Strategic Non-nuclear Weapons and the Onset of a Third Nuclear Age Andrew Futter et Benjamin Zala, European Journal of International Security, février 2021

Considérant que les armes stratégiques conventionnelles vont prendre une place de plus en plus importante dans la politique internationale, les deux auteurs plaident pour un changement de paradigme dans l’analyse théorique de l’ordre nucléaire tel qu’il est appréhendé aujourd’hui. Sans remettre en cause le concept même d'âge nucléaire, les auteurs considèrent pour autant que c’est une notion imparfaite mais du moins utile pour comprendre les évolutions politiques et conceptuelles qui façonnent la structure de l’ordre nucléaire mondial. Après avoir présenté les différents âges nucléaires, les auteurs estiment que le monde est à l’aube d’un troisième âge nucléaire. Le premier âge nucléaire (1945 jusqu’à la fin de la Guerre froide) est le témoin du développement des capacités nucléaires de deux superpuissances, une course aux armements et une prolifération verticale des arsenaux nucléaires. C’est durant cette période qu’apparaissent certains concepts doctrinaux comme la destruction mutuelle assurée. Le changement de paradigme et l’apparition du second âge nucléaire (1991 jusqu’à aujourd’hui) s’explique par l’apparition d’une multipolarité des acteurs nucléaires qui conduit non plus à une prolifération verticale mais à une prolifération horizontale.

Les deux auteurs considèrent qu’en 2021, le monde est toujours dans le second âge nucléaire, mais qu’il est au bord d’un troisième âge nucléaire. Ce bouleversement théorique s’expliquerait par la prolifération de nouvelles armes autres que les armes nucléaires, couplée à une crise globale du multilatéralisme et d’un blocage des mécanismes de non-prolifération et de maîtrise des armements. Ces armes auraient un potentiel de nuisance tout aussi important que les armes nucléaires. Le monde passerait donc d’une théorie où les armes nucléaires sont la principale source d’instabilité et de stabilité à un ordre nucléaire mondial dans lequel les capacités non nucléaires jouent un rôle tout aussi important au sein des doctrines de défense.

Ces nouvelles armes stratégiques conventionnelles sont, selon les deux auteurs, au nombre de quatre, la première étant les défenses antimissiles. Si la défense antimissile n’est pas nouvelle et a été envisagée durant la Seconde Guerre mondiale, ce n’est que depuis deux décennies que les technologies sont fiables et sont déployées pour protéger les intérêts vitaux d’un pays. La seconde évolution se trouve dans le développement d'armes conventionnelles pour menacer les systèmes nucléaires. Les deux auteurs font ici référence aux missiles de croisière, aux missiles hypersoniques ou encore aux missiles antisatellites. Ces derniers, s’ils ne menacent pas directement un pays comme d'autres armes, peuvent être tirés pour détruire un satellite militaire indispensable à la dissuasion d’un État nucléarisé. D’autres pratiques non cinétiques sont également citées telles que les technologies quantiques, capables de détecter un SNLE adverse en mer.

La troisième dynamique du troisième âge nucléaire s’illustre par de nouvelles capacités conventionnelles qui fournissent des moyens non cinétiques de défense ou d'attaque contre les systèmes nucléaires adverses. Les deux auteurs font référence à la multiplication de cyberattaques et l’hypothèse où ces dernières pourraient détruire à distance une arme nucléaire adverse, compromettre les secrets nucléaires voir s'introduire directement dans les systèmes de commande et de contrôle afin de bloquer un ordre de lancement. Enfin, la dernière évolution qui justifierait un passage au troisième âge nucléaire se trouve dans le développement de l'intelligence artificielle. Bien que l'IA n'en soit qu'à ses débuts, elle pourrait être utilisée pour aider à suivre, localiser et cibler les forces ennemies d'une manière toute à fait nouvelle, pouvant révolutionner les méthodes et le contexte dans lesquels les opérations nucléaires sont réalisées.

Dans la dernière partie de leur démonstration, les deux auteurs envisagent quatre scénarios possibles en cas de passage au troisième âge nucléaire :

  • Les armes nucléaires resteraient au centre de la politique de dissuasion, mais il serait de plus en plus difficile de garantir une dissuasion crédible et les États devraient fréquemment améliorer leurs forces stratégiques pour lutter contre les armes conventionnelles, ce qui conduirait à une double course aux armements.
  • Un État obtiendrait et conserverait un avantage qualitatif et quantitatif en matière d’armes stratégiques conventionnelles, ce qui créerait un avantage stratégique en remettant en question les capacités de deuxième frappe d’un adversaire et qui pourrait induire des postures de retenue par crainte d'être attaqué. Mais cela entraînerait des investissements élevés dans des contre-mesures et un maintien des forces nucléaires à des niveaux d'alerte élevés.
  • Une limitation du développement et du déploiement des armes stratégiques conventionnelles par le biais de nouveaux mécanismes de maîtrise des armements, multilatéraux ou bilatéraux. Il signifierait limiter les effets déstabilisants des armes présentées ci-dessus mais cela nécessiterait deux conditions : une volonté politique des acteurs concernés par ces armes conventionnelles ainsi que la négociation et la création d’un cadre normatif multilatéral.
  • La prolifération des armes conventionnelles pourrait compromettre la centralité des armes nucléaires dans la dissuasion d’un État. La vulnérabilité des forces nucléaires à l'égard des armes conventionnelles ferait du recours à ces dernières une option plus crédible pour tous les États pour assurer leurs intérêts vitaux. Ces derniers s'appuieraient donc sur des armes conventionnelles pour leur dissuasion plutôt que sur les armes nucléaires.

En guise de conclusion, après avoir rappelé que le troisième âge nucléaire n’est qu’une construction théorique mais que celui-ci va créer de nouvelles dynamiques et doctrines dans les années à venir, les deux auteurs estiment que la meilleure option en réponse à l’augmentation du potentiel de nuisance des armes conventionnelles serait la troisième option, à savoir le développement d’un régime multilatéral de limitation de ces armements. Les première et deuxième hypothèses seraient en effet trop coûteuses, dangereuses et trop déstabilisantes et la dernière hypothèse quant à elle est la moins crédible. Pour autant, si l’hypothèse d’une limitation de ces armements semble la meilleure d’après les deux auteurs, on remarque que le contexte politique international reste relativement peu favorable à la négociation de traités multilatéraux de maîtrise des armements, comme l’illustre l’absence encore aujourd’hui de règles internationales concernant les missiles antisatellites, développés depuis le début de la conquête spatiale.

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Strategic Non-nuclear Weapons and the Onset of a Third Nuclear Age Andrew Futter et Benjamin Zala, European Journal of International Security, février 2021

Bulletin n°87, mai 2021



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