Le FMCT : prochaine étape du désarmement multilatéral ?

Alors que la Conférence du désarmement (CD) s’ouvre à Genève, ce forum de discussion reste miné par des désaccords politiques qui le rendent dysfonctionnel. Parmi les victimes de la paralysie de la CD, le projet de FMCT tend à glisser hors du spectre des priorités de certains acteurs qui le considèrent de plus en plus comme une cause perdue. Pourtant, lors de l’adoption de la résolution de l’AGNU 48/75 en 1993, le FMCT semblait la prochaine étape logique en matière de désarmement. En 1995, sous la houlette du diplomate canadien Gerald Shannon, la CD a créé un groupe de travail visant à négocier « un traité multilatéral et non discriminatoire sur les matières fissiles utilisables pour la fabrication d’armes nucléaires ». Dès cette époque, des divergences fortes sont apparues sur la question de la vérification du Traité. Un comité ad hoc a été formé en 1998 dans cette optique, mais dès 1999, la CD a été incapable de s’accorder sur un programme de travail. Cette paralysie a été brièvement interrompue en 2009, sans pour autant pouvoir envisager un travail de fond sur le sujet.

En 2014 et 2015, des développements positifs ont été observés avec la création d’un groupe d’experts gouvernementaux (GGE) qui a permis de publier une ébauche de traité et d’identifier les points de consensus au sein d’un panel globalement représentatif, et les points de divergencesGroup of Governmental Experts to make recommendations on possible aspects that could contribute to but not negotiate a treaty banning the production of fissile material for nuclear weapons or other nuclear explosive devices, A/70/81, 7 mai 2015.. En 2017 et 2018, un nouveau groupe préparatoire d’expert a été convoqué. S’appuyant sur le travail déjà réalisé, il a eu pour objectif de réaliser un travail plus objectif en listant les différentes options possibles pour le traité, que ce soit sur le fond ou sur la forme, et d’en signaler les implicationsHigh-level fissile material cut-off treaty expert preparatory group, A/73/159, 13 juillet 2018..

Malgré ces travaux, auxquels il faut ajouter ceux des centres de recherches et des experts qui ont proposé des réflexions poussées sur le contenu du traité et ses modalités de vérification et de mise en œuvreVoir en particulier les travaux de l’International Panel on Fissile Material (IPFM), UNIDIR, Belfer Center, SIPRI, VERTIC, PRIF, AIEA ou de l’Oxford Research Group., ou les propositions de Traité publiées par les ÉtatsVoir par exemple le projet soumis par la France en 2015, ou par les États-Unis en 2006., le FMCT fait face aujourd’hui à des défis importants. Au niveau de la forme, tout d’abord, le blocage de la CD semble devoir perdurerNotamment en raison des désaccords sur le désarmement de manière large, de la prévention d’une course aux armements dans l’espace ou encore de la question des garanties négatives de sécurité., ce qui a conduit certains États à proposer un format de négociation ad hoc. Pour autant, de nombreux États restent attachés au format officiel et ouvrir les négociations ailleurs pourrait conduire à aliéner un nombre substantiel d’États. Sur le fond, le principal point de désaccord est la prise en compte par le traité des stocks existants. Alors que les États du P5 s’y opposent, le Pakistan notamment estime que c’est indispensable pour ne pas rendre définitive son infériorité vis-à-vis d’un pays comme l’Inde, dont la capacité de production de matière fissile et les stocks sont actuellement supérieurs aux siens. Beaucoup estiment qu’une forme de transparence sur les stocks serait nécessaire au bon fonctionnement du régime. À ce titre, la question de la vérification est elle aussi controversée. Le mandat Shannon semble clairement favoriser un traité vérifié, mais en 2006, les États-Unis ont proposé une ébauche de traité sans modalité de vérification, les jugeant irréalistes. Depuis, l’administration est revenue sur cette position de principe mais les visions sont assez divergentes sur la mise en œuvre d’un système de vérification, le mandat d’éventuels inspecteurs, leur nature et les limites éventuelles à la transparence et à l’ouverture. Enfin, des désaccords existent sur les matières devant être interdites. Les efforts diplomatiques ont pour l’instant porté principalement sur l’UHE à fins militaires et le plutonium, mais plusieurs experts ont noté l’intérêt potentiellement d’instaurer une forme de contrôle sur l’ensemble de l’UHE et sur d’autres matières fissiles pour éviter tout risque de diversion.

Dans ce contexte, et devant ces obstacles, revendiquer la négociation d’un FMCT est-il encore pertinent aujourd’hui ? Au niveau concret, la production de matières fissiles est aujourd’hui limitée à l’Inde, au Pakistan, et potentiellement à Israël ou la Corée du Nord. Les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni et la France ont tous adopté des moratoriums sur la production de matière fissile. La Chine refuse de rejoindre le moratorium mais les experts considèrent généralement qu’elle ne produit plus de plutonium ou d’UHE pour ses armes« Countries: China », International Panel on Fissile Materials, 29 avril 2021.. Les États dotés cherchent donc tous à pratiquer le recyclage des matières pour garantir la pérennité de leur dissuasion. D’un point de vue des États dotés, les effets d’un FMCT seraient donc relativement limités. Il ne serait néanmoins pas nul, dans la mesure où il officialiserait les moratoriums adoptés et rendraient irréversibles les engagements pris. Par ailleurs, il pourrait conduire, notamment concernant les États-Unis et la Russie, à ce que les matières classées en excès soient effectivement diluées et ne puissent plus être utilisées pour augmenter le volume des arsenaux. Un FMCT plafonnerait donc d’une certaine manière les matières disponibles pour la production d’armes. Deuxièmement, son intérêt dans le domaine de la non-prolifération et de la sécurité nucléaire apparaît plus nettement.

Au niveau politique, renoncer à l’objectif du FMCT serait un coup rude porté au processus de désarmement par étape. De fait, le soutien pour le Traité reste régulièrement exprimé, par exemple par le NPDI dans leurs recommandations à la conférence d’examen du TNP publiées en octobre 2020Lettre ouverte du NPDI aux États dotés de l’arme nucléaire : Chine, France, Russie, États-Unis et Royaume-Uni, octobre 2020., ou encore par les participants de la Stepping Stone InitiativeStepping stones for advancing nuclear disarmament, Joint working paper submitted by Argentina, Canada, Finland, Germany, Indonesia, Japan, Jordan, Kazakhstan, the Netherlands, New Zealand, Norway, the Republic of Korea, Spain, Sweden and Switzerland, NPT/CONF.2020/WP.6, 12 mars 2020.. De son côté, l’Union Européenne a adopté en 2017 une décision de soutien au FMCT. Le projet, mis en œuvre par l’UNODA, vise à accroître les connaissances des enjeux liés au FMCT des représentants officiels, académiques, ONG des pays d’Afrique, d’Asie-Pacifique et d’Amérique latine et Caraïbes pour permettre un débat informé lors de l’ouverture des négociationsDécision (UE) 2017/2284 du Conseil du 11 décembre 2017 visant à accorder un soutien à des États des régions Afrique, Asie-Pacifique et Amérique latine-Caraïbes en vue d'une participation au processus consultatif mené par le groupe d'experts de haut niveau chargé de l'élaboration du traité interdisant la production de matières fissiles.. L’on peut donc s’attendre à ce que lors de la prochaine conférence d’examen du TNP, qui pourrait être à nouveau reportée, l’ensemble des États parties s’accorde à tout le moins sur la nécessité d’engager au plus vite le processus de négociation du FMCT.

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