La Chine publie quotidiennement des chiffres confirmant la quasi-disparition de nouveaux cas sur son territoire. S’appuyant sur ces résultats, Pékin s’est lancé dans une campagne massive destinée à modifier au niveau mondial le récit et la perception de la crise liée à la pandémie de Coronavirus. Cette campagne se joue sur le front de la guerre de l’information, une autre guerre, fondée sur le contrôle de l’opinion publique, menée par les autorités chinoises avec à leur tête le président Xi Jinping.
Les éléments de cette campagne sont connus : ils visent à démontrer que le système autoritaire est validé face à la supposée inefficacité des valeurs démocratiques.
Dans le même temps, le contrôle de l’information redevient une priorité après un assouplissement initial destiné à laisser une soupape de sécurité à une population confrontée à une crise humanitaire majeure. Déjà sévère en Chine, ce contrôle s’est renforcé, dans la ligne de ce qui a été mis en place par Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir en 2012. Surtout, le régime tente de faire taire à l’étranger tous les experts coupables de faire entendre une voix divergente de la « ligne officielle ». Ceux-ci sont dénoncés dans la presse chinoise comme des « éléments anti-chinois » qu’il s’agit de déconsidérer.
Il y a en effet, pour le régime chinois, urgence. Le monde extérieur a pu être impressionné par la « capacité de réaction » d’un système capable de confiner autoritairement des dizaines de millions de personnes. L’Italie a accueilli avec reconnaissance l’arrivée d’un avion chinois – en présence du président de la république et de l’ambassadeur de Chine – amenant plusieurs médecins et plusieurs tonnes de matériel. Le président serbe « remercie la Chine qui nous sauve ». Certains vantent le « civisme » érigé au rang de « valeur asiatique », un concept que le régime autoritaire de Pékin a utilisé pour dénoncer le principe même de valeurs universelles. Pourtant, l’image d’efficacité du régime et de superpuissance incontournable a été très fortement écornée aux yeux de la population chinoise et, plus grave encore pour le système politique, aux yeux du monde.
En Chine, la pandémie, et son traitement désastreux dans une phase initiale cruciale pour son contrôle, menace la stabilité sociale et politique et ses effets pourraient être durables. Pour les Chinois, c’est une sorte de contrat social entre un régime autoritaire mais efficace et protecteur et une population assurée d’une vie décente qui a été rompu. Cette crise est par ailleurs venue s’ajouter à des éléments négatifs que la stratégie offensive de Xi Jinping a accentués, du ralentissement économique à la guerre commerciale avec les Etats-Unis, en passant par les défis posés par Hong Kong et Taiwan.
Aux yeux de tous, alors que le premier cas connu remonte au 16 novembre, que les médecins lançaient l’alerte le 1er décembre sur la transmission d’homme à homme, mais qu’ils étaient sommés par l’autorité de santé de ne rien diffuser, coûtant la vie au Dr. Li Wenliang, le pouvoir a démontré que le bien du Parti communiste et son image passaient avant la sécurité et le bien-être de la population qu’il est censé servirAu fronton de tous les bâtiments officiels le slogan « Servir le Peuple »为人民服务 est inscrit..
A l'étranger, c’est ce qui fait le cœur de la puissance chinoise qui est remis en cause peut-être durablement. Au niveau diplomatique, l’exclusion de Taiwan en tant qu’observateur de l’OMC est de moins en moins comprise alors que l’île, qui repose sur des fondements démocratiques, a su, comme la Corée du Sud et Hong Kong, gérer la crise avec efficacité. C’est aussi le caractère inéluctable de l’émergence de la Chine au premier rang et son image de puissance incontournable, capable d’imposer ses normes et ses règles à l’économie mondiale, qui sont contestés.
La Chine a longtemps été en effet une solution de facilité, « gagnant-gagnant », pour de nombreuses entreprises qui y trouvaient un partenaire « efficace », à condition de se plier aux règles édictées en matière de transfert de technologie et de ne pas insister sur le droit de propriété intellectuelle. En échange, le Parti pouvait offrir un droit du travail quasiment inexistant, l’absence de syndicats indépendants, des normes peu contraignantes, et la présence d’intermédiaires chargés de faciliter les relations et « d’aplanir » les difficultés. Les espoirs mis dans le marché chinois ont également longuement nourri un mirage dangereux qui a vu une part majeure de l’économie mondiale reposer sur une puissance par nature imprévisible et fragile derrière les apparences de solidité.
Car, en réalité, si l’épidémie est apparue en Chine, ça n’est pas un hasard, ni le fruit de la simple malchance. La nature du régime, l’interdiction de toute presse libre, la domination absolue du Parti communiste sur l’ensemble des acteurs sociaux et économiques, y compris le système légal, les appels de Xi Jinping à renforcer encore « le leadership absolu du Parti communiste sur les opérations de sécurité nationale », la peur des autorités, contribuent à l’émergence de ce type de catastrophe dont le coût, en vies humaines et pour l’économie mondiale, sera immense. Quelques mois avant l’éruption de la crise du coronavirus à Wuhan, la Chine faisait face à une autre pandémie, celle de la grippe porcine, provoquée là encore par la non-mise en œuvre des règles d’hygiène et d’abattage, et mal maîtrisée car trop longtemps dissimulée. La corruption systémique et l’absence de contre-pouvoirs empêchent de croire à la mise en œuvre des règles, y compris les règles sanitaires qui garantissent la sécurité alimentaire. Interdits en 2003 après la crise du SARS, les marchés aux animaux vivants le sont à nouveau aujourd’hui, mais rien ne garantit l’application de cette interdiction.
Les dirigeants chinois ont un objectif : la pérennité du régime. Le « rêve de grande renaissance de la nation chinoise » est le moyen d’assurer cette pérennité. C’est pour tenter de préserver ce rêve que Pékin s’est lancé dans une guerre désespérée pour le contrôle de l’information.
Aujourd’hui, la Chine crie victoire et le danger est redoublé. Une telle pandémie ne peut s’arrêter totalement. L’exemple du SARS n’est pas pertinent, la cause de la transmission, les civettes, avait été éliminée et la contagiosité était moindre. En revanche, on peut craindre que les autorités, pour ne pas être mises en tort, n’appliquent une censure encore plus forte concernant d’éventuels nouveaux cas. Dans ces conditions, toutes les informations en provenance de Chine ne pourront être acceptées que si vérifiées d’une manière indépendante par la communauté internationale. Ce devrait être le rôle de l’OMS.