Nouvelle loi sur le nucléaire en Corée du Nord

Début septembre, à l’occasion du 74ème anniversaire de la République populaire et démocratique de Corée (RPDC), l'Assemblée populaire suprême a adopté une nouvelle loi visant à détailler la politique nucléaire et la doctrine de dissuasion du pays. Elle remplace celle adoptée en 2013 qui était bien plus courte, et dote ainsi le pays d’un document spécifique et explicite, comme les autres puissances nucléaires. S’il n’y pas de réelle surprise, cette loi vient cependant lever certaines incertitudes et apporter une plus grande clarté dans la compréhension de la doctrine du pays, notamment en matière de missions de l’arsenal, de système de commandement et de contrôle des forces nucléaires, et de frappes préemptives (la loi est traduite par l’auteur en français en annexe).

Et si le président des Affaires d'État, Kim Jong-un, a déclaré que le statut de la Corée du Nord en tant que possesseur d'armes nucléaires était « irréversible », qu’il n’y aura « jamais de déclaration d'abandon des armes nucléaires ou de dénucléarisation », et ce même si Washington maintient des sanctions pendant « un millier d'années », cela n’est en rien nouveau. Ce n’est que l’énième formulation par le dirigeant que le pays n’entend pas dénucléariser. Les dirigeants nord-coréens entendent à travers la multiplication des essais balistiques, courte portée comme longue portée, et l’évolution de la doctrine nucléaire être en position de force.

Premièrement, les forces nucléaires sont chargées de « défendre la souveraineté, l'intégrité territoriale et les intérêts fondamentaux de l'État, de prévenir une guerre dans la péninsule coréenne et en Asie du Nord-Est, et d'assurer la stabilité stratégique mondiale ». Ces « intérêts fondamentaux » ne sont évidemment pas définis et l’ensemble de la loi vise à légitimer une flexibilité maximale dans l’utilisation des armes. Surtout, en lien avec le discours du dirigeant d’avril 2022 sur la « mission secondaire » des forces nucléaires, il est précisé que si leur mission première est de dissuader une guerre, leur « mission opérationnelle » est de « repousser l'agression et l'attaque des forces hostiles, et obtenir une victoire décisive en cas d'échec de la dissuasion ». Cette évolution a été explicitement mise en pratique dans les exercices réalisés à la fin du mois de septembre, présentés par le pays comme visant à évaluer « la dissuasion de guerre et la capacité de contre-attaque nucléaire », et est cohérente avec l’annonce du développement d’armes tactiques et des vecteurs courte portée associés depuis plusieurs années désormais.

Le scénario de frappes nucléaires tactiques contre la Corée du Sud sans même qu’il y ait eu une attaque américaine peut également se poser. Si la loi précise que le pays n’utilise pas d'armes nucléaires contre les États n’en disposant pas, une exception est faite contre ceux qui « participent à l'agression ou à l'attaque contre la RPDC en collusion avec d'autres États dotés d'armes nucléaires. » L’existence même de l’alliance ROKUS fait-elle par exemple qu’en cas de frappes unilatérales de la seule Corée du Sud, dans le cadre notamment de leur stratégie dite de « Punitions et représailles massives coréennes » (KMPR), le pays s’exposerait à des frappes nucléaires nord-coréennes ? De plus, la question demeure de savoir la complémentarité de la doctrine nucléaire nord-coréenne avec des politiques coercitives sous couvert de « sanctuarisation agressive »…

Deuxièmement, le système de commandement et de contrôle des forces nucléaires est explicité par rapport à la loi de 2013, notamment concernant la pré-délégation de l'autorité de lancement. Si le président des Affaires d'État a tous « les pouvoirs décisifs concernant les armes nucléaires », il est précisé que si le système de C2 étaient « mis en danger », ce qui est un terme bien plus vague que neutraliser, alors « une frappe nucléaire sera lancée automatiquement et immédiatement ». L’objectif est évidemment de dissuader de toute frappe de décapitation, y compris conventionnelle, contre le régime et notamment son dirigeant.

Cette évolution doctrinale est une réponse directe notamment au développement par la Corée du Sud de sa stratégie dite de « Kill Chain » qui vise, en cas de guerre, à cibler rapidement les dirigeants nord-coréens avant qu'ils ne puissent donner ordonner des frappes nucléaires. Si cette stratégie n’est pas nouvelle, elle a été fortement médiatisée par l’administration Yoon Suk-yeol depuis son arrivée au pouvoir au printemps 2022. Se pose également la question de la réaction des forces nucléaires, au cours d’une crise majeure, en cas de dégradation ou de défaillance des capacités de communication nord-coréennes – y compris celles qui relient le dirigeant aux commandants de l'Armée populaire coréenne…

Troisièmement, le recours à des frappes nucléaires préemptives (et non préventives comme malheureusement trop souvent écrit dans la presse généraliste) est annoncé. Dans les cinq scénarii d’emploi des armes présentés dans l’article 6 de la loi, il est explicitement mentionné qu’ils s’appliquent à des cas d’attaques lancées ou « jugées imminentes », ce qui n’était précédemment pas mentionné dans la loi de 2013. Le pays s’engage donc à recourir à ses armes nucléaires s’il considère que son arsenal est sur le point d’être menacé ou plus largement si les intérêts fondamentaux du pays sont sur le point de l’être. Si des questions se posent évidemment sur les capacités réelles du pays en matière d’alerte avancée, cette annonce renforce le risque d’erreurs en cas de fausse alerte ou d’incompréhension vis-à-vis des intentions américaines ou sud-coréenneExactement le scénario imaginé dans le roman d’anticipation de Jeffrey Lewis publié en 2018, The 2020 Commission Report on the North Korean Nuclear Attacks against the United States of America..

 

Annexe : Loi de l'Assemblée populaire suprême de la RPDC sur la politique d'État

en matière de forces nucléaires, promulguée le 8 septembre 2022.

Selon la loi, la RPDC, en tant qu'État responsable en matière d'armes nucléaires, s'oppose à toutes les formes de guerre, y compris les guerres nucléaires, et aspire à construire un monde pacifique dans lequel la justice internationale est réalisée.

Les forces nucléaires de la RPDC sont un moyen puissant de défendre la souveraineté, l'intégrité territoriale et les intérêts fondamentaux de l'État, de prévenir une guerre dans la péninsule coréenne et en Asie du Nord-Est et d'assurer la stabilité stratégique mondiale.

Le dispositif nucléaire de la RPDC est garanti par une dissuasion nucléaire fiable, efficace et mature, une politique défensive et responsable en matière de forces nucléaires, et une stratégie flexible et ciblée d'utilisation de l'arme nucléaire capable de faire face activement à toutes les menaces nucléaires existantes et en développement à l'avenir.

L’effort d’ouverture de la politique de la RPDC sur les forces nucléaires et la stipulation légale de l'utilisation des armes nucléaires visent à réduire au maximum le danger d'une guerre nucléaire en empêchant les erreurs de jugement entre les États dotés d'armes nucléaires et l'utilisation abusive des armes nucléaires.

L'Assemblée populaire suprême de la RPDC décide ce qui suit afin de faire des forces nucléaires l'épine dorsale de la capacité de défense de l'État et de s'acquitter de leur lourde mission de manière responsable.

  1. Mission des forces nucléaires.

Les forces nucléaires de la RPDC sont une force principale de la défense de l'État qui protège la souveraineté et l'intégrité territoriale du pays, ainsi que la vie et la sécurité du peuple contre les menaces, les agressions et les attaques militaires extérieures.

  • Les forces nucléaires de la RPDC considèrent comme leur mission principale de dissuader une guerre en faisant en sorte que les forces hostiles comprennent clairement que la confrontation militaire avec la RPDC entraîne la ruine et renoncent à toute tentative d'agression et d'attaque.
  • Les forces nucléaires de la RPDC mènent une mission opérationnelle pour repousser l'agression et l'attaque des forces hostiles, et obtenir une victoire décisive en cas d'échec de la dissuasion.



    2. Constitution des forces nucléaires.

Les forces nucléaires de la RPDC sont composées de différents types de têtes nucléaires, de vecteurs, d'un système de commandement et de contrôle et de tout le personnel, l'équipement et les installations nécessaires au fonctionnement et à la modernisation du système.

  1. Commandement et contrôle des forces nucléaires.
    • Les forces nucléaires de la RPDC obéissent au commandement monolithique du président des Affaires d'État de la RPDC.
    • Le président des Affaires d'État de la RPDC a tous les pouvoirs décisifs concernant les armes nucléaires. L'organisation de commandement des forces nucléaires d'État composée de mem­bres nommés par le président des Affaires d'État de la RPDC assiste le président des Affaires d'État de la RPDC tout au long du processus, de la décision concernant les armes nucléaires à l'exécution.
    •  Dans le cas où le système de commandement et de contrôle des forces nucléaires d'État est mis en danger par une attaque de forces hostiles, une frappe nucléaire sera lancée automatiquement et immédiatement pour détruire les forces hostiles, y compris l’origine de la provocation et le commandement, conformément au plan d'opération décidé à l'avance
  2. Exécution de la décision d'utiliser des armes nucléaires.

Les forces nucléaires de la RPDC exécutent immédiatement l'ordre d'utilisation des armes nucléaires.

  1. Principe de l'utilisation des armes nucléaires.
    • La RPDC a pour principe fondamental d'utiliser les armes nucléaires en dernier recours pour faire face à une agression et une attaque extérieures menaçant gravement la sécurité du pays et du peuple.
    • La RPDC ne menace pas les États non dotés d'armes nucléaires avec ses armes nucléaires et n'utilise pas d'armes nucléaires contre eux, à moins qu'ils ne participent à l'agression ou à l'attaque contre la RPDC en collusion avec d'autres États dotés d'armes nucléaires.

       
  2. Conditions d'utilisation des armes nucléaires.

La RPDC peut utiliser des armes nucléaires dans les cas suivants :

  • En cas d’attaque lancée par des armes nucléai­res ou d'autres armes de destruction massive, ou jugée imminente.
  • En cas d'attaque nucléaire ou non nucléaire lancée par des forces hostiles contre les dirigeants de l'État et l'organisation du commandement des forces nucléaires de l'État, ou jugée imminente.
  • En cas d’attaque militaire fatale lancée contre des objets stratégiques importants de l'État, ou jugée imminente.
  • Dans le cas où la nécessité d'une opération visant à empêcher l'expansion et la prolongation d'une guerre, et à prendre l'initiative dans la guerre, est jugée inévitable.
  • Dans d'autres cas où une situation inévitable dans laquelle impose de faire face à une crise catastrophique pour l'existence de l'État et la sécurité de la population en devant utiliser des armes nucléaires.
  • Préparation régulière des forces nucléaires.

Les forces nucléaires de la RPDC doivent être régulièrement prêtes à l'action de sorte que si un ordre d'utiliser des armes nucléaires est émis, elles peuvent immédiatement l'exécuter dans n'importe quelles conditions et circonstances.

  1. Entretien, gestion et protection sûrs des armes nucléaires.
    • La RPDC établit un système complet et sûr de stockage et de gestion des armes nucléaires afin de s'assurer que tous les processus tels que leur stockage et leur gestion, l'évaluation de leur durée de vie et de leur performance, ainsi que leur modernisation et leur démantèlement, sont menés conformément aux réglementations administratives et techniques et aux procédures juridiques, et garantit sa mise en œuvre.
    • La RPDC prendra des mesures de protection approfondies afin d’éviter que les armes nucléai­res, la technologie et les équipements concernés, et les substances nucléaires, ne fuitent.
  2. Augmentation et mise à niveau qualitatives et quantitatives des forces nucléaires.
    • La RPDC évaluera constamment les menaces nucléaires extérieures et les changements dans la position des forces nucléaires internationales et améliorera et renforcera en conséquence ses forces nucléaires de manière qualitative et quan­titative en réponse à ces menaces.
    • La RPDC mettra régulièrement à jour sa stratégie d'utilisation des armes nucléaires en fonction des différentes situations afin de permettre à ses forces nucléaires de remplir leur mission de manière fiable.
  3. Non-prolifération.

La RPDC, en tant qu'État responsable en matière d'armes nucléaires, ne déploie pas d'armes nucléaires sur le territoire d'autres pays, ne les partage pas et ne transfère pas d'armes nucléaires, de technologies et d'équipements concernés, ni de matières nucléaires de qualité militaire.

  1. Autres.
    • La Loi de l'Assemblée populaire suprême de la RPDC « Sur la poursuite de la consolidation de la position de l'État doté d'armes nucléaires s’auto-défendant » adoptée le 1er avril 2013 est invalide.
    • Les organes compétents prendront des mesures techniques pour exécuter la loi.
    • Aucun des articles de la loi n'est expliqué pour restreindre ou limiter l'exercice du juste droit à l'auto-défense de la RPDC.
 

 

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Nouvelle loi sur le nucléaire en Corée du Nord

Antoine Bondaz

Bulletin n°103, novembre 2022



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