Le cycle des Sommets mondiaux sur la sécurité nucléaire s’est achevé vendredi 1er avril 2016 à Washington, D.C. Aboutissement politique d’une initiative prise par le président Obama en 2009, il s’agit pour nombre d’observateurs – dans la communauté des ONG en particulier - de l’amorce d’un système mondial qui reste à mettre en place.
Appelée de ses vœux par le président Obama lors d’un discours prononcé à Prague au printemps 2009, la sécurisation des matières nucléaires vulnérables dans le monde est un objectif qui a donné lieu à l’organisation de quatre sommets mondiaux sur la sécurité nucléaire (Nuclear Security Summits – NSS) depuis 2010. Le quatrième s’est tenu les 31 mars et 1er avril 2016 à Washington, D.C.
La fin d’un cycle
Adressé aux chefs d’Etat et de gouvernement des principaux pays nucléarisés 52 délégations étatiques ont participé au NSS 2016 de Washington, le cycle des NSS était destiné à porter au plus haut niveau d’attention politique la menace de terrorisme nucléaire. Au fil des Sommets, le ciblage des matières nucléaires civiles, essentiellement l’uranium hautement enrichi (HEU) et le plutonium (Pu), s’est étoffé avec la portée de l’événement : sources radioactives, lien entre les dispositifs de sureté et de sécurité nucléaires, question de la gouvernance mondiale de la sécurité nucléaire, en particulier. Comme préoccupation de sécurité internationale, la sécurité nucléaire a longtemps été cantonnée à son volet technique avant de se diffuser largement dans les milieux politico-diplomatiques du monde occidental et au-delà depuis le début de la décennie 2010. Elle accompagne désormais tous les débats sur le développement de l’énergie nucléaire dans les économies émergentes. La définition de la sécurité nucléaire continue de varier selon les pays et les organisations. L’on considère ici la définition qu’en donne l’AIEA dans l’édition 2007 du Glossaire de sûreté, pour son caractère très général : « Mesures visant à empêcher et à détecter un vol, un sabotage, un accès non autorisé, un transfert illégal ou d’autres actes malveillants mettant en jeu des matières nucléaires et autres matières radioactives ou les installations associées, et à intervenir en pareil cas. Ces mesures comprennent, sans que cela soit limitatif, la prévention, la détection et l’intervention en cas de vol de matières nucléaires ou autres matières radioactives (que leur nature soit connue ou non), de sabotage et d’autres actes malveillants, de trafic illicite et de cession non autorisée ».
En marge de la tenue des NSS, événements essentiellement intergouvernementaux, les organisations non gouvernementales (ONG) et l’industrie nucléaire ont tenu leurs propres rencontres : les Nuclear Knowledge Summits (NKS) pour les premières, les Nuclear Industry Summits (NIS) pour la seconde. Ces « side events » ont vu leur importance et leur intégration s’accroître d’année en année. A Washington le 31 mars 2016, NIS et NKS ont partagé une demi-journée de débats dans le cadre d’une conférence conjointe entre deux communautés professionnelles traditionnellement opposées sur la question des usages civils de l’énergie nucléaire. Le rôle de la société civile au sens large dans le cycle des NSS ne s’est pas borné à établir des rapports de mise en œuvre des engagements étatiques pris Sommet après Sommet (2010 à Washington, 2012 à Séoul, 2014 à La Haye). Ces fonctions d’« assessment » et de « monitoring » sont classiques au sein des ONG versées dans l’observation et l’analyse des forums internationaux de sécurité. Elles s’accompagnent d’une fonction d’aiguillon des débats intergouvernementaux.
Communiqué final du Sommet : explication de texte
Adopté le 1er avril, le Communiqué final du Sommet de Washington est un document de compromis qui indique relativement bien l’état des choses en la matière.
D’abord, le terrorisme qui constitue la menace est dit à la fois nucléaire et radiologique. Cette extension de portée, proposée notamment par la France lors du NSS de Séoul, est avalisée. Elle fait écho à l’appréhension d’engins explosifs improvisés (EEI) associés à de la matière radioactive comme possible nouveau mode opératoire de groupes terroristes en milieu urbain. Ensuite, le terrorisme nucléaire est décrit comme « l’un des plus grands défis » actuels à la sécurité internationale, en particulier parce que la menace qu’il représente est en évolution constante, ce que prévient le document. Ainsi donc, avec un sens de l’urgence assez prononcé, le premier paragraphe du Communiqué final de Washington cherche à coller au plus près de l’évolution de la menace après les attentats de Paris et de Bruxelles, et après les diverses révélations mettant en lumière des intentions malveillantes de se procurer de la matière nucléaire et/ou radioactive (événements de Bruxelles, d’Irak, etc.) ces dernières années.
Cela étant dit, le document note ensuite que la sécurité nucléaire s’est sensiblement améliorée dans le monde depuis le lancement du premier NSS en 2010. L’argument est illustré par l’augmentation du nombre de ratifications des grands instruments multilatéraux pertinents (Convention on the Physical Protection of Nuclear Materials – CPPNM – et son amendement de 2005 qui couvre le transport des matières sur le territoire national, International Convention for the Suppression of Acts of Nuclear Terrorism – ICSANT – de 2005). Ainsi au mois de mars 2016, il ne restait que 8 ratifications pour que l’amendement à la CPPNM n’entre en vigueur (le Pakistan, en particulier, a ratifié l’amendement le 21 mars 2016). L’on peut fournir d’autres illustrations, telles que la minimisation d’emploi du HEU et du Pu par les États participants. En particulier, plus de la moitié des États participants ont d’ores et déjà éliminé leurs stocks de matières militarisables.
Il est notable que les trois piliers traditionnels du Traité sur la non-prolifération de l’arme nucléaire (TNP) – non-prolifération, désarmement, usages pacifiques de l’énergie nucléaire – sont rappelés dès le §2 du Communiqué. Il est également rappelé que les mesures prises par les États pour renforcer leur sécurité nucléaire ne viendront pas « entraver » le droit de ces États à développer les usages civils de l’énergie nucléaire. Ces mentions ont valeur de précaution. Les rapports entre l’enjeu de sécurité nucléaire et les enjeux de non-prolifération et désarmement ne sont pas interprétés de la même façon par tous les États. Très schématiquement, les États dotés de l’arme nucléaire (EDAN) ont pu voir dans les NSS une manière pour les États non dotés (ENDAN) de porter le débat sur le désarmement nucléaire dans une nouvelle enceinte internationale. A l’inverse, nombre d’économies émergentes ont pu voir dans les impératifs de sécurité nucléaire une manière habile pour les grands États fournisseurs de verrouiller l’accès au marché mondial de l’énergie nucléaire civile. Il convient de noter que ces perceptions sont variables et ne se sont pas concrétisées au fil des communiqués finaux des NSS entre 2010 et 2016.
Par ailleurs, deux autres points sensibles sont abordés par le Communiqué de Washington 2016 : premièrement, il est rappelé que la mise en œuvre de la sécurité nucléaire reste de la responsabilité souveraine des États. Deuxièmement, la sécurité des matières nucléaires militaires est mentionnée comme un devoir pour les États dotés de ces matières. Cette double mention rappelle d’une part que la sécurité nucléaire internationale n’obéit à aucune injonction prescriptive s’agissant d’un domaine de souveraineté régalienne. Elle rappelle d’autre part à tous les États leurs obligations, y compris s’agissant des matières militaires ou qui pourraient être militarisées, alors que les matières militaires ne font pas partie stricto sensu de l’ordre du jour des NSS.
Enfin, le document confirme que le cycle des NSS entamé avec le premier Sommet de Washington au printemps 2010 est désormais clos.
Quelle suite aux NSS ?
Au plan institutionnel et politique international, la suite du processus NSS est ouverte : les États-Unis ne seront plus les moteurs d’initiatives similaires à court et, sans doute, moyen termes. La Norvège a annoncé sa volonté d’organiser une conférence internationale sur la sécurité nucléaire. L’AIEA organisera une conférence intergouvernementale au mois de décembre 2016 à Vienne alors que la sécurité nucléaire est traitée par une division et non plus par un bureau au sein de l’Agence depuis l’année dernière. Une première conférence internationale avait déjà été organisée par l’AIEA au mois de juillet 2013 entre les NSS de Séoul et de La Haye. La responsabilité et le rôle central de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) sont réaffirmés par le Communiqué de Washington à la fois pour aider les États à mettre en œuvre les solutions de sécurité et pour maintenir l’attention des États.
Il convient de noter que les États participants se sont engagés à mettre en œuvre, dans le cadre des organisations internationales qui les ont adoptés Nations Unies, AIEA, Interpol, Initiative mondiale contre le terrorisme nucléaire (GICNT), Partenariat mondial du G8 contre la prolifération des armes de destruction massive et des matières connexes (PMG8), les cinq plans d’action annexés au Communiqué final. Ainsi les Nations Unies, Interpol, l’Initiative mondiale contre le terrorisme nucléaire (GICNT) et le Partenariat mondial du G8 contre la prolifération des armes de destruction massive et des matières connexes (PMG8) apparaissent comme autant de lieux légitimes de gouvernance de la sécurité nucléaire internationale dans la phase post-Sommets, à côté de l’AIEA.
Au plan national, le Communiqué de Washington appelle à davantage d’efforts de la part des États. La sécurité nucléaire reste donc en chantier. La fin du cycle des NSS n’implique pas que ce dossier de sécurité internationale est clos. Les États s’engagent à continuer à faire de leurs efforts une priorité et à le faire de manière visible. La visibilité des actions prises en matière de sécurité est un sujet sensible pour la société civile qui a beaucoup appelé à plus de transparence de la part des États depuis le NSS de La Haye (2014). Le débat sur la transparence a encore achoppé à Washington cette année sur les nécessités de garder secrets les dispositifs de sécurité eux-mêmes (« sensitive information »).
Enfin, le document final de Washington encourage la coopération internationale, y compris le partage de renseignements, ainsi que la participation de la société civile et de l’industrie.
Questions en suspens
Plusieurs questions substantielles se posent à l’issue du second Sommet de Washington : quel bilan détaillé peut-il être fait des efforts fournis depuis 2010 par les États participants ? Peut-on parler d’un régime international de sécurité nucléaire en l’absence de toute pierre d’angle juridiquement contraignante ? La planète nucléaire civile est-elle plus sûre en 2016 qu’elle ne l’était à l’arrivée au pouvoir du président Obama ? Faut-il mettre en place un régime juridiquement contraignant ? Comment en vérifier le respect, le cas échéant ? Pour l’ensemble des ONG présentes à Washington lors du Sommet, l’initiative du président Obama doit être poursuivie dans la durée. La Fondation Mac Arthur et la Carnegie Corporation de New York ont d’ores et déjà annoncé mardi 29 mars 2016 leur engagement à financer des projets de sécurité nucléaire à hauteur de 29 millions de dollars pour les années 2016 et 2017.
D’autres questions de méthode se posent, qui mêleront des enjeux financiers et fonctionnels. Si l’AIEA, en particulier, doit devenir le point focal d’une architecture internationale qui se met en place, la question de ses ressources se posera inévitablement. Ceci impliquera une remise en question du système actuel qui prévaut au fonctionnement du fonds de sécurité nucléaire de l’Agence. Ce système, on le sait, est aujourd’hui à discrétion des États et fonctionne en dehors du budget régulier annuel de l’Organisation.