Hypersonic Missile Nonproliferation Hindering the Spread of a New Class of Weapons
Observatoire de la dissuasion n°49
décembre 2017
La question des armes hypersoniques est régulièrement abordée sous l’angle stratégique. En effet, les Etats-Unis s’interrogent régulièrement sur les options qu’elles peuvent créer notamment pour permettre des frappes conventionnelles de nature stratégique, sur de très longues distances et contre des cibles endurcies. Les programmes chinois et russes sont également étudiés, souvent perçus comme un risque pour la stabilité stratégique du fait de leur potentiel caractère dual (conventionnel et nucléaire). De part et d’autre, les atouts stratégiques de ces systèmes sont analysés : capacité à surmonter des défenses antimissiles en développement, capacité à remplacer des missions traditionnellement nucléaires par des armes conventionnelles, capacité à frapper des cibles difficiles d’accès. Néanmoins, la technologie hypersonique est régulièrement citée comme une rupture pouvant modifier le sens de la dissuasion telle que pratiquée aujourd’hui. Le rapport de la RAND Corporation présente l’intérêt de s’intéresser à ses questions sous l’angle de la prolifération, en s’interrogeant sur la pertinence et la faisabilité de limiter la dissémination de ces armes, au terme d’un travail d’analyse technique, académique, politique et diplomatiqueRichard H. Speier, George Nacouzi, Carrie A. Lee, Richard M. Moore, Hypersonic Missile Nonproliferation Hindering the Spread of a New Class of Weapons, RAND Corporation, 2017..
Le rapport commence par une description des deux types de technologies hypersoniques envisagées à l’heure actuelle, d’une part les véhicules planant (HGV ou hypersonic glide vehicle) et de l’autre les missiles de croisière pouvant évoluer à une vitesse supérieure à Mach 5. Trois pays ont des programmes de recherche actifs sur ce type d’armes (Etats-Unis, Russie et Chine). Au vu des avancées actuelles, les auteurs estiment que les premiers systèmes pourraient être déployés d’ici une dizaine d’années.
Dans leur recherche, les experts de la RAND analysent les conséquences stratégiques de la prolifération de ce type de technologie et de missiles. Tout d’abord, ils montrent que la combinaison entre manœuvrabilité, rapidité et altitude les rend extrêmement difficiles à intercepter. De fait, ils sont particulièrement précieux pour surmonter les défenses antimissiles développées jusqu’à présent. Par ailleurs, de par leur rapidité, ils limitent fortement le temps de réaction d’un pays touché par une frappe « de décapitation ». Pour l’équipe, les réponses pouvant être adoptées, notamment pour les pays qui investissent désormais dans la défense antimissile, sont potentiellement déstabilisatrices. Ils évoquent des pistes permettant de gérer un temps de vol raccourci, comme l’adoption d’une posture de lancement sur alerte, des mesures de pré-délégation des forces stratégiques ou de dispersion des armes, leur protection ou encore des stratégies de frappes préemptives. A leurs yeux, ces initiatives pourraient accroître les tensions dans des zones déjà complexes, comme le Moyen Orient ou l’Asie du Nord-Est. Ils estiment donc que la prolifération des armes hypersoniques doit être évitée.
A ce stade, les auteurs du rapport procèdent à un tour d’horizon des programmes existants, en dehors des projets relativement matures aux Etats-Unis, en Russie et en Chine. Seuls quelques pays leur semblent avoir effectué des recherches notables sur le sujet. Parmi eux, la France est citée pour ses recherches sur un missile de croisière hypersonique pouvant remplacer l’ASMPA, initialement favorisée par une coopération avec la Russie. L’Inde est le deuxième Etat considéré pour ses recherches sur le Brahmos II, qui pourrait également être hypersonique et serait visiblement utilisé pour des missions antinavires conventionnelles. Là plus encore, la coopération avec Moscou serait essentielle dans le projet. Des projets purement nationaux seraient en revanche peu avancés.
L’Australie est de son côté plutôt tournée vers les Etats-Unis avec des projets collaboratifs menés notamment avec l’Université du Queensland et l’US Air Force autour des technologies de super statoréacteur. Côté japonais, les programmes de recherche concernent l’exploitation d’une flotte d’avions civils pouvant voler en vitesse de croisière au-delà de Mach-5. Certaines recherches sont menées en partenariat avec l’UE, qui finance actuellement trois équipes de recherche sur le sujet.
Bien que les pays consacrant des ressources pour ces programmes soient très peu nombreux à ce jour, le rapport estime qu’il est délicat de prévenir la prolifération de ces technologies, car un grand nombre de laboratoires travaillent de manière large sur l’hyper-vélocité, les coopérations internationales sont répandues et essentielles, les recherches menées sont le plus souvent justifiées comme exclusivement civiles et les résultats des expériences menées sont publiées et aisément accessibles.
Néanmoins, il suggère d’adopter plusieurs mesures pour limiter leur prolifération. Au niveau purement américain, il conseille de classifier davantage de documentations liées aux recherches sur les questions hypersoniques, et d’adopter des mesures plus restrictives en termes de contrôle aux exportations. Par ailleurs, il suggère de commencer des recherches sur les techniques de défense adaptées aux armes hypersoniques. Cependant, il juge plus opportun de réfléchir dès maintenant à des initiatives multilatérales. A ce titre, il note la complexité politique d’adopter un régime de prohibition de ce type d’armes et estime que réglementer les exportations des systèmes et sous-systèmes serait plus réaliste. Cela peut passer par le MTCR dont les règles pourraient être adaptées pour inclure ces nouvelles armes. Alternativement, un accord entre Washington, Moscou et Beijing serait déjà particulièrement utile pour définir les composants susceptibles d’être réglementés.
Les auteurs concluent à la nécessité de s’engager rapidement dans cette voie pour freiner le cycle de réactions potentiellement déstabilisantes entrainées par le développement des armes hypersoniques, et ce dans les dix ans qui devraient être nécessaires à leur développement opérationnel.
Hypersonic Missile Nonproliferation Hindering the Spread of a New Class of Weapons
Richard H. Speier, George Nacouzi, Carrie A. Lee, Richard M. Moore
Bulletin n°49, décembre 2017