du TNP
Bulletin n°106, février 2023