Disruptive Technologies and Nuclear Risks: What’s New and What Matters

Auteur de plusieurs ouvrages et articles dédiés aux nouvelles technologies ainsi qu’à la maîtrise des armements, Andrew Futter (Université de Leicester) analyse dans son article « Disruptive Technologies and Nuclear Risks: What’s New and What Matters » les conséquences de l’évolution des technologies de rupture sur la stabilité stratégiqueAndrew Futter, « Disruptive Technologies and Nuclear Risks: What’s New and What Matters », Survival, vol. 64, n°1, 2022..

Futter s’intéresse pour commencer aux technologies qui pourraient faciliter les attaques préventives contre les vecteurs nucléaires. En effet, certaines avancées vont selon lui rendre plus vulnérables aux tentatives de destruction les SLBM et les plateformes terrestres. C’est le cas des capteurs à distance, des plateformes de surveillance plus poussées et des capacités de communication renforcées permettant des échanges plus rapides et plus précis des informations. La traçabilité des vecteurs est également facilitée par l’imagerie en temps réel et leur survie menacée par des systèmes de guidage de précision, entre autres. Cependant, cette vulnérabilité varie. Ainsi, Futter estime que les sous-marins russes et chinois resteront plus faciles à localiser que ceux conçus par les Américains et Britanniques. Cependant, ces évolutions peuvent interroger à ses yeux la pertinence de la stratégie britannique reposant exclusivement sur l’utilisation de la composante marine.

Pour l’auteur, une stratégie de frappe préventive restera très aléatoire dans le futur. Le danger principal repose donc sur une vulnérabilité accrue et susceptible de déstabiliser les relations entre puissances nucléaires. Pour répondre à ce problème, Futter souligne l’importance d’une « retenue stratégique » ainsi que d’une mobilisation politique de la part de ces acteurs contraints de reconnaître le principe de vulnérabilité mutuelle.

Futter sonde ensuite les conséquences de la prolifération des missiles hypersoniques. Selon Fuller, leurs atouts en font des évolutions des missiles actuels plus que des armes entièrement nouvelles. Il distingue trois ambiguïtés qui exacerbent les menaces nucléaires existantes (sans réellement en créer de nouvelles) et intensifient le dilemme de sécurité. Il s’agit de la trajectoire de vol imprévisible qui complique l’identification de la destination, la méconnaissance des cibles qui complique l’identification des intentions de l’agresseur (un problème toutefois déjà présent avec les missiles balistiques), et la difficulté de savoir si le missile porte une charge conventionnelle ou nucléaire.

Futter estime que les armes hypersoniques ne présentent pas nécessairement beaucoup plus d’avantages stratégiques ou militaires que des missiles de croisière ou balistiques réguliers, mais elles représentent une menace pour la stabilité stratégique car elles facilitent malentendus et quiproquos. Il avance comme solution l’inclusion d’une limite de déploiement d’armes hypersoniques dans le New Start et autre futur traité ainsi qu’un effort de transparence et une « claire séparation géographique entre les systèmes utilisés pour transporter les armes nucléaires et conventionnelles ».

Futter étudie ensuite les systèmes de neutralisation des missiles balistiques, particulièrement ceux conçus pour neutraliser l’arme avant qu’elle soit tirée. En effet, les effets négatifs des systèmes de défense antimissile balistique (BMD) sur la stabilité nucléaire ont été pointés dès leurs premiers déploiements dans les années 1960. Toutefois, les risques qu’ils posent se voient décuplés par deux développements. Le premier est la diffusion de systèmes de plus en plus performants et élaborés pour une interception cinétique non-nucléaire. Ceci compose une capacité « right-of-launch », c’est-à-dire capable de neutraliser le missile après le tir. Deuxièmement, la stabilité est menacée par la volonté de développer les capacités de neutraliser un missile avant même qu’il soit tiré (« left of launch ») grâce à des attaques électroniques et l’exploitation du réseau informatique. Il s’agit donc de compléter les systèmes de défense antimissile en interférant avec les processus et plateformes de lancement.

Selon Futter, ces systèmes seraient d’autant plus préoccupants lorsque combinés à des frappes de haute précision ; une situation dans laquelle un État fort de ces capacités serait en mesure de détruire des armes nucléaires tout en se protégeant de toutes représailles grâce à des systèmes de neutralisation. Les capacités présentées par de telles armes imposent une nouvelle pression sur la dissuasion nucléaire et risquent de considérablement renforcer les sentiments d’insécurité.

Les nouvelles technologies introduisent donc des risques certains d’escalade, notamment en ce qui concerne le domaine spatial où un nombre important d’opérations militaires prennent place. Ces dernières ne sont pas dénuées de rôle nucléaire puisqu’elles peuvent permettre la détection de lancements de missiles, le suivi de leur trajectoire de vol ainsi que la production d’un ensemble de données et d’informations. Bien qu’ils ne soient pas nouveaux, Futter estime qu’un des dangers futurs majeurs concerne donc les armes antisatellites destinées à priver une puissance de ces aptitudes et dont la destruction déclencherait sans nul doute un cycle d’escalade.

Par ailleurs, l’expansion des capacités de communication, en termes de vitesse ainsi que de précision, pose la question de la qualité et véracité des informations diffusées, notamment sur les réseaux sociaux. Futter pose la question de l’implication « d’opérations d’information » et de la « militarisation des réseaux sociaux », particulièrement sujets à la désinformation, dans l’éclatement ou l’envenimement d’un futur conflit nucléaire.

Enfin, Futter s’intéresse aux dynamiques d’automatisation grâce aux progrès de l’intelligence artificielle. L’intelligence artificielle pourrait jouer un rôle de plus en plus important dans les commandes, le contrôle et les communications. Elle peut également contribuer à l’amélioration des renseignements quant à la position des vecteurs nucléaires mobiles et améliorer la précision des opérations grâce à de meilleures capacités de réaction à l’environnement, en modifiant la trajectoire d’un missile post-tir par exemple. Plus d’autonomie peut également être accordée aux plateformes de lancement.

Cependant, ces formes d’automatisation sont aussi inquiétantes car elles pourraient porter atteinte à la sécurité des forces de seconde frappe et faciliter l’escalade. En effet, l’intelligence artificielle est vulnérable aux cyberattaques ainsi qu’à l’usurpation des données, un risque qui s’amplifie avec la délégation progressive du contrôle. Ces inconvénients dissuadent pour l’instant les puissances nucléaires de confier une partie trop importante des décisions militaires à l’IA. Futter juge qu’alors que toutes les formes d’intelligence artificielle ne pourront être soumises à un régime de contrôle des armements, il est plus qu’envisageable qu’un accord politique empêchant le déploiement d’armes nucléaires entièrement autonomes soit atteint.

Futter conclut donc que ces avancées technologiques contribuent à brouiller les délimitations entre les forces nucléaires et conventionnelles, et à instaurer un climat dans lequel les décisions sont précipitées, favorisant un environnement incertain propice à l’escalade de la violence. Toutefois, il met en garde contre un déterminisme technologique qui insinuerait que les défis imposés par ces nouvelles technologies sont sans issue. Si les dangers causés par les nouvelles technologies ne doivent pas être ignorés et constituent en effet un obstacle à la stabilité nucléaire, beaucoup pourraient être endigués grâce à des cadres stratégiques et politiques organisant ces aspects de la gouvernance nucléaire.

 

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Disruptive Technologies and Nuclear Risks: What’s New and What Matters

Emmanuelle Maitre

Bulletin n°97, avril 2022



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